Les comptes des entreprises La comptabilité, un outil d’évaluation Le manager d’une entreprise a des objectifs à atteindre et est évalué sur la performance de la stratégie et l’efficacité des plans d’actions mis en œuvre. Il est donc en principe « jugé » sur les résultats obtenus à partir de la comptabilité. Celle-ci apparaît alors comme le point de départ de ce processus d’évaluation. Auteur Gilles Théraud Professeur agrégé en DCG et DSCG, lycée Vial de Nantes sont établis selon un référentiel : le plan comptable général (PCG) dont les règles, aujourd’hui sous l’autorité de l’Autorité des normes comptables (ANC)1, convergent vers les normes comptables internationales (International Financial Reporting Standards [IFRS]) qui s’appliquent aux groupes de sociétés cotés. Le respect de ce cadre comptable donne normalement à l’investisseur l’assurance d’une information claire et fiable. Pourtant, de nombreux exemples nous montrent que malgré ce dispositif juridique composé de règles et de contrôles légaux, des dérapages existent. Enron, Parmalat, Lehman Brothers sont des exemples de sociétés qui donnaient l’impression d’une réussite exemplaire alors même qu’elles étaient en faillite. Depuis la crise des crédits immobiliers subprimes, qui a démarré aux États-Unis à l’été 2007, et la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008, est apparue au grand public une notion jusqu’ici méconnue, la note : triple A pour les États, collec­tivités locales ou entreprises en bonne santé financière et C ou D pour les plus risqués. Ce sont des agences de notation financière de renommée internationale (Moody’s, Standard & Poor’s ou Fitch Ratings) qui attribuent cette note aussi bien aux entreprises qui en font la demande qu’aux États. Une société cotée sur les marchés financiers peut se financer par émission d’obligations ou par emprunts auprès des établissements de crédit, et bénéficier, avec une bonne note, d’un taux d’intérêt faible2. À l’inverse, une mauvaise note pénalise la société dont le coût du crédit augmente. La différence entre 1 > L’Autorité des normes comptables, créée par l’ordonnance du 22 janvier 2009, s’est substituée aux deux organismes chargés de la réglementation comptable, le Comité de la réglementation comptable et le Conseil national de la comptabilité. 2 > Une société cotée offre au public des titres financiers. L’ordonnance 2009-80 du 28 janvier 2009 a remplacé la notion « d’appel public à l’épargne » par la notion « d’offre au public de titres financiers ». n° 146 > janvier 2013 > 1 L’évaluation les taux d’intérêt constitue la prime de risque. Sur quoi se fonde cette note et quel crédit lui accorder ? Elle repose, pour partie, sur le diagnostic financier de l’entité réalisé à partir des comptes annuels ou consolidés. La crise financière actuelle a déclenché des critiques à l’encontre des agences de notation qui communiquent une information simple, lisible et synthétique sur le risque de défaillance de l’entité. Quelle importance doit-on donner aux comptes annuels ou consolidés des sociétés ? Il est ici nécessaire de comprendre les modalités d’établissement et d’évaluation de ces derniers, ainsi que leur mode de contrôle. Comment sont établis et évalués les comptes annuels ? L’évaluation des comptes annuels dans un cadre comptable Art. L123-12 du Code de commerce : « Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l’enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise […]. Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice […]. Ces comptes annuels comprennent un bilan, un compte de résultat et une annexe… » L’objectif de la comptabilité financière est d’établir des états financiers à la clôture d’un exercice, dans le respect d’un cadre comptable comprenant des principes et des objectifs. Notions de coût et de valeur Le principe du nominalisme (ou des coûts historiques) consiste à respecter la valeur nominale de la monnaie sans tenir compte des variations de son pouvoir d’achat. Le Code de commerce (art. L123-18) et le PCG (art. 321-1) prévoient qu’« à leur date d’entrée dans le patrimoine, les biens acquis à titre onéreux sont enregistrés à leur coût d’acquisition ». Un terrain acquis 100 000 € en 1980 figure au bilan trente ans plus tard pour la même valeur, alors qu’il est désormais estimé à 1 000 000 €. Des titres de participation acquis 10 € l’unité il y a dix ans valant dix fois plus aujourd’hui restent comptabilisés pour leur coût d’entrée. Ce principe est toujours celui du