Le
toit
du
monde n’est
pas seulement peuplé par toutes
sortes de divinit6s, on
y
rencontre aussi de nombreux
scientifiques. Parmi ces
derniers, les géologues parcourent
inlassablement depuis de
nombreuses années
la
chaîne
himalayenne, pour en
découvrir ses moindres secrets.
~
Résultat spectaculaire de
la
COIlisíon entre I’lnde et l’Asie, ceffe
chaîne de montugnes est
encore jeune et en pleine activité.
LWude de son histoire,
v6ritable résum6 de 1’6volution de
la
lithosphere, permet de
retracer celle de chaînes de
,
montagnes plus anciennes
pour lesquelles le temps
a
brouillé
les pistes
de
toute reconsfitution.
/
a chaîne himalayenne est la plus Pour ceux que tente cette destination analyser les effets sur les organismes des
élevée du monde. Cette caractéris- d’aventure, l’Himalaya représente tantôt variations rapides de pression (voir
tique se traduit dans le subcons- le troisième pôle de la planète, tantôt une
<<
L‘adaptation
à
l’altitude
D
dans
La
Re-
L
tient
de ceux qu’elle domine
ou
de autre dimension de la Terre (fig.
1).
Au-
cherche
de décembre
1987)
;
les sociétés
ceux qui en rêvent par des appréciations delà du rêve alpiniste devenu réalité, l’Hi- restreintes
à
échanges réduits, caractéri-
diverses. Ainsi les dieux hindouistes, les malaya suscite aussi l’intérêt des scienti- sant chaque vallée, représentent
un
ter-
divinités bouddhistes
ou
animistes fiques
;
les environnements montagneux rain d’étude rêvé pour les ethnologues,
peuplent-ils l’Himalaya,
*<
ils
y
dansent
à
avec fort dénivelé attirent médecins, phy- linguistes et économistes.
la lisière de la Terre et de l’infini
dl).
siologistes, écologistes qui souhaitent Pour les géologues, l’attrait est multi-
30
VOLUME21
LA
RECHERCHE No 217 JANVIER
1990
I
L
ie
par Georges Mascle, Bemard Delwillau et G6rard Herail
ple. Tout d’abord l’Himalaya est la plus
importante chaîne intracontinentale ac-
tive. De nombreuses chaînes monta-
gneuses sont situées en plein continent
:
les Pyrénées, l’Oural, les Rocheuses, le
Pamir. Beaucoup sont des objets achevés,
hérités de conditions géodynamiques qui
n’existent plus en ces lieux. Seules les
chaînes d’Asie centrale, Himalaya, Cau-
case, Pamir, Kouen Lun, Tian Chan
...
présentent encore une activité impor-
tante. Mais,
à
l’inverse des autres,
l’Hi-
malaya est une chaîne jeune
oh
pratique-
ment rien n’est hérité d’autres chaînes
plus anciennes.
I1
est donc plus aisé d’y
accéder aux caractéristiques propres
2
ce
type de chaînes sans avoir besoin de trier
parmi des structures d’âges différents. En
.Figure
1.
La chaîne
himalayenne, la
plus
élevée du
monde, suscite
un
grand intérêt
chez les géologues.
Les images
prises par la
navette américaine
Challenger
permettent d’obtenir
une vue d’ensemble
d’use portion de
cette région
très
complexe.
Sur la pliotographie
(B)
la navette
survole le Tibet et
l’image est prise en
regardant vers le
sud-sud-est.
Au
tout
premier
plan,
la
zone de suture entre
l’Inde et le Tibet;
un
peu
à
C’arrière,
la dépression de
Thakkliola-Mustang
est
un
fossé récent
indiquant que le
plateau tibétain tend
à
se dilater dans le
sens est-ouest, donc
perpendiculairement
à
l’allongement de la
chaîne. Les
montagnes enneigées
bordant le fossé sont
à
l’est
gauche),
les Annapurnas
(8
091
mètres) et le
Manaslu
(8
125
mètres);
à
l’ouest
droite), le Daulaghiri
(8
I67
mètres).
