FICHE PÉDAGOGIQUE
II
Document 2
INCORPORÉ DE FORCE DANS LA DIVISION « DAS REICH »
Né le 13 mars 1926 à Mulhouse, Maurice Stotz passe le
certificat d’études primaires à douze ans et se trouve apprenti
mécanicien quand la guerre commence en 1939. Comme les
autres garçons de son âge il est enrôlé en 1943 dans le RAD
(Reichsarbeitsdienst), une sorte de préparation militaire, à
l’aérodrome de Liegnitz en Prusse orientale. Cette formation
accomplie, il revient à Mulhouse en janvier 1944, mais peu
après, c’est l’incorporation de force. Il raconte son histoire.
« La classe 1926 a été rassemblée au lycée de jeunes filles à
Mulhouse. Là, nous avons été obligés de signer une feuille
portant les runes SS. Tous nous avons refusé d’apposer notre
signature. Nous avons été gardés jusqu’à minuit et battus.
Pour pouvoir rentrer chez nous, finalement nous avons signé.
Le lendemain, après avoir obtenu un rendez-vous, je suis allé
chez le chef militaire de Mulhouse. Ma plainte fut notée et
promesse me fut faite de me libérer de ma signature obtenue
sous la contrainte. Cela par écrit ; malgré cet écrit, je fus enrôlé
de force dans la Waffen SS le 4 février 1944. Le chef allemand
dans la région de Mulhouse m’avait menti. Nous étions environ
950 Alsaciens enrôlés de force.
Après le départ de la gare de Mulhouse, nous avons sorti
et agité des drapeaux français, que nous avions sur nous,
dissimulés. Lors des arrêts du train, et jusqu’au passage du
Rhin à Strasbourg, nous chantions la Marseillaise.
Nous sommes arrivés à Stablach, près de Koenigsberg, où
après avoir reçu les uniformes, pendant trois semaines, ils
nous ont torturés pire que des ennemis. Cela en représailles
de nos comportements après le départ de Mulhouse.
Après la formation militaire, nous avons été mis dans des
wagons à bestiaux. Après neuf jours de voyage, nous sommes
arrivés à Langon (Gironde). […]
Ils nous ont rassemblés et questionnés sur notre spécialité.
Puisque j’avais le brevet de mécanicien, j’ai été mis dans une
compagnie de transport.
Avec nos sacs, nos armes, nous avons dans la nuit marché
jusqu’à Arbenats, parcourant ainsi vingt kilomètres. À la fin,
nous étions épuisés et nous nous traînions. Pendant deux
jours nous avons ressenti cette grande fatigue ; c’est alors
que j’ai été muté dans la première SS Pioner, Bataillon 2 Das
Reich […]
Le 8 juin 1944, nous avons reçu l’ordre de nous diriger vers la
Normandie où avait eu lieu le débarquement le 6 juin 1944.
Je roulais en dernière position, afin de dépanner les
chenillettes. Ce déplacement fut très dangereux, car après
les dépannages une seule chenillette nous protégeait. Dans
les environs de Tulle, les partisans nous ont attaqués. Ils
avaient abattus plusieurs arbres sur la route. Nous avons
donc dû revenir vers Tulle. Autre attaque, une vingtaine de
balles atteignirent mon véhicule. Cette nuit-là nous avons
couché à Tulle, ne sachant pas que la nuit précédente, les
FFI maquisards avaient attaqué l’hôpital où étaient des
Allemands blessés. En représailles, les Allemands ont pendu
de nombreux maquisards.
Le 10 juin 1944, nous sommes passés près d’Oradour-sur-
Glane, où avait eu lieu le terrible massacre. Je pense qu’il
était dû à une intervention sur notre chef de compagnie et à
d’autres attaques sur les troupes allemandes. Heureusement,
notre chef, commandant la deuxième compagnie ne fut pas
désigné pour effectuer le massacre.
Après quelques jours, nous sommes arrivés en Normandie.
Nous ne pouvions rouler que la nuit. Le jour, les Alliés nous
mitraillaient et nous bombardaient avec leurs avions. La
journée, nous étions camouflés dans les chemins peu éloignés
de la route empruntée. Des branches coupées et mises sur
les véhicules empêchaient les aviateurs de nous voir. Nous
sommes arrivés en Normandie dans des lieux dont nous ne
connaissions pas le nom. Toutes les nuits, nous avancions
dans les premières lignes afin de récupérer les blessés, les
morts, les chenillettes et autos-mitrailleuses endommagées.
[…]
Arrivés près d’Oissel, le pont vers Rouen était endommagé :
nous avons été ralentis. Dans une maison j’ai confié à des
civils ma situation d’Alsacien incorporé de force et mes désirs
de déserter. Furent-ils dubitatifs ? Ils m’invitèrent à revenir le
lendemain matin. Je demandai à René Lambert de venir avec
moi. Il a longtemps hésité car c’était un ancien, il était marié
et avait deux enfants. Après plusieurs minutes, il a accepté.
Nous avons mis nos bleus de travail, et discrètement nous
sommes partis. J’ai retrouvé la maison, mais elle était vide.
Les gens avaient eu peur. Entre-temps, nous avions dissimulé
nos armes et nos papiers près d’un arbre, dans un trou que
nous avons comblé.
Le jour précédent, j’avais remarqué une maisonnette de jardin
dont la cheminée fumait. Mon copain René eut peur et se
cacha dans un fossé. J’ai frappé à la porte, une voix féminine
m’a demandé ce que je voulais. J’ai alors répondu : « nous
sommes deux Alsaciens déserteurs de l’armée allemande et
nous cherchons un refuge ». De suite, une femme m’a ouvert
la porte et m’a dit que les hommes étaient absents, car dans le
maquis. Elle m’a donné de suite des habits de son mari. Je suis
allé chercher René à qui elle donna également des vêtements.
Dans cette maisonnette, il y avait deux femmes, deux filles,
un garçon et une grand-mère. Nous nous sommes retrouvés
à huit personnes. Un peu plus tard, nous avons entendu des
Allemands parler devant la maison. C’étaient des soldats de
notre compagnie. La femme nous a dit de nous coucher sous le
matelas, et les filles et la grand-mère se sont couchées dessus.
Les Allemands entrèrent et ne trouvèrent rien d’anormal et
repartirent. Une fois encore, j’étais sauvé. Ces personnes qui
nous sauvèrent se nommaient Saegart et étaient d’Oissel » […]
Après trois jours, les maris des femmes reviennent de nuit
et emmènent les deux Alsaciens fugitifs qui sont finalement
admis chez les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur). Les
voilà qui combattent à présent les Allemands jusqu’à la
libération du territoire français. Ils repassent par Mulhouse
et s’engagent dans la 4ème Division marocaine de montagne,
franchissent le Rhin à Strasbourg et poursuivent l’armée
allemande en déroute jusqu’à la frontière autrichienne
risquant à plusieurs reprises de se faire reprendre par les SS.
Ce n’est que le treize nouvembre 1945 que Maurice Stotz sera
démobilisé à Grenoble. Il était alors âgé de dix-neuf ans et
huit mois.
Témoignage de Maurice Stotz,
propos recueillis en 2012 par Jean Bézard