les trois dimensions du temps et le réel chez Hampaté Bâ

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LES CAHIERS DE IRDA
Les cahiers de IRDA N 001 janvier 2014
Page 1
LES CAHIERS DE IRDA
Revue semestrielle
LES CAHIERS DE IRDA
Revue Scientifique d’Études Africaines
01 BP 525 Bouaké 01 Côte d’Ivoire
Tel. (225) 07 43 48 96/56 48 11 84/
46 26 26 16/31 63 51 61
http://www.institutirda.org/les-cahiers-de-l-IRDA.html
Courriel : [email protected]
No 001
Numéro Libre janvier 2014
Les cahiers de IRDA N 001 janvier 2014
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Ligne éditoriale
L’Afrique est traversée par des crises dont la nature complexe impose de conceptualiser un agir bien pensé, une
pensée qui a conscience de la structure labyrinthique des réalités africaines, qui l’ouvre au regard, qui en remanie le
mouvement giratoire. Cette attitude n’est possible que parce que nous avons répondu au rendez-vous frontal et
symptomal de la pensée par un questionnement lucide et informé, un questionnement auto-critique. Cette posture se
veut l’élan d’une pensée qui résiste, conteste, proteste contre les incertitudes sans lendemain et les certitudes closes
comme forme de savoir qui enferment et menacent la pensée. Alors, comment et pourquoi ne pas céder au pessimisme
suicidaire encore moins à l’optimisme béat, telle est l’urgence que nous imposent les conditions de notre survie, par une
reprise en charge impérative de soi par la pensée. Re-penser l’Afrique, c’est interroger son être et son devoir-être
comme devenir, la comprendre de fond en comble, sans tabou ni totem, sans paresse ni précipitation en développant
une pensée ferme et rigoureuse de la vigilance informée.
Pour ce faire, il lui faut une terre comme source et un territoire comme ressource de pensée, un lieu théorique pour
questionner, intuitionner ses rapports intérieurs et extérieurs aux choses. C’est pour satisfaire à ces exigences que
IRDA (Institut de Recherches pour le Développement en Afrique) a créé LesCahiers de IRDA. C’est une revue en ligne
qui se veut un espace de recherches et de productions critiques et auto-critiques sur tous les sujets en rapports avec
l’Afrique. Ouvert aux chercheur(e)s, enseignant(e)s et étudiant(e)s de toutes disciplines pouvant scruter tous les
horizons intellectuels, culturels et scientifiques touchant directement ou indirectement l’Afrique dans sa complexité
comme réalité rhizomatique, diversité des possibles épistémiques à buriner au concept. Comme écho à cette urgence
du moment comme exigence épistémologique et méthodologique, LesCahiers de IRDA répondent par la présence
érectile et féconde de la pensée, comme moyen de re-dynamiser l’espace africain dans son actualité passée et présente.
LesCahiers de IRDA ont une double mission : rétrospective et prospective comme inauguralité d’un jour nouveau
pour l’Afrique. Le caractère frontal et inaugural deLesCahiers de IRDA qui le fait donc réfléchir sur des horizons
épistémologiques et méthodologiques encore inexplorés dont l’originalité de l’éclat juvénile ramène les Africains à
repenser leur trajectoire spirituelle, pour déconstruire les actes manqués et les trous de mémoire de leur agir théorique
et pratique entre hier et aujourd’hui. Ce travail exige des remises en question pour valider et consolider les acquis mais
aussi tourner à rebours les paradigmes dominants, pour faire advenir de nouvelles préoccupations comme inquiétudes.
LesCahiers de IRDA veulent donc re-penser ce qui a déjà été, tout comme ce qui n’a jamais été comme moyen de
scruter l’avenir, de répondre à son appel comme rappel à l’ordre face aux défis et enjeux du développement.
LesCahiers de IRDA ont des feuillets où peuvent séjourner des discours théoriques contradictoires et différenciés.
Cette métaphore des feuilles donne à penser que l’on remet toujours sur le chantier de la discussion et de la recherche
toute forme de savoirs ou de pensées, les amener à révéler les scansions de son indicible secret. Comme tels,
LesCahiers de IRDA est espace de dialogue critique, de débats entre différentes postures épistémologiques et
méthodologiques agonistiques.
La spécificité de LesCahiers de IRDA est de favoriser le développement de productions scientifiques de qualité en
Études Africaines, d’une part. LesCahiers de IRDA est une revue ouverte à des travaux en Études Canadiennes et
Québécoises en relation avec des situations épistémologiques, méthodologiques, culturelles et politiques avec
l’Afrique, d’autre part. Telles sont les promesses que LesCahiers de IRDA veulent semer sur des terres africaines aussi
bien arides que fécondes. Éclater les limites du pensable par une réflexion ferme, rigoureuse et profonde, explorer et
retrouver le choc initial épistémique originel, originaire et original comme moment tensionnel d’émergence et de
développement des choses, pour que viennent au jour quelques faisceaux lumineux des impensés que l’ombre de
l’impensable peut produire, tel est le défi et l’enjeu que se donnent LesCahiers de IRDA pour re-configurer l’Afrique.
LA RÉDACTION
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CONSIGNES DE RÉDACTION
Pour que votre article soit publié,
Il ne doit pas dépasser 15pages. (maximun)
La police des caractères doit être du Times New Roman et le corps des caractères est de
12. , interligne simple, les marges sont haut : 3 cm, bas : 3cm; gauche 3cm; droite 3cm
Les signes de ponctuation uniquement suivis d’un espace sont : , .
Ceux précédés d’un espace et suivis d’un espace sont : ? ! ; : - « »
Pour les guillemets de ce type " " “ ” et les parenthèses, il n’y a pas d’espace à l’intérieur.
•
Quand la citation est comprise dans une phrase, le point final viendra endehors du guillemet : Phrase "institut".
•
Quand la citation est une phrase complète, le point est dans le guillemet:
"Institut de recherches."
•
Quand la citation est introduite par deux points, les deux sont possibles :
Quand la citation est longue et par exemple : comporte plusieurs phrases, il est
nécessaire de mettre le point à l'intérieur du guillemet. Quand la citation est un
mot ou très courte, on peut mettre le point à l'extérieur (il dit : "prends".).
•
Pour une phrase en français les guillemets doivent être de ce type : «
Institut de recherches »
•
Pour une phrase en anglais : "institut de recherches" et en italique
•
Accentuer les "À", les "É" et "Ê" majuscules. Par exemple : À ce propos,
École, Être, etc.,
NOTES DE BAS DE PAGE
Deux choix sont possibles (mais il faut choisir l’un ou l’autre pour tout le texte) :
•
Les notes sont placées : En bas de page. Le corps à utiliser est de 10
points soit 2 points de moins que le corps du texte. Les appels de note placés dans
le texte doivent avoir le même corps que les rappels et le texte des notes.