droit français et est le plus controversé. Sont ici opposés les partisans de la juste valeur, pour qui le bilan doit refléter le vrai prix des actifs, et les partisans du coût historique, qui considèrent plus prudent d’avoir des plusvalues latentes sur ces mêmes actifs. La procédure de réévaluation libre constitue une exception à ce principe. Elle permet la comptabilisation des plus-values latentes sur l’ensemble des immobilisations corporelles et financières. L’écart de réévaluation étant imposable, cette procédure est rarement mise en œuvre. Mais si l’entreprise a des déficits fiscaux reportables, elle peut réévaluer ses immobilisations en franchise d’impôt. Sur le plan européen, afin d’être compatible avec les normes IFRS, la quatrième directive européenne permet l’application de la juste valeur. Cette notion est particulièrement développée dans les comptes consolidés. Le principe de prudence est défini par l’article 120-3 du PCG : « La comptabilité est établie sur la base d’appréciations prudentes, pour éviter le risque de transfert, sur des périodes à venir, d’incertitudes présentes susceptibles de grever le patrimoine et le résultat de l’entité. » Ce principe est l’un des piliers de l’évaluation comptable. C’est par l’application de celui-ci que les amortissements, dépréciations et provisions sont évalués. Il en résulte un traitement comptable différent des produits et des charges. Un produit ne doit être comptabilisé que s’il est réalisé, alors qu’une charge doit être prise en compte dès que sa réalisation est probable. Une immobilisation amortissable est obligatoirement amortie sur sa durée d’utilisation. La réalisation d’un test de dépréciation (art. 322-5 du PCG) est également exigée. Cette démarche consiste à apprécier s’il existe des indices de perte de valeur (par exemple, la valeur de marché d’un actif a fortement diminué). En présence d’un tel indice, il est constaté, en plus de l’amortissement, une dépréciation pour ramener la valeur de l’immobilisation à sa valeur actuelle3. 3 > Valeur actuelle (PCG art. 322-18) : valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d’usage ; valeur vénale (PCG art. 3221.10) : valeur correspondant au prix du marché net des coûts de sortie ; valeur d’usage (PCG art. 322-1.11) : valeur d’estimation des avantages économiques futurs attendus de l’utilisation de l’actif et de sa sortie. Elle est en général déterminée en fonction des flux nets de trésorerie attendus. > économie & management Cadre comptable 2 Indépendance des exercices Prudence Nominalisme Permanence des méthodes Noncompensation Régularité Continuité d’exploitation Sincérité Image fidèle Bonne information Importance relative > La comptabilité, un outil d’évaluation Méthodes d’évaluation Le principe de permanence des méthodes est défini par l’article L123-17 du Code de commerce : « À moins qu’un changement exceptionnel n’intervienne dans la situation du commerçant, personne physique ou morale, la présentation des comptes annuels comme les méthodes d’évaluation retenues ne peuvent être modifiées d’un exercice à l’autre. Si des modifications interviennent, elles sont décrites et justifiées dans l’annexe. » On ne peut comparer les informations dans le temps que si elles ont été élaborées avec les mêmes méthodes d’évaluation. Ces changements de méthodes ont donc un caractère exceptionnel et correspondent à des cas prévus par les textes : changement de méthodes comptables, d’estimations et de modalités d’application, d’options fiscales et corrections d’erreurs. Par exemple, afin d’être homogène avec les méthodes d’évaluation du groupe auquel elle appartient, une société peut décider d’appliquer une nouvelle méthode d’évaluation de ses stocks en passant de la méthode du coût moyen pondéré (CMP) à la méthode du premier entré/premier sorti (PEPS). Face à un certain nombre de situations particulières, les entreprises ont le choix entre plusieurs méthodes ou options comptables, notamment celles préférentielles qui conduisent, en principe, à une meilleure information (PCG art. 120-4). Par exemple, une entreprise peut décider de valoriser ses contrats à long terme selon la méthode à l’avancement (méthode préférentielle), alors qu’elle utilisait jusqu’ici la méthode à l’achèvement. Ces changements de méthodes d’évaluation sont signalés dans l’annexe, le rapport de gestion et le rapport général du commissaire aux comptes dans un but de transparence et d’image fidèle de l’entreprise. L’image fidèle Selon l’article