F ICHE PÉDAGOGIQUE Malgré-nous en terre normande E XERCICE DE RECHERCHE DOCUMENTAIRE Document 1 LA LIBÉRATION DE LA FRANCE Le 6 juin 1944, c’est le débarquement en Normandie. Les troupes du Reich hitlérien affectées à la défense du Mur de l’Atlantique sont décimées sous la violence du choc. Ordre est donné aux soldats allemands (Wehrmarcht et surtout SS, dont la division « Das Reich ») qui stationnent dans le sud-ouest de venir renforcer la défense en Normandie contre les Alliés. En même temps dans toute la France, les maquis et les réseaux de sabotage qui attendaient le débarquement s’activent pour barrer la route à ces renforts parmi lesquels se trouvent des incorporés de force alsaciens et mosellans. Les affrontements qui sont sanglants et les pertes qui sont lourdes entravent les mouvements des troupes allemandes et créent dans leurs rangs un sentiment d’insécurité permanent. Elles ripostent par d’horribles massacres de civils, véritables crimes de guerre qui jalonnent leur itinéraire : Tulle, Oradour-sur-Glane, Maillé… Une grande partie de la France, faiblement occupée se libère elle-même. C’est dans ce contexte que le 15 août, la VIIème armée américaine et la Ière armée française du général de Lattre de Tassigny débarquent en Provence, prennent Toulon et Marseille, remontent la vallée du Rhône, libèrent Lyon et font leur jonction en Bourgogne avec les forces venues de Normandie. La division Leclerc entre le 25 août dans Paris qui s’est soulevé, traverse les Vosges et s’empare de Strasbourg… La victoire finale est en marche. Mais que deviennent les incorporés de force piégés dans ce désastre allemand ? Beaucoup, hélas, tombent sur les champs de bataille, d’autres refluent avec la débâcle allemande, d’autres sont faits prisonniers, d’autres réussissent à déserter au péril de leur vie, mais sont efficacement soutenus par les populations locales. C’est à cette dernière catégorie que nous consacrons ces exercices pédagogiques. I F ICHE II PÉDAGOGIQUE Document 2 INCORPORÉ DE FORCE DANS LA DIVISION « DAS REICH » Né le 13 mars 1926 à Mulhouse, Maurice Stotz passe le certificat d’études primaires à douze ans et se trouve apprenti mécanicien quand la guerre commence en 1939. Comme les autres garçons de son âge il est enrôlé en 1943 dans le RAD (Reichsarbeitsdienst), une sorte de préparation militaire, à l’aérodrome de Liegnitz en Prusse orientale. Cette formation accomplie, il revient à Mulhouse en janvier 1944, mais peu après, c’est l’incorporation de force. Il raconte son histoire. « La classe 1926 a été rassemblée au lycée de jeunes filles à Mulhouse. Là, nous avons été obligés de signer une feuille portant les runes SS. Tous nous avons refusé d’apposer notre signature. Nous avons été gardés jusqu’à minuit et battus. Pour pouvoir rentrer chez nous, finalement nous avons signé. Le lendemain, après avoir obtenu un rendez-vous, je suis allé chez le chef militaire de Mulhouse. Ma plainte fut notée et promesse me fut faite de me libérer de ma signature obtenue sous la contrainte. Cela par écrit ; malgré cet écrit, je fus enrôlé de force dans la Waffen SS le 4 février 1944. Le chef allemand dans la région de Mulhouse m’avait menti. Nous étions environ 950 Alsaciens enrôlés de force. Après le départ de la gare de Mulhouse, nous avons sorti et agité des drapeaux français, que nous avions sur nous, dissimulés. Lors des arrêts du train, et jusqu’au passage du Rhin à Strasbourg, nous chantions la Marseillaise. Nous sommes arrivés à Stablach, près de Koenigsberg, où après avoir reçu les uniformes, pendant trois semaines, ils nous ont torturés pire que des ennemis. Cela en représailles de nos comportements après le départ de Mulhouse. Après la formation militaire, nous avons été mis dans des wagons à bestiaux. Après