Guillaume Ruault Intérêts du LBO français pour les investisseurs étrangers M2 Opérations et fiscalité internationales des sociétés Directeur de mémoire : Monsieur le professeur Thomas Mastrullo 1 SOMMAIRE Introduction…………………………………………………………………………….........................4 Première partie : Une législation française attrayante……………………………………………..10 A. La mise en place d’un levier juridique optimal….…………………………………………………10 1) Les formes sociales françaises……..………………………………………………………………10 a) La société anonyme…………………………………………………………………………………10 b) La société par actions simplifiée……………………………………………………………………11 c) La société en commandite simple…………………………………………………………………...12 2) Les instruments financiers français………………………………………………………………..12 B. La mise en œuvre du levier fiscal dans un LBO français…………………......................................14 1) Le régime des sociétés mères……………………………………………………………………….14 2) Le régime de l’intégration fiscale………………………………………………………………….16 3) Les autres mécanismes de consolidation…………………………………………………………..18 a) les holdings animatrices……………………………………………………….……………………18 b) consolidation des résultats………………………………………………………………………….19 Deuxième partie : Les dangers et limites afférents à un LBO français…………...........................21 A. Des limites juridiques…………………………………………………………………………….21 1) La prohibition de l’assistance financière………………………………………………………….21 a) Le principe de l’article L225-216………………………………………………………………….21 b) La tentation du contournement……………………………………………………………………..23 2) La menace de l’abus de majorité…………………………………………………………………..25 3) Le risque pénal de l’abus de pouvoirs et de biens sociaux………………………………………...27 B. Des limites fiscales………………………………………………………………………………..29 2 1) La limitation de la déductibilité des charges financières………………………………………….29 a) L’amendement charasse………….…………………………………………………………………29 b) le dispositif anti sous-capitalisation appliqué aux LBO français…………………………………..30 c) Le nouveau dispositif de l’amendement Carrez…..…………………………………………………31 2) La menace de sanctions fiscales…………………………………………………………………33 a) La procédure de l’abus de droit……………….……………………………………………………33 b) L’acte anormal de gestion…….…………………………………………………………………….34 BIBLIOGRAPHIE : ………………………………………………………………………………. 36 3 Introduction Au cours de ces deux précédentes décennies, le capital investissement, ou private equity, a connu un essor mondial des plus rapides. L’acquisition d’entreprises avec effet de levier, communément appelé LBO (Leveraged Buy-Out), en constitue un mode particulier, et a participé à cette croissance, même si le marché des LBO a subi également les aléas des cycles macro-économiques et financiers de ces dernières années. Le LBO consiste dans l’acquisition du contrôle d’une société dite cible, financée majoritairement par de l’endettement dans le cadre d’un schéma juridiquement spécifique et fiscalement optimisé où les dirigeants sont associés en partenariat avec des investisseurs professionnels spécialisés. Le dispositif se caractérise par l’idée de « qui s’endette s’enrichit »1. Par cet appel majoritaire à la dette, qui permet d’augmenter la rentabilité des capitaux propres, et la présence, le plus souvent d’un ou plusieurs fonds d’investissement spécialisés, le LBO se distingue d’une acquisition d’entreprise ordinaire. De plus la société visée par le rachat est le plus souvent non cotée. Le principe du montage repose sur l’interposition d’une société holding, dite de reprise, société crée par les repreneurs, qui s’endette pour racheter la société cible. Il s’agit donc d’un mode d’intermédiation financière qui permet d’augmenter la capacité de financement du repreneur, dont l’apport et la capacité d’endettement seront souvent insuffisants pour acquérir l’entreprise convoitée, palliant ainsi les limites du financement direct. En effet, l’entreprise cible que l’on va acquérir va produire des recettes qui permettront normalement à elles seules de financer l’investissement. Cela correspond à la volonté des investisseurs de se prémunir des risques, en particulier en ce que les investisseurs ne veulent pas que le projet pèse sur leurs comptes. C’est pourquoi la mission des fonds spécialisés va notamment consister à détecter des sociétés à racheter ayant un fort potentiel de développement. Ils vont chercher à financer une unité économique qui soit viable sur le plan technique, commercial et financier et dont le free cash-flow (qui s’entend du flux de trésorerie disponible) sera jugé suffisant pour assurer, avec une marge couvrant les aléas, le service de la dette, la couverture des coûts opératoires et la juste rémunération du capital. Il s’agit là du principal facteur de réussite d’une telle opération. Et cela explique que les sociétés cibles appartiennent le plus souvent à des secteurs d’activité matures, des marchés en croissance, sans rupture technologique. Cependant la taille de l’entreprise importe moins, puisque ce mode de financement peut s’appliquer aussi bien aux PME qu’aux grandes entreprises. Le LBO constitue souvent une solution à une succession familiale ou à une cession par un groupe d'une division satellite, non stratégique. Elle peut également permettre de sortir une société de la bourse quand celle-ci est mal valorisée. Le LBO est une opération de moyen terme, en général de 3 à 5 ans, au cours de laquelle l’équipe de direction de la cible, bien souvent sous l’impulsion des acteurs financiers, aura 1 A.Reygrobellet, Essai sur le concept juridique de l’endettement des entreprises : RTD com. 2001, p.315. 4 notamment pour objectif d’engager des actions visant à accroître les performances de la société. Apres quelques années, si la rentabilité de l’investissement tend à décroître, les fonds spécialisés chercheront à sortir par une cession industrielle, ou financière (ex : LBO secondaire). Les gérants peuvent également viser une introduction en Bourse à moyen terme. Ce mode de financement est né et s’est développé aux Etats-Unis, avant d’apparaître par la suite en Europe. Même s’il est incertain de savoir quand le premier LBO a été réalisé, on admet généralement que ce type d’opération est né peu de temps après la seconde guerre mondiale. Cependant jusque dans les années 1980, cette opération, connue sous le nom de « bootstrap acquisition », n’était rien d’autre qu’une obscure technique financière. Si bien que dans les trois décennies suivant la seconde guerre mondiale, très peu d’entreprises américaines ont utilisé la dette comme une source importante de financement. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que cette activité a connu un très fort développement et atteint un sommet au début des années 1990, partant d’une moyenne de quatre opérations pour un montant total de 1,7 millions de dollars en 1980, à une moyenne de 410 LBO pour un montant total de 188 millions de dollars2. La technique du LBO s’est exportée en Europe et est apparue au Royaume Uni puis en France dans les années 1980. Malgré l’aggravation de la crise de la zone euro, le marché européen des LBO ne s’est pas effondré, la valeur des deals effectués ayant reculée en un an de seulement 6,8%. Cependant on observe un effondrement de la France qui n’a cumulé en volume que 581 millions d’euros au cours du premier trimestre 2012, contre près de 6,7 milliards d’euros pour le Royaume Uni, leader incontesté du marché européen du LBO en ce début d’année3. Le LBO n’est qu’un terme général, et le schéma peut changer de nom, selon les formes spécifiques qu’il prend. Ainsi on distingue le LBI (Leveraged Buy-In), lorsque l’acheteur vient de l’extérieur dans le capital de la société et le LBO, lorsque celui-ci est issu de celle-ci. Lorsque l’opération s’appuie sur tout ou partie des salariés, on parle de rachat de l’entreprise par les salariés (RES). On opère également une distinction selon les modalités d’introduction du management. Ainsi dans le LMBO, l’opération mise en place prévoit le maintien de l’équipe dirigeante en place, alors que dans le LMBI (Leveraged Management Buy-In) on observe un renouvellement total ou partiel de l’équipe dirigeante. Le montage devient un LBU (Leveraged Buy-Up), lorsque le but des nouveaux actionnaires est l’acquisition par le LBO d’autres entités de son secteur en vue notamment de créer des synergies industrielles. Enfin ces dernières années, sont apparues le FBO (Family Buy-Out), qui applique les modalités d’un LBO à la transmission d’une entreprise au sein d’une même famille ; et l’OBO « Note on LBO », Center for Private Equity and Entrepreneurship, Tuck School of Business at Dartmouth. 3 « LBO : une activité européenne archi-dominée par le Royaume Uni », Xavier Demarle, Capital finance n°1062. 2 5 (Owner Buy-Out), montage dans lequel l’actionnaire majoritaire rachète les actionnaires minoritaires. Toutes ces opérations de LBO ont pour caractéristiques communes, la constitution par les fonds de LBO d’une société holding ad hoc, communément appelée NewCo ou HoldCo, dédiée à l’acquisition d’une société opérationnelle, partiellement financée par de la dette. Grâce à ce holding, les repreneurs pourront bénéficier de différents effets de levier, dont la mise en œuvre est essentielle pour garantir l’efficacité du LBO. On en distingue trois principaux, le levier financier, le levier juridique et le levier fiscal. Parfois s’y ajoute un levier social. Le LBO repose en premier lieu sur l’effet de levier financier. Ce levier classique provient de l’acquisition de la société grâce à un endettement financier et va être appliqué aux opérations de LBO. La holding, au lieu de financer l’acquisition avec ses seuls fonds propres, va recourir à l’emprunt. Il sera alors possible de minimiser l’effet de levier par un faible emprunt, laissant ainsi à la société achetée des disponibilités importantes, ou au contraire de le maximiser en utilisant tout l’endettement possible accepté par les établissements prêteurs. L’endettement est ensuite remboursé par la société acquise. Ce remboursement peut prendre la forme d’une remontée des fonds dégagés par la cible, ou encore la vente de ses actifs. Cependant en France, le plus souvent, seule la structure financière sera modifiée, le législateur cherchant à préserver l’intangibilité du capital en prohibant le remboursement de la dette d’acquisition par la constitution de garanties sur les actifs de la société opérationnelle par la vente de ces mêmes actifs. L’effet de levier financier permet d’accroître la rentabilité des capitaux propres. Dès lors le rendement de l’investisseur sera d’autant plus important qu’il aura investi un faible montant de capitaux propres et eu recours à un endettement élevé. Cependant ce levier ne joue avec une pleine efficacité que dans l’hypothèse où la rentabilité économique de l’investissement est supérieure au taux de l’emprunt. La rentabilité se mesure par le taux de rendement interne (TRI) dégagée par l’opération. Ce TRI se détermine par le remboursement de la dette par affectation des free cash-flow de la cible d’une part, et par la réalisation d’une éventuelle plus-value au moment de la cession de la cible par les investisseurs. A l’inverse, si le coût de la dette est supérieur au rendement intrinsèque du projet, l’effet de levier sera négatif, et la perte touchera en premier les fonds du repreneur. C’est l’une des limites à une opération de LBO, il faut évaluer la capacité future de la société cible à rembourser la dette d’acquisition. Cet effet de levier financier classique est le plus important dans une opération de LBO. La rentabilité financière dépendra essentiellement de la rentabilité économique de la société reprise. Si bien que ce levier repose essentiellement sur la performance et la capacité de cette société à générer des cash-flows importants et suffisants dans l’avenir, afin de rembourser la dette d’acquisition. L’influence du système juridique de l’Etat dans lequel a lieu l’opération importe moins dans le cadre de ce levier financier. On s’intéresse avant tout à la société à 6 acquérir. Ainsi en France les fonds de LBO chercheront à acquérir indirectement des sociétés ayant une rentabilité économique suffisante et un fort potentiel de développement. Cependant cela ne vaut que pour ce levier. Si celui-ci est capital, il ne faut pas pour autant oublier les autres leviers, notamment juridique et fiscal, indispensables à l’efficacité d’un LBO. Ces deux autres leviers qui visent à augmenter le pouvoir de contrôle et à diminuer le montant de la dette d’acquisition sont indissociables du système juridique de l’Etat ou des Etats dans lesquels l’opération se réalise. Ainsi le repreneur et les investisseurs associés au projet devront prendre en compte et s’appuyer sur la législation et la jurisprudence des Etats dans lesquels seront implantés la société holding dédiée et la société cible. C’est pourquoi nous nous intéresserons en particulier aux avantages et inconvénients de situer un LBO en France, d’y implanter la holding de reprise. L’idée principale dans le levier juridique est de participer le moins possible en contrôlant le plus possible. Il suffit alors d’acquérir la société en détenant la majorité des droits de vote plus un. Cette majorité des droits permettra de prendre un certain nombre de décisions, telles que la désignation des dirigeants ou le montant des dividendes à distribuer, sans être contraints par le reste des actionnaires. Les repreneurs vont donc chercher à démultiplier le contrôle d’un actionnaire par la création d’un ou plusieurs holdings. La détention de la majorité dans une société qui elle-même possède la majorité dans une autre société suffit à en procurer le contrôle de cette dernière. Ainsi le holding de tête d’une « cascade » de holdings, qui