À la fin du texte, elles seront dactylographiées à un interligne et demi, en
respectant le protocole suivant (y compris la ponctuation) :
•
Livre, nom de l’auteur, initiale du ou des prénoms, titre. Lieu d’édition,
nom de l’éditeur, année de publication, nombre de pages..
SAMBA DIAKITÉ (dir.) , Dictionnaire des auteurs africains. Abidjan, Presses
Universitaires de Côte d’Ivoire, 2013, 230 pages
•
Article, nom de l’auteur, initiale du ou des prénoms, « titre de l’article »,
nom de la revue, volume, numéro, année de publication : première et dernière
pages de l’article.
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•
Vanier .C. « L’homme qui aime la femme », L’Homme, XVI, 2-3 : 103-
128.
•
Texte dans un ouvrage collectif, nom de l’auteur, initiale du ou des
prénoms, année de publication, « titre du chapitre » : première et dernière pages
du chapitre, in initiale du ou des prénoms et nom du ou des directeurs de
publication, titre du livre. Lieu d’édition, nom de l’éditeur, année d’édition.
•
DUFFRENES M., « Le bleu et le noir » : 79-123, in F. Héritier-Augé et
É. Capen et Allenr (dir.), Les margouillats. Volume I : Les mangeurs de mil.
Paris, Éditions des Margouillats, 2013.
•
Document Internet, comme les rubriques ci-dessus et, à la place du lieu
d’édition et du nom de l’éditeur, la mention : Consulté sur Internet (adresse du
site), le (date). Conseil africain de Bamako, 2013, introductions de séance, 7, 8 et
9 décembre. Consulté sur Internet
(http://africa.ua.int/nations/off/conclu/dec2013/dec2013/_fr.htm), le 15 juillet
2013.
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ORGANISATION
Directeur de Publication :Prof. Samba DIAKITÉ
Directeur de Rédaction :Dr KOUMA Youssouf
Secrétaire de Rédaction : Dr KONATÉ Mahamoudou
COMITÉ DE RÉDACTION
Dr KOUMA YOUSSOUF, Maître-Assistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
Dr SORO DONISSONGUIMaître-Assistant Université Alassane Ouattara de Bouaké
DR KOUASSI KOUADIO LEONARD, Assistant, Institut National Supérieur d’Action Culturel Abidjan
DR SANGARÉ SOULEYMANEMaître-Assistant,Université Alassane Ouattara de Bouaké
DR KONATÉ MAHAMOUDAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
Dr KOUAKOU HYANCINTHE, Chercheur, Lycée Moderne d’Adzopé Côte d’Ivoire
DR SOUMAHORO FALIKOUAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
DR CHANTAL PALÉAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
DR SANOGO AHMEDAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
JACKIE DIOMANDÉ Doctorante,Université Alassane Ouattara de Bouaké
KOUAKOU EDWIGEDoctorante, Université Alassane Ouattara de Bouaké
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CONSEIL SCIENTIFIQUE
PROF. ABOU KARAMOKO, Professeur des Universités,Université Houphouët-Boigny ,philosophie de la
culture , théorie critique et philosophie africaine
PROF COULIBALY DAOUDA,Maître de Conférences,Université Alassane Ouattara , études américaines
PROF DANY RONDEAU,Professeure des Universités,Université du Québec à RIMOUSKI, éthique, philosophie
de la culture et des religions
PROF. DAVID MUSA SORO,Professeur des Universités,Université Alassane Ouattara, , philosophie grecque
et études anciennes
PROF. HOUNTONDJI PAULIN,Professeur des Universités,Université du Benin, , philosophie africaine et
philosophie politique
PROF. KOUASSI YAO EDMOND,Maître de Conférences, Université Alassane Ouattara, philosophie politique
et sociale
PROF. N'GUESSAN DEPRY ANTOINE, Maitre de conférences, Université F.Houphouet Boigny, philosophie
des sciences
PROF. SAMBA DIAKITÉ, Professeur des Universités,Philosophie de la culture, de l’éducation, éthique et
philosophie africaine
PROF. TRO DEHO, Maître de Conférences,Université Alassane Ouattara, littérature africaine
PROF. YACOUBA KONATÉ,Professeur des Universités,Université FÉLIX Houphouët-Boigny, esthétique,
philosophie de l’art et philosophie politique
PROF. BINDEDOU JUSTINEMaître de Conférences, Université Alassane Ouattara, philosophie politique
PROF. GRÉGOIRE BIYOGO, Professeur des Universités,Université Paris VII; Per Ankh Université
Panafricaine de la Renaissance; égyptologie, épistémologie, méthodologie, linguistique historique et comparée,
histoire de la philosophie, musicologie, poétique
PROF. MARIE STOLL, Professeur des Universités,Université of Michigan, Science and arts
PROF. NORMAND BAILLARGEON, Professeur des Universités, Université du Québec à Montréal Philosophie
de l’éducation
PROF. KOUASSI MARCEL, Maître de Conférences, Bioéthique, éthique des technologies, philosophie
pratique
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"CONTE, CONTÉ, À CONTER" : LES
TROIS DIMENSIONS DU TEMPS ET LE
RÉEL CHEZ HAMPATÉ BA
Dr AHO Sopie Hélène Félicité∗
Assistante
[email protected]
Résumé
Par opposition à l’appréhension rationnelle de la pensée moderne à caractère exclusif,
la pensée peule du monde traditionnel demeure, dans le fond des âges, unique et
immuable sur la question du réel. Mais cette pensée qui vient du fond des âges et qui est
restée dans le secret pour être révélée seulement à celui qui peut en faire bon usage, a un
caractère multiple. Elle est la pensée futile des traditions, que couvrent les contes
didactiques peuls, qui sert de distraction à la société. C’est la pensée qui distrait et
amuse. Mais en même temps, elle est le savoir vrai, celui du réel qui prend source dans
l’invisible et rend le visible, visible. Les contes que présente Amadou Hampaté Bâ
enseignent la vie et ôtent au temps humain le sceau de la finitude. Ils établissent une
parfaite communion entre l’homme et le Divin, entre le matériel et l’immatériel.
Cependant, cet enseignement n’est pas un acquis. Il est plutôt une conquête, pour
retrouver les lois profondes qui gouvernent l’univers entier, afin d’accéder à une
élévation divine. C’est l’importance de ce savoir que Hampaté Bâ prône à travers la
mythologie peule.
