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dans un premier temps les origines antiques de l’idée qu’un lien affectif
entre médecin et patient était nécessaire, le modèle du medicus amicus.
La réappropriation de ce modèle au cours de l’époque moderne et son
adaptation aux réalités du monde médical de la Renaissance sera abordée
dans une deuxième articulation. Une attention particulière sera prêtée,
nalement, au XVIIIe siècle an de saisir la nature des liens entre médecins
et malades avant la transformation scientique qui accompagne la genèse
de la posture du médecin d’aujourd’hui. Le tableau s’appuie sur des
discours sur la relation thérapeutique telle qu’elle se donne à voir dans des
publications sur la médecine, mais aussi sur des cas concrets d’échanges
entre malades et médecins issus d’écrits personnels. Au terme de ce
parcours, il s’agira de reconsidérer la nature des relations entre médecins
et malades à la n de l’Ancien Régime an d’isoler les variables qui incitent
alors les deux acteurs à redessiner les contours de leurs liens pour en faire
une relation individuelle, normée et secrète entre « citoyens » égaux.
Medicus aMicus : le modèle antique
Le modèle de relation thérapeutique qui s’impose à la Renaissance est
emprunté au monde antique. Ses fondements ont été explicités par l’historien
Pedro Laín Entralgo9. Les écrits de Sénèque et de Celse, deux auteurs actifs
au premier siècle de l’ère chrétienne, les résument efcacement. Sénèque
décrit dans Des bienfaits le pendant social de la relation thérapeutique. Il
considère ensemble médecins et précepteurs, opérant une distinction entre
ceux de ces professions qui traitent leur client mécaniquement et ceux qui
s’investissent davantage :
Pourquoi au médecin comme au précepteur suis-je redevable d’un surplus, au
lieu d’être quitte envers eux pour un simple salaire? Parce que de médecin ou
de précepteur ils se transforment en amis, et que nous devenons leurs obligés,
non pour les ressources de leur art, qu’ils nous vendent, mais pour la bonté et le
caractère affectueux des sentiments qu’ils nous témoignent10.
La dette contractée par le malade est indirectement tributaire de la nature
du travail du médecin. C’est l’investissement du praticien dans son activité, et
donc dans la vie du malade, qui lui vaut une reconnaissance particulière et le
statut d’ami. L’amitié est ici une conséquence possible de l’activité du médecin,
mais elle n’est pas automatique. Pour Celse, un médecin romain, l’amitié entre
le médecin et son malade serait nécessaire et tiendrait à des considérations
médicales. Il développe dans De la médecine, l’idée que les maladies affecteraient
les malades en fonction de variables particulières et que le médecin avait le
choix d’adapter ses soins à chaque malade ou de se contenter de « caractères
communs ». L’exemple qui lui permet d’introduire son idée est celui de la faim,
supportée différemment suivant l’âge du malade, ses intolérances, la saison de
l’année, la température régnante, le nombre de repas pris quotidiennement, etc.
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