neuf jours de voyage, nous sommes arrivés à Langon (Gironde). […] Ils nous ont rassemblés et questionnés sur notre spécialité. Puisque j’avais le brevet de mécanicien, j’ai été mis dans une compagnie de transport. Avec nos sacs, nos armes, nous avons dans la nuit marché jusqu’à Arbenats, parcourant ainsi vingt kilomètres. À la fin, nous étions épuisés et nous nous traînions. Pendant deux jours nous avons ressenti cette grande fatigue ; c’est alors que j’ai été muté dans la première SS Pioner, Bataillon 2 Das Reich […] Le 8 juin 1944, nous avons reçu l’ordre de nous diriger vers la Normandie où avait eu lieu le débarquement le 6 juin 1944. Je roulais en dernière position, afin de dépanner les chenillettes. Ce déplacement fut très dangereux, car après les dépannages une seule chenillette nous protégeait. Dans les environs de Tulle, les partisans nous ont attaqués. Ils avaient abattus plusieurs arbres sur la route. Nous avons donc dû revenir vers Tulle. Autre attaque, une vingtaine de balles atteignirent mon véhicule. Cette nuit-là nous avons couché à Tulle, ne sachant pas que la nuit précédente, les FFI maquisards avaient attaqué l’hôpital où étaient des Allemands blessés. En représailles, les Allemands ont pendu de nombreux maquisards. Le 10 juin 1944, nous sommes passés près d’Oradour-surGlane, où avait eu lieu le terrible massacre. Je pense qu’il était dû à une intervention sur notre chef de compagnie et à d’autres attaques sur les troupes allemandes. Heureusement, notre chef, commandant la deuxième compagnie ne fut pas désigné pour effectuer le massacre. Après quelques jours, nous sommes arrivés en Normandie. Nous ne pouvions rouler que la nuit. Le jour, les Alliés nous mitraillaient et nous bombardaient avec leurs avions. La journée, nous étions camouflés dans les chemins peu éloignés de la route empruntée. Des branches coupées et mises sur les véhicules empêchaient les aviateurs de nous voir. Nous sommes arrivés en Normandie dans des lieux dont nous ne connaissions pas le nom. Toutes les nuits, nous avancions dans les premières lignes afin de récupérer les blessés, les morts, les chenillettes et autos-mitrailleuses endommagées. […] Arrivés près d’Oissel, le pont vers Rouen était endommagé : nous avons été ralentis. Dans une maison j’ai confié à des civils ma situation d’Alsacien incorporé de force et mes désirs de déserter. Furent-ils dubitatifs ? Ils m’invitèrent à revenir le lendemain matin. Je demandai à René Lambert de venir avec moi. Il a longtemps hésité car c’était un ancien, il était marié et avait deux enfants. Après plusieurs minutes, il a accepté. Nous avons mis nos bleus de travail, et discrètement nous sommes partis. J’ai retrouvé la maison, mais elle était vide. Les gens avaient eu peur. Entre-temps, nous avions dissimulé nos armes et nos papiers près d’un arbre, dans un trou que nous avons comblé. Le jour précédent, j’avais remarqué une maisonnette de jardin dont la cheminée fumait. Mon copain René eut peur et se cacha dans un fossé. J’ai frappé à la porte, une voix féminine m’a demandé ce que je voulais. J’ai alors répondu : « nous sommes deux Alsaciens déserteurs de l’armée allemande et nous cherchons un refuge ». De suite, une femme m’a ouvert la porte et m’a dit que les hommes étaient absents, car dans le maquis. Elle m’a donné de suite des habits de son mari. Je suis allé chercher René à qui elle donna également des vêtements. Dans cette maisonnette, il y avait deux femmes, deux filles, un garçon et une grand-mère. Nous nous sommes retrouvés à huit personnes. Un peu plus tard, nous avons entendu des Allemands parler devant la maison. C’étaient des soldats de notre compagnie. La femme nous a dit de nous coucher sous le matelas, et les filles et la grand-mère se sont