Mots-Clés :Le Conte, Le Divin, L’Invisible, Mythologie, Originalité, Réel, Vérité,
Visible
Abstract
In opposition to the rational apprehension of the modern thought in exclusive matter,
the Fulani thought remains, in the content of the ages, single and immutable. But this
thought which comes from the bottom of the ages and which remained in the secrecy to
be only revealed with this him who can put to good use of it, is multiple. It is the futile
thought of the traditions, which cover the Fulani didactic tales, which is used as
distraction at the company. It is the thought which distracts and amuses. But at the same
time, it is the true knowledge, that of the reality which takes source in the invisible one
and returns the visible visible one. The tales which Amadou Hampaté Bâ presents teach
the life and removes at human time the seal of finitude. They establish a perfect
communion between the man and the Divine one, equipment and the immaterial one.
However, this teaching is not an asset. It is rather a conquest, to find the major laws
which control the whole universe, in order to reach a divine rise. It is the importance of
this knowledge which Hampaté Bâ preaches through Fulani mythology.
∗
Université Alassane Ouattara de Bouaké
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Keywords:The Divine one, Tale, the Invisible one, Mythology, Originality, Reality,
Truth, Visible
Introduction
Le matériel et l’immatériel sont deux choses opposées dans leurs natures, mais
compatibles si l’on envisage une franche conciliation entre elles avec une élévation et un
progrès intérieur. De cette conciliation, transparaît la vérité qui fait être le réel et qui
permet aux générations de se reprendre et de se perpétuer le sens des origines. La vérité
expose ainsi le réel qui devient le partenaire de l’homme dans sa progression éternelle.
Elle demeure « le secret d’hier et celui de demain, secret d’aujourd’hui aussi, mais
l’ignorant l’ignore. »1 C’est en cela que les contes sont des "conte, conté, à conter" qui
expriment le présent, le passé, et le futur ; les trois extases du temps. Ce qui est dit
aujourd’hui a été dit hier, et c’est la même chose qui se dira demain. Et cette réalité
traduit, pour le traditionalisme peul, un fait religieux.
La société peule a subi des transformations inhérentes à l’évolution sociale et politique
avec la modernité. Mais elle a gardé sa connaissance fondamentale, aussi bien
ontologique que métaphysique, hors de cette évolution. La réalité que présente cette
connaissance est une réalité qui s’est construite dans l’espoir que l’homme apprenne, non
seulement à regarder le monde dans une perspective divine, mais aussi et surtout à le
comprendre. Pour cette société, La connaissance divine est sacrée et révèle le réel. Elle
transpose l’homme d’un simple fait de connaître à un mode d’être. Les contes, aussi bien
que les mythes, constituent en ce sens le moyen terme par lequel l’homme accède à la
fascination, au charme du réel à travers le sacré.
Le peul sait que la connaissance est un guide qui sert impérativement dans le
dépassement de soi et de la chose visible. Dans ce dépassement, intervient en même
temps un temps sacré, celui où les temps ne se succèdent plus, où les choses ne passent
plus, où les hommes ne meurent plus. La connaissance que révèlent les contes et les
mythes ici, est une connaissance du réel, une épuration grâce à laquelle l’homme pénètre
progressivement le monde de la compréhension et rétablit ses rapports avec le sacré. Á
partir de ce moment, la vie s’oriente dans une perspective symbolique qui exige du corps
une certaine purification pour que s’opèrent la saisie intellectuelle du sens des choses et
le développement de l’intuition qui permet de déceler l’invisible présent en chaque chose.
Il faut donc comprendre qu’à l’arrière-fond du monde visible, les choses minimes et
apparemment sans valeur sont des signes, des manifestations de l’invisible du réel qu’il
faut saisir et comprendre. Mais d’où provient l’invisible et comment parvient-il à la
réalisation du réel ? Comment de ce qui est irréel, quelque chose de réel peut-il venir à
l’existence ? En définitive, quel rapport existe-il entre le visible et l’invisible, et comment
1
Hampaté Bâ A., L’Éclat de la grande étoile, Abidjan, Classiques africains, 1976, p 37.
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la révélation du réel parvient-il aux hommes, de génération en génération ? Notre
réflexion sera fondée sur ces interrogations.
I-La symbolique du verbe ou la source plurielle du
réel
Le monde est un réservoir inépuisable de choses matérielles qui se donnent comme
symboles qui égarent les hommes pour préserver le mystère du réel. Le symbole, en tant
que concret, est un signe, une présentation derrière laquelle s’étale un discours qui dit la
vie comme mystère. Le symbole, c’est la moitié d’une chose, sa partie visible derrière
laquelle se cache l’autre moitié, l’invisible, qui est sa réalité. C’est l’invisible qui fait être
à l’existence le visible. Eliade pense en ce sens que « tout ce qu’on peut dire, c’est que
l’actualisation d’un symbole n’est pas mécanique : elle est en relation avec les tensions et
les alternances de la vie sociale, en dernière instance avec les rythmes cosmiques. »2
La vie toute entière est symbolique, et le passage du symbole à la connaissance sousentend nécessairement l’aptitude à l’école de la parole, car c’est la parole qui dit ce qui
est au-delà du symbole et rend le symbole possible.
Le mécanisme de la culture traditionnelle peule révèle cette importance du symbole.
Selon cette culture, en effet, le symbole tient la place des concepts et les traduit de façon
authentique. Et le domaine de la spiritualité est le lieu où il se fait le plus imminent. Que
ce soit dans les sociétés traditionnelles ou modernes, le symbole reste le traducteur des
pensées, des vies, des gloires, des échecs ; en un mot, de l’histoire. Il est la
matérialisation d’une histoire ou d’une pensée profonde. Le symbole, c’est « tout ce qui
est ou peut être considéré comme signe figuratif d’une chose qui ne tombe pas sous les
sens. »3 Le symbole est le visible de l’occulté, il est un langage pour celui qui sait ; car
celui qui parle de symbole sait que c’est un langage, une expression visible de
l’inintelligible.
Il arrive que des images soient utilisées pour traduire l’aptitude des civilisations.
Chez le Dogon du mali, par exemple, le tissage exprime la création du monde. « Le
tissage étant une parole, fixe la parole dans le tissu par le va-et-vient de la navette sur la
chaîne. »4 De même que le Divin a imprégné le monde de sa parole, le tisserand transmet
sa pensée, son imagination dans le tissu. Et à l’image du Divin, il dit ceci : "Que le tissu
soit". Et le tissu fut, comme il l’a désiré, le fruit de sa pensée, de son imagination ou tout
simplement, de son histoire. L’harmonie des couleurs et la qualité du tissage traduisent
ainsi la nature du tisserand. C’est une expression authentique. Pour celui qui sait, le
"tissage" est un symbole, un signe ; le signe de quelque chose d’immatériel, mais qui
reste incontestablement la réalité fondamentale de ce qui est "concret et palpable". Mais
l’ignorance ferme définitivement l’écho de la parole des choses aux hommes. Elle donne
l’impression d’une séparation qui rompt tout rapport entre le matériel et l’immatériel,
entre le vrai et le faux. Mais la chose abstraite, celle qui révèle le concret, se donne dans
2
Mircéa É., images et symboles, essais sur le symbolisme magico religieux, Paris, Gallimard, 1952, p. 30.