L123.14 du Code de commerce, les comptes annuels doivent être réguliers et sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Désormais la notion d’image fidèle, issue de la quatrième directive européenne, est complètement intégrée aux objectifs de la comptabilité, et reste étroitement liée aux obligations de régularité et de sincérité. Elle sert de référence à ceux qui établissent ou contrôlent les comptes. Après avoir appliqué de bonne foi (sincérité) les règles et principes comptables en vigueur (régularité), il leur conviendra de se demander si la solution adoptée est bien celle qui permet aux lecteurs d’avoir la vue la plus objective de la situation de l’entreprise (image fidèle). Le concept d’image fidèle leur servira de test même si celui-ci a ses limites. L’information financière est établie selon des principes et des conventions comptables pouvant différer entre les comptes, d’un secteur d’activité à un autre, d’un pays à un autre (existence de plusieurs référentiels, établissement de comptes consolidés et de comptes individuels selon des règles différentes, interprétations possibles au sein d’un même référentiel). Il est donc nécessaire de contrôler ces comptes. Le contrôle des comptes annuels Face aux risques d’erreurs et de manipulations dans les comptes, deux contrôles s’imposent : le contrôle interne et le contrôle externe. Le contrôle interne Le Committee Of Sponsoring Organisations of the Treadway Commission (COSO) définit le contrôle interne comme un processus mis en œuvre par le conseil d’administration, les dirigeants et le personnel d’une organisation destiné à fournir une assurance raisonnable quant à l’atteinte des objectifs suivants : > la réalisation et l’optimisation des opérations ; > la fiabilité des informations financières ; > la conformité aux lois et aux réglementations en vigueur. Ce dispositif comprend un ensemble de procédures et de moyens qui doivent contribuer à la maîtrise des activités de l’entreprise et au bon fonctionnement de celle-ci. Il doit favoriser la limitation des risques financiers, humains, industriels, environnementaux… Il ne se restreint pas Les comptes à la seule foncannuels doivent tion comptable et financière, mais être réguliers concerne aussi le et sincères système d’information et de gestion. Il s’appuie sur une organisation appropriée, des responsabilités et pouvoirs clairement définis, une politique de gestion des ressources humaines, un système d’information adapté… Dans le domaine financier, des risques de fraude peuvent se produire. Par exemple, comment dissuader le comptable de détourner de l’argent ? En respectant le principe de séparation des fonctions (comptable et caissier ou comptable et ordonnateur en comptabilité publique). La continuité de l’exploitation peut être remise en cause en cas de sinistre. Comment protéger le patrimoine de l’entreprise ? En installant des systèmes de sécurité, en souscrivant un contrat d’assurance ou en conservant une copie des données comptables dans un lieu sûr… Le contrôle interne comptable et financier est une composante essentielle du contrôle interne. Tous les processus (ventes, achats, trésorerie…) de production de l’information comptable et financière doivent être évalués pour obtenir une information fiable. Le commissaire aux comptes doit, dans sa mission, évaluer les forces et les faiblesses du contrôle interne n° 146 > janvier 2013 > 3 L’évaluation pour orienter ses travaux (approche par les risques). Il présente dans un rapport ses observations sur celui établi par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance des SA ou des SCA, dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé concernant les procédures de contrôle interne et de gestion des risques relatives à l’élaboration et au traitement de l’information comptable et financière. > économie & management Le contrôle externe 4 Le contrôle externe relève de l’audit réalisé par des personnes extérieures à l’entité : le commissaire aux comptes – qui dépend du ministère de la Justice et dont la mission est légale –, l’expert-comptable – qui lui dépend du ministère de l’Économie et dont la mission est contractuelle –, l’administration fiscale ou sociale, la Cour des comptes, l’Autorité des marchés financiers. La mission du contrôleur externe est de vérifier et d’exprimer une opinion sur les comptes des entreprises. Le commissaire aux comptes prend connaissance de l’entité, apprécie le contrôle interne et applique des procédures d’audit