Les Echos.fr - 19 aoà »t 2015

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L’amour à la Comédie-Française
LE 19/08 À 11:30, MIS À JOUR À 11:52
Dans « Place Colette », Nathalie Rheims se confie avec plus ou moins de bonheur sur son premier amour et sa découverte passionnée du théâtre. AFP
Nathalie Rheims dévoile dans « Place Colette » son double amour pour
les planches et un acteur du Français à travers une autobiographie
fluide qui aurait mérité de s’attarder davantage sur sa passion du
théâtre.
Pour tout amateur de théâtre qui se respecte, la Place Colette évoque la maison de Molière, la
Comédie-Française. Avec un titre pareil, la prolifique Nathalie Rheims semble promettre en germe une
incursion dans le cercle fermé des happy few théâtraux. Pourtant, ce « roman vrai » (une autobiographie
en somme) s’attache à décortiquer dans ses moindre détails la passion de la jeune fille de douze ans
succombant aux charmes d’un certain Pierre, de trente ans son aîné et sociétaire au Français. Le coup
de foudre, au départ unilatéral, semble-t-il, s’abat lors du traditionnel séjour estival de la famille Rheims
dans un village corse, Saint-Florent. Cette première rencontre littéraire et amoureuse s’effectue sous
l’égide de Molière et de sa fameuse « École des femmes » ; Nathalie se métamorphose en Agnès
ingénue des années 70 qui ignore encore tout des tourments et des délices de l’amour.
Après avoir passé trois ans cloîtrée dans une prison de plâtre suite à une erreur de diagnostic, la jeune
Nathalie débarque dans un monde inconnu, à la fois effrayant et excitant : celui de la découverte
amoureuse. Double roman d’apprentissage, « Place Colette » imbrique l’initiation sexuelle de la gamine
inexpérimentée et la confirmation farouche de sa volonté de devenir actrice. Les confidences crues et
abondantes de Nathalie Rheims sur son dépucelage progressif évoquent du sous-Nabokov et se
complaisent dans des descriptions prolixes et répétitives. Le style fluide de la romancière occasionne
une lecture agréable malgré un développement trop gourmand sur cette relation interdite. Les épisodes
relatifs aux rapports compliqués avec sa famille (des parents absorbés dans leur relation extraconjugale et leurs ambitions personnelles, des frères et soeurs brillants et indifférents, un cadre
mondain respirant l’artifice et l’arrogance) se révèlent par ailleurs bien plus percutants et
paradoxalement plus personnels que cette histoire à l’eau-de-rose pimentée de passages osés.
Dans les coulisses du théâtre
« Place Colette » s’envole lorsque Nathalie Rheims évoque son lien avec le théâtre. Sa fringale des
grands classiques et sa mémoire d’éléphant l’amènent naturellement à vouloir embrasser la carrière de
comédienne. Son amour pour Pierre n’est évidemment pas étranger à ce désir ardent de brûler les
planches : ses premiers cours de théâtre pris chez Chantal, la voisine du dessus de sa copine Isabelle,
rousse précoce et pleine d’initiative, cimentent cette double épiphanie. « Le théâtre était fait pour moi,
j’en avais désormais la certitude. Une porte s’ouvrait ; si je savais la franchir, je pourrais partager
quelque chose d’essentiel avec Pierre, faire un pas vers lui pour essayer de vivre dans son monde,
peut-être même en faire partie. », écrit-elle. Les multiples allers-retours en catimini entre son
appartement bourgeois de La Madeleine et la loge de Pierre créent une connexion spatiale entre la
sphère de l’enfance et le monde sulfureux de l’adolescence tout en renforçant son admiration pour
l’univers feutré et grandiose du théâtre. Phèdre, Elvire, Roxane ou Ondine, Nathalie se montrera de
plus en plus audacieuse avec son premier amour.
Au fil des pages, on croise Isabelle Adjani, Robert Hirsch ou Michel Aumont ... Autant de légendes
vivantes brièvement convoquées mais dont la mention suffit à faire plaisir aux amateurs de théâtre. Le
dernier quart du roman marque une rupture en se centrant exclusivement sur la trajectoire artistique de
Nathalie. Son entrée dans la profession s’accompagne d’anecdotes savoureuses et l’emploi de la
première personne accentue l’empathie ressentie pour cette jeune prodige au talent confirmé par Jean
Périmony ou Michel Favory. De ses auditions pour l’ENSATT de la rue Blanche en passant par ses
premiers rôles dans « Tartuffe » monté par la directrice du Théâtre Montansier, Marcelle Tassencourt ou
« Volpone » dirigé par Jean Le Poulain, sans oublier les échanges partagés avec Maria Casarès dans
une pièce mise en scène par Jorge Lavelli, Nathalie Rheims nous plonge avec sincérité dans les
angoisses et les exaltations d’une apprentie comédienne qui aspire à se révéler au contact des plus
grands. Ces pépites théâtrales auraient sans doute mérité un traitement plus approfondi, quitte à tailler
dans les péripéties amoureuses salées entre la « petite fille » et le pseudo Humbert-Humbert.
PLACE COLETTE de Nathalie Rheims, Éditions Léo Scheer, 311 pages, 20 euros.
Thomas Ngo-Hong-Roche
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