3
Grand Larousse encyclopédique, Paris, PUF, 1964, Tome 10.
Louis Vincent T. et Luneau R.,La terre africaine et ses religions, Paris, l’Harmattan, 1980, p. 106.
4
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la parole, une parole sacrée qui, pour le peul, vient du Divin et est l’origine de chaque
chose. Cette parole inspire l’homme et génère en lui la pensée qu’il concrétise à travers
ses entreprises. Entre la parole, la pensée, et les œuvres humaines, il y a le temps du
dissimulé ; le temps où, au fond des symboles, l’invisible se préserve des « bambins et
des fileuses de coton »5pour marquer sa distance avec les hommes. L’invisible ici, c’est le
Divin. Il se dissimule entre les symboles et tout se réduit à faire accepter cette
coïncidence comme lieu de discernement, où les signes sont la marque de l’unité, la trace
de ce vers quoi l’on se tourne. La parole ici échoue dans sa tentative de dire l’immatériel.
Elle exprime seulement sa trace de marque, de borne, de signe et de limite. La parole ici,
est un chemin qui mène vers l’énigme, le mystère, la non-représentation.
Telle que ressentie par le traditionalisme peul, l’énigme est la seule voie qui permet à
l’immatériel de se donner sans être trahi par l’écart que le langage postule. Dans les
textes d’Amadou Hampaté Bâ, L’énigme qui se donne comme une offrande n’est pas
encore ce qui expose l’immatériel, mais ce qui le voile et exige de l’homme un effort de
recherche et de discernement. C’est seulement au bout de ces entreprises qu’il pourra
disposer de la connaissance selon laquelle l’immatériel est le matériel, et il est le réel. En
effet, l’immatériel est une énigme qu’il faut découvrir car il est l’autre face du réel et du
visible qui ne sont que ses symboles. Et tel que la rationalité tribale l’a comprise, c’est-àdire, tel que le monde traditionnel peul conçoit la logique des choses, l’énigme du
symbolique est la parole tribale de la présence, le creux de la croyance qui se donne
comme limite à l’image du Divin. C’est pourquoi, dans le poème Kaydara d’Amadou
Hampaté Bâ, le Divin se présente comme « borne, limite, fin »6. Il pose le Divin comme
l’invisible, origine absolue de la parole et de la réalité de toute chose. En un mot, le Divin
est maître du symbolique à travers les signes qu’il présente.
Les signes du Divin, dans ce conte, sont une véritable pédagogie, mais une pédagogie
sélective à l’image du filtre qui porte l’ambivalence de retenir dans l’ombre ce qui ne
s’adapte pas aux contours de ses pores. En effet, le néophyte est « soumis à un ensemble
d’épreuves qualifiantes, destinées à tester sa maturité et sa dignité à accéder au statu
supérieur du sage »7, et les signes restent l’unique lecture de l’énigme. C’est pourquoi,
l’enseignement initiatique proposé par Kaydara8 sera une lecture des signes qui
permettent de suivre l’énigmaticité de l’existant en se tenant aux marques qui montrent
comment "Kaydara" est "Kaydara" et ce, à travers le Verbe comme parole. La peur de la
mort, par exemple, s’identifie à la peur de l’inconnu, à l’ignorance. Et c’est cette
ignorance que la Vérité, comme le Verbe, veut dissiper pour redonner aux hommes la
connaissance et l’assurance qu’ils avaient jadis.
Le Verbe est un secret, celui qui exprime l’invisible du réel et conduit les êtres à
"l’immortalité." Mais en même temps qu’il est secret, il est sacré. Et comme tout ce qui
5
Hampaté Bâ A., Kaydara,Abidjan, Nouvelles Éditions africaines, 1978, p. 17.
Ici, « bambins et les fileuses de coton » est une expression pour désigner l’ignorant ou l’inconscient.
6
Hampaté Bâ A., Kaydara, op. cit, p. 10.
Mamoussé D., Critique de la raison orale : les pratiques discursives en Afrique noire, Paris, Karthala,
2006, p. 561.
8
"Kaydara" est le nom du Divin dans le Kaydara, un récit didactique peul d’Amadou Hampaté Bâ.
7
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est sacré ne s’expose pas, tout comme le Divin lui-même, le sens du verbe reste caché
"aux bambins" et aux "fileuses de coton",pour dire aux"mentons velus et talons
rugueux"9 le secret qui permet d’échapper à l’anathème du temps. Le Verbe dit le
mystère du temps, celui d’un avenir permanent qui véhicule les choses, non pas vers une
fin tragique, mais vers leur point de départ, « au temps où le ciel parut, le soleil, la lune,
les astres et les planètes et la terre se répandirent ; quand les montagnes, les vallées, les
arbres et les rochers parurent. »10 Au sein des symboles et images que présente la nature,
il y a la parole, le verbe comme expression de la force vitale du Divin, secret de la chose
matérielle et de l’authenticité dans toute sa grandeur, qui fait pacifiquement retour vers
l’origine. A l’instar de toutes les cultures africaines, le mécanisme de la culture peule,
que présente Amadou Hampaté Bâ, révèle l’importance du symbole, et c’est l’une des
raisons pour lesquelles le conte kaydara est jonché de symboles. En effet, le symbole
tient la place des concepts. Que ce soit dans les sociétés traditionnelles ou modernes, il
reste le traducteur des pensées, des vies, des gloires, des échecs, en un mot, de l’histoire.
Il est « le signe de la parole »11, celui du Verbe, secret réparateur de la vie grâce auquel
l’homme vainc son angoisse métaphysique en transformant la mort en un rite de passage.
Naître, mourir, et renaître sont les trois moments qui caractérisent le retour éternel des
choses. C’est le mystère qu’enseigne la parole. Et l’homme qui connait ce secret prend
place dans le char d’un devenir divin.