ne détiendrait qu’une infime partie du capital de la société cible, pourrait en posséder le contrôle et le pouvoir de décision. Il est également intéressant de voir quelle pourrait être la forme sociale des sociétés holdings en fonction du système juridique de l’Etat dans lequel elles sont implantées. De même, eu égard à l’importance de la déconnexion entre le capital et le pouvoir de contrôle, il peut être également judicieux d’utiliser des produits financiers spécifiques permettant de modifier la répartition des droits de vote, en fonction de l’objectif de contrôle qu’auront les actionnaires, ou encore des produits donnant à terme accès au capital social (pour des investisseurs non directement intéressés par la gestion). Le levier fiscal, quant à lui, tend à réduire le coût fiscal d’un tel montage et notamment permettre la remontée, la moins onéreuse possible fiscalement, des cash-flows de la cible, dédiés au remboursement de la dette d’emprunt. Dès lors ce levier dépend principalement de la législation applicable aux sociétés concernées à savoir la société cible et la ou les sociétés holdings. C’est pourquoi il est intéressant de voir quels sont les atouts ou inconvénients offerts par la législation française dans ce type de montage. Enfin un autre levier important peut être pris en considération, cependant sa mise en œuvre peut être complexe. Il s’agit du levier social, en vertu duquel les investisseurs vont chercher à rallier les dirigeants de la société cible au montage, et ce en leur proposant d’être actionnaires de la société holding. Parfois le LMBI ne s’avère pas possible à réaliser en raison de risques trop importants, dès lors le levier social, qui joue dans le cas d’un LMBO, sera 7 particulièrement important pour assurer l’efficacité de l’opération. En effet en l’absence de levier social, il y a un risque de divergence d’intérêts entre les actionnaires et l’équipe dirigeante. L’idée du levier social, est donc d’impliquer véritablement les dirigeants, qui devenant propriétaires d’une partie de la cible, auront un véritable intérêt au succès de l’opération, et à la réalisation d’une éventuelle plus-value future. Ces opérations à effet de levier nécessitent la présence de nombreux intervenants, et en particulier trois types d’acteurs, liés par des contrats : les investisseurs financiers, les dirigeants de la société cible et les prêteurs. Mais s’ils ont tous un intérêt au succès de l’opération, ils ne s’exposent pas aux mêmes risques. En amont d’une telle opération, va se poser la question du financement. Le principe même est celui d’un recours important à l’endettement, mais pas uniquement. Le financement se fait également par l’utilisation des capitaux propres de la holding. C’est pourquoi, le plus souvent, le repreneur qui ne peut à lui seul financer ces capitaux, va faire appel à des fonds d’investissement spécialisés dans ce type d’opérations. Ces structures vont investir des fonds propres avec pour objectif de réaliser à terme une plus-value lors de la cession de leur participation. Ces fonds prennent le plus souvent la forme de Fonds commun de placement à risques (FCPR) ou de Sociétés de capital-risque (SCR). Ils n’investissent pas uniquement leur capitaux propres mais également ceux confiés par des investisseurs institutionnels, qui sont principalement de grands établissements financiers (compagnies d’assurance, banques, caisses de retraites). Cependant ces fonds ont une durée de vie limitée, d’environ 10 ans, à l’issue de laquelle le portefeuille de participations doit avoir été revendu et les produits de cession distribués aux investisseurs. C’est pourquoi les investisseurs pour se prémunir des risques, vont se livrer à une analyse très rigoureuse et complète de l’opération projetée. Le montant des fonds propres à investir sera fonction de cette analyse, afin qu’en cas d’échec du montage, les investisseurs soient peu, voire pas affectés. Pour faire jouer le bras de levier de l’opération, le repreneur va également avoir recours à l’endettement. On distingue dès lors plusieurs catégories de prêteurs. Dans un premier temps des banques vont intervenir et apporter une grande partie du financement. La dette est à moyen terme, le plus souvent consentie pour une durée inférieure à 8 ans, avec souvent une partie qui s’amortit chaque année et une partie remboursable à l’expiration du prêt. Cette dette est dite « sénior » car son remboursement est prioritaire par rapport à d’autres modes de financement, si bien que les risques encourus par ces prêteurs séniors sont plus limités. De plus les banques sont couvertes par des garanties plus élevées, les covenants (ex : l'affectation prioritaire des dividendes de la cible au remboursement des intérêts et du principal de la dette). Là encore, les banquiers se prêteront à une analyse de la société cible, et les conditions de prêt seront fonction notamment de la rentabilité économique espérée de celle-ci. Par ailleurs les banques exigent souvent des audits complémentaires (due diligences) auprès de cabinets indépendants. En raison des montants 8 élevés de la dette, les banques pour éviter des contreparties qui seraient trop importantes, se réunissent le plus souvent pour mutualiser les risques en créant une syndication bancaire. La seconde catégorie de prêteurs est constituée par les mezzaneurs qui vont fournir des dettes dites « mezzanines » (de l’italien mezzo « au milieu de »), qui correspondent à un financement intermédiaire entre la dette bancaire et les capitaux propres. Il s’agit d’une dette dite « junior » qui est contractuellement subordonnée au remboursement de la dette senior. Elle est donc plus risquée, mais en contrepartie elle sera mieux rémunérée. En effet les taux d’intérêt seront souvent plus élevés et les mezzaneurs peuvent espérer réaliser une plusvalue éventuelle en cas de cession, en ce que la dette mezzanine est souvent composée en partie de titres donnant accès à terme au capital social. Enfin, les dirigeants constituent une troisième catégorie d’acteurs, non moins importante. En effet le succès d’un LBO reposant sur une rentabilité de la société cible supérieure au coût de l’emprunt, il est indispensable que l’équipe de dirigeants soit performante. Les managers vont être en charge de la gestion opérationnelle de la société cible. Comme vu précédemment il peut s’agir des dirigeants déjà en place au moment de l’opération, ou de dirigeants nommés par les fonds d’investissement, ou parfois un mélange des deux. L’un des premiers éléments à prendre en compte pour un investisseur souhaitant réaliser une opération d’acquisition avec effet de levier, est la société cible. En l’espèce nous nous intéresserons aux opérations réalisées sur le territoire français. Si bien que les investisseurs intéressés par un montage situé en France s’attarderont sur la société cible et chercheront une société française notamment susceptible de disposer d’une rentabilité économique importante pour l’avenir. Une fois la société cible détectée, se pose la question pour les investisseurs étrangers du lieu d’implantation de la ou des sociétés holdings, et notamment de savoir ce qui les pousserait à la localiser en France. Il apparaît dès lors important de voir quels peuvent être les différents intérêts dégagés par la législation française, susceptibles d’attirer les investisseurs étrangers et les pousser à y établir un montage LBO (I), sans négliger pour autant les dangers et limites liés à cette opération en cas de localisation française (II). 9 I Une législation française attrayante La législation française offre un certain nombre d’avantages pour les investisseurs étrangers souhaitant optimiser leur montage. Elle peut notamment être utilisée pour mettre en place deux leviers essentiels, que sont les leviers juridique (A) et fiscal (B). A) La mise en place d’un levier juridique optimal Le principe du levier juridique repose sur la nécessaire déconnexion entre le pouvoir de contrôle et la participation au capital. Ainsi le pouvoir appartient à celui qui détient au moins 50% des droits de vote, sans l’obliger à posséder la majorité du capital de la société cible. Pour parvenir à cette déconnexion et répondre aux attentes des différents acteurs, le droit français offre plusieurs formes de sociétés (1) ou d’instruments financiers (2). 1- les formes sociales françaises Si parfois il peut être tentant de passer par une holding étrangère, notamment pour échapper aux effets de la sauvegarde française4, nous entendrons ici par LBO en France, les LBO constitués de holdings et cibles françaises. Il n’existe aucune règle juridique particulière quant à la forme sociale de la holding intermédiaire. En France, elle peut prendre n’importe quelle forme juridique parmi les différents types de sociétés françaises. Evidemment, l’intérêt sera de revêtir une forme sociale qui soit avantageuse pour un montage LBO et les objectifs qui en découlent. Ainsi dans une telle opération la holding aura pour but de permettre non seulement le contrôle du pouvoir mais aussi de générer des dividendes importants pour répondre aux objectifs financiers des différents acteurs. Dans cette optique trois formes sociales, parmi les sociétés de capitaux, lesquelles offrent la possibilité de dissocier la concentration du capital et la concentration du pouvoir, semblent pertinentes, la société anonyme (SA), la société en commandite par actions (SCA) et la société par actions simplifiée (SAS). a) La société anonyme La SA est l’une des formes les plus utilisées pour ce type de montage faisant appel à un nombre important de capitaux. Cela s’explique notamment en ce que cette forme sociale, et son régime juridique et fiscal, est très répandue et connue de nombreux investisseurs. L’un des avantages de cette structure réside notamment dans son mode de gouvernance, qui permet notamment de choisir entre deux formules distinctes de direction. A savoir un choix entre, d’une part une SA de type classique avec un conseil d’administration, qui veillera notamment au bon fonctionnement des organes sociaux, et un directeur général représentant de la société auprès des tiers et chargé de la gestion courante de la société, souvent assisté de directeurs généraux délégués. D’autre part, une formule constituée d’un directoire et d’un conseil de surveillance, formule souvent retenue dans les opérations de type LBO, car elle permet de répartir le pouvoir entre les différents acteurs financiers, aussi nombreux soient-ils. Ces derniers occuperont en priorité le conseil de surveillance afin de contrôler les organes de la société, laissant la place aux managers au sein du directoire, lesquels, chargés de la gestion et de l’administration, devront rendre des comptes au conseil de surveillance. De plus la SA présent l’avantage de 4 Ce qui est discutable aujourd’hui au vu de la récente saga HOLD. 10 l’anonymat de son actionnariat, facilitant ainsi les modifications de concentrations de pouvoir. Cependant une telle structure présente le désavantage d’être un peu lourde et soumise à des dispositions souvent impératives réduisant la possibilité d’adapter les statuts aux exigences de ce type de montage. Cependant les acquéreurs et investisseurs financiers peuvent décider de conclure un pacte d’actionnaires, convention conclue par l’ensemble des actionnaires ou seulement certains d’entre eux. Ce contrat d’alliance présente l’avantage de pouvoir renforcer l’intuitu personae spécifique aux opérations de LBO. En effet les signataires de ce contrat peuvent organiser les conditions de cession et de transmission du capital, mais également préciser le fonctionnement de la société. Ainsi le pacte peut stipuler des clauses de préemption, par lesquelles le cédant proposera en premier aux autres membres du pacte de lui racheter ses actions, permettant ainsi à ces derniers de conserver une influence. De même le pacte peut insérer des clauses d’agrément, de plafonnement des actions ou encore d’inaliénabilité, ces dernières obligeant les actionnaires concernés à conserver tout ou partie de leurs actions, à condition que cela soit temporaire et légitimé par un intérêt sérieux. La direction de la société peut également être concernée, les clauses portant alors sur la composition des organes sociaux ou encore sur la politique des dividendes. Pour contourner les difficultés propres à la SA, il peut être intéressant d’avoir recours au mécanisme de la société par actions simplifiée. En effet cette forme sociale est régie par un principe de liberté statutaire. b) La société par actions simplifiée Les statuts fixent ainsi librement la nature et les règles de fonctionnement des organes de gestion. Cet intérêt est majeur au vu de l’importance des statuts dans une opération de LBO. En effet les statuts vont permettre de prendre en compte les intérêts des différents acteurs, acquéreurs ou financiers, en organisant une répartition du pouvoir et des bénéfices en fonction de leurs besoins et objectifs respectifs. Les statuts peuvent ainsi déterminer les conditions de quorum ou de majorité, prévoir la mise en place de différentes catégories d’actions. Cet instrument contractuel permet également aux associés de fixer les conditions d’entrée et de sortie des actionnaires, notamment en insérant des clauses spécifiques telles que des clauses d’agrément ou d’inaliénabilité des actions. Il s’agit donc d’une forme sociale où prédomine l’intuitu personae et la possibilité de stabiliser l’actionnariat. Cependant les statuts présentent l’inconvénient d’être publics et de s’adresser à l’ensemble des actionnaires. C’est pourquoi il sera toujours possible de recourir à un pacte d’actionnaires (cf. supra) lequel est le plus souvent