Une économie en quête de solidarité – ALC – 1er juin 2012

Une économie en quête de solidarité ALC 1er juin 2012
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Une économie en quête de solidarité
Journée de réflexion A.L.C
Nice
1er Juin 2012
Philippe Langevin
Maître de conférences
Aix-Marseille Université
Une économie en quête de solidarité ALC 1er juin 2012
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Une économie en quête de solidarité
Journée de réflexion A.L.C.- Nice 1° Juin 2012
Philippe Langevin
Maître de conférences
Aix-Marseille Université
La situation économique et sociale actuelle dans les grands pays et notamment en France est
marquée par la montée de graves inégalités qui remettent en cause l’idée même de cohésion
sociale. Les travailleurs sociaux sont au cœur de cette situation et doivent faire face à des
situations individuelles ou collectives de grande tresse sans pouvoir agir sur les désordres
du monde qui en sont à l’origine. Les crises successives qui marquent notre temps invitent à
savoir changer de modèle. Elles traduisent en effet des mutations lourdes dont personne ne
peut prévoir les conséquences économiques et sociales et annoncent un monde au destin
incertain. Plus que jamais, une réflexion collective s’impose pour une construction collective
et citoyenne d’un ordre nouveau.
Cette contribution rappelle les conditions de ces ruptures. Elle souligne les grands
mouvements de la société française et l’évolution du travail social qui passe d’une dimension
réparatrice à une dimension constructive. Elle trace le cadre des changements à opérer pour
construire une économie de la solidarité.
1-La fin des certitudes économiques
1-Du temps de la croissance Keynésienne
Les économies occidentales traversent une crise profonde qui remet en cause l’efficacité de
leurs politiques économiques et sociales. Au moment des 30 glorieuses, et notamment dans
notre pays, dans ce qui fût le « modèle français », la mise en place d’institutions spécifiques
(et notamment de la sécurité sociale) a permis de protéger de la maladie, des charges
familiales et plus tard du chômage l’ensemble de la population dans une conjoncture de
croissance soutenue et d’un modèle unique de développement construit sur l’industrie, la
société de consommation et l’engagement collectif sur des valeurs de partage et de solidarité.
Au niveau politique, l’économie Keynésienne était celle d’un Etat responsable des grands
équilibres macro- économiques et outillé pour conduire des politiques de croissance dont tout
un chacun devait bénéficier. Des politiques structurelles (industrielles, agricoles, des revenus,
d’aménagement du territoire…) aux mesures conjoncturelles de stabilisation ou de relance,
tout un ensemble d’interventions permettaient à la puissance publique de conduire le pays
vers une prospérité partagée. Le secteur public était le fer de lance de la modernisation. Le
plein emploi était la règle, l’accès à la consommation la référence et les conquêtes sociales
conduites par un syndicalisme fort dans une démocratie sociale partagée. La pauvreté était
considérée comme résiduelle, affectant provisoirement des ménages bien cernés (personnes
âgées, immigrés, familles nombreuses) dont les conditions de vie ne pouvaient que
s’améliorer avec un peu plus de croissance, référence collective du progrès, si ce n’est du
bonheur.
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2-Du temps des crises
1973 : Premières ruptures, la remis en cause de l’Etat Providence ou la victoire de la
liberté sur la solidarité
Ces temps, tout n’était pas merveilleux pour tous, sont derrière nous. Une première crise
dans les années 73-75 a brutalement remis en cause ce modèle trop simple pour être définitif.
Ses origines sont complexes. Ses conséquences furent redoutables. En quelques mois, la chute
de la croissance et la montée du chômage n’ont pu être combattues par des interventions
publiques autrefois efficaces. L’économie était devenue internationale et les politiques
nationales peu efficaces. Les gains de productivité considérables du secteur industriel et
agricole ont limila création d’emplois alors que la population active augmentait fortement
avec l’arrivée sur le marché du travail des nouvelles nérations du baby boom et
l’accroissement continu de l’activité féminine. Toutes les tentatives pour relancer une
économie ralentie n’ont pas pu restaurer la confiance est les « dégâts du progrès » se sont
traduits par des mécanismes d’exclusions affectant des ménages que rien ne prédisposait à
une précarité croissante. Les inégalités de conditions de vie ont fortement augmenté alors
même que la fin des grands engagements collectifs et la société du chacun pour soi remplaçait
progressivement le partage de l’intérêt général. De plus, la remise en cause d’une économie
normative (1968), la fin du système du système financier international (1971) et la prise en
compte du caractère limité des ressources naturelles ( club de Rome de 1972), remettaient en
cause les fondements mêmes du système Keynésien.