La parole est une chose sacrée, et en tant que telle, elle demeure dans le secret pour
préserver le secret du temps. Mais en même temps, elle se donne en instruction pour
révéler le mystère dans lequel les choses ne périssent pas, mais restent en perpétuel
devenir comme revenir à l’initial. La parole est, en effet, ce qui dans l’invisible, se pense
dans le recueillement des textes initiatiques, comme ceux que présente Hampaté Bâ. Il y
a notamment koumen, l’éclat de la grande étoile,kaydara, Njeddo-dewal… A travers ces
récits, la parole s’exprime et se transmet après des épreuves dans le cycle de la vie que
présente le Divin. Elle ouvre le monde en indiquant l’origine des choses comme la vérité
de la chose matérielle. Elle s’intercale dans le temps des hommes et épuise toute
distance entre les choses. La vie des hommes, en cet instant, regagne le temps primordial,
elle intègre un univers sacré. Et la voie qui achemine vers cet univers est celle de la
révélation.
II-Le mystère du réel ou la parole inintelligible
De façon précise, « L’objet réellement mystérieux est insaisissable et inconcevable
non seulement parce que ma connaissance relative à cet objet a des limites déterminées et
infranchissables, mais parce qu’ici je me heurte à quelque chose de tout autre, à une
réalité qui, par sa nature, est incommensurable et devant laquelle je recule saisie de
stupeur. »12 En effet, Le voile infranchissable donne l’impression d’une distance
9
"Mentons velus et talons rugueux" désigne, dans le conte kaydara, les initiés ou les maîtres de la
connaissance.
10
Hampaté Bâ A., Kaydara, op. cit. p. 75.
11
12
Kouma Y., « kaydara ou les trois métamorphoses de l’esprit », Baobab, no 9, 2012, pp. 138-154.
Rudolf O., Le sacré, Paris, Édition Payot, 1996, p. 48.
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véritable, une distance maudite que l’homme ne peut surmonter et qui, en définitive, se
fait la base de l’angoisse existentielle qui mine le monde. Mais c’est en même temps, du
fond de ce voile, que la vérité établit son rapport avec le monde réel pour communiquer à
l’homme sa présence. Ce qui justifie, dans le conte kaydara, son caractère « lointain et
bien proche. »13 Ici, la vérité reste une quête de sens.
La quête du sens du réel est une épreuve initiatique où les hommes doivent se défaire
de leurs besoins biologiques, mourir au corps et au temps humain, par rapport à ce qu’ils
pensent pour penser autrement, c’est-à-dire, à l’immobilité du temps, où les choses sont
"Un" en elles-mêmes. Car, l’attention qu’ils accordent au corps fait de la connaissance
humaine une connaissance partielle, accordant à la vérité une seule facette. Or, comme la
pierre triangulaire à l’entrée du pays de la pénombre dans le conte kaydara, la vérité a
deux faces : « Une face de la pierre était peinte en noir et l’autre en blanc. »14 La face
blanche exprime le côté visible des choses ; et la face noire, leur côté invisible. Mais le
côté invisible qui se matérialise à travers le noir se garde dans le retrait, loin des regards
pour ne se révéler qu’à celui qui est apte à son dévoilement. C’est pourquoi, à l’approche
des hommes, la pierre triangulaire « cacha sa face noire et découvrit sa face blanche. Un
escalier de neuf marches qui conduisait sous terre fut mise à nu.»15 Le chemin souterrain
est ici le signe d’une quête pour la découverte de la vérité qui fait être les choses. C’est là
où les sens exigent plus de subtilité possible. Ce qui, dans Kaydara, suscite chez
Hamtoudo, l’un des voyageurs, cette exclamation : « Décidément, nous sommes au pays
des miracles où l’œil voit des phénomènes que ne peut comprendre l’intelligence
ordinaire ! »16 En effet, c’est le temps du langage raccourci où le symbole exprime en peu
de mots ce que le Verbe dira de façon plus explicite, du fait de son caractère explicatif.
Bagoumawel17, dans l’éclat de la grande étoile, montre l’expression du symbole à
travers la cérémonie qu’il fait faire à Diom-Diéri, un homme en quête de savoir : « Il prit
la main gauche de Diôm-Diéri et y plaça le vêtement funèbre (…) souleva le bras droit de
Diom-Diéri, glissa le coutumier sous l’aisselle et le fit retenir par le bras replié. »18Audelà de cette image, il se dégage un texte qui est ceci : « si ta main droite t’exalte, songe à
ta gauche ! tu n’es pas éternel, tu ne tariras pas le temps. Tâche d’y penser et jamais ne
l’oublie. »19Véritablement, ce texte est la norme avec laquelle, selon le traditionalisme
peul, un roi doit régir son peuple pour éviter qu’il ne se soulève contre lui ; car, dit le
Peul, « le droit de commander implique l’obligation d’obéir aux lois de la coutume et le
rappel constant que la mort n’épargne pas les rois. (…) autrement dit : si ta puissance
t’enivre, songe que tu finiras comme n’importe quel mortel. »20 Ce symbole est donc,
selon Amadou Hampaté Bâ, le code des lois de la chefferie et du commandement ; car,
13
Hampaté Bâ A., Kaydara, op. cit. p. 24.
Idem, p. 21.
15
Ibidem.
16
Idem, p. 35.
17
Bâgoumâwel est un personnage mystérieux, dans l’œuvre Njeddo-dewal, dont la mission est de rétablir
l’ordre dans la société, en détruisant l’excès de mal qui y règne. Et dans l’éclat de la grande étoile, il est
commis à l’initiation de Diom-Dirri, un personnage avide de connaissance.
18
Hampaté Bâ A., L’éclat de la grande Etoile, Paris, Classiques africains, 1976, p. 91.
19
Ibidem.
20
Idem, p.15.
14
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ajoute-t-il, « dans les communautés peules, les lois ne sont pas écrites, (elles sont
gravées) sur des planchettes, des peaux ou une gourde. »21 Et seules des personnes
avisées sont habilitées à les expliquer à ceux qui sont disposés à les écouter pour en faire
bon usage. Les symboles sont donc exposés, visibles à tous. Mais ce qui les expose dans
la matérialité est réservé et dit dans le retrait, des messages que l’apprentissage « fait
transmettre et comprendre à ceux qui reçurent de Guéno deux oreilles chanceuses pour
entendre tout propos. »22
En tant que figure, le symbole est une image, un moyen de connexion entre
l’homme et l’invisible. C’est un langage à travers lequel l’homme parvient à la réalisation
de sa condition. Loin d’être une simple figure esthétique ou un simple objet palpable,
"présent là", il est un véritable langage qui dit l’univers comme un monde humanisé où la
vie de l’homme coïncide avec celle de la nature. La nature entière est elle-même
symbolique parce que tous ses mouvements sont des expressions du sacré. Les graines et
les plantes, par exemple, apparaissent comme l’être humain, les différentes étapes de leur
cycle de production étant identiques à celles de l’homme. Le poème kaydara l’indique
bien à travers ces vers :
« Nous venons d’une gouttelette
Tombée en pluie merveilleuse
Dans une cavité secrète et fertile
Nous allons vers la disjonction
Vers la putréfaction
Vers le retour à la source. »23
La "gouttelette" ici désigne le sperme, et "la cavité secrète et fertile", le sexe de la
femme. Le sperme renferme les spermatozoïdes qui représentent l’un des éléments
essentiels de la reproduction humaine. Ils sont semés comme des graines dans le sexe de
la femme. Aussi bien que l’homme, la plante vient à la vie après avoir passé différentes
étapes. Et après la vie, les êtres sont acheminés à la mort où ils sont semés dans la terre.