couchées dessus. Les Allemands entrèrent et ne trouvèrent rien d’anormal et repartirent. Une fois encore, j’étais sauvé. Ces personnes qui nous sauvèrent se nommaient Saegart et étaient d’Oissel » […] Après trois jours, les maris des femmes reviennent de nuit et emmènent les deux Alsaciens fugitifs qui sont finalement admis chez les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur). Les voilà qui combattent à présent les Allemands jusqu’à la libération du territoire français. Ils repassent par Mulhouse et s’engagent dans la 4ème Division marocaine de montagne, franchissent le Rhin à Strasbourg et poursuivent l’armée allemande en déroute jusqu’à la frontière autrichienne risquant à plusieurs reprises de se faire reprendre par les SS. Ce n’est que le treize nouvembre 1945 que Maurice Stotz sera démobilisé à Grenoble. Il était alors âgé de dix-neuf ans et huit mois. Témoignage de Maurice Stotz, propos recueillis en 2012 par Jean Bézard F ICHE PÉDAGOGIQUE Document 3 BONS BAISERS D’UN FOSSÉ DE NORMANDIE Quelque part dans le fossé, le 22 juillet 1944 Très chers parents, J’arrive enfin aujourd’hui à vous écrire à nouveau. Jusque là, je suis encore en bonne santé et alerte, et j’espère la même chose de votre côté. Il y a huit jours, le treize juillet, je vous ai écrit la dernière fois. Dans la nuit du treize, nous sommes sortis en opération, le quatorze nous étions en position et avons rôti deux poules et deux lapins. À cette époque, ce fut également le tour d’une petite chèvre qui fut délicieuse cuite au saindoux. Oui, car dans ces maisons, villages, villes, tu trouves toujours quelque chose, mais chaque maison est détruite, comme les routes, les champs. Ici, c’est un spectacle inimaginable, tout est arrangé par l’artillerie anglaise. Une chose, maman et papa, c’est dommage pour le vin, car dans toutes les caves se trouvent de magnifiques tonneaux, et parfois tout est dehors. Mais nous arrangeons cela ; René Steib Né le 8 avril 1926 à Mulhouse, René Steib est incorporé de force après le RAD, le 11 février 1944 dans la 10 ème Panzerdivision SS Frundsberg, Regiment 21. Il est porté disparu après sa dernière lettre écrite le 11 novembre 1944. j’en ai déjà eu la chiasse, car c’est du cidre. Ce qu’il y a de pommes ici et ailleurs… Les cuisines sont hors d’usage partout. Bon, autre chose à présent, je n’ai rien emporté en opération, pas de papier à lettre (c’est payant), pas lavé ni rasé depuis huit jours, nous avons une de ces allures. Ici, à l’avant, dans le fossé que tu as creusé toi-même, tout est bien. Bon sang, ici ça tire parfois, mais on a l’impression que le monde s’écroule, et on devient vraiment très petit dans son trou. J’espère que vous avez eu mes autres lettres, moi au contraire, plus de courrier depuis longtemps, depuis le 8 juillet. Robert est-il encore en bonne santé ? Dites-lui un bonjour, je ne peux écrire à personne, et par ailleurs à la famille Schuler. Meilleures salutations à tous, également à ceux de la maison Battistella Paul et Cereja Jean. Je pense que les avions n’ont pas attaqué Mulhouse. Aïe ! il en vient un, bums c’est passé. C’est ainsi que cela se passe jour et nuit. Quelle vie… Cher papa tu sais comment cela se passe ici, tu l’as vécu, mais peut-être pas autant qu’ici. Mais espérons le meilleur et ainsi tout passe. Encore les meilleures salutations à toutes les connaissances et qu’on se revoit (sic) bientôt. Votre René D’après « Lettres de Malgré-nous » La Nuée Bleue 2012 pp. 182-183. René Steib à droite devant la cathédrale de Bazas, près de Bordeaux, juillet 1944. III F ICHE IV PÉDAGOGIQUE Travaux de recherche et de synthèse De l’étude de ces documents on peut dégager cinq thèmes dont chacun peut faire l’objet d’un travail de recherche et de synthèse qu’on peut mener en équipe. 