occulte et peut ne concerner que certains actionnaires. Au niveau de la direction, la liberté statutaire est seulement limitée par la nécessité de désigner un président représentant la société à l’égard des tiers et disposant des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société dans la limite de l’objet social. De même, la liberté prédomine en ce qui concerne les décisions collectives, même si le législateur impose que certaines décisions soient prises par la collectivité des associés (ex : la nomination d’un commissaire aux comptes, la fusion, la scission et la dissolution de la 11 société…). Cependant l’inconvénient de recourir à cette forme sociale peut résider dans son caractère fermé, en ce qu’elle ne peut pas offrir de titres au public. La SCA peut être une autre forme envisageable, mais ne sera en pratique que peu sollicitée. c) La société en commandite par actions Même si cette forme sociale est moins utilisée dans le cadre d’un LBO, la holding de reprise peut prendre l’habit d’une société en commandite par actions. En effet cette forme sociale, de par sa division en deux catégories d’associés, répond bien à l’idée de déconnexion entre la participation au capital et la maîtrise du pouvoir. Ainsi on distingue les commandités, commerçants qui répondent solidairement et indéfiniment des dettes, et les actionnaires commanditaires dont la responsabilité est limitée au montant de leurs apports. Les premiers sont titulaires du pouvoir de gestion, et les seconds chargés du contrôle de ce pouvoir. Tout comme la SAS, qui peut le prévoir dans ses statuts, la SCA présente l’avantage de permettre à un minoritaire de diriger la société sans risquer d’être révoqué par la majorité des actionnaires, en ce que dans la plupart des cas cette révocation ne peut être décidée que par les commandités statuant à l’unanimité (ils demeurent cependant toujours révocables par le tribunal de commerce à la demande de tout associé ou de la société pour une cause légitime). Cette forme juridique présente également l’avantage, à l’inverse d’une SAS, de pouvoir offrir des titres au public. Cependant la superposition de deux catégories d’associés dont les droits et obligations sont différents, rend le fonctionnement de la SCA complexe. Ainsi il existe un risque de conflit entre les commandités et les commanditaires, notamment en ce que ces derniers souhaitent parfois être plus que de simples apporteurs de capitaux et participer à la gestion de la société. Pour augmenter l’effet de levier juridique et prendre en compte les intérêts des différents acteurs de ce montage, le recours à des instruments financiers spécifiques peut s’avérer particulièrement intéressant. 2- Les instruments financiers français L’idée va être de distinguer selon les intérêts des différents investisseurs. Ainsi, certains chercheront plus un pouvoir de gestion, quand d’autres seront avant tout intéressés par la rentabilité du montage. Dans un premier temps les investisseurs pourront s’appuyer sur certains types de titres de capital. En effet le système juridique français, dans le cadre des sociétés par actions, distingue au sein des titres de capital les actions ordinaires et les actions dites de préférence. L’action de préférence s’entend d’une action à droits particuliers. Depuis une ordonnance de 2004 et la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, le législateur admet la création d’actions de préférence « avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature » (article L 228-11 du code de commerce). La formulation de cet article étant très large, elle autorise toute sorte de préférences. Elles peuvent notamment être de nature financière, dans le but de satisfaire les investisseurs qui ne recherchent qu’un rendement financier et n’ont aucune volonté de participer à la gestion. Il peut ainsi s’agir de droit à un dividende 12 majoré, payé avant celui revenant aux actions ordinaires, cumulatif (le droit à dividende préférentiel, non satisfait l’année N, est alors reporté sur l’année N+1) Le législateur français admet également l’émission de titres concentrant plus de pouvoirs que de rentabilité, c’est notamment le cas avec l’article L 225-123 code de commerce qui prévoit que les statuts peuvent octroyer un droit de vote double à certains actionnaires. Cependant cette dévolution est subordonnée au respect de certaines conditions telles que l’existence d’une clause statutaire, la nécessité d’actions nominatives, la libération des actions, ou encore la détention des actions depuis deux au moins par le même actionnaire. Les investisseurs peuvent également vouloir mettre en place des titres donnant accès à terme au capital social, ce qu’admet le législateur à l’article L 228-91 du même code, en énonçant que « les sociétés par actions peuvent émettre des valeurs mobilières donnant accès au capital ou donnant droit à l'attribution de titres de créance ». Dans ce cas, le porteur de l’action ou de l’obligation, décidera seul d’accéder au capital social, dans les conditions fixées initialement. Il en existe plusieurs types, tels que des actions à bons de souscription d’actions, qui sont constituées d’un titre de capital auquel est amarré un titre secondaire qui pourra donner accès à terme au capital social ; ou encore des bons de souscription autonomes d’actions, titres autonomes non rattachés à une action ou à une obligation (ex : le bon « Breton »). Enfin les investisseurs peuvent également choisir d’émettre des titres leur offrant un choix modulable entre la rentabilité et la possibilité de participer à la gestion, et ce en ayant recours à des titres de créances particuliers, se distinguant des obligations ordinaires. Le système juridique français en distingue notamment quatre. Les obligations convertibles, obligations de type ordinaire mais que le porteur pourra convertir en actions selon une parité et des délais prévus dans le contrat d’émission. L’obligation disparaît alors pour donner lieu à une action, et le créancier se transformé en associé. Sur le même principe, il est possible d’avoir recours à des actions échangeables en actions. De même les investisseurs peuvent mettre en place des titres composites, les obligations à bons de souscription d’actions. Enfin certains titres d’emprunt peuvent être remboursables en actions, au lieu d’être remboursés en numéraire. Dans cette hypothèse le titulaire n’a pas de choix, il ne pourra recevoir que des actions, à moins de céder ses obligations avant l’échéance. Cependant certains titres qui auraient pu être intéressants ne peuvent plus être émis depuis l’ordonnance du 24 juin 2004. C’est notamment le cas de titres démembrés que sont les certificats d’investissement, qui permettaient l’accès aux droits pécuniaires, ou encore les certificats de vote, permettant l’accès aux décisions. Il en est de même des actions à dividende prioritaire sans droit de vote et des actions de priorité. Mais cette suppression s’explique par la création au même moment des actions de préférence. Ces instruments financiers français permettent donc de pouvoir satisfaire les différents acteurs du montage en fonction de leurs objectifs respectifs. 13 Pour maximiser un montage de type LBO, l’effet de levier financier, indispensable au succès de l’opération, doit également se conjuguer avec un effet de levier fiscal. En effet le LBO repose sur un recours important à la dette pour acquérir, via une holding de reprise, une société cible, dont les dividendes sont destinés au remboursement de cet emprunt. Dès lors, le levier fiscal doit tendre à éliminer les coûts fiscaux générés par l’opération et notamment les intérêts d’emprunt et le risque de double imposition des dividendes. B) La mise en œuvre du levier fiscal dans un LBO français A titre liminaire, il faut mentionner que les titres détenus par la holding constituent des titres de participation et dès lors ils sont éligibles à l’exonération prévue par l’article 219 du CGI. Jusqu’au début des années 2000, la France était le seul grand Etat européen à taxer les plusvalues de cession de titres de participation. Ce qui pouvait constituer un frein à l’attractivité française pour des investisseurs étrangers désireux de mettre en place un montage de type LBO, sachant qu’ils seraient imposables lors de la cession de leur participation dans la société cible. Cependant le législateur français, par une loi de finances rectificative pour 2004, a posé le principe de l’exonération. Dès lors en cas de cession par le holding des titres de la société cible plus de deux ans après son acquisition, les plus-values dégagées seront exonérées, à l’exception d’une quote-part de 10% (taux applicable pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011, le précédent taux étant de 5%), calculée sur le montant des plus-values nettes. Les acteurs du montage vont donc chercher à bénéficier de cette exonération et des autres avantages offerts par la législation fiscale française, notamment en matière de groupe. En effet la ou les holdings de reprise et la société cible constituent un groupe de sociétés. Et si le législateur français est plutôt réticent à admettre le groupe en tant qu’entité juridique, l’assimilant d’avantage à une réalité économique et financière, il n’en demeure pas moins que le droit fiscal a toujours pris en considération les groupes de sociétés. On distingue notamment deux régimes fiscaux de faveur, le régime mère-fille (1) et de l’intégration fiscale (2), permettant d’atteindre partiellement ou totalement les objectifs du levier fiscal, auxquels s’ajoutent d’autres mécanismes alternatifs (3). 1- Le régime des sociétés mères Défini aux articles 145 et 216 du CGI, ce régime permet d’éviter que les dividendes distribués à la société mère (holding) soient soumis à une double imposition au titre de l’impôt sur les sociétés (IS). Ce régime qui existe depuis 1920 n’est pas spécifique au système fiscal français, en ce qu’il a fait l’objet d’une harmonisation au niveau de l’Union européenne introduite par une directive du 23 octobre 1990. Les dividendes distribués, ayant été soumis à l’IS au niveau de la société cible en tant que bénéfices, seront versés à la holding mère en franchise d’imposition. Jusqu’en 2005 ce régime permettait également à la société mère de transmettre à ses associés, au moment de la redistribution des dividendes, l’avoir fiscal relatif aux dividendes sans avoir à régler le précompte mobilier. Mais ces deux mécanismes de l’avoir fiscal et du précompte mobilier ont depuis disparu. 14 Le choix de ce régime, qui s’applique sur option en application de l’article 216, ne nécessite pas de conditions de forme particulières, si ce n’est la simple mention de ce choix sur la liasse fiscale. Cette option concerne alors tous les titres de la société distributrice. Les seules conditions de l’exonération, visées à l’article 145, portent sur les sociétés concernées et les titres de participation. Le phénomène de double imposition, que permet d’éliminer ce régime, repose sur l’idée d’une superposition de sociétés relevant de l’IS. Dès lors le régime mère fille est applicable à toutes personnes morales ou organismes soumis de plein droit ou sur option à l’IS en France au taux normal sur tout ou partie de leur activité et ce, quelle que soit leur nationalité (à l’exception des filiales établies dans des Etats ou territoires non coopératifs au sens de l’article 238-0A du CGI). Cependant dans l’hypothèse d’un LBO en France les sociétés concernées seront françaises. Pour la filiale distributrice, en l’espèce la société cible, le CGI admet l’application du régime fiscal des sociétés mères quelle que soit la forme de la société émettrice, dès lors que les conditions relatives aux titres de participation sont satisfaites. En effet la holding de reprise ne pourra bénéficier du régime fiscal spécial que si les titres de participation qu’elle détient répondent à un certain nombre de conditions. En ce qui concerne leur nature, les titres de participation doivent en principe revêtirent la forme nominative. Cependant le législateur admet qu’ils puissent être au porteur sous réserve d’être déposé auprès d’un organisme agrée à cet effet par l’Administration. Les titres doivent être détenus en pleine propriété5. Le CGI impose également un pourcentage de participation, les titres concernés doivent représenter au moins 5% du capital de la cible6, conférer à la fois un droit de vote et un droit aux dividendes. Une fois ce seuil est franchi, si la holding mère détient par ailleurs des titres sans droit de vote de la société cible, les dividendes attachés à ces titres bénéficient aussi du régime de faveur. Pour éviter la remise en cause de ce régime, la société mère est tenue de conserver l’ensemble des titres pendant au moins deux ans (jusqu’à la loi du 30 décembre 2005, la société mère devait prendre un engagement formel de conservation des titres pendant deux ans). L’avantage du régime de faveur d’exonération est qu’il commence à s’appliquer dès la première année de détention. Cependant si les titres sont cédés avant l’expiration de ce délai, l’application de ce régime sera remise en cause, la société mère devant alors verser au Trésor une somme égale au montant de l’impôt dont elle a été indûment exonérée, majoré de l’intérêt de retard au taux de 0,40%(article 1727 III du CGI). Cependant, l’exonération ne sera pas remise en cause dans l’hypothèse où les titres ne seraient pas conservés du fait de certaines opérations de restructurations. En effet le législateur considère dans trois cas, que l’opération n’entrainera pas la rupture du délai de conservation. Il s’agit des apports de titres placé sous le régime des fusions, de l’absorption 5 La Cour de Justice des Communautés Européennes, dans une décision du 22 décembre 2008, a jugé que les participations détenues en usufruit étaient exclues d’un tel régime (aff. C-48/07). Le tribunal administratif de Paris, dans un arrêt du 8 juillet 2009, a pu considérer, sans que l’Administration ne fasse appel, que le régime des sociétés mères pouvait s’appliquer aux participations détenues en nue-propriété. 