Et, progressivement, nous sommes passés d’un modèle unique à un autre par une économie
désormais libérale et la remise en cause des charges induites par un Etat estimé trop
interventionniste : le refus de l’impôt et la valorisation des initiatives individuelles ont ainsi
remplacé un grand nombre de politiques publiques. Ce fût la victoire de la liberté sur la
solidarité. Ni la politique industrielle des années 75-80 de développement de la filière
nucléaire, ni les nationalisations des années 81 conduites par la gauche arrivée au pouvoir, ni
le démantèlement du contrôle des changes en 1986 ne sont parvenus à relacer l’économie. Les
frontières nationales s’estompent. La tournant est dans les années 92-93 avec la ratification de
justesse des accords de Maastricht, la remise en cause de l’indépendance de la Banque de
France (1993) et le caractère devenu institutionnel de la contrainte extérieure qui limite le
déficit budgétaire à 3% du PIB.
Et, des années 1980 aux années 2006, dans une conjoncture maussade faible en croissance et
pauvre en résultats, les vingt piteuses ont succédé aux trente glorieuses. Le désengagement de
l’Etat concerne tout à la fois la planification, la politique industrielle, la libération des prix et
des activités financières. Les entreprises publiques ouvrent leur capital au secteur privé. Les
monopoles et les services publics sont remis en cause. La France est banalisée dans un monde
incontrôlable. La décentralisation initiée en 1982 s’analyse davantage comme une
reconnaissance de l’incapacité des politiques nationales à rétablir une société de progrès
économique et social que comme une volonté de donner aux collectivités locales davantage de
libertés. Pendant ce temps d’incertitudes et d’expérimentations marqué notamment par le
passage de l’intégration à l’insertion et du droit à l’emploi au droit à l’activité, la
mondialisation de l’économie change complètement les règles du jeu. Un marché mondial des
biens et des capitaux enlève aux Etats Nations toute capacité d’intervention significative.
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2007-2008 : deuxième rupture, crise financière et bancaire dans la mondialisation ou les
conséquences de la cupidité
La place occupée par les pays émergents, en fort développement, annonce le déclin des Etats-
Unis et de la « vieille Europe » et, en l’absence de toute autorité de régulation financière
internationale, dans un contexte général de libéralisation des mouvements de capitaux, une
nouvelle économie financière remplace progressivement la souveraineté des Etats-Nations.
Une épargne mondiale considérable en quête de placements avantageux construit une
économie de rentiers alors que les différentiels en termes de coûts du travail justifient des
délocalisations industrielles redoutables pour les territoires concernés.
La rupture démographique traduite par le vieillissement de la population menace l’équilibre
de la Sécurité Sociale et, avec lui, du modèle social, complément du modèle économique.
Ce modèle a perduré jusqu’au moment où les banques n’ont plus pu faire face à leurs
engagements et se sont rendues compte que certains de leurs clients, insolvables, ne les
rembourseraient jamais. La technique de la titrisation rend opaque et risquée un marché de la
dette en expansion. Les années 2007-2008 sont celles de la deuxième grande crise de l’après
guerre
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annoncée par le crise des subprimes aux Etats- Unis et des faillites retentissantes
(Lheman Brothers) qui ont mis à jour des pratiques de traders assimilant la spéculation à de la
bonne gestion. De financière et américaine, la crise est rapidement devenue mondiale et
économique, puis sociale, avec la fermeture d’entreprises performantes privées de tout crédit
bancaire. Une croissance faible installait dans ce même temps les sociétés autrefois riches
dans un sous- emploi devenu structurel, les inégalités atteignant un niveau inconnu
jusqu’alors. La crise a été provisoirement surmontée par des injections massives de liquidités
par les banques centrales et des politiques publiques d’appui aux secteurs les plus affectés
(bâtiment, constructions automobiles…), d’ailleurs dans le plus grand désordre. Le passage du
G 7 au G 20 marquait dans ce même temps la reconnaissance des pays émergents dans
l’équilibre du monde.