en réponse à l’évaluation des risques d’anomalies significatives résultant de fraudes ou du non-respect de textes légaux et réglementaires. Dans son rapport général communiqué à l’assemblée générale annuelle de la société, il certifie, ou pas, que les comptes annuels sont, au regard des règles et principes comptables français, réguliers et sincères, et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice (Norme d’exercice professionnel [NEP] 700 « Rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels et consolidés »). Cette certification est un gage de garantie pour l’utilisateur des comptes. Le commissaire aux comptes se transforme parfois en commissaire aux apports, afin de contrôler la valeur des biens apportés lors d’une augmentation de capital ou en commissaire à la fusion, pour vérifier la parité d’échange des titres des sociétés absorbante et absorbée. La comptabilité est également un moyen de calcul de l’assiette de différents impôts. Le résultat et le chiffre d’affaires constituent la base des principaux impôts. Pour calculer le résultat fiscal, le résultat comptable subit des retraitements (réintégrations/déductions) issus des dispositions fiscales du Code général des impôts (CGI). L’administration fiscale dispose d’un droit de contrôle : droit de communication et droit de contrôle proprement dit (droits prévus dans le livre des procédures fiscales [LPF]). Suite à une vérification de comptabilité, elle adresse au contribuable une proposition de rectification. Les organismes sociaux dont l’Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales) opèrent également des contrôles des déclarations sociales. La Cour des comptes contrôle les comptes de l’État, des collectivités territoriales et des entreprises publiques. L’Autorité des marchés financiers surveille les informations délivrées par les sociétés dont les titres sont inscrits aux négociations sur les marchés financiers et qui doivent présenter des comptes consolidés. (Total, Carrefour…) qui font partie du CAC 404 doivent établir des comptes consolidés à la clôture d’un exercice en normes IFRS. Il existe un cadre légal et réglementaire adopté en application de la septième directive européenne. Consolider les comptes annuels pour évaluer un groupe de sociétés Les comptes individuels des sociétés sont établis avec les règles du PCG. Les comptes consolidés sont préparés selon les règles françaises (RMCC) ou les normes IFRS. Aux États-Unis, les sociétés cotées appliquent les US GAAP (United States Generally Un groupe est un ensemble de sociétés parmi lesquelles l’une d’entre elles – la société mère – exerce un contrôle ou une influence notable sur les autres – les filiales. Les sociétés Le cadre légal et réglementaire La loi du 3 janvier 1985, complétée par le décret du 17 février 1986, oblige les sociétés commerciales qui sont à la tête d’un groupe à établir et à publier des comptes consolidés (art. L233-16 à 28 du Code de commerce). Le règlement CRC 99-02, homologué par l’arrêté du 22 juin 1999, expose les règles et méthodes des comptes consolidés (RMCC) qui doivent être appliquées par les sociétés non cotées soumises à l’obligation d’établir des comptes consolidés. Le règlement CE n° 1006/2002 du 19 juillet 2002 a imposé aux sociétés cotées européennes de préparer des comptes consolidés conformes aux IFRS à compter des exercices ouverts à partir du 1er janvier 2005. L’application des IFRS sur option est possible pour les sociétés non cotées. Les groupes qui ne dépassent pas à la clôture de deux exercices successifs deux des trois critères suivants : 250 salariés, 30 millions d’euros de chiffre d’affaires, 15 millions de total bilan sont exemptés d’établir des comptes consolidés. Un imbroglio de règles et de normes réservées aux spécialistes 4 > CAC 40 : cotation assistée continue des quarante sociétés les plus importantes à la bourse de Paris. > La comptabilité, un outil d’évaluation Accepted Accounting Principles), référentiel admis par la SEC (Securities and Exchange Commission). À l’intérieur de chaque référentiel, les actifs ou les passifs ne sont pas valorisés de la même manière (coût historique/juste valeur). Plusieurs options de comptabilisation sont proposées pour un même actif ou passif. Les modes de présentation des états financiers diffèrent. Trois méthodes de consolidation s’appliquent en fonction du contrôle exercé par la société mère sur ses filiales : l’intégration globale (contrôle exclusif), l’intégration proportionnelle (contrôle conjoint) et la mise en équivalence (influence notable). L’évaluation à la juste valeur Les normes d’information financière internationales accordent une place plus importante à la primauté de la réalité économique sur l’apparence juridique (substance over form), à l’actualisation et à l’évaluation à la juste valeur. Les IFRS se sont dotées depuis mai 2011 d’une nouvelle norme, IFRS 13 : « Mesure de la juste valeur ». Elle ne modifie pas le champ d’application actuel de la juste valeur, mais sert de référence pour toutes les normes où il est question de juste valeur. Elle est applicable depuis le 1er janvier 2013. La juste valeur (traduit de l’anglais « fair value ») se définit comme le prix auquel un actif pourrait être vendu ou un passif transféré dans une transaction conclue à des conditions normales entre des intervenants de marché à la date de l’évaluation (prix de sortie). L’ancienne définition faisait référence à une transaction entre parties bien informées, consentantes et indépendantes. La nouvelle définition met l’accent sur un prix de sortie entre intervenants du marché à la date de la mesure. Il faut ici recourir à des données du marché observables (actif, localisation géographique, prix) pour déterminer la juste valeur tout en respectant une démarche générale : définir l’actif ou le passif à mesurer, déterminer son usage optimal, identifier le marché où une transaction régulière aurait lieu et choisir la technique d’évaluation la plus appropriée. Certains actifs (immeubles de placement par exemple) mais aussi les actifs ou les passifs financiers font l’objet d’une valorisation à la juste valeur dans le référentiel IFRS. La juste valeur traduit une certaine volatilité. Cette dernière mesure l’importance des fluctuations du prix d’un actif et donc son risque. Si la contrepartie de cette fluctuation de valeur est comptabilisée dans le compte de résultat, celui-ci devient lui-même volatil. Le cours de bourse d’un titre coté sur un marché financier à la date de clôture d’un exercice est en principe sa juste valeur. Cette valeur à un instant t est-elle la juste information ? Tous les agents économiques n’ont pas connaissance de la même information au même moment. Ainsi, les dirigeants d’une société peuvent disposer de renseignements que n’ont pas les investisseurs. Selon Pierre Vernimmen, l’asymétrie de l’information est une règle générale. La prudence s’impose. L’intérêt des comptes consolidés Les comptes consolidés ont pour but de présenter le patrimoine, la situation financière et le résultat des entreprises faisant partie du périmètre de consolidation comme s’il s’agissait d’une seule entité. C’est un outil d’information externe (actionnaires, personnel, banques…) et d’information interne, car les comptes consolidés permettent de mesurer la performance du groupe, facilitant ainsi la prise de décision des dirigeants. Toutes les parties intéressées pourront analyser cette performance en termes de résultat et de rentabilité. L’analyse financière devient incontournable. Évaluer la performance financière d’une entité Le diagnostic financier, souvent précédé d’un diagnostic général, a pour objectif d’apprécier la croissance du chiffre d’affaires, la profitabilité, la rentabilité, la solvabilité et les La juste valeur grands équilibres traduit financiers d’une entité. Il doit une certaine mettre en évidence volatilité les risques potentiels et donner au dirigeant ou au banquier les informations avant la prise de décisions. Par exemple, avant d’accorder un prêt, la banque observe avec soin la solvabilité de l’entreprise, la nature du projet, les hypothèses retenues et l’environnement général de l’opération. Le diagnostic général recense les variables-clés de l’environnement de l’entreprise : le marché, la concurrence, les produits ou les services, l’organisation commerciale, le potentiel technique (matériels, R&D, savoirfaire), les caractéristiques juridiques et sociales de l’entité… Une analyse classique L’analyse classique repose sur l’analyse du compte de résultat et du bilan. Le tableau des soldes intermédiaires de gestion précise la formation du résultat net. Les produits et charges sont classés respectivement en trois rubriques : exploitation, financier et exceptionnel. Le bilan fonctionnel, où les éléments actif et passif sont évalués à la valeur d’origine, permet de vérifier les fondamentaux en matière financière : un fonds de roulement net n° 146 > janvier 2013 > 5 > économie & management