"La disjonction, la putréfaction", c’est le chemin de la mort, de la décomposition. C’est
"le retour à la source", le retour à la poussière d’où l’homme a été tiré. Naître, mourir et
renaître, tel est le cycle de la vie humaine. Et ce cycle est le même pour les êtres et les
choses.
En effet, le poème dit le réel dans un langage voilé, d’abord, pour préserver le
"non averti" de ce qui peut heurter sa sensibilité, mais aussi pour jouer le rôle de l’arrière
fond de la vérité du visible. En termes plus clairs, il dit la vérité, la réalité du réel ou du
concret. Il est, comme pourrait dire Hegel dans la phénoménologie de l’esprit, sa vérité,
car, pense-t-il, l’invisible n’est pas écarté dans l’expression du visible. Il s’efface pour
laisser venir l’autre dans lequel il est tout de même, manifesté.
Les contes, les mythes et les poèmes sont, pour la plupart, une matérialisation divine
véhiculée pour combler un manque, ce qui leur confère un caractère sacré, mais en même
temps, culturel ; parce qu’ils traduisent un mode d’être. Pour M. Eliade, en effet, « les
symboles et les mythes viennent de trop loin. Ils font partie de l’être humain et il est
21
Idem, p. 91.
Idem, p.93.
23
Hampaté Bâ A., Kaydara, op. cit. p. 44.
22
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impossible de ne pas les retrouver dans n’importe quelle situation existentielle de
l’homme en cosmos. »24 Le monde est composé d’objets façonnés, d’institutions et de
structures signifiantes au moyen desquels l’homme oriente sa vie. C’est pourquoi,
contrairement aux animaux dont le mode de vie est biologiquement et instinctivement
réglé, la vie de l’homme s’établit selon la société dans laquelle il évolue, et selon sa
communauté propre. La symbolique du langage, la symbolique de la culture, et la
symbolique de la religion confèrent à sa personne un mode d’être correspondant, qui
diffère des autres communautés. « Nos intuitions, notre compréhension de notions
complexes et difficiles comme celles de réalité, de vérité, de bonté ainsi que notre
expérience et notre appréciation de ce qui est censé être essentiel et évident (…) sont
façonnés et ordonnés par le langage que nous avons acquis. Et tout cela fait l’objet de
grandes variations dans le monde et à travers l’histoire. »25Pour cette raison, la vérité ne
saurait être unique. Elle est plutôt plurielle et cette dimension est la base de toute la
richesse dont le monde peut disposer.
III-Le réel, une fusion du matériel et de l’immatériel
La question du réel dans l’œuvre d’Amadou Hampaté Bâ n’est pas l’apanage du seul
monde peul. Elle concerne la société humaine tout entière, car, comme le dit l’auteur,
« un conte est un miroir où chacun peut découvrir sa propre image. »26 Et chaque peuple
possède des contes qui traduisent leur vie et leur histoire. On pourrait sans ambages
affirmer que les contes, comme les mythes, constituent l’authenticité de chaque
civilisation. Les contes constituent donc un miroir où chacun des hommes peut retrouver
son identité, sa culture, et, peut-être, son histoire. La tradition africaine, comme la
tradition peule, est étroitement liée au monde religieux. C’est donc à juste titre
qu’Hampaté Bâ pense qu’en désertant ses traditions et son cortège de mythes, l’Africain a
abandonné sa religion et sa culture pour la conquête d’une parole nouvelle ; une parole
qui « a été pensée sous d’autres cieux, faite pour un autre peuple. »27Une parole qui le
déracine, sans pour autant lui donner une stabilité réelle. Á travers sa pensée qui provient
de la pure tradition peule, c’est à toute l’Afrique donc qu’Amadou Hampaté Bâ lance un
appel.
Á l’instar de la société africaine, Il est temps pour toutes les civilisations de sortir du
mode d’être enchanteur de la modernité afin de reconstruire la vie sur son fondement réel
et de comprendre l’importance de l’immatériel dans le développement technique auquel
aspire le monde moderne. Car, comme le dit Édouard Schuré, « le plus grand mal de
notre temps est que la science et la religion y apparaissent comme deux forces ennemies
irrésistibles. Mal d’autant plus pernicieux qu’il vient de haut et s’infiltre sourdement,
mais sûrement, dans tous les esprits comme un poison subtil qu’on respire dans l’air. Or,
tout mal de l’intelligence devient à la longue, un mal de l’âme et par suite sociale. »28La
religion ici, ne fait pas seulement référence à Dieu ou au Divin en tant qu’être immatériel.
24
Mircéa É., Images et symboles, op. cit., p. 31.
Gordon K., La question de Dieu aujourd’hui, Paris, Édition du Cerf, 1975, p.120.
26
Hampaté Bâ A., La poignée de poussière, Abidjan, Nouvelles Éditions africaines, 1987, p. 5.
27
Louis Vincent T., Les sages dépossédés, Paris, Robert Laffont, 1977, p. 16.
28
Shuré É., Les grands Initiés, Paris, Pocket, 1983, p. 1.
25
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Il s’agit aussi de tout ce qui est considéré comme force mystérieuse et fait être à
l’existence le réel auquel l’homme reste attaché. C’est en cela que l’abstrait et le concret
se confondent. Autrement dit, tout ce qui est réel est immatériel et tout ce qui est
immatériel est réel. Ce développement s’effectue dialectiquement, selon les termes de
Hegel, c’est-à-dire, par un dépassement de la thèse et de l’antithèse, que surmonte une
synthèse. Le réel, dans la pensée hégélienne, est un tout ayant des membres épars. Et ces
membres épars sont, bien évidemment, les contradictions existantes.
Le visible et l’invisible n’épuisent donc pas chacun le réel, mais en constituent des
moments. C’est l’invisible qui, en se niant, se fait autre dans le visible, non pas dans un
rejet éventuel de l’autre, mais dans la réalisation même des choses en tant que synthèse.