1ère ÉQUIPE : COMMENTAIRE DES DEUX TEXTES • Quelle est la nature des deux textes ? • Pourquoi la connaissance de cette nature est-elle indispensable à la compréhension des deux documents ? • Que nous apprend le témoignage de Maurice Stotz - sur les modalités de l’incorporation de force - sur leur formation militaire - sur la situation en France en 1944 et les opérations de la division « Das Reich » - sur l’attitude des civils normands • A qui est adressée la lettre de René Steib ? En quoi cela peut-il influencer son contenu ? 2 ÉQUIPE : QU’EST-CE QUE LES MALGRÉ-NOUS ALSACIENSMOSELLANS ? • Qui sont-ils ? • Comment et à quelles dates sont-ils recrutés ? • Pourquoi sont-ils victimes d’un crime de guerre ? • Quelles contraintes sont exercées sur les familles ? • Où sont-ils affectés ? La Normandie est-elle leur lieu d’affectation habituel ? (On partira des deux exemples des documents 2 et 3, puis on élargira le sujet en fonction des travaux de recherche) ème 3ème ÉQUIPE : LA DIVISION « DAS REICH » • Les Alsaciens qui en faisaient partie étaient-ils des volontaires ? • De quels crimes de guerre cette division s’est-elle rendue coupable ? (à l’aide de la carte et des recherches) • Pourquoi Maurice Stotz a-t-il eu une chance inouïe ? • Trouver des informations sur le procès de Bordeaux (1953) 4ème ÉQUIPE : LES MALGRÉ-NOUS EN NORMANDIE • Trouver des exemples de Malgré-nous en Normandie ; bien sûr, Maurice Stotz et René Steib évoqués dans les deux documents, mais également d’autres (Courrier du Mémorial n° 21 notamment). Retracer brièvement l’histoire de l’un ou l’autre. • Pourquoi tant d’évasions en Normandie ? • Comment les populations normandes facilitaient-elles les évasions ? Avec quels risques ? (illustrer les réponses avec des exemples précis). • Qu’est-ce que la SNIFAM (Courrier du Mémorial n° 21) ? 5ème ÉQUIPE : EXERCICE DE CARTOGRAPHIE • Sur la carte de France (doc. 1) entourer d’un trait vert les régions françaises annexées par Hitler et concernées par l’incorporation de force. • Représenter par un trait rouge le chemin parcouru par Maurice Stotz depuis son entrée en France jusqu’à sa démobilisation • Représenter par un trait bleu le chemin parcouru en France par René Steib • Représenter par un trait orange le chemin parcouru en France par la division « Das Reich » • Compléter la légende • Expliquer d’où vous tirez les informations qui ont permis de réaliser ces trois itinéraires. Quels éléments de ces parcours restent imprécis ? AIDE AU TRAVAIL Bibliographie sommaire • Les numéros du Courrier du Mémorial (les derniers exemplaires ont été envoyés dans les lycées et collèges de l’Académie de Strasbourg adhérents de l’AMAM). •A lsace, la grande encyclopédie des années de guerre (réunit les numéros spéciaux de Saisons d’Alsace : 105, 114, 117, 121, 124, 127) Ed. La Nuée Bleue 2010 • Numéros spéciaux de Saison d’Alsace nouvelle série : - Numéro 41 : « Septembre 1939, l’Alsace évacuée » 2009 - Numéro 44 : « L’Alsace sous la botte nazie, 1940-1945 » 2010 • Pierre Rigoulot : La Tragédie des Malgré-nous, Denoël 1990 La Nuée Bleue 2004 • E. Riedweg Les Malgré-nous, histoire de l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l’armée allemande, Ed. du Rhin 1995 / La Nuée Bleue 2008 • Lettes des Malgré-nous La Nuée Bleue 2012 • B. D. Thierry Gloris et Marie Terray Malgré-nous - Tome 1 : Elsass 2009 - Tome 2 : Ostfront 2010 - Tome 3 : Germania 2012 Éditions Quadrants • J. L. Vonau : Le Gauleiter Wagner, La Nuée Bleue 2011 • J.L. Vonau : Le procès de Bordeaux (1953) La Nuée Bleue • M. J. Bopp : Ma ville à l’heure nazie, Colmar 1940-1945 Et bien sûr, une visite du Mémorial de Schirmeck est indispensable pour compléter cette bibliographie. Marcel Spisser IA-IPR d’histoire-géographie honoraire