L’évaluation 6 global positif supérieur au besoin en fonds de roulement et une trésorerie positive. Le bilan financier confronte la liquidité des actifs avec l’exigibilité du passif. Le classement se fait entre les éléments à plus d’un an et à moins d’un an et sont évalués à la valeur nette comptable. Les actifs sont classés par ordre de liquidité croissante et les passifs par ordre d’exigibilité croissante. Le calcul de ratios (autonomie financière, rentabilité économique ou financière, capacité d’autofinancement…) est utile pour juger de la performance de l’entreprise dans le temps et dans l’espace. Le tableau des flux de trésorerie représente l’aptitude de l’entreprise à générer de la trésorerie à partir de son activité et les flux observés en termes d’investissements et de financements. De nombreuses entreprises sont aujourd’hui fragilisées. Les causes peuvent être multiples : conjoncture défavorable, trésorerie insuffisante, sous-capitalisation ou erreurs faites L’information dans le choix des investissements, constitue des financements la matière ou des stratégies. première Cette analyse financière réalide la gestion sée à partir des de l’entreprise comptes annuels de l’entité donne des informations aux dirigeants sur la santé financière de l’entreprise, sa capacité d’emprunt et d’investissement, sur les actions à engager pour l’avenir. Elle doit lui éviter de commettre des erreurs de gestion dont les conséquences pourraient être fatales. D’autres entreprises sont au contraire très prospères et leurs comptes annuels laissent apparaître d’excellents résultats. L’analyse financière montre alors une trésorerie pléthorique. Certaines sociétés cotées telle EADS, qui dispose de réserves de cash évaluées en milliards d’euros, souhaitent même créer leur propre banque. Le directeur financier du groupe aéronautique étudie la faisabilité du projet dans l’optique d’aider les clients à boucler leur projet de financement, mais surtout pour éviter d’être piégé par les possibles faillites de banques européennes. Une analyse plus délicate dans les groupes L’analyse financière des comptes consolidés présente des spécificités. Des comptes particuliers (intérêts minoritaires, écart d’acquisition…) et une présentation des états financiers conforme au référentiel comptable imposent une méthodologie d’analyse financière adaptée. Celle-ci comporte en plus de l’analyse des états financiers, celle de l’environnement, de la stratégie du groupe et de l’influence des marchés financiers. La rentabilité, la solvabilité ou la profitabilité du groupe sont évaluées par des indicateurs spécifiques, dont le mode de calcul peut varier selon les groupes (EBITDA, ROE, ROIC, ROCE5). Il est alors nécessaire d’indiquer dans le rapport annuel le mode de calcul de ces indicateurs. Les dirigeants déterminent la politique financière du groupe en fonction des objectifs recherchés : garantir la pérennité du groupe, maximiser la rentabilité des capitaux propres, etc. La comptabilité de gestion : un outil d’évaluation des coûts L’apport des théoriciens Avant 1999, la branche de la comptabilité qui a pour fonction 5 > EBITDA : earning before interest, taxes, depreciation and amortization ; ROE : return on equity ; ROA : return on assets ; ROCE : return on capital employed. de calculer les coûts était appelée « comptabilité analytique ». Elle s’appelle aujourd’hui « comptabilité de gestion » et est rattachée au concept « contrôle de gestion ». R. N. Anthony définit le contrôle de gestion ainsi : « Processus par lequel les dirigeants influencent les membres de l’organisation pour mettre en œuvre les stratégies de manière efficace et efficiente. » De nombreuses théories ont contribué à l’évolution du management et du contrôle de gestion. La nécessité du contrôle a été reconnue par les premiers théoriciens (Taylor, Fayol). C’est d’ailleurs Taylor qui a créé l’un des principaux outils du contrôle de gestion : la comptabilité industrielle, devenue comptabilité de gestion. Après l’école classique, l’école des relations humaines a précisé les facteurs de motivation des individus. Sont apparues ensuite les théories nouvelles, parmi lesquelles la théorie des coûts de transaction (Coase, Williamson) et la théorie de l’agence (Jensen, Meckling). Elles cherchent à comprendre l’utilité et le fonctionnement de l’entreprise. Le calcul des coûts L’information constitue la matière première de la gestion de l’entreprise. Elle est partagée entre tous les centres de