6 Avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2000 la participation nécessaire devait être d’au moins 10% du capital de la société ou dont le prix de revient était au moins égal à 150 millions de francs. 15 de la filiale par une autre société que sa mère, et les opérations d’échange de titres dans le cadre d’une fusion ou d’un apport partiel d’actifs notamment. L’idée étant d’assurer une certaine neutralité des opérations de restructurations au niveau de la détention des titres. Le régime mère fille permet donc à la société holding de déduire de son bénéfice les dividendes qui lui ont été versés par la société cible, et ce quel que soit son taux de participation dès lors que le seuil de 5% est franchi. Cependant une quote-part de frais et charges, fixée forfaitairement à 5% du produit total de participation devra être réintégré dans le résultat de la société mère. De plus ce régime présente l’inconvénient dans une opération avec effet de levier, de ne pas permettre la déduction des charges financières liées à la dette d’acquisition. En effet la holding de reprise ne dispose pas d’autre produit taxable que les dividendes reçus, qui ne sont pas considérés comme un profit, sur lesquels imputer ses déficits. C’est pourquoi il peut parfois être tentant de recourir à l’animation, mais cette option doit être maniée avec prudence, sous peine de s’exposer à certains risques (cf. infra). Dès lors le seul recours au régime mère fille ne permet pas d’obtenir un effet de levier fiscal le plus optimal. C’est pourquoi les acteurs du LBO, sous réserve que les conditions soient réunies, auront le plus souvent recours au régime de l’intégration fiscale. 2- le régime d’intégration fiscale Il vient en quelque sorte pallier les lacunes du régime mère fille, lequel ne permet notamment pas, au sein d’un groupe, la circulation des déficits ni la neutralité d’opérations internes. Ce régime institué en 1988, dont les modalités d’application figurent aux articles 223 A et suivants du CGI, donne les moyens de faire jouer totalement l’effet de levier fiscal. En effet il permet non seulement une remontée des dividendes de la cible avec une perte fiscale minimale, mais également la déduction fiscale des intérêts d’emprunt contractés pour l’acquisition de la cible. Le principe de l’intégration repose sur la détermination d’un résultat d’ensemble, dont l’unique redevable est la société tête de groupe, ici la holding de reprise (ou holding de tête dans l’hypothèse d’une cascade de holdings). Pour la détermination de ce résultat chaque société du groupe détermine son résultat individuel selon les règles de droit commun avec quelques corrections à réaliser, positives ou négatives, en vue d’éliminer les doubles déductions ou doubles impositions et les effets de certaines opérations internes. Le résultat d’ensemble résulte alors de la somme algébrique de ces résultats individuels. Dès lors les profits et pertes de chacune des sociétés du groupe se compensent, si bien que les frais financiers, notamment ceux liés à la dette d’acquisition de la holding de reprise, vont pouvoir s’imputer sur le résultat bénéficiaire de la société cible avant impôt, ce que ne permet pas le régime mère fille. De même au moment de leur distribution les dividendes n’auront pas encore subi l’imposition. L’impôt payé au final par la tête de groupe sera réduit. En effet les déductions fiscales permettent une réduction d’impôt égale au taux de l’IS multiplié par le montant des intérêts d’emprunt. Cette réduction d’impôts est donc prise en charge par l’Etat, lequel finance en quelque sorte les intérêts de la dette d’acquisition. 16 Cependant l’application de ce régime de faveur est subordonnée à la réunion d’un certains nombre de conditions. Dans un premier temps l’ensemble des sociétés qui souhaitent faire partie du groupe doivent être soumises en France, de plein droit ou sur option, à l’IS dans les conditions de droit commun sur la totalité de leurs exploitations françaises. Les établissements stables en France de sociétés étrangères peuvent prendre le statut de tête de groupe ou intégrés à un groupe fiscal, sous réserve qu’ils soient soumis à l’IS en France. Mais la principale difficulté, qui peut constituer un obstacle et pousser à avoir recours à un autre mécanisme, tel que le régime mère-fille, repose dans l’exigence de niveaux de participation importants. En effet la société mère, holding de tête dans l’opération de LBO, devra détenir au moins 95% de la filiale, société cible, de manière directe ou indirecte si la ou les sociétés intermédiaires sont elles mêmes membres du groupe (hypothèse d’une cascade de holdings). Cette condition de détention doit être respectée pendant toute la durée de l’exercice. Il doit s’agir d’une détention en pleine propriété de 95% des droits financiers et de 95% des droits de vote. En droit comparé, on constate que ce niveau de participation est moins important en Angleterre ou encore en Allemagne, car dans ces Etats l’intégration fiscale est le reflet du contrôle. A l’inverse, en France on cherche une intégration économique entre la mère et la fille. La société mère devra en outre ne pas être détenue, directement ou indirectement, à 95% au moins par une autre personne morale soumise à l’IS. Une fois ces conditions préalables satisfaites, l’intégration fiscale étant facultative, la holding devra demander l’option pour ce régime avant le début de l’exercice où il va s’appliquer. C’est à ce moment que la société mère délimite librement le périmètre d’intégration, en n’y incluant si elle le souhaite que certaines filiales (aux Etats Unis ce choix n’est pas possible). Les filiales peuvent refuser leur intégration ou décider d’en sortir librement. Ce régime est alors valable pour cinq ans et peut être renouvelé tacitement pour la même période. La société holding pourra cependant mettre fin au groupe intégré au cours de ces cinq ans, en ce que le périmètre du groupe est révisable annuellement. Les exercices fiscaux des sociétés du groupe intégré devront avoir une date commune d’ouverture et de clôture et une durée en principe de douze mois. Cependant la condition d’une participation supérieure ou égale à 95%, ainsi que les difficultés quant à sa mise en application, peuvent pousser à se tourner vers d’autres solutions. D’autant plus que le dispositif inséré par l’amendement Charasse (cf. supra) peut limiter la déduction des charges financières. Si les acteurs du montage sont dans l’impossibilité ou ne souhaitent pas opté pour l’intégration fiscale, il est toujours possible d’avoir recours au régime mère fille. Cependant ce dernier ne fait jouer l’effet de levier fiscal que de façon partielle, en ce qu’il ne permet pas l’imputation des frais financiers de la société holding de reprise sur les résultats de la société cible. Il faut donc regarder quels sont les autres mécanismes, utilisés conjointement ou séparément au régime mère-fille, qui permettent de compenser entre eux les résultats du holding et de la société cible. 17 3- Les autres mécanismes de consolidation Le régime des sociétés mères semble moins intéressant car limité à l’exonération des dividendes. En effet, le plus souvent, dans une opération de LBO, dont la reprise est limitée à une société, la société acquéreuse sera une holding de reprise pure qui aura pour objet exclusif la détention de participations dans la société cible. Dès lors, en l’absence de tout profit imposable, le déficit fiscal constitué des charges financières liées à l’acquisition ne pourra être utilisé. Ce qui peut sembler regrettable en ce qu’au bout de la chaîne, la société cible paye par hypothèse beaucoup d’IS, car choisie en principe pour sa rentabilité. Ainsi le régime des articles 145 et 216 CGI garderait son attrait dans la mesure où l’imputation devient possible. a) les holdings animatrices Pour cela il peut être tentant de faire appel à une société holding impure dite « animatrice » et non « passive ». Ces notions sont notamment déterminantes pour les régimes d’exonération d’impôt sur la fortune et de droits de mutation à titre gratuit. On distingue plusieurs types de holdings impures. Il peut s’agir d’une société qui exercerait, en plus de la gestion des participations, une ou plusieurs activités économiques ou industrielles supplémentaires propres, autonome par rapport à l’activité de sa filiale. Ce qui permettrait de réaliser un résultat imposable sur lequel imputer les déficits fiscaux. Cependant il n’est pas certain que les acteurs du montage souhaitent confier une telle activité au holding, là n’étant pas leur objectif principal. Le second type de holding peut consister en une société holding animatrice qui facturerait des prestations à sa filiale (centralisation de trésorerie, assistance juridique, informatique…) ou des redevances pour la mise à disposition de biens mobiliers (marques, brevets…) ou immobiliers. Ces facturations établies par des conventions dites de « management fees » permettant alors de créer une source de revenus imposables, sur lesquels les frais financiers pourront être imputés. Par ailleurs la mise en place d’une société holding animatrice peut présenter d’autres intérêts fiscaux non négligeables. Dans un premier temps, les repreneurs personnes physiques titulaires de titres de la holding peuvent, s’ils franchissent un certain seuil fixé par la loi française7, être redevables de l’impôt sur la fortune. Si le législateur prévoit une exonération pour les biens professionnels, en principe, les titres du holding d’acquisition sont exclus de l’exonération en application de l’article 885 O quater8 du CGI. Cependant l’exonération au titre des biens professionnels de l’article 885 O bis du CGI est notamment subordonnée au fait que le repreneur soit un dirigeant qui exerce une activité professionnelle et détienne au moins 25% des droits financiers et des droits de vote dans la société cible au sein de laquelle il exerce ses fonctions. Or pour calculer ce pourcentage de détention on prend en compte les parts détenues dans la cible, directement ou indirectement, si bien que les titres détenues dans la société holding 7 Actuellement le seuil minimal d’imposition est de 1,3 millions d’euros à 0, 25%, avec un taux marginal de 0,50% pour les patrimoines supérieurs à 3 millions d’euros. Cependant ce barème devrait être modifié après l’élection de la nouvelle législature 8 « ne sont pas considérés comme des biens professionnels les parts ou actions de société ayant pour activité principale la gestion de leur patrimoine mobilier ou immobilier » 18 interposée seront exonérées que la société holding soit passive ou animatrice. Mais cette exonération ne joue que pour un seul degré d’interposition. C’est donc dans l’hypothèse de plusieurs degrés d’interposition qu’il sera intéressant d’avoir une holding animatrice, car dans ce cas le législateur admet d’exonérer le dirigeant de la holding animatrice pour les titres qu’il détient dans celle-ci. Les conditions de l’exonération s’apprécieront au niveau de la holding. Mettre en place une « animation » peut également présenter un avantage en termes de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), dont le régime est défini aux articles 256 et suivants du CGI. En effet par hypothèse la holding d’acquisition est tenue de régler un certain nombre de frais relatifs aux services auxquels elle a pu faire appel (conseil, frais de notaires…), frais grevés de TVA. Dès lors elle peut être tentée de récupérer cette TVA, ce qui suppose d’être assujetti à la TVA et donc d’exercer une activité économique. Une holding passive n’est donc pas assujettie, en ce que la seule gestion de son patrimoine ne constitue pas en tant que telle une activité économique. C’est pourquoi il est intéressant de recourir à une holding animatrice, en ce que la Cour de justice des communautés européennes a jugé dans un arrêt célèbre du 20 juin 19919 que l’immixtion d’une holding dans la gestion de ses filiales constitue une activité économique. La holding animatrice de reprise peut alors récupérer la TVA ayant grevé ses dépenses. Pour atteindre des résultats équivalents à ceux de l’intégration fiscale, la consolidation des résultats du holding et de la cible peut également être une solution. Plusieurs mécanismes sont alors envisageables. b) consolidation des résultats i. Le premier d’entre eux serait de transformer la société cible, une fois acquise, en une société en nom collectif (SNC). L’intérêt est donc d’avoir recours à une société de personnes, société dite translucide. Dans cette hypothèse le résultat imposable sera calculé au niveau de la SNC, laquelle est identifiée par l’administration comme un véritable sujet fiscal. A l’inverse, un grand nombre d’Etats analysent les sociétés de personnes comme des sociétés totalement transparentes. Une fois le résultat déterminé ce sont les associés de la SNC, en l’espèce la holding de reprise, qui seront directement redevables de l’impôt de la société. Cette opération présente alors plusieurs intérêts. Dans un premier temps, le résultat de la cible étant taxable directement au niveau de la société holding, les charges financières du holding pourront se compenser avec sa quote-part de profits de la cible, permettant ainsi une consolidation qui reprend le mécanisme de l’intégration fiscale. Dans un deuxième temps le second mécanisme de l’effet de levier fiscal, à savoir la remontée des dividendes en franchise d’imposition peut également jouer. En effet les dividendes figurant au résultat, ils ne seront donc imposables qu’une fois, seulement dans les mains des associés. 