
règles d’une réalité perçue comme irrécusable ainsi que leur force de proposition. L’évidence de la 
finalité satirique de certains travaux laisse à penser que, s’il y a jeu, ce jeu n’en est pas moins sérieux. 
Ainsi de Pingpong, œuvre que Belu-Simion Fainaru réalise en 20045. Une carte géographique des 
territoires israélo-palestiniens tapisse le plateau horizontal d’une table de ping-pong, sur laquelle se 
distinguent les frontières entre Israël, la Jordanie, l’Egypte, la Syrie et le Liban. La table, lexique de la 
table ronde des pourparlers, se voit, dans le jeu, agencée sur une dualité fondatrice, énonçant 
l’impossibilité d’un accord de paix. Le filet insiste sur la notion de frontière, de limite, question 
cruciale du conflit. Cette lisière apparaît cependant transparente, vulnérable, elle peut être franchie 
facilement. La table de ping-pong devient un véritable champ de bataille. Une métaphore de la guerre, 
jeu sérieux s’il en est. Sous la bonhomie d’un match de tennis de table, s’exerce une brutalité 
calculée : le rebondissement de la balle, son choc sur la table, le retentissement sonore de ses impacts. 
La question soulevée par le jeu reflète celle, bien réelle, de la domination des territoires. Mais, 
choisissant le jeu, Fainaru instaure une distance avec la gravité de son sujet, susceptible de faire de 
l’œuvre le lieu d’émergence de la satire. En dégradant en effet la réalité du conflit, il la simplifie, au 
point d’en exacerber le ressort fondamental. En modélisant les relations sociopolitiques sous la forme 
d’un jeu, il les projette dans l’univers de l’inanité, de la gratuité, mais aussi de l’honneur et, ce faisant, 
instruit leur futilité même. Or, ainsi à même de moquer les antinomies, le jeu peut aussi les suspendre 
et les rejouer. Car l’œuvre, travaillée par une ambiguïté intrinsèque, suppose à la fois distance et 
engagement, s’avère également terrain d’expérimentation, tant le jeu autorise potentiellement le 
dépassement du point de vue partisan. Exposée, Pingpong sollicite la participation du spectateur. Or, 
jouer le jeu, c’est reconnaître l’œuvre comme le champ possible d’une épreuve. Opportunité est offerte 
d’expérimenter le conflit, dans le cadre d’une activité délestée de sanctions véritables. Conduite 
ludique discernée par Caillois dans sa classification des jeux, l’agôn correspond à « l’ambition de 
triompher grâce au seul mérite dans une compétition réglée »6. Il engage l’affrontement entre joueurs 
ou équipes sur un mode dual et commande de développer une supériorité personnelle. Celle-ci 
équivaudrait dans l’expérience de l’œuvre à une prise en charge individuelle des possibilités qu’elle 
induit. Les jeux supposent un certain nombre de comportements dissociés de la vie courante. Ils 
contraignent l’individu à opérer des choix et à jouer un rôle l’empêchant de se retrancher derrière des 
attitudes préétablies. Lieu de l’incertitude, la situation de jeu reconstruit les identités et reste 
susceptible d’amener le joueur à réviser une opinion préconçue. Mobilisant l’agôn mais aussi la 
latitude autorisée par tout dispositif ludique, l’œuvre de Fainaru proposerait des occasions 
d’individuation7, permettant une appréhension du conflit qui ne soit plus soumise au marquage 
effectué par le groupe, sa loi et ses représentations. D’expérimentation, le jeu devient terrain 
d’individuation : il laisse certes entrevoir une pluralité d’usages mais encourage plus encore l’action 
personnelle. Le participant s’engage et, en s’engageant, change. Et, en effet, lors de l’exposition 
Spielräume à Duisburg en 2005, deux joueurs, un Juif israélien d’Haifa et un Palestinien de Ramallah 
ont joué l’un contre l’autre sur la table de Fainaru8. Ils ont simplement joué, ne visant aucunement la 
victoire. Après le jeu, les deux participants se sont liés d’amitié et ont échangé leurs adresses. Jouer, ce 
n’est plus être palestinien ou israélien, soit représenter un ensemble, mais être un face à un.  
 
                                                     
 
5 Belu-Simion Fainaru, Pingpong, 2004. Table de ping-pong, filet, deux raquettes, balle, photographie. Duisburg, 
Stiftung Wilhelm Lehmbruck Museum, Zentrum Internationaler Skulptur. 
6 Roger Caillois, Les jeux et les hommes, op. cit., p. 102. 
7 Nous reprenons ici le terme de Jung suivant l’analyse de Joëlle Zask, op. cit.  
8 Cf. cat. Spielräume, Duisburg, Stiftung Wilhelm Lehmbruck Museum – Zentrum Internationaler Skulptur, 5 
juin-4 septembre 2005, p. 35.