responsabilité en même temps grâce aux progiciels de gestion intégrée (PGI). Un centre de responsabilité est une entité de l’entreprise dans laquelle un responsable dispose d’une certaine autonomie et de moyens pour atteindre les objectifs déterminés par la hiérarchie. Les charges comptabilisées en comptabilité financière sont à l’origine du calcul des coûts. On distingue les charges directes, celles affectées sans calcul intermédiaire (matières premières…) et les charges indirectes, celles concernant simultanément plusieurs objets de coûts (assurance…). > La comptabilité, un outil d’évaluation Une entreprise fabricant plusieurs produits a besoin de connaître le coût de revient de chaque produit. La difficulté réside dans l’affectation des charges indirectes aux coûts des produits. La méthode des centres d’analyse est la méthode de base pour le calcul des principaux types de coût. Elle repose sur un découpage de l’entité en « centres d’analyse ». La répartition des charges indirectes se fait en deux temps : une répartition primaire entre tous les centres d’analyse puis une répartition secondaire des centres auxiliaires vers les centres principaux. Une unité d’œuvre (unité de temps : heuremachine ; unité physique : kilogramme…) est ensuite déterminée, capable de mesurer l’activité d’un centre d’analyse principal. Il existe une part plus ou moins grande d’arbitraire dans ce mode de répartition qui conduit souvent à faire subventionner des produits dont le coût est sous-estimé par des produits dont le coût est surestimé. Par exemple, des produits fabriqués en petites séries sont subventionnés par des produits fabriqués en grandes séries. P. Mevellec parle de phénomènes de « subventionnements croisés ». La méthode de calcul des coûts à base d’activité (ABC ou activity based costing) peut être une réponse à ces insuffisances. Il s’agit d’une méthode de calcul des coûts complets développée aux États-Unis dans les années 1980. Elle s’appuie sur le concept de chaîne de valeur développé par Porter. Cette méthode repose sur le découpage de l’entité en activités. Une activité est définie comme un ensemble de tâches homogènes caractéristiques d’un processus de réalisation de la chaîne de valeur et consommateur de ressources (Bescos et Mendosa, Le Management de la performance, 1994). Elle introduit une étape supplémentaire dans le calcul des coûts : les produits consomment les activités et les activités consomment les ressources (charges). L’unité d’œuvre est remplacée par l’inducteur d’activité (ou de coût). Ainsi, les charges indirectes à l’égard des produits sont directes à l’égard des activités. Les activités ayant un inducteur commun sont regroupées dans des centres de regroupement (par exemple : regroupement des activités dont l’inducteur est le lancement d’un lot). La méthode ABM (activity based management) est le prolongement de la méthode ABC. Elle consiste à déterminer les causes des coûts calculés avec la méthode ABC. L’entreprise est vue comme un ensemble de processus. P. Lorino définit le processus comme « un ensemble d’activités reliées entre elles par des flux d’information ou de matière significatifs et qui se combinent pour fournir un produit matériel ou immatériel important et bien défini ». Il faut alors chercher à optimiser le couple « valeur/coût » par l’amélioration de la valeur (prix que les clients sont disposés à payer pour acquérir les biens et services produits) et la réduction des coûts. Le re-engineering (reconfiguration des processus) fait la chasse aux dysfonctionnements et le benchmarking (évaluation comparative) compare et évalue les processus de l’entreprise avec les « meilleures méthodes » d’entreprises de référence. Le b e n c h m a r k i n g est une méthode développée au début des années 1980 par la société Xerox. C’est une technique qui consiste à étudier et analyser les modes de gestion et d’organisation des autres entreprises, afin d’améliorer la performance des processus dans une entité. Le re-engineering est une démarche visant à réorganiser l’entreprise, afin de réaliser des gains importants en termes de coûts, de qualité, de délais et de services au client. M. Hammer et J. Champy désignent par « business process re-engineering » la remise en question par les managers de leur façon de travailler. H. Savall a mis au point une méthode de détection des dysfonctionnements qu’il classe en « coûts visibles » (pannes) et « coûts virtuels » (sous-efficacité due au manque de formation du