espèce d’abeille sauvage comme ce qui est observé chez les Ophrys. Ces espèces
se sont toutes développées au sein de groupes de plantes qui ont développé une
stratégie de pollinisation par “imitation de refuge” indépendamment au cours de
l’évolution : des fleurs tubulaires, aux couleurs sombres, qui attirent principalement
les mâles d’abeilles sauvages de plusieurs espèces qui viennent trouver refuge au
fond de ces tubes floraux pendant la nuit ou pendant les périodes d’averses de la
journée. Cette stratégie d’imitation de refuge, et le fait que les fleurs soient
principalement visitées par les mâles d’abeilles sauvages, constitue donc la première
étape vers une attraction plus ciblée, plus spécifique des mâles d’abeilles sauvages,
comme observé dans les cas de leurre sexuel.
On retrouve donc une étonnante convergence évolutive (convergence de formes, de
couleurs et de parfums floraux) chez 3 groupes de plantes à fleurs indépendants
d’un point de vue phylogénétique qui présentent toutes la même allure générale
lorsqu’elles sont pollinisées par le même mécanisme qui les lie aux mêmes groupes
d’abeilles sauvages. Les fleurs des espèces pollinisées par imitation de refuge sont
ainsi toutes de couleur sombre (le rouge foncé est perçu comme du noir par les
abeilles), légèrement veloutées et dont le parfum pourrait évoquer vaguement les
traces chimiques laissées par un autre insecte qui aurait trouvé à son goût ces fleurs-
refuge. Les fleurs des espèces pollinisées par leurre sexuel sont elles résolument
“insectiformes”, leurs formes, leur pilosité développé, leurs dessins rappelant les
reflets des ailes d’un insecte et leur parfum sont irrésistibles pour les mâles de
certaines espèces d’abeilles à la recherche de leurs femelles. Ce phénomène de
convergence évolutive est aussi observé en lien avec d’autres stratégies de
pollinisation : les fleurs tubulaires rouges, au parfum peu développé et regorgeant de
nectar sont souvent l’indice de leurs pollinisateurs principaux, les oiseaux et autres
colibris. La notion de “syndrome de pollinisation” décrit ces phénomènes de
convergence évolutive fonctionnelle vis-à-vis de certains (comportements de)
pollinisateurs. Outre les nouveaux syndromes d’imitation de refuge et de leurre
sexuel décrits dans cet article, il existe aussi des syndromes de pollinisation liés aux
colibris, d’autres aux papillons de nuit, d’autres encore aux chauve-souris, etc.
Les analyses phylogénétiques menées par les chercheurs révèlent que l’évolution
s’est faite dans le sens de l’imitation de refuge vers le leurre sexuel chez les
Serapias et les Iris (généralisation => spécialisation), et du leurre sexuel vers
l’imitation de refuge chez les Ophrys (spécialisation => généralisation). L’évolution de
ces stratégies de reproduction est donc apparemment flexible, et la spécialisation
extrême (leurre sexuel) n’est donc pas une impasse évolutive et permet un “retour”
vers une forme plus généralisée, ce qui contre-dit la Loi de Spécialisation de Cope,
énoncée par le paléontologue américain Edward Drinker Cope (1840-1897). Cette
Loi fondamentale en biologie prévoit qu’au cours de l’évolution, les organismes quels
qu’ils soient ont tendance à se spécialiser de plus en plus, et qu’ils descendent
généralement d’ancêtres moins spécialisés. Certains développent des adaptations
morphologiques qui leur facilitent certaines tâches quotidiennes (p.ex. les différentes
formes de becs chez les pinsons
des Galapagos, un cas décrit grâce aux études de Darwin). Ce phénomène est décrit
comme étant généralement irréversible. L’étude du Laboratoire Evolution Biologique
et Ecologie sur les transitions évolutives entre l’imitation de refuge et le leurre sexuel
est donc l’une des rares du genre qui apporte une exception sur base expérimentale
à cette Loi.