2010-2012 : troisième rupture, crise de l’endettement des banques et des Etats ou la
sacralisation des agences de notation
Mais le répit fût de courte durée. Rapidement la dette souveraine a atteint des niveaux
incompatibles non seulement avec les accords internationaux (traité de Maastricht en Europe)
mais aussi avec les marges de manœuvre des politiques économiques devenues mondiales. Et
les années présentes (2010-2012) sont celles d’une troisième crise dont personne ne peut
prévoir l’issue. Les Etats doivent faire face à des taux d’intérêt très élevés pour financer leurs
déficits. Les agences de notation deviennent, par leurs appréciations des situations nationales,
de nouveaux acteurs de l’économie mondiale. Certains pays, et notamment en Europe la
Grèce, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie sont dans l’obligation d’instaurer des politiques d’austérité
pour pouvoir rembourser leurs dettes, ce qui grade leur marché du travail et les conditions
de vie de leurs habitants. Les appréciations des agences de notation déterminent les taux
d’intérêt qui s’envolent pour de nombreux pays qui doivent emprunter pour couvrir leurs
déficits. Les accords de Maastricht volent en éclat.
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Alternatives économique- La crise- Avril 2010
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Beaucoup d’économistes et de responsables politiques se retrouvent alors pour estimer que
cette crise n’en est pas une mais traduit une formidable mutation vers un monde nouveau dont
aucun ne peut raisonnablement dessiner les contours. Certains évoquent même un temps
comparable à celui de la Renaissance en Europe.
2-Les nouveaux contours la société française
Pendant que l’Europe et les Etats- Unis s’enfoncent dans la crise, la société Française évolue.
Elle sort des cadres établis du temps des 30 glorieuses et éloigne les perspectives d’une
société apaisée. Les inégalités de toute nature s’accroissent, les écarts de conditions de vie
s’amplifient entre les protégés et les exposés, ceux qui ont un emploi ou un logement et ceux
qui n’en ont pas, les hauts salaires et les bas revenus. Les travailleurs sociaux doivent faire
face à de nouveaux défis.
1-Les modes de vie transforment la société
Pour le sociologue Jean Viard
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, c’est la durée des vies qui a le plus changé notre société, avec
une augmentation de 25 ans de l’espérance de vie en un siècle alors que la durée du travail
diminuait des 2/3 pendant ce même temps. Le temps libre, hors travail et hors sommeil a ainsi
été multiplié par 4. Aujourd’hui, 12% du temps vécu est consacré au travail. De ce fait, le
temps libre est devenu, comme le seul travail autrefois au bureau ou à l’usine, producteur de
liens sociaux, de richesse, de mobilités et d’organisation du territoire. Le lien social se
développe dans la sphère privée et se perd dans celle de la production. Une nouvelle culture
de la mobilité se traduit par l’accroissement des déplacements domicile- travail. Les actifs
recherchent un emploi en fonction de leur lieu de vie, et non l’inverse. Les retraités
choisissent d’habiter en province et transforment leur résidence secondaire en résidence
principale. Les régions du sud sont les plus attractives, même si ce ne sont pas les plus
dynamiques économiquement. Une économie résidentielle se construit sur les services à la
population la qualité de la vie l’emporte sur l’insertion professionnelle. Mais cette société
du bonheur privé ne doit masquer que le quart de la population n’y accède pas. Les personnes
âgées à faibles revenus, les ménages composés d’une seule personne, la population immigrée,
les demandeurs d’emploi de longue durée, les titulaires d’emplois précaires, les victimes des
délocalisations, les familles monoparentales n‘ont pas capacité à choisir leur mode de vie.
2-Les classes sociales sont de retour
Sans doute a-t-on pu croire que la disparition des classes sociales était la conséquence logique
d’un enrichissement général vers une moyenne élevée, les inégalités de statut et de talents
compensées par des mesures actives de redistribution, la classe ouvrière disparaissant peu à
peu et la bourgeoisie condamnée par l’histoire. La lutte des classes serait terminée avec
l’essor des couches moyennes. Cette hypothèse n’est pas confirmée par les faits
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. La
fragmentation du tissu social et le brouillage des frontières affectent toutes les catégories qui
regroupent des situations très contrastées. Les ouvriers n’ont pas disparu ; ils sont de moins en
moins à l’usine mais nombreux dans le bâtiment, les services, l’artisanat, la maintenance ou la
manutention. Les employés, devenus première catégorie socio- professionnelle, occupent un
grand nombre d’emplois dans tous les secteurs :agents de bureau, bien sûr, mais aussi agents
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Jean Viard « Nouveau portrait de la France » L’aube- 2012
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Sciences Humaines N° 237- Qui sont les Français ? Mai 2012
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