personnel). Ces coûts cachés doivent être évalués avant d’être résorbés pour améliorer le fonctionnement de l’entreprise. L’absentéisme, les accidents du travail, les défauts de qualité, la détérioration de l’image, le coût des attentes sont des dysfonctionnements qui doivent être repérés et éliminés, afin d’améliorer la compétitivité de l’entreprise. L’analyse des coûts et des performances Le contrôle budgétaire s’inscrit dans une démarche générale de suivi des performances des centres de responsabilité. Il permet de vérifier si les prévisions ont été respectées. Des écarts favorables ou défavorables sont calculés et analysés entre les éléments réels (coût réel) et les éléments préétablis (coût standard). Ils sont décomposés en écarts sur charges directes (quantité et coût) et écarts sur charges indirectes (budget, activité et rendement). L’utilisation de standards est obligatoire pour le décideur et d’autres aspects que la production doivent être pris en compte : la qualité des produits, le niveau de satisfaction des clients… Le tableau de bord est également un outil d’évaluation de la performance de la stratégie et de l’efficacité des plans d’actions mis en œuvre à tous les niveaux de l’entreprise. H. Bouquin, le définit ainsi : « Outil d’aide à la décision et à la prévision, le tableau de bord est un ensemble d’indicateurs peu nombreux, conçus pour permettre aux gestionnaires de prendre connaissance de l’état n° 146 > janvier 2013 > 7 L’évaluation et de l’évolution des systèmes qu’ils pilotent et d’identifier les tendances qui les influenceront sur un horizon cohérent avec la nature de leurs fonctions. » Le tableau de bord prospectif (ou équilibré) – ou balanced scorecard – de Kaplan et Norton recherche un équilibre entre les indicateurs financiers et non financiers pour évaluer la performance sur le court et le long terme. Plusieurs axes sont retenus dans son articulation : l’axe financier (croissance du chiffre d’affaires, réduction des coûts, amélioration des marges…), l’axe clients (satisfaction des clients, nombre de clients nouveaux…), l’axe processus internes (innovation, qualité du service aprèsvente, qualité des produits…) et l’axe apprentissage organisationnel (productivité du travail, motivation des salariés, système d’information…). Pour chacun des quatre axes, il est indiqué des objectifs et des indicateurs avec leur valeur cible. Les écarts constatés entre les réalisations et les prévisions sont alors corrigés. Conclusion > économie & management La comptabilité est un moyen d’information des dirigeants, des associés, des épargnants, des salariés 8 et des tiers en général. Cette information est fiable si l’entreprise a utilisé les conventions comptables préalablement définies et acceptées par tous. Elle l’est encore plus si le commissaire aux comptes a certifié les états financiers. Dès lors, elle pourra servir de point de départ à l’évaluation de la performance de l’entreprise. La comptabilité permet aussi de répondre à la question « combien vaut l’entreprise ? » L’observation du cours des actions cotées montre que, parfois, la comptabilité est complè- tement déconnectée des cours de bourse. Les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur les marchés financiers subissent la loi de l’offre et de la demande : la société Facebook est entrée en bourse courant mai 2012 au prix de 38 $ et a subi une baisse de 20 % après trois jours de cotation ; l’action Peugeot cote moins de 7 € en août 2012 après avoir atteint un pic de plus de 60 € en 2007. La comptabilité est donc un outil incontournable de l’évaluation des activités d’une entreprise. • > bibliographie Alazard C. et Sépari S., Contrôle de gestion, Paris, Dunod, 2004. Barneto P. et Gregorio G., Finance, Paris, Dunod, 2007. Burlaud A. (dir.), Contrôle de gestion, Vanves, Sup’Foucher, 2010. Colasse B., Juste Valeur, Paris, Economica, 2001. Comptable, Levallois-Perret, Éditions Francis Lefebvre, coll. « Memento pratique », 2011. Comptes consolidés, Levallois-Perret, Éditions Francis Lefebvre, coll. « Memento pratique », 2010. Coucoureux M., Cuyaubère T. et Muller J., Contrôle de gestion, Paris, Groupe Revue fiduciaire/Nathan, 2000. Monnot J.-P., Contrôle de gestion, Paris, Hachette supérieur, 2008. RF comptable n° 308 juillet, août 2004 ; n° 383, mai 2011 ; n° 385, juillet-août 2011 ; n° 388, novembre 2011. SIC : Science, Indépendance, Conscience, n° 305, mars 2012. Vernimmen P., Quiry P. et Le Fur Y., Finance d’entreprise, Paris, Dalloz, 2012.