Lectures
L'imagination, la créativité jouent donc un rôle non négligeable dans l'œuvre de l'historien, en
particulier lorsqu'il se fait archéologue du temps des cathédrales. Tel est le premier constat de ce
médiéviste qui
s'est
donné pour charge, dans un deuxième temps, de reconstituer les gestes, les
habitudes, l'imaginaire de la société médiévale. Or, comment saisir le sens exact des mots
employés en l'an mil alors même que «
ces
mots, qui
tous
appartiennent
à
un
langage
emprunté ne
s'ajustent jamais parfaitement à la réalité dont l'homme qui les employait prétendait rendre
compte. Leur sens flotte aussi
parce
que cette réalité, les relations de société, d'ailleurs souvent
imparfaitement perçues par les contemporains, étaient elles-mêmes fluctuantes ». L'histoire est
donc loin de prétendre à la vérité (ou à l'objectivité des positivistes) car elle ne peut viser que le
probable et le possible. Ce constat, qui peut sembler aller de soi, provient du regard critique que
Duby jette sur son premier travail. Cependant, c'est à partir de l'ouverture de ce premier
« chantier » que, par la suite, il affinera ses instruments d'investigation et s'ouvrira à d'autres
champs de recherche.
Provenant la plupart du temps de commandes, ces nouvelles recherches s'inscriront dans
l'espace idéologique et théorique des années 60. Ainsi, ses travaux sur l'économie rurale
correspondront-ils à une situation historique de production où de nouveaux objets et de
nouveaux champs d'intérêt se sont ouverts aux historiens. Le concept de classe et le rapport de
production lui servent de cadre conceptuel pour l'élaboration de Guerriers et Paysans, par
exemple, alors que l'œuvre de Lévi-Strauss l'aide à concevoir l'étude des rites et des mythes
;
autrement dit à entreprendre une histoire des mentalités.
De nouveaux chantiers se présentent à ce médiéviste dont le parcours d'historien suit
l'évolution même de l'école historique française
;
dans les années 70, il ébauche une sociologie
de l'art médiéval au moyen de laquelle il s'interroge sur le lien existant entre la création
artistique et le pouvoir, puis il esquisse une histoire des idéologies, celle qui met l'accent sur les
représentations mentales, l'imaginaire par rapport à une formation sociale. Mais bien qu'il ait
recours au récit pour raconter une histoire, comme ce fut le cas pour Guillaume le
maréchal,
qui
s'inscrit dans l'air du temps du retour à ce genre biographique, Duby n'abandonne jamais le
schéma de l'histoire-problème ou de l'histoire-question.
L'histoire se renouvelle sans cesse, car elle fait l'objet de nouvelles lectures; en effet,
chaque génération apporte une nouvelle signification aux « textes ». De même, elle peut être
enseignée par des moyens autres que le
livre.
Duby fera l'expérience d'un autre registre culturel,
d'un autre médium de diffusion — la télévision — pour mettre en scène l'histoire de l'an mil.
Responsable, à ces débuts, de la direction de la Sept, il s'introduit aisément dans ce nouveau
monde de l'image. Il avoue se sentir parfois plus proche de ces « chevaliers de la table ronde »
que sont les producteurs et réalisateurs de télévision que du milieu universitaire qu'il qualifie de
«féodal». Ce médiéviste insiste, au demeurant, sur le fait que le métier d'historien exige
beaucoup d'ouverture.
C'est bien la réflexion pertinente de cet historien sur son métier et l'humilité dont il fait
preuve vis-à-vis de son œuvre accomplie qui font l'intérêt majeur de ce livre. On regrettera
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