C’est pour cette raison que les choses doivent être perçues comme des éléments
« réciproquement nécessaires, »29 car le contraire est la condition de la réalisation et de
l’existence de l’autre. Et c’est dans le renversement de chaque élément par l’autre que le
réel vient à jour. La chose invisible n’est donc pas un concept isolé, c’est un être
métaphysique qui, selon Hegel, existe en soi, dans notre pensée, et se donne comme
chose concrète dans la nature. Et c’est cette pensée qui, en s’élevant par la dialectique
jusqu’à l’intelligible, jusqu’à la contemplation de l’idée, parvient donc à saisir le réel luimême en ce qu’il a d’éternel et d’absolu. L’absolu est l’idée, dit Hegel. Et cet absolu, le
traditionalisme peul le nomme, le Divin. Vérité à l’état abstrait, pur pensée dont le
développement logique engendre tout ce qui est. Ainsi, la pensée et le réel se confondent.
« Tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel.»30 Á l’idée,
s’oppose la nature, existence extérieure, étrangère à la pure pensée. Ni l’idée, ni la nature,
ne révèle le réel. C’est plutôt leur synthèse qui s’effectue dans l’esprit, c’est-à dire, dans
la pensée devenue consciente d’elle-même. Et elle n’atteint la pleine conscience de soi
que dans l’esprit absolu, dans l’art, la religion, la philosophie, etc. ; dans toutes ces
entreprises pour lesquelles la vérité exige une activité intellectuelle profonde. Il est donc
opportun que les hommes s’engagent à une nouvelle contemplation, une contemplation
synthétique du visible et de l’invisible, pour accéder à la vérité, à l’absolu, qui pourra
constituer une base solide pour leurs entreprises multiples car, l’unilatéralité et la
partialité ne peuvent participer à une réalisation solide. Une quête de la vérité, en ce sens,
est nécessaire pour une meilleure appréhension du réel.
C’est, en effet, dans les rapports mystiques que s’établit l’union intégrale de l’homme
et de la nature, où il découvre son langage. Dans la logique peule, selon Amadou
Hampaté Bâ, le savoir acquis par la révélation du sens des choses n’est autre que la
réalisation d’une quête, la recherche des lois profondes qui gouvernent l’univers. Ces lois
sont un indicatif pour reconnaître le mystère. Ils apprennent que la vie est un mystère et
que ce mystère est infranchissable. Par la chose palpable, se révèle le permis mais aussi,
l’interdit derrière lequel se cache l’inaccessible. En recevant le sens des choses, l’individu
devient un nouvel être, un être peut-être pas achevé d’un seul coup, mais transformé
progressivement par la méditation constante et poursuivie. Il accède ainsi à une évolution
spirituelle et acquiert la sagesse. Il devient maître de soi et conscient de sa valeur. La
connaissance le conduit à un état de conversion, de retour sur soi pour pénétrer l’essence
29
Hegel G. w. F.,Phénoménologie de l’esprit, Paris, Montaigne, 1941, p. 6.
30
Hegel G. W. F., Principes de la philosophie du droit, Préface, Paris, Gallimard, 1972.
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des choses. Mais La société moderne, dans sa grande majorité, reste résolument tournée
vers un nouvel espoir, la technique, capable de dissiper ses angoisses et d’enrayer ses
souffrances, parce que la confiance au réel a fait faillite. Mais la technique, cette "vérité
absolue" que tous les regards implorent, arrive-t-elle à donner aux hommes une
satisfaction réelle?
Les temps changent et l’imagination évolue dans le sens de la recherche de solutions
pour sortir l’humanité des multiples difficultés qui l’assaillent. Du coup, la simple
contemplation divine et les prières deviennent passives et dépassées pour l’homme, tels
Dembourou et Hamtoudo dans le conte kaydara, préservant leur richesse matérielle :
« Nous n’avons nul besoin d’être des savants, ni en maxime, ni en adage. »31 Le savoir
pour eux n’a plus aucune importance, car ce qui compte désormais, c’est le bien matériel.
Avec les nombreuses découvertes et inventions, la technique a apporté des jets de
lumière sur chacune des inquiétudes des hommes, et chaque illumination a donné
naissance à des théories nouvelles. Ce que, jadis, les hommes cherchaient les yeux levés
vers le ciel, ils viennent de le retrouver à leurs pieds, dans le sol. Désormais, on
n’implorera plus le ciel, mais la terre, pour recevoir d’elle tout ce qu’elle contient.
L’homme marche, en effet, le regard toujours fixant le bas, persuadé qu’il est, d’avoir
localisé son bonheur dans la terre qui est, cependant, « le lieu de la vie sans en être la
source. »32
Aujourd’hui, la cosmogonie moderne présente la vie sous un nouvel aspect. Les
lois et les règles sont fixées par les hommes et ce, selon leurs aspirations. Dans toutes ces
règles établies, il n’y a que la simple appréciation de l’homme qui compte. La question de
l’immatériel, qui est le Divin, n’est plus au cœur de l’existence humaine. Elle n’est plus
ce à quoi la vie entière se réfère. Les hommes ont évacué les mythes et les contes, parce
qu’ils se sont constitués une cosmogonie nouvelle à partir de leurs besoins. Or, les
mythes et les contes sont la matérialité même du Divin. Le conte ou le mythe dit
comment une réalité est venue à l’existence et, partant, cette réalité devient un modèle
sacré sur lequel s’appuie toute autre réalité. « La fonction maîtresse du mythe est donc de
fixer les modèles exemplaires de tous les rites et de toutes les activités humaines
significatives : alimentation, sexualité, travail, éducation… »33 Le mythe est l’expression
de l’immatériel. Il est parole et enseignement. Le mythe dit le commencement, et comme
tel, il dit l’origine des choses. L’enseignement qui se dégage des fentes de l’art, du
mythe et du conte, c’est la vérité elle-même déployant des secrets : ceux du savoir, et
ceux du "comment utiliser" le savoir, pour suivre comme un fleuve, les méandres du
modèle authentique que le conte kaydara donne en exemple.
Au cœur de la demeure de Kaydara, dans le conte kaydara, les voyageurs
reçoivent chacun trois charges d’or équivalents. Kaydara leur demande de bien utiliser
cet or pour tous leurs besoins. Mais Dembourou et Hamtoudo trouvent fatalement la mort
pour avoir voulu utiliser ce trésor à des fins uniquement matérielles. Ils ont nié le côté
spirituel, l’invisible de la chose matérielle, et ce déséquilibre a occasionné leur perte. Il
faut donc comprendre que l’existence humaine est constituée de deux faces : le visible et
31
Hampaté Bâ A.,Kaydara, op. cit., p. 58.
Louis Vincent, T., Les sages dépossédés, op. cit., p. 166.
33
Mircéa É., Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1965, p. 87.