9 CJCE Polysar Investments ; aff. 60/90 19 Enfin la transformation en une société de personnes présente un avantage reposant sur la forme juridique de la cible. Si en application de l’article L225-216 du code commerce (cf. infra), une société par actions ne peut consentir de garanties « en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers », tel n’est pas le cas d’une société de personnes. Ce qui s’explique par le fait que la responsabilité des associés d’une SNC est illimitée et solidaire. Dès lors que la société cible figure sous la forme d’une SNC, elle peut consentir des sûretés sur ses propres actifs au profit de prêteurs détenteurs de créances relatives au financement de l’acquisition la cible. Cependant le coût fiscal (imposition des plus-values latentes, reprise des provisions…) d’une telle opération peut s’avérer important, et la transformation en elle-même, qui entraîne un changement du régime de responsabilité important, suppose d’obtenir l’accord préalable de l’unanimité des associés de la cible. Pour obtenir ce consensus de façon certaine, il faudrait que le holding acquiert l’intégralité des titres de la société cible, et donc plus de 95% de participation. Si bien que, depuis l’apparition du régime d’intégration fiscale, possible dès le seuil de 95% de participation franchi, la transformation en SNC a perdu de son intérêt, le recours à l’intégration fiscale étant plus simple et moins risqué à mettre en œuvre. ii. Le deuxième mécanisme pour atteindre une consolidation des résultats peut résider dans la fusion rapide. L’idée consiste à réaliser peu de temps après l’acquisition de la société cible, une fusion entre celle-ci et la société holding. Cette fusion juridique s’accompagne d’une « fusion fiscale », dès lors qu’il n’y a plus qu’une seule société, les charges financières nées de l’acquisition des titres s’imputent sur les profits réalisés par la société cible. L’intérêt d’une telle opération est également financier, en ce que la trésorerie et les actifs de la cible se trouvent, suite à la fusion, au même niveau que la dette et les charges financières du holding. La société résultant de la de fusion disposera ainsi directement de la trésorerie et des actifs de la cible, en vertu de la transmission universelle de patrimoine résultant de l’opération. Elle pourra ainsi garantir le remboursement des emprunts en consentant notamment des suretés sur ses actifs. Ce qui sera d’autant plus rassurant pour les prêteurs qui pourront accorder des conditions plus avantageuses d’emprunt. De même la société disposera directement de la trésorerie de la cible, qu’elle pourra utiliser en vue de rembourser plus rapidement la dette d’acquisition. A cela s’ajoute un intérêt résidant dans une simplification organisationnelle, dès lors qu’il n’y aura plus qu’une entité juridique, réduisant ainsi les coûts de fonctionnement du montage. iii. Dans l’hypothèse où le seuil des 95% de l’intégration fiscale ne serait pas satisfait, le mécanisme dit du « debt push down » peut constituer une autre alternative. L’expression littérale traduit bien le mécanisme, lequel consiste à faire descendre la dette de la holding à la société cible. Ce transfert se fera le plus souvent par le biais d’une distribution exceptionnelle de dividendes, le remboursement de primes d’émission, ou par une réduction de capital, qui seront financés par un emprunt au niveau de la cible. Ainsi la société holding pourra se désendetter en transférant cet endettement au niveau de la société opérationnelle. Cela aura 20 aussi pour avantage de rassurer les prêteurs, en ce que les dettes se situeront au même niveau que les actifs de la société opérationnelle, lesquels sont les générateurs de cash. Cependant l’ensemble de ces solutions ne constituent pas pour autant un gage de sécurité optimal pour les acteurs du montage. En effet ces différents mécanismes, qui peuvent offrir des avantages fiscaux ou encore financiers importants, présentent corrélativement un certain nombre de dangers et limites. II Les dangers et limites afférents à un LBO français Afin de maximiser les différents effets de levier, notamment juridique et fiscal, et bénéficier d’un montage LBO optimal, les opérateurs concernés peuvent avoir recours à différents mécanismes, principaux, à l’image du régime d’intégration fiscale, ou alternatifs, tels que le régime mère fille ou la « fusion fiscale ». Cependant certains de ces choix peuvent présenter des limites et s’avérer risqués au regard de la législation française en vigueur. Ses limites peuvent être aussi bien juridiques (A) que fiscales (B). A) Des limites juridiques Une opération de LBO repose sur un recours notable à l’emprunt pour permettre un emploi moins important des capitaux propres. Dès lors l’une des préoccupations principales réside dans le remboursement de cette dette. Ce remboursement s’effectue le plus souvent par un recours à la trésorerie de la société cible, sous la forme d’une remontée des dividendes vers la société holding. L’inconvénient pour les banques et autres prêteurs peut alors résider dans le fait que la holding, le plus souvent n’aura pas d’actifs propres autres que les titres qu’elle acquiert, pour pouvoir garantir les acteurs financiers. Si bien qu’il peut être tentant de se tourner vers la cible pour les rassurer, pour assurer le financement de l’acquisition au moyen des actifs ou du crédit de la cible, en visant notamment la prise par cette dernière de garanties personnelles ou réelles en faveur des banques, ou le consentement de prêts à la société holding. Cependant le code de commerce, à l’article L225-216 interdit le principe dit de l’assistance financière (1). Au-delà de cette prohibition, les acteurs du montage doivent rester prudents et conscients qu’ils peuvent s’exposer selon les opérations réalisées, aux risques de l’abus de majorité (2) ou de l’abus de pouvoirs ou de biens sociaux (3). 1- La prohibition de l’assistance financière a) le principe de l’article L225-216 Cet article dispose notamment qu’ « une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers ». Cette interdiction est écartée lorsqu’il s’agit d’opérations courantes effectuées par des entreprises de crédit ou en vue de l’acquisition par des salariés d’actions de leur société, de l’une de ses filiales ou d’une société comprise dans le champ d’un plan d’épargne de groupe. Cependant cette dérogation, figurant au second alinéa du même article ne devrait 21 pouvoir s’appliquer en l’espèce, y compris si la société holding interposée était exclusivement constituée de salariés. L’article L225-216 est issu de la loi du 30 décembre 1981 (ancien article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966), laquelle a été introduite en France en application de la directive 77/91/CEE du 13 décembre 1976. Ces règles prohibitives s’appliquent exclusivement aux sociétés par actions, telles que la SA ou la SAS. C’est pourquoi certains pourraient être tentés de transformer la société cible en une SNC. Cependant une telle transformation suppose de rassembler l’unanimité des associés. Ce qui est moins intéressant depuis la mise en place de l’intégration fiscale (cf. supra). De plus une telle transformation n’est pas à l’abri de la qualification de l’abus de droit. Une telle disposition a pour objectif principal la protection du capital, gage par excellence des créanciers dans les sociétés par actions. Le législateur refuse que la société, ici la cible, engage partiellement ou totalement son patrimoine, que ce soit par des prêts ou avances de trésorerie à un tiers, en l’espèce la holding de reprise, qui souhaite acquérir les titres de la société en question, ou consente des sûretés en vue de l’achat de ses titres. Cet article peut ainsi constituer un frein à l’investissement des prêteurs, déjà méfiants, dans un montage de type LBO qui serait situé en France. Il suffit pour cela de comparer le système français à d’autres systèmes européens. En effet certains de nos voisins, tels que l’Italie, l’Angleterre ou l’Allemagne, qui disposaient de cette prohibition en application de la directive de 77/91/CE, ont réformé leur régime suite à l’adoption par le Conseil européen d’une directive 2006/68/CE du 6 septembre 2006. Ainsi le système britannique, même avant l’entrée en vigueur de la directive, par l’adoption du Companies Act 2006, a supprimé l’interdiction de l’assistance financière lorsque celle-ci concerne l’acquisition de titres de sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne. La directive de 2006 a en effet modifié la disposition de la première directive qui interdisait la pratique de l’assistance financière10. La directive prévoit un certain nombre de conditions afin de garantir la protection du capital. Ainsi les opérations en question doivent avoir lieu sous la responsabilité de l’organe de direction de la société octroyant l’assistance, à de justes conditions de marché. L’idée étant notamment d’éviter des taux d’intérêt déconnectés du marché. De même la situation financière du tiers bénéficiaire doit avoir été dûment examinée. L’opération doit être soumise à l’approbation préalable de l’assemblée générale dans des conditions de majorité renforcée. L’organe de direction qui soumet l’opération rédige un rapport détaillé ayant pour objectif de permettre à l’assemblée de se prononcer en après avoir été très bien informée. Par ailleurs l’assistance financière ne doit pas avoir pour effet que l’actif net de la société devienne inférieur au montant du capital souscrit augmenté des réserves indisponibles. La directive cherche également vise également la protection des créanciers de la société consentant l’assistance financière, en ce que cette dernière doit inscrire au passif de son bilan une réserve 10 Son préambule, au paragraphe 4, dispose ainsi que « les Etats membres devraient pouvoir permettre aux sociétés anonymes d’accorder une aide financière en vue de l’acquisition de leurs actions par un tiers, dans la limite de leurs réserves distribuables, afin de renforcer la flexibilité face aux modifications de droits attachés à la participation au capital de la société. Cette possibilité devrait offrir des garanties au regard de l’objectif de la présente directive de protéger les intérêts tant des actionnaires que des tiers ». 22 indisponible du montant de l’aide financière totale. Enfin le tiers bénéficiaire de l’assistance financière doit acquérir les titres à un juste prix. Malgré ces conditions, assez importantes, et de nature à assurer la protection du capital, le législateur français n’a toujours pas, à l’heure actuelle, transposer cette directive. Ce maintien en l’état de la législation française peut donc être un obstacle pour les investisseurs à la mise en place d’opérations d’acquisition avec effets de levier en France. Ce qui pourrait être problématique face au manque de crédit et à la frilosité des prêteurs qui souhaitent d’avantage de sécurité. Les acteurs de ces opérations peuvent tenter de contourner cette prohibition en ayant recours à d’autres mécanismes. b) La tentation du contournement i. Ils peuvent ainsi utiliser le mécanisme du « debt push down » (cf. supra), pour faire descendre la dette de la société holding, au niveau de la société cible. Cette opération offrira une meilleure garantie aux banques, la dette se situant au même niveau que les actifs de la cible, générateurs de cash. Mais le debt push down peut présenter certaines contraintes. Ainsi la distribution de dividendes peut ne pas être aussi rapide, en ce que le montant des dividendes distribués aux actionnaires doit rester limité au montant des réserves distribuables. Si cela n’était pas respecté, la condamnation pour délit d’abus de biens sociaux pourrait être encourue (cf. infra). De plus un actionnaire qui ne souhaiterait pas recevoir de dividendes exceptionnels, pourrait être tenté de dénoncer une opération contraire à l’objet social. L’idéal consiste à recourir à des garanties alternatives qui seraient prises par le holding et non la société cible. Le holding de reprise pourrait ainsi consentir un nantissement des titres de la cible en garantie du remboursement de la dette d’acquisition. Dans une opération de LBO, le financement de l’acquisition n’est pas unique. Il est le plus souvent nécessaire d’avoirs recours à d’autres financements en cours d’opération. La société cible peut ainsi être amené à recourir à des emprunts à des fins opérationnelles, que ce soit pour augmenter sa rentabilité économique en faisant des investissements nécessaires, ou encore pour rembourser des créanciers de la cible extérieurs à l’opération de LBO. Dès lors, cet emprunt ne finance pas une dette d’acquisition contractée par le holding, mais il est souscrit par la société cible elle-même. L’article L225-216 ne s’applique donc pas dans cette hypothèse. Cela suppose cependant de pouvoir identifier très précisément les différentes dettes, pour éviter toute confusion entre les dettes opérationnelles contractées par la cible et la dette d’acquisition contractée par le holding, sous peine de tomber sous le joug de la prohibition de l’assistance financière. 