viii Critique de la valeur fondamentale
descendante) correspondant à l’arrivée d’une nouvelle information (positive ou
négative) dans les cours.
La finance est entrée en quelque sorte dans une phase de déconstruction. Au
moins la moitié des articles qui paraissent dans les grandes revues scientifiques
d’économie financière portent sur les divers aspects de la finance comportemen-
tale. Mais ni les anomalies boursières ni les biais des opérateurs en bourse qui
sont à l’origine de celle-ci n’ont pu à ce jour être mis concrètement à profit
par les professionnels de la gestion de portefeuille. Et pour cause. Au-delà des
bizarreries constatées à la fois dans les évolutions boursières et dans les compor-
tements de certains investisseurs, nous ne disposons en effet d’aucune théorie
satisfaisante de l’évaluation des actifs financiers qui puisse se substituer à celle
énoncée dans le premier quart du siècle dernier et formalisée dans la seconde
moitié de celui-ci. D’ailleurs les partisans de « l’ancienne » théorie moderne
de la finance n’abaissent pas leur garde, et Fama (1998) puis Fama et French
(2006) ont bien mis en lumière toutes les contradictions internes des « modèles »
proposés pour expliquer les anomalies boursières empiriques constatées, qui ne
sont que des explications ad hoc, et donc sans aucune portée générale.
C’est le grand mérite de l’ouvrage dirigé par Christian Walter et Éric Brian
d’entamer avec leur critique de la valeur fondamentale le nécessaire travail de
reconstruction. Ils le font avec méthode, pédagogie, clarté, conviction et parfaite
connaissance de la littérature.
Après avoir exposé le concept de valeur fondamentale, pierre angulaire de
l’évaluation d’une entreprise par actualisation de ses flux (dividendes, béné-
fices, flux de trésorerie disponibles), les auteurs soulignent à juste titre que
même cette valeur fondamentale, que l’on pourrait croire objective, est entachée
d’une certaine subjectivité, dans la mesure où elle n’est pas indépendante du
taux d’actualisation utilisé, qui lui-même procède soit de régularités empiriques
du passé, non forcément reproduites dans l’avenir, soit d’anticipations des opé-
rateurs pour le futur. Ils formalisent ensuite le concept de bulle rationnelle qui
peut s’ajouter à la valeur fondamentale si la condition de transversalité n’est
pas respectée, c’est-à-dire si la limite des flux ne tend pas vers zéro lorsque leur
occurrence s’éloigne dans le temps. Ils illustrent ce concept de bulle rationnelle
avec la description de quelques bulles réelles, tulipomanie, bulles du Mississippi
et des Mers du Sud.
On sait que la condition théorique ultime de l’efficience des marchés finan-
ciers est la condition d’arbitrage, et qu’en pratique l’existence des arbitragistes
suffirait à éliminer toute déviation du prix des actifs financiers de leur va-
leur fondamentale. Mais l’arbitrage a ses limites, du fait que les arbitragistes
qui prennent des positions d’arbitrage s’exposent au risque de faillite comme
Keynes en avait eu l’intuition, et comme l’ont modélisé De Long, Shleifer, Sum-
mers et Waldmann, à cause d’une volatilité artificielle (autre que fondamentale)
introduite par les bruiteurs ou trouble-fête, contrairement à la démonstration
de Friedman. Mais qui sont ces bruiteurs, ces spéculateurs ? Les auteurs s’en
tiennent à la définition de la spéculation proposée par Kaldor en 1939 : « Un
ordre d’achat ou de vente d’une action est dit spéculatif lorsque la seule motiva-