32
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l’invisible, le matériel et le spirituel, tous interdépendants. De même que l’homme ne
peut vivre sans le matériel, il ne peut non plus vivre sans le spirituel. Le spirituel est
l’arrière fond de la chose matérielle, ce qui fait sa réalité. Et c’est entre ces deux états que
l’homme peut trouver son équilibre. Alors, comme la chose concrète, si le fait religieux
« était sérieusement vécu et appliqué par les hommes, (il) pourrait aider grandement
l’humanité à mieux trouver son équilibre entre le monde matériel et le monde spirituel,
tous deux assumés et harmonisés, sous le regard de Dieu et dans le respect de sa loi. »34
Malheureusement, la question spirituelle est oubliée, négligée à telle enseigne que,
science et religion sont devenues des antagonistes ; l’une représentant le matériel et
l’autre, l‘immatériel.
Science et religion sont les deux besoins fondamentaux de l’existence humaine.
Pourtant, les hommes ne cessent de les dresser l’une contre l’autre. L’une abstraite, se
borne à répondre aux besoins du cœur et de l’âme. Et l’autre, plus concrète, répond aux
besoins matériels. Et chaque domaine se plait à dénigrer et à rejeter l’autre. Les hommes
de sciences cherchent et trouvent les éléments nécessaires au bien-être de l’humanité :
voiture, avion, appareils électroménager ; sans parler des bombes et des armes à feu pour
combattre l’ennemi. Mais ils ne trouvent plus le moyen de freiner les nombreuses
conséquences que ces choses bienfaisantes attirent dans la société, parce qu’ils se sont
fermés aux secrets des choses. Ils ont perdu la voie du "comment utiliser".
Quant à la religion, elle semble avoir pris un nouveau sens. Le religieux n’est
plus perçu comme celui qui est seulement lié à la nature en tant qu’expression du sacré.
La religion semble avoir été limitée autour d’un Dieu d’amour, éloigné du monde des
hommes, et auquel l’on accède par l’intermédiaire de messies. La pratique religieuse du
monde traditionnel, celle où l’homme entretenait un rapport sacré avec la nature en tant
qu’expression de la réalité de l’invisible, est bafouée et diabolisée. L’homme moderne
n’entend plus parler la nature. La modernité l’a rendu sourd à son langage. La nature est
elle-même profanée, désacralisée. L’homme moderne vit la religion comme une sorte de
passion. Les scientifiques ou les guides intellectuels s’attèlent uniquement aux grandes
découvertes dans le monde physique. Pourtant, ces deux domaines doivent s’accommoder
pour équilibrer l’univers dans tous ses aspects. C’est donc à juste titre qu’Édouard Schuré
pense « qu’une morale qui n’envisage pas les suprêmes destinées de l’homme ne sera
qu’utilitaire et très imparfaite. De plus, la liberté humaine n’existe pas de fait pour ceux
qui se sentent toujours esclaves de leurs passions et elle n’existe pas de droit pour ceux
qui ne croient ni à l’âme ni à Dieu et pour qui la vie est un éclair entre deux néants. Les
premiers vivent dans la servitude de l’âme enchaînée aux passions, les seconds dans la
servitude de l’intelligence bornée au monde physique. »35
Les hommes doivent donc retrouver leur équilibre intérieur en se libérant de leurs
passions respectives pour parvenir à la jonction du spirituel et du matériel afin d’acquérir
le bien-être qu’ils recherchent. Car, « le jour où religion et sciences se respecteraient et
collaboreraient dans l’intérêt commun de l’humanité, ce jour là les deux rails nécessaires
34
35
Hampaté Bâ, A., Aspect de la civilisation africaine, op. cit., p. 108.
Schuré É., op. cit., p. 354.
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à la marche de notre bonheur seraient posées. »36 Á cette pensée d’Édouard Schuré, on
peut ajouter que la fusion de ces deux domaines révèlera la vérité sur le fondement du
réel.
Conclusion
Au terme de notre cheminement, retenons que le matériel ne peut être éloigné de
l’immatériel. Et l’opinion commune qui procède arbitrairement et choisit les cas
favorables, l’unilatéralité et la partialité, ne peut accéder au réel, mais s’arrête à un de ses
moments. Car ce qui est posé comme "vrai-être-là" n’est en réalité qu’un moment du
cheminement pour aboutir au réel lui-même. Chaque réalité particulière, relative, finie,
définissable, résulte d’une différenciation et ce qui importe avant tout, ce sont les
articulations de toutes ces étapes entre elles et avec le tout. C’est cela qui donne naissance
à la vérité des choses. C’est pourquoi, dans le traditionalisme peul que présente Amadou
Hampaté Bâ, la Vérité est présentée comme « Dieu de l’or et de la connaissance. »37 Elle
n’est donc ni seulement l’or, ni seulement la connaissance. Elle est plutôt une fusion des
deux, c’est-à-dire, une fusion du matériel et de l’immatériel. La chose matérielle est ellemême comme un corps nouveau, inséré dans un organisme vivant qui est le système de
l’immatériel et qui, par conséquent, ne peut vivre que s’il favorise la vie de ce système.
Le monde matériel est donc incapable de vivre par lui-même sans le monde invisible.
« Pour les anciennes sociétés traditionnelles, le principe de toute connaissance réelle, de
quelques ordres soit-elle, vient toujours d’en haut. »38
La quête du réel à partir de la synthèse du visible et de l’invisible n’est donc pas une
invitation à la confusion, mais au contraire, à la réflexion. C’est en cela que le réel se
saisit, non pas de manière fixiste, mais en traçant l’odyssée de la conscience, où chacun
de ses moments nie partiellement le précédant et le fait accéder à un degré de réalité
complémentaire. Il convient donc de retenir qu’il est nécessaire d’arracher l’esprit au
règne de l’inculture pour le conduire au savoir absolu et au réel, en l’activant à
l’articulation de toutes les réalités entre elles. Qu’on reconnaisse alors aux choses
visibles, à toutes les découvertes, une réalité profonde, et à l’homme, la nécessité
d’assimiler cette profondeur. Car, si les choses ne sont pas connues dans leur essence,
elles peuvent, à la longue, faire appel à l’intrigue et à l’angoisse. C’est à cet effet que les
contes et les mythes transmettent la réalité des choses et gardent leur authenticité à
travers le temps. Ce qui est passé, le présent le rend légitime partant de ses réalités, et le
transmet au futur, qui fait sa promotion.
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36
Hampaté Bâ, A.,Aspect de la civilisation africain, op. cit., p. 109.
37
Hampaté Bâ A., Kaydara, op. cit., p. 10.
Hampaté Bâ A., Aspect de la civilisation africain, op. cit., p. 126.
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