23 ii. Par ailleurs, une autre alternative pourrait consister à procéder, une fois l’acquisition réalisée, à une fusion entre la société cible et le holding (cf. supra). Et dans un troisième temps rembourser les emprunts contractés ou consentir des garanties supplémentaires de nature à rassurer les banques. Ainsi le mécanisme de la fusion permet la confusion des patrimoines, si bien que la société résultant de cette opération pourra utiliser les anciens actifs de la cible pour rembourser la dette d’acquisition de la société holding. Le remboursement de la dette se faisant alors directement grâce à la trésorerie de la cible et non plus la remontée des dividendes. Cependant la mise en place d’un tel montage semble remise en cause par certains auteurs, d’autant plus si l’opération de fusion s’opère rapidement après l’acquisition, on parle alors de fusion rapide. Tout dépend de savoir si l’on doit interpréter strictement la disposition législative ou si une appréciation plus large est possible. En effet si l’on s’en tient à lecture stricte de l’article, la fusion et les garanties ou remboursements postérieurs ne semblent pas pouvoir être remis en cause. En effet le législateur ne vise que les prêts ou avances réalisés en vue de la souscription ou de l’achat des actions. Cela laisse donc penser que seules sont visées les opérations antérieures ou au mieux concomitantes à l’acquisition des actions. De plus la fusion s’apparente à une opération courante et n’est donc pas en soi critiquable si les règles de la fusion destinées à sauvegarder les intérêts des associés et des créanciers ont été respectées. Si bien que les garanties consenties postérieurement à l’acquisition et à la fusion ne peuvent en principe tomber dans le champ d’application de la prohibition de l’assistance financière. Certains auteurs retiennent au contraire, qu’il ne faut pas s’arrêter à une lecture stricte de l’article, mais plutôt s’attarder sur son objectif, sur son essence même. Ainsi cette disposition s’interprète à la lumière de la directive 77/91/CE, qui vise la protection du capital social de la société, et cette protection ne saurait se limiter à l’interdiction de consentir des prêts, avances ou sûretés seulement antérieurement à l’acquisition des actions. En effet le résultat sera le même que les prêts ou avances aient été consentis avant ou après, la société cible au final supportera le remboursement du financement de l’acquisition de ses propres actions. Afin de ne pas risquer d’être sanctionné au titre de l’article L225-216, il est fortement conseillé de ne pas consentir, immédiatement après la fusion, de garanties sur les actifs de la cible ou procéder à la vente d’actifs importants de la cible en vue de rembourser les emprunts d’acquisition. De plus cette opération de fusion s’inscrit dans un montage décidé à l’avance qui se subdivise en plusieurs phases. On a bien choisi une société cible, notamment en fonction de sa capacité à générer des profits, dans l’idée que cette société puisse assurer le financement de son rachat, peu importe le moment où celle-ci intervient, que ce soit antérieurement ou postérieurement au rachat. Il en de même en ce qui concerne la constitution de garanties juste après à la fusion, on peut se demander si ce montage n’a pas pour unique but de contourner la prohibition de l’assistance financière. La seule intention étant alors d’échapper à la règle de l’article L225216, ce montage pourrait alors constituer une fraude. Il faut alors être dans la capacité de prouver l’existence d’une justification économique du montage. Dès lors que ce montage 24 apparaitra comme poursuivant un intérêt personnel de quelques actionnaires, de façon plus importante que l’intérêt social, cela pourrait laisser présumer une intention frauduleuse. On retrouve aussi ce risque de détournement de la prohibition de l’article L225-216 dans l’hypothèse d’une holding de reprise qui serait « animatrice » (cf. supra). iii. Par ailleurs on peut retrouver ce risque du détournement de la prohibition en cas de conclusion postérieure au rachat de la cible, d’une convention de centralisation de trésoreries entre la cible et le holding de reprise. De telles conventions ne paraissent pas nécessairement justifiées dans l’hypothèse d’une opération de LBO, où seules deux sociétés constitueraient le groupe considéré. Une convention de centralisation de trésorerie conclue postérieurement à l’acquisition des titres de la société cible, peut être précédée d’un engagement de la réaliser, pris antérieurement entre la holding et les prêteurs concernés. Dans cette hypothèse la convention de centralisation aura bien été conclue par la cible en vue de l’acquisition de ses propres actions. Une fois la violation de la prohibition de l’assistance financière prouvée, plusieurs sanctions sont possibles. Le non respect de cette disposition est avant tout sanctionné pénalement. En effet l’article L 242-24 du code de commerce dispose sanctionne d’une amende de 9000€ « le fait, pour le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme, d’effectuer au nom de celle-ci, les opérations interdites par le premier alinéa de l’article L225216 ». Une interrogation demeure pour savoir si les dirigeants des deux sociétés sont visés par cette disposition ou seulement les dirigeants de la société holding. Les avis sont partagés, les auteurs favorables à la seule sanction des dirigeants du holding avançant que dans l’hypothèse ou l’octroi du prêt au holding serait subordonné à la prise de garantie par la société cible, les dirigeants de cette dernière ne seraient pas sanctionnés car ils n’ont pas donné les biens de la cible en garantie. Seuls, selon ces auteurs, devraient être condamnés les dirigeants du holding, qui étaient en fonction à l’époque des faits. Si l’article L225-216 ne précise pas ce qui se passe concernant les sanctions civiles, la doctrine admet à l’unanimité que la prohibition de l’assistance financière constitue une règle impérative. Dès lors, en application de l’article L235-1 alinéa 2 du même code, les actes contraires à cette disposition peuvent être annulés par une décision de justice. Les acteurs à l’origine d’un montage de type LBO ont tout intérêt à acquérir la totalité des titres de la société cible. Cela est intéressant du point de vue de l’intégration fiscale, la possibilité d’opter pour ce régime de consolidation des résultats étant notamment subordonnée au franchissement du seuil de 95% des titres de participation. Par ailleurs détenir la totalité de la cible peut également permettre d’éviter un risque dit d’abus de majorité. 2- La menace de l’abus de majorité Ce délit n’est pas prévu par le code de commerce. C’est donc la jurisprudence qui a crée ce délit au début des années 1960 et en a donné la définition suivante : il y a abus de majorité s’il est établi que la décision de l’assemblée générale « a été prise contrairement à l’intérêt de 25 la société et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la minorité »11. Dès lors qu’un associé minoritaire estimera qu’une décision prise remplit ces critères, il pourra tenter d’agir sur ce fondement afin d’obtenir l’annulation de la décision et de l’opération visées, ainsi que l’allocation de dommages et intérêts. C’est pourquoi dans une opération de LBO il faut être particulièrement vigilant. La plupart des décisions peuvent être concernées et notamment les décisions contestables au titre de l’article L225-216 relatif à la prohibition de l’assistance financière. i. Il peut en être ainsi pour une opération dite de fusion rapide. Pour cela l’associé minoritaire de la société reprise qui conteste l’opération devra rapporter la preuve que la fusion est contraire à l’intérêt social de la cible. En soi il ne conteste pas l’effet légal de l’opération qui consiste en l’absorption d’une société par une autre et la disparition de l’absorbée, le plus souvent la société cible. Il va chercher à démontrer que l’opération ne présente aucun intérêt pour la cible. Ici l’intérêt social peut s’entendre aussi bien de l’intérêt des associés ou de l’intérêt de la personne morale distinct de celui des associés. Le résultat est le même et les acteurs à l’origine de la décision de procéder à la fusion ont intérêt à pouvoir justifier l’opération autrement que par le seul but de pouvoir faire peser le remboursement de la dette d’acquisition sur la trésorerie et les actifs de la cible. L’opération doit présenter un intérêt pour la cible, qui peut par exemple résider dans un objectif de développement à terme de la cible. Mais cette preuve n’est pas toujours aisée à rapporter. Dans un second temps le requérant doit prouver, sous peine que la qualification d’abus de majorité ne soit pas retenue, que l’opération avait pour objectif de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires. Dans une telle opération la preuve de la rupture d’égalité semble pouvoir être rapportée. En effet la fusion se caractérise notamment par un échange de droits sociaux après détermination de la parité d’échange, les associés de l’absorbée recevant alors des titres de la société absorbante. Ainsi les minoritaires de la cible recevront des titres de la holding de reprise. Par hypothèse ces titres auront une valeur bien inférieure aux titres de la cible en ce que la holding s’est endettée pour procéder à l’acquisition. L’associé majoritaire de la cible, la holding, se trouve donc favorisé, car il reçoit la trésorerie et les actifs de la cible, et ce au détriment des associés minoritaires. Si les juges reçoivent les arguments des minoritaires ils pourront annuler la décision de fusionner et même engager la responsabilité des dirigeants, notamment pour faute de gestion, en application de l’article L225-251 du code de commerce en ce que la décision est contraire à l’intérêt social. ii. La question de l’abus de majorité peut également être évoquée dans le cas où la holding de reprise serait animatrice. Et principalement dans l’hypothèse où le montage considéré serait constitué uniquement de la holding et de la cible. Si le LBO porte sur un groupe et non sur la seule société cible les conventions mises en place dans le cadre de l’animation peuvent se justifier ne serait-ce que d’un point de vue organisationnel. D’autant plus que parfois l’intérêt du groupe est retenu. Ainsi ce qui peut 11 Cass. com, 18 avril 1961, n°59-11394 ; Cass. com, 22 avril 1976, n°75-10735 26 nuire à une société, peut être bénéfique pour le groupe et à long terme pour cette société. C’est ce qu’a reconnu la Cour de cassation en matière pénale dans une affaire Rozenblum12 en admettant le fait justificatif de l’intérêt du groupe. A l’inverse la mise en place d’une holding animatrice qui rendrait des services à la seule cible peut susciter des interrogations, notamment au regard de l’intérêt pour cette dernière. Il paraît en effet difficile de retenir que la holding et la cible constituent un groupe en tant que tel, et que l’intérêt d’un tel groupe l’emporterait sur celui de la cible. D’autant plus si les conventions mises en place dans le cadre de l’animation sont totalement inégales. Cette animation ne doit pas être contraire à l’intérêt social de la cible. Pour cela les conventions mises en place peuvent demeurées sans intérêt pour la cible, mais ne doivent pas être déséquilibrées (ex : faible ou absence de contrepartie pour la mise à disposition de fonds à la holding dans le cadre d’une centralisation des trésoreries, coût trop élevé des services rendus par la holding à la cible…), elles doivent rester neutres au regard de l’intérêt social. En cas de conventions déséquilibrées contraires à l’intérêt social, il pourrait en découler une rupture d’égalité entre les associés en ce que l’animation ne profiterait qu’à la holding majoritaire au détriment des minoritaires. iii. A contrario l’abus de majorité sera plus dur à retenir, dans l’hypothèse notamment d’un debt push down, en cas de distribution de dividendes exceptionnels. En effet même si les minoritaires pourraient être opposés à cette décision, invoquant l’intérêt social de la cible, ils bénéficieront également de cette distribution, limitant la possibilité de prouver la rupture d’égalité entre associés. Cependant il faut mentionner que la Cour de cassation a pu admettre que la seule violation de l’intérêt social est suffisante pour constituer un abus de majorité13. Il est donc conseillé de procéder à des distributions qui n’excèdent pas 50% des bénéfices. Malgré tout, pour éviter tout risque de remise en cause des décisions, il est préférable d’acquérir la totalité des titres de la cible et ainsi prendre le contrôle d’une société où il n’y aurait pas d’actionnaires. Il n’y aurait plus de problème au regard de la rupture d’égalité entre associés, l’intérêt social étant la seule préoccupation. De plus la holding pourrait opter pour le mécanisme de l’intégration fiscale sous réserve que les autres conditions soient réunies. Cependant une acquisition à 100% n’est pas toujours possible, certains associés minoritaires étant récalcitrants. Parmi ces risques juridiques il faut également mentionner que les dirigeants peuvent engager leur responsabilité pénale sur le fondement de l’abus de pouvoirs ou de biens sociaux. 