Au
tout dernier plan,
coin haut droit, la
plaine
divaguent
les rivières est la
dépression du Gange
remplie de sédiments
récents issus de
Pérosion de la
chaîne. Entre les
deux s’observe une
zone
les reliefs
sont alignés, c’est le
front actif de la
cltaîne en cours de
déformation, et une
zone de reliefs moins
correspondant au
moyen pays en cours
de soulèvement et
d’érosion. (Clichés
0
Galen RowlFovea
et Nasa)
ordonnés
second lieu, le dénivelé vertical est impor-
tant,
8
848
mètres
à
l’Everest,
50
mètres
au débouché de la Khosi
au
Népal, point
le plus bas de la chaîne. Cela permet
d’observer depuis les zones de déforma-
tion les plus profondes jusqu’aux plus
superficielles et, par exemple, d’accéder
au plafond, au plancher et aux parois
d’une
<<
bulle
n
de granite. Habituelle-
LA
RECHERCHE
No
217
JAMIER
1990
VOLUME
21
PAGE 31
L’Himalaya
:
un
&sum6 complet
de I’hisfoire
de
10
lithosph&e.
Georges Mascle
est professeur
a
l’université
Joseph Fourier
(Grenoble
I)
et responsable
du laboratoire
de géologie
alpine (LGN,
équipe associée
au CNRS.
Bernard
Delcalllau
est maître de
conférences de
géographie
physique
a
l’institut
Daniel Faucher
de l’université
de Toulouse-Le
Mirail, équipe
associée au
CNRS.
GBrard Herail,
chercheur de
l’institut
Daniel Faucher,
est actuellement
détaché comme
directeur de
recherches
auprès de la
mission
ORSTOM
Bolivie
a
La Paz.
Tous trois ont
travaillé en
Himalaya au
sein du GRECO
Himalaya-
Karakorum
du CNRS.
ment de telles observations nécessitent de
recourir
à
des forages
ou
de corréler entre
elles des données issues de plusieurs mas-
sifs différents.
Enfin l’Himalaya a vu se succéder
ou
se
superposer tous les grands phénomènes
géodynamiques caractéristiques de la
tectonique globale
ou
tectonique des
plaques
:
éclatement de continent, océa-
nisation, destruction de l’océan (subduc-
tion, obduction), collision, cisaillement et
redoublement de la croûte continentale.
I1
présente donc
un
résumé complet de
l’histoire de la lithosphère.
Des équipes de recherches appartenant
aux nations riveraines (Chine, Inde, Né-
pal, Pakistan)
ou
à
d’autres (Allemagne,
Australie, Autriche, Canada, Grande-
Bretagne, Italie, Japon, Pays-Bas, Po-
logne, Suisse, Etats-Unis) participent
à
l’effort d’investigation. Une grande partie
de ce vaste domaine d’accès peu aisé est
demeurée inexplorée dans le détail jus-
qu’à une date récente, pour des raisons
principalement politiques. Les équipes
françaises ont entamé l’étude de l’Hima-
laya dès 1954, dans le sillage des ex-
péditions alpinistes. En 1963, le
CNRS
(Centre national de la recherche scienti-
fique) décidait de soutenir une équipe
pluridisciplinaire (écologistes, ethno-
logues, géographes, géologues, méde-
cins) qui se consacrait
à
l’étude de l’Hi-
malaya du Népal. Par la suite, l’ouverture
de régions longtemps interdites aux étran-
gers a permis d’élargir le champ d’étude
au Ladakh en 1976, puis au Tibet en 1980.
Pendant trois ans (1980-1983), une impor-
tante mission franco-chinoise (CNRS et
ministère de la géologie de Chine) a ainsi
pu travailler au sud
du
Tibet. Elle a été
relayée par
un
groupe anglais qui a pris en
charge l’étude d’une transversale nord-
sud de l’ensemble du plateau du Tibet.
