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COMPAGNIE
LA RUMEUR
USINE
HOLLANDER
Choisy le Roi
DÉJÀ LA FIN ?
Texte :
Henri-René Lenormand. Alison Cosson
Mise en scène :
Patrice Bigel
Scénographie, lumières, costumes :
Jean-Charles Clair
Son :
Patrice Bigel. Clément Mathis.
Avec :
Mara Bijeljac, Simon Cadranel, Raphaële Carril, Roland Dupouy, Karl-
Ludwig Francisco, Mirjana Kapor Huerre, Charly Hamel, Martine Lamy,
Françoise Léger, Émilie Olivier, Mélanie Prévot, Valentine Riedinger,
Gilles Vanbunnen, Éloïse Vereecken.
Presse :
Catherine Guizard / La Strada & Cies
Administration, production :
Agnès Chaigneau
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«Nos divertissements sont finis. Ces acteurs j’eus soin de vous le
dire, étaient tous des esprits : Ils se sont dissipés dans l’air, dans l’air
léger. Et de cette vision le support sans racine, les tours couronnées
de nuages, les palais somptueux, les temples solennels et le vaste
globe lui- même avec tous ceux qui l’habitent, va se dissoudre un
jour et comme ce spectacle immatériel s’est effacé, il ne laissera
pas une traînée de brume, car nous sommes de cette étoffe dont les
rêves sont faits.»
Prospéro dans La Tempête de Shakespeare
La clé sous la
porte.
Henri-René Lenormand a été considéré comme un auteur
représentatif du théâtre d’avant-garde de son époque, et novateur
par les thèmes qu’il a abordés. Il a lu Freud, mais aussi Strindberg
qu’il admire. Henri-René Lenormand très reconnu à son époque, n’a
laissé aucune trace aujourd’hui, son œuvre a totalement disparu.
Lorsqu’en 1934 il écrit le
Crépuscule du théâtre
il nous fait vivre en
direct, l’agonie d’un théâtre contraint de fermer pour laisser place à
une activité plus rentable, le cinéma. Alors, nous entrons par la porte
de derrière, celle du personnel, l’entrée des artistes. Couloirs sombres
qui conduisent à des loges aménagées, dégagements encombrés
de vieux décors. On a le sentiment qu’ils habitent tous là, derrière.
Toute une faune - tout un bestiaire- vit, dort et répète, les derniers
instants d’un monde qui est en train de sombrer. L’auteur, dans
la pièce se bat pour faire vivre son texte. Il s’oppose aux acteurs,
est trahi par une vedette, massacré par un metteur en scène et
finalement méconnu du public. Henri-René Lenormand se lance dans
une grande entreprise de dérision. Pas étonnant que le directeur
rêve de monter
la Tempête
de Shakespeare dans la pénombre d’un
plateau sans décor. Cette vision de fin du monde est assez noire. Les
personnages en fin de course s’agitent pour survivre tant bien que
mal. Il y a sous les dialogues qu’on entend, des sous-entendus qui
frôlent la folie. Cette cruelle lucidité de Lenormand, qui n’exclut pas
du tout l’humour, résonne pour nous. Le
Crépuscule du Théâtre
se
termine par un monologue, où un acteur, assez brechtien, s’adresse
frontalement au public et le conjure de réagir à cette fatalité qui
ferait du théâtre un art en voie de disparition.
C’est une certitude pour tout le monde, qu’aujourd’hui aussi, nous
sommes à la fin d’une histoire. La disparition des repères ne se limite
pas au seul domaine économique. Elle est protéiforme et semble
se propager rapidement à l’ensemble de notre société et atteint
par là même le théâtre, qui touché de plein fouet subit à chaque
instant cette onde de choc. Alors que nous sommes encore sidérés
des dernières pages de l’histoire récente, nous devons, plus que
jamais, rêver les utopies et écrire la première page de celle qui va
commencer.
Nous avons travaillé avec Alison Cosson sur cette pièce de
Lenormand. Elle nous attirait souvent par les atmosphères oniriques
et cinématographiques qu’elle proposait, mais aussi nous agaçait
par son lyrisme ampoulé et sa poésie surannée. L’enjeu était de
comprendre ce que nous pouvions tirer de cette langue, si nous la
rendions plus minimaliste, plus lapidaire. En la coupant de manière
chirurgicale, nous voulions conserver néanmoins son style daté et
plein de charme qui rappelle le phrasé du cinéma français de l’entre-
deux-guerres. Puis j’ai demandé à Alison si elle pouvait imaginer
écrire de nouveaux textes qui trouveraient des entrées dans la pièce
en offrant un changement temporaire de sujet dans le cours du récit
ou pour évoquer des situations parallèles. Je crois beaucoup à la
confrontation de ces deux écritures.
Patrice Bigel
Avril 2016
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Il y a quelque
chose
d’intimidant
dans l’idée de
réécriture.
Il y a quelque chose d’intimidant dans l’idée de réécriture, dans
toute forme de réécriture, qu’elle soit totale ou partielle. Quelque
chose de nécessaire aussi. D’abord, il y a le texte, celui de Lenormand,
extrêmement construit, balisé de didascalies, onirique, multiple et
étonnant. Daté aussi. Le texte et sa dramaturgie propre qui nous
propose une plongée dans les années 30 en France, dans un théâtre à
la fois influencé par les grands mouvements artistiques de l’époque
et encore complètement à la merci de ses codes esthétiques. A la
première lecture du
Crépuscule du Théâtre
, on est touché par la
proposition de Lenormand, sa peinture d’un monde en perdition, un
univers empreint de rêve et peuplé de personnages prêts à tout pour
essayer de ne pas mourir.
Tout le travail dramaturgique a donc consisté à préserver l’univers et
la proposition de Lenormand tout en ouvrant des brèches pour faire
surgir nos propres questionnements sur l’actualité. La pièce nous
laissait une ouverture assez géniale, trente-cinq personnages aux
partitions très inégales la traversent : Comédiens, auteur, régisseur,
techniciens du théâtre ou simples invités de passage, certains sont
quasiment muets, observateurs discrets de ce monde en débâcle,
d’autres semblent avoir quelque chose sur le bout de la langue, tout
prêt à être formulé mais sans cesse arrêté par la machine théâtrale.
C’est à cet endroit que nous avons choisi de faire intervenir
la réécriture. Non pas transformer la pièce, mais donner à ces
personnages des espaces d’une parole contemporaine, un regard sur
le monde d’aujourd’hui, comme un rêve dans lequel les époques se
rejoignent par la crise commune qui les habite.
Géopolitique, culture, climat, économie, nous savons aujourd’hui
comme Lenormand en 1934, que la société dans laquelle nous vivons
contient en elle-même sa propre fin. Nous touchons aux limites d’un
monde qui, en se construisant sur une utilisation abusive de ses
ressources, a mis en germe son propre effondrement. Que restera-t-il
ensuite ? Nous connaissons ce qui va se finir, pas ce qu’il va advenir.
Et si c’était maintenant qu’il fallait l’inventer ? Dans ces lieux de
théâtre où il fait nuit à n’importe quelle heure du jour, il reste encore
possible de rêver à autre chose. Car quand une société va mal, la pire
chose n’est peut-être pas qu’elle s’écroule mais qu’elle persiste à
continuer…
Alison Cosson
Avril 2016
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