3- Le risque pénal de l’abus de pouvoirs et de biens sociaux Visés à l’article L242-6 du code de commerce, les délits visés se subdivisent en deux catégories. Ils peuvent porter soit sur les « biens ou le crédit » de la société, on parle alors d’abus de biens sociaux, soit sur « les pouvoirs » ou sur « les voix ». Ce dernier vise notamment les procurations, souvent délivrées en blanc, que les actionnaires ont adressées 12 13 Cass. crim, 4 février 1985, n°84-91581 Cass. com, 21 janvier 1997, n°94-18883 27 aux dirigeants, pour les représenter et voter pour eux dans les assemblées. Cependant, à l’heure actuelle cette incrimination est privée de portée du fait des innovations introduites par le législateur, tel que le vote par correspondance prévu à l’article 225-107 du code de commerce. Dans les deux cas cet article puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 € le fait pour les dirigeants de sociétés par actions d’en faire, de mauvaise foi, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celles-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. i. Le fait pour le dirigeant d’abuser sciemment des pouvoirs dont il dispose en vertu de son mandat qu’ils soient relatifs à la direction, à l’administration et à la gestion est donc sanctionné par le législateur. Cependant il s’avère dans la pratique que les juges préféreront se placer, lorsque cela est possible dans le champ d’application de l’abus de biens sociaux. Malgré tout l’abus de pouvoir peut être envisagé dans le cadre de conventions déséquilibrées entre une holding animatrice et la cible, le repreneur et les dirigeants de la cible pourraient voir leur responsabilité pénale engagée sur le fondement de ce délit. De même la question peut se poser en cas de fusion postérieure à l’acquisition de la cible. Si dans un premier temps la réponse semble négative en ce que l’opération de fusion est décidée par les associés des deux sociétés réunis en assemblée générale extraordinaire et non pas les dirigeants. Les dirigeants ne peuvent être sanctionnés, en ce qu’ils ont pour seule fonction de mettre au point un traité de fusion qui prévoit les modalités de la fusion et qui sera soumis aux votes des actionnaires. Ils ne peuvent pas non plus être poursuivis sur ce fondement en tant qu’associé ayant participé au vote. Cependant un arrêt de la Cour de cassation14 de 1995 a, dans une espèce particulière, retenu l’abus de pouvoirs dans le cas d’une fusion rapide. La solution ne semble donc pas tranchée, et il faudra décider au cas par cas en fonction des circonstances de fait. ii. Les dirigeants des sociétés concernées doivent également se prémunir contre le risque d’abus de biens sociaux. Les biens recouvrent tous les éléments mobiliers et immobiliers du patrimoine social, tandis que le crédit de la société vise la réputation de celle-ci et sa surface financière. Ainsi les repreneurs exerçant une fonction de dirigeant au sein de la société cible sont susceptibles d’être poursuivis sur ce fondement si des actifs de la cible étaient indûment transférés à la holding ou à leur personne même. Ainsi une fusion rapide peut faire l’objet de soupçons. En effet cette opération opère une confusion des patrimoines. La holding disposera alors des actifs de la société cible et pourrait les affecter au remboursement de la dette d’acquisition. Le seul fait de constituer des garanties supplémentaires par le biais des actifs de la cible au profit des créanciers de la holding ne constitue pas en lui-même un abus de biens sociaux. Là encore, tout dépendra des circonstances de l’espèce, de savoir si l’opération en elle-même est économiquement justifiée et profite aux deux entités, ou si au contraire, la fusion fait courir un risque anormal au patrimoine social de la cible, la met en péril financièrement au seul profit de la holding et des acteurs du montage LBO. La jurisprudence, dans une affaire 14 Cass. crim, 10 juillet 1995, n°94-82665 28 Rozenblum (cf. supra), a cependant infléchi les règles classiques de l’abus de biens sociaux dans le cadre de groupes de sociétés, bien qu’ils n’aient pas la personnalité morale. Elle admet ainsi que les dirigeants puissent apporter un concours financier d'une société à une autre entreprise d'un même groupe dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement, sous réserve qu’il soit dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble de ce groupe, et qu'il ne doive être ni démuni de contrepartie ou rompre l'équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge. La question reste entière de savoir si une holding de reprise et la société cible peuvent constituer un groupe au sens de cette jurisprudence. L’abus de pouvoirs est souvent à l’origine d’un abus de biens sociaux, et dispose d’un champ d’application plus large. Si bien que si la décision ou l’opération ne rentrent pas dans le champ de l’abus de biens sociaux, les juges pourront tenter de se placer sur le délit d’abus de pouvoirs. Mais une acquisition avec effet de levier peut s’exposer à d’autres risques, notamment d’un point de vue fiscal. B) Des limites fiscales La législation française, dans un objectif de lutte contre les schémas abusifs, a mis en place différents mécanismes limitant la déductibilité des charges (1), et touchant aussi les LBO. Par ailleurs s’ajoutent à ces mécanismes la menace de sanctions fiscales (2). 1- La limitation de la déductibilité des charges financières Si opter, dès lors que cela est possible, pour l’intégration fiscale paraît être le point essentiel pour bénéficier d’un effet de levier fiscal optimal, ce régime peut parfois présenter certains inconvénients techniques. Les premières limites résident dans la mise en œuvre de ce régime. En effet on observe un certain nombre de lourdeurs, notamment d’un point de vue administratif avec un nombre plus important d’obligations déclaratives, auxquelles s’ajoutent certaines difficultés telles que les rectifications du résultat d’ensemble à opérer, ou la mise en place des entrées ou sorties du périmètre d’intégration. Par ailleurs le régime de l’intégration fiscale est limité par les dispositions de l’article 223 B du CGI, plus connu sous le nom d’« amendement Charasse ». a) L’amendement charasse Issu de la loi de finance du 30 décembre 1988, il s’agit d’un dispositif anti-abus. Le législateur a souhaité éviter, dès lors que l’acquisition a lieu auprès d’un actionnaire extérieur qui contrôle un groupe de manière directe ou indirecte ou d’une société que cet actionnaire contrôle directement ou indirectement, que le résultat d’ensemble soit affecté par la déduction de charges afférentes à l’acquisition d’une société qui devient membre du groupe. Ce dispositif s’inscrit notamment en réaction aux pratiques de dirigeants qui cédaient leur société à une holding leur appartenant, celle-ci s’endettant pour financer l’acquisition. Ce schéma, placé sous le régime de l’intégration fiscale permettait de récupérer en trésorerie la valeur de la société, en conservant cependant le contrôle effectif de la société 29 par l’intermédiaire de la holding. Dans ce cas dit de vente à soi-même, la holding de reprise est donc contrainte de réintégrer une partie des charges financières dans le résultat imposable. Si certains ont tenté de contourner le dispositif en procédant à une fusion absorption de la société cible, en vue de la racheter, le législateur est intervenu en 2006. Pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2007, le dispositif s’applique même si la société rachetée est absorbée, par la société cessionnaire ou par une société membre du même groupe que la société cessionnaire, pour ne pas devenir membre du même groupe que la société cessionnaire. Une autre limitation peut figurer dans le régime dit de la sous-capitalisation, défini à l’article 212 du CGI. b) le dispositif anti sous-capitalisation appliqué aux LBO français Cet article limite la déduction des intérêts versés par des sociétés sous-capitalisées à des entreprises liées au sens de l'article 39, 12 du même Code. Il limite les taux d’intérêts servis et le quantum de la dette. Cependant pour qu’une société soit considérée comme sous capitalisée, elle doit dépasser simultanément et cumulativement trois seuils précisés à l’article 212, II, 115, la fraction la plus élevée des trois limites n’étant alors pas admise en déduction au titre de l’exercice. Cependant l’entreprise qui remplirait ces trois critères ne sera pas tenue d’opérer une réintégration si la fraction excédentaire est inférieure à 150 000 €, et peut également renverser la présomption simple de sous-capitalisation si elle arrive à démontrer que son endettement global est inférieur à celui du groupe auquel elle appartient. Afin de tenir compte des spécificités du régime de l’intégration fiscale des dispositions spécifiques ont été introduites par la loi du 30 décembre 2005. Ainsi dans l’hypothèse d’un groupe intégré, les intérêts non déductibles constatés au niveau du résultat individuel de chaque société membre du groupe ne peuvent être imputés sur les résultats de ces sociétés, mais peuvent être déduits, sous conditions, du résultat d’ensemble du groupe. Jusqu’au 31 décembre 2010, ces règles anti sous-capitalisation ne posaient pas de problème dans le cadre d’une opération de LBO. En effet, que les parties aient opté ou non pour le régime de l’intégration fiscale, les intérêts relevant d’opérations intragroupes (ex : les intérêts d’un prêt consenti à la holding de reprise par une société du même groupe) étaient pris en compte pour la détermination des ratios de l’article 212, II. A l’inverse le dispositif ne concernant que les prêts consentis par des entreprises liées, les intérêts d’emprunts consentis à la holding par des établissements bancaires extérieurs au groupe pouvaient être déduits. Cependant la loi de finances pour 2011 du 29 décembre 2010 a étendu le champ de ce dispositif anti sous-capitalisation. Désormais l’article 212, II assimile aux intérêts versés à des entreprises liées les intérêts qui rémunèrent les sommes laissées ou mises à disposition dont 15 Le montant moyen des avances consenties par l’ensemble des entreprises liées n’excède pas une fois et demie le montant des capitaux propres; le montant total des intérêts servis n’excède pas 25% du résultat courant avant impôts ; le montant des intérêts versés à cette entreprise par des entreprises liées excède celui des intérêts qu’elle-même doit à des entreprises liées. 30 le remboursement est garanti par une entreprise liée au débiteur. Si bien que les intérêts bancaires résultant d’emprunts consentis à la holding de reprise par un établissement bancaire hors groupe, peuvent rentrer dans le champ du dispositif anti sous-capitalisation dès lors que les prêts visés seraient garantis par une société appartenant au groupe dont est membre la holding. Les aménagements introduits prévoient malgré tout quelques exceptions pour l’application du dispositif aux sûretés réelles. Ainsi la fraction des emprunts exclusivement garantis par un nantissement des titres ou des créances de la société débitrice est exclue, si bien que la holding peut garantir sa dette d’acquisition par le seul nantissement des titres de la cible sans craindre le dispositif de l’article 212, II. Les aménagements réalisés s’appliquent aux exercices clos à compter du 31 décembre 2010, cependant ils ne s’appliquent pas pour les emprunts qui auraient été souscrits antérieurement au 1er janvier 2011. Par ailleurs, il faut mentionner que bien qu’elle soit déjà encadrée par ces deux mécanismes que sont l’amendement Charasse (art. 223 B du CGI) et le dispositif anti sous-capitalisation (art. 212, II du CGI), la question des charges financières suscite toujours autant d’intérêt et d’interrogations. D’autant plus que le législateur a introduit, lors de l’adoption de la 4e loi de finances rectificative pour 2011 du 28 décembre 2011, un nouveau dispositif de limitation de la déductibilité des charges financière relatives à l’acquisition de titres de participation, codifié à l’article 209 IX du CGI. c) Le nouveau dispositif de l’amendement Carrez Au lendemain de cette réforme, auteurs et praticiens s’interrogent sur l’impact que pourrait avoir ce mécanisme sur les acquisitions à effet de levier réalisées en France. L’administration a publié le 16 mars dernier, un projet d’instruction précisant ce dispositif. Cette disposition s’inscrit dans un contexte de lutte contre les schémas abusifs et les dissociations entre l’apparence juridique, incarnée par des rattachements artificiels, et la réalité économique. L’hypothèse de l’intégration fiscale et du caractère parfois excessif de réduction de l’assiette imposable qui peut en résulter, étant notamment visée. Dans un premier temps l’administration a tenté de se placer sur le terrain de l’abus de droit (cf. infra) pour lutter contre ces phénomènes16, mais cela a été un échec notamment en ce que une réponse positive serait susceptible de causer l’effondrement de l’ensemble des opérations d’acquisition avec effet de levier. C’est pour y remédier que le législateur est intervenu en introduisant une disposition anti-abus spécifique. Le dispositif prévoit la réintégration d’une quote-part forfaitaire des charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation par une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés dans le cas où celle-ci ne peut démontrer que les décisions relatives à ces titres sont effectivement prises par elle (ou par sa société mère ou une société sœur établies en France) et, lorsque le contrôle ou une influence est exercé sur la société cible, que ce contrôle 16 e TA Montreuil 16 juin 2011, 1 ch., Sté Nordstrom European Capital Group n° 0905509 et 1007116 31 ou cette influence est effectivement exercé par elle ou par une société du même groupe. La réintégration peut cependant être dispensée dans trois hypothèses17. Si ces dispenses ne sont pas invocables, la société redevable devra rapporter la preuve que les décisions relatives à l’acquisition (le projet d’instruction précise que sont également visées les décisions de cession, de nantissement, de prêt ou de mise en location) et à l’exercice d’un contrôle ou d’une influence, sont prises par elle ou par une société la contrôlant (au sens de l’article L233-3 I du code de commerce), ou par une société sœur (le projet d’instruction relève dans cette hypothèse que la société mère peut être établie en