I1 ne faut cependant pas imaginer, ten-
dance fréquente de
nos
jours, que la dé-
couverte de cette région ait commencé
avec nous.
Dès
le milieu du siècle pré-
cédent, les Himalayas
(un
Himal en népa-
li
est une montagne couverte de neiges
éternelles
;
en tibétain elle se nomme
Kangri
ou
Kanri) ont attiré des cher-
cheurs hardis, qui
y
ont parfois laissé leur
vie.
I1
n’est que de consulter les volumes
des
Memoirs
and
Records
of
the Geologi-
cal
Survey
of
India
pour constater
combien de découvertes importantes sont
dues
à
ces précurseurs surtout anglais
comme Medlicott (1864-1876) et Lydek-
ker (1876-1883)
ou
autrichiens comme
Stoliczka
(1865)
mort
à
la Karakorum
pass.
Tous
ces travaux avaient d’ailleurs
permis
à
E.
Argand, de Lausanne, d’éta-
blir dès 1922 sa célèbre synthèse sur la
tectonique de l’Asie présentée au
Congrès ?Tologique international de
Bruxelles(-
.
Plus près de
nous,
A. Gans-
ser, de Zurich, publiait en 1964
un
ou-
vrage remarquablement illustré qui faisait
le point des connaissances et sert encore
de référence(3). Que savons-nous au-
jourd’hui de cette chaîne de montagnes
qui a passionné tant de générations de
géologues
?
Le toit
du
monde parfois
saisi de tremblements.
La chaîne himalayenne
(fig.
2)
borde
au nord
le
sous-continent indien qu’elle
sépare du haut-plateau tibétain. Elle
s’étend sur plus de deux mille cinq cents
kilomètres avec une direction générale
WNW-ESE
(N 120O). Cette chaîne présente
la caractéristique de comporter dix des
plus hauts sommets du monde, dépassant
huit kilomètres d’altitude (Kangchenjon-
ga,
8
598 mètres
;
Makalu,
8
475 mètres
;
Lhotse,
8
501
mètres
;
Cho Oyu,
8
153
mètres
;
Xixa Pamgma,
8
016
mètres
;
Manaslu,
8
125
mètres
;
Annapurna,
8
O91 mètres
;
Daulaghiri,
8
167 mètres
;
Nanga Parbat,
8
126
mètres)
;
atteignant
presque neuf kilomètres au Qomolangma
(nom tibétain de l’Everest qui possède
aussi
un
nom népali
:
Sagarmatha)
;
les
quatre autres sommets dépassant huit ki-
lomètres se situent
non
loin, au Karako-
rum (K2,8
611
mètres
;
Gasherbrum
I
ou
Hidden Peak,
8
068
mètres, Broad Peak,
S
047 mètres
;
Gasherbrum
II,
8
035
mètres).
Vers l’ouest, comme vers l’est, la
chaîne est relayée par des systèmes mon-
tagneux moins élevés, orientés en gros
nord-sud. I1 existe donc
à
chacune de ses
extrémités
un
changement brutal de di-
rection de la chaîne, ce que les géologues
nomment une virgation. Au-del2 de celle
de l’ouest, dite du Punjab
ou
encore de
Nanga Parbat
(8
126
mètres), se déve-
loppent les systèmes montagneux sub-dé-
sertiques de l’ouest du Pakistan et de l’est
de I’Afghanistan
:
chaîne du Kohistan, du
Waziristan, du Belouchistan, de Sulei-
man, de Kirthar. A l’est, la virgation
d’Assam
ou
de Namche Barwa (7755
mètres) relie l’Himalaya aux chaînes de
Birmanie (Arakan-Chin, Yoma) plus
basses
et
recouvertes par la jungle.
La chaîne himalayenne est située sur
une limite active du globe. Cela se traduit
par une séismicité imp~rtante‘~) avec en
moyenne
un
séisme violent tous les vingt-