France) établies en France. Certains praticiens se demandent, si la société mère étrangère qui prend les décisions peut être considérée comme établie en France pour les besoins de l’article 209 IX, si elle a un établissement en France. Même si le projet d’instruction demeure silencieux, on peut penser que l’administration répondra par la négative. En l’absence de société mère ou sœur établie en France et qui prendrait ces décisions, la société détentrice des titres doit démontrer qu’elle constitue un centre de décisions autonome, qu’elle prend effectivement les décisions visées18. Cette preuve pouvant être rapportée par le biais d’un faisceau d’indices. En principe le dispositif est destiné à lutter contre les schémas abusifs permettant à des groupes étrangers de loger artificiellement de l’endettement en France et consistant en l’acquisition de titres de sociétés étrangères, par l’intermédiaire de holdings françaises, endettées en vue de cette acquisition. Cette idée ressort notamment des débats parlementaires, dans lesquels le député Gilles Carrez, auteur de l’amendement, avait cité pour exemple l’acquisition d’une société allemande ou tchèque par une entreprise américaine. Le projet d’instruction se réfère également aux débats parlementaires. Cependant l’article 209 IX vise l’acquisition de titres de participations, sans indiquer le lieu d’établissement de la société cible. Dès lors les acquisitions de titres de sociétés françaises ne sont pas automatiquement exclues du champ d’application du dispositif. Cela laisse donc penser que des schémas de LBO français pourraient être concernés, et cette disposition pourrait constituer un frein à l’implantation de ce type de montage en France dès lors que les conditions permettant d’échapper à la réintégration ne seraient pas réunies. Ces conditions seraient d’autant plus difficiles à rapporter, que le plus souvent, dans les montages mis en place par des investisseurs étrangers, les décisions sont prises en amont par ces repreneurs et investisseurs étrangers, et non par la holding elle-même, qui ne constitue alors qu’un intermédiaire. Les investisseurs sont également souvent partis à un pacte d’actionnaires par lequel ils peuvent s’opposer à la libre cession des titres par la holding. Cependant la holding pourra toujours tenter de prouver qu’elle est un centre de décision autonome. Par ailleurs, la solution est encore incertaine et il faudra attendre la publication de 17 Lorsque la valeur totale des titres de participation est inférieure à 1 million d’euros (l’ensemble des titres de participation qu’ils ouvrent ou non droit à déduction sont pris en compte, ce qui limite cette possible dispense) ; lorsque l’entreprise apporte la preuve que l’acquisition des titres de participation n’a pas été financée par des emprunts dont elle ou une autre société du groupe supporte les charges ; lorsque le ratio d’endettement du groupe est supérieur ou égal à son propre ratio d’endettement. 18 Le projet d’instruction précise que tel n’est pas le cas lorsque les droits associés à la qualité de propriétaire sont excessivement limités. 32 l’instruction définitive, qui devrait intervenir au mois de juillet, en espérant que l’administration se prononce sur cette question. Dans l’hypothèse où ce dispositif s’appliquerait aux LBO français, il faut noter que ce nouveau dispositif s’applique prioritairement aux dispositifs de lutte anti sous-capitalisation et de l’amendement Charasse. Ainsi il faut procéder en deux étapes pour déterminer le montant des charges financières déductibles. En premier lieu, il faut déterminer s’il existe de tels frais afférents à l’acquisition de titres de participations réputés non déductibles en application de l’amendement Carrez. Il s’agit ensuite d’appliquer, si elles jouent, les dispositions de l’article 212, II ou de l’article 223 B du CGI, le montant des charges à retenir pour l’application de ces dispositions étant minoré des frais non déductibles en vertu de l’article 209, IX du CGI. A cet inconvénient de l’éventuelle limitation de la déductibilité des charges financières, s’ajoute la menace de sanctions fiscales dans l’hypothèse où les acteurs du montage LBO ne se montreraient pas assez prudents dans leur recherche d’une optimisation maximale. 2- La menace de sanctions fiscales Comme cela a été vu dans la première partie, dans l’hypothèse où les conditions nécessaires à l’intégration fiscale ne peuvent être réunies, certaines opérations telles que la fusion rapide entre la holding et la cible, l’utilisation d’une holding impure ou la transformation de la cible en une SNC, présentent l’avantage de pouvoir imputer les charges de la holding sur les recettes de la cibles. Cependant de telles opérations présentent un risque de remise en cause par l’administration fiscale, sur le fondement de l’abus de droit ou de l’acte anormal de gestion. a) La procédure de l’abus de droit La procédure de l’abus de droit figure à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF), récemment modifié par une réforme de 2009, codifiant la position du Conseil d’Etat prise dans un arrêt Janfin du 27 septembre 2006. Cette procédure permet à l'administration d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit. Répondent à cette définition les actes ayant un caractère fictif, ainsi que les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'abus de droit est sanctionné par l'application d'un intérêt de retard à 0,40 % par mois visé à l’article 1727 du CGI et d'une majoration égale à 80 % des droits mis à la charge du contribuable lorsqu'il est établi que celui-ci a été le principal initiateur ou le principal bénéficiaire des actes abusifs et à 40 % lorsque cette preuve n'est pas apportée. 33 Les juges administratifs ont eu l’occasion de se prononcer récemment19, considérant que n'est pas constitutive d'un abus de droit l'opération de LBO consistant pour une holding à financer l'acquisition d'une société cible par voie d'emprunts remboursés grâce aux dividendes qui seront versés par cette société. L’opération de LBO n’est pas par essence constitutive d’un abus de droit. Cependant certaines opérations qui viendraient s’ajouter à un « LBO classique » doivent faire l’objet d’une particulière vigilance de la part de leurs auteurs. Il peut en être ainsi d’une opération de fusion postérieure à l’acquisition de la cible. Ainsi il convient de s’interroger dans un premier temps sur le caractère fictif éventuel. Celuici ne semble pas pouvoir être retenu dès lors que la constitution régulière de la holding et la réalisation de la fusion conformément aux règles de droit en vigueur constituent de véritables opérations. L’interrogation portera plus sur le but exclusivement fiscal ou non de l’opération. Cependant cette preuve sera souvent difficile à rapporter pour l’administration en ce que d’autres intérêts, notamment financiers sont pris en compte. Par ailleurs la cour administrative d’appel de Lyon20, dans la seule décision rendue sur cette question, a écarté la qualification d’abus de droit tout comme celle de l’acte anormal de gestion, notamment en ce que des arguments économiques et financiers pouvaient être avancés pour justifier la fusion. Au risque de l’abus de droit, s’ajoute pour les dirigeants la menace de l’acte anormal de gestion. b) L’acte anormal de gestion S’il existe un principe de non immixtion de l’administration dans la gestion des entreprises, elle ne peut critiquer la qualité ou les résultats de la gestion, l’opportunité de celle-ci. Cependant les dirigeants ne peuvent pas non plus faire n’importe quoi. C’est pourquoi la jurisprudence a mis en place au fil du temps la théorie de l’acte anormal de gestion. Un acte de gestion anormal s’entend généralement d’un acte qui met une dépense ou une perte à la charge de l'entreprise ou qui prive cette dernière d'une recette et qui ne répond pas à l’intérêt de celle-ci. En cas de redressement, les conséquences fiscales pourraient être lourdes. En effet les bénéfices de l’entreprise, en l’espèce la cible, sont alors rehaussés du montant des charges indues ou du manque à gagner injustifié. Et le bénéficiaire, la holding, sera imposé sur le montant de ces avantages. Si l’administration y voit une distribution irrégulière de bénéfices, elle sera imposable sur 125 % de son montant (art. 158, 7-2° CGI). Ainsi les acteurs d’un LBO dans leur poursuite de l’optimisation fiscale devront éviter de franchir la frontière de ce qui est toléré, et tomber dans l’acte anormal de gestion. La fusion rapide qui suivrait la création d’une holding de reprise et l’acquisition de la cible, ne doit pas constituer une opération déséquilibrée pour la société cible, elle doit présenter des contreparties qui soient suffisantes. Une fois encore la qualification retenue dépendra des circonstances de l’espèce. Ainsi une telle fusion ne devrait pas être remise en cause par l’administration sur ce terrain là, dès lors que l’opération, qui présente un intérêt fiscal ne consiste pas uniquement en une réorganisation de la structure pour bénéficier d’un profit 19 CE, 27 janvier 2011, n° 320313 (pour une opération d’ « owner’s buy out »(OBO) ) ; TA Montreuil 16 juin 2011 (cf. supra) 20 CAA Lyon, 26 mai 1992, n° 90-102 et 90-110 34 immédiat pour les actionnaires de la société absorbante. Mais qu’elle permette la pérennité, le développement de l’entreprise nouvelle, un renforcement de la situation économique. Dans les deux hypothèses de l’abus de droit et de l’acte anormal de gestion, les acteurs pour réduire au mieux les risques de contestation pourront solliciter l’avis de l’administration par le biais d’une demande de rescrit, et auront intérêt à ne pas opérer la fusion immédiatement après l’acquisition sous peine d’éveiller les soupçons d’optimisation fiscale et de provoquer des contestations. De même, la mise en place d’une animation dans la holding, peut faire l’objet de contestations. Les services rendus par la holding impure devront dès lors présenter un intérêt pour la société cible et ne pas être facturés à un prix excessif pour éviter une remise en cause sur le fondement de l’acte anormal de gestion. Conclusion Si la législation française, sur certains de ses aspects, ainsi que la compétitivité de ses entreprises demeurent en soi un facteur d’attraction pour les investisseurs et repreneurs, on observe un déclin du volume de LBO réalisés en France. Ce qui est d’ailleurs confirmé par les récentes statistiques, la France n’occupant que le 5e rang européen en termes de valeur des LBO réalisés sur le territoire français. Cela s’explique en partie par la crise actuelle, cependant celle-ci est mondiale et peu d’Etats sont épargnés. L’autre facteur décisif de cette attractivité déclinante réside dans certaines dispositions législatives, tels qu’un taux très important de détention exigé pour opter pour le régime d’intégration fiscale, quand dans d’autres Etats le taux visé n’est que de 50% contre 95% en France. Les récentes dispositions limitant la déductibilité d’intérêts d’emprunt peuvent également constituer un frein pour les investisseurs étrangers. La situation pourrait par ailleurs « s’aggraver » au lendemain de l’élection présidentielle, le secteur financier étant particulièrement attentif aux futures réformes fiscales qui pourraient être votées. Le président nouvellement élu avait notamment suscité une certaine crainte au cours de sa campagne, évoquant l’idée de réserver le mécanisme des LBO aux seuls salariés et cadres des entreprises qui en feraient l’objet. Ce qui a provoqué une levée de boucliers par nombre d’acteurs issus de tous domaines, considérant que les LBO, tant qu’ils ne constituent pas des schémas abusifs, sont nécessaires au développement des PME françaises par l’apport des capitaux propres qu’ils génèrent. Hervé Schrike, le président de l’Association française des investisseurs en capital (l’Afic) rappelle ainsi que « les bénéfices des LBO sont importants pour l’économie française même si certains cas individuels ont pu donner l’impression à l’opinion publique qu’ils étaient contraires à l’intérêt social des entreprises et des salariés ». Cependant cette idée ne figure finalement pas dans le programme actuel du nouveau président. 35 Bibliographie : Ouvrages -COZIAN Maurice, DEBOISSY Florence. Précis de fiscalité des entreprises. Litec fiscal, 2010/2011. -ALBOUY Michel, Bonnet Christophe. OPA, OPE et LBO. Economica, 2008. -GOUTHIERE Bruno, CHARVERIAT Anne, BEETSCHEN Ariane, BARDET Henri. Les holdings, guide juridique et fiscal. Francis Lefebvre, 2010. -Collectif Francis Lefebvre, Mémento pratique Fiscal. Francis Lefebvre, 2012. -Collectif Francis Lefebvre, Mémento pratique Groupe de sociétés. Francis Lefebvre, 2012. -VERNIMMEN Pierre, QUIRY Pascal, LE FUR Yann. Finance d’entreprise. Dalloz, 2011. -COZIAN Maurice, VIANDIER Alain, DEBOISSY Florence. Droit des sociétés. Litec, 2011. Articles -DEMARLE Xavier. « LBO : une activité européenne archi-dominée par le Royaume Uni ». Capital finance n°1062, 14 mai 2012. -« Note on LBO ». Center for Private Equity and Entrepreneurship, Tuck School of Business at Dartmouth, September 30, 2003. -PONTHUS Julien, VEY Jean Baptiste, édité par RODRIGUEZ Dominique. « France-Les LBO survivront à la victoire de Hollande, estime l’Afic ». Article disponible sur : http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL5E8GM92B20120522 -MASOERO Michel, DESURMONT Laëtitia. « Les limites des LBO ». 27 janvier 2009. Article disponible sur : http://www.village-justice.com/articles/limites-Michel-MasoeroLaetitia,4881.html Autres -Conférence petit déjeuner IACF. « La déduction des charges financières et l'acquisition de titres de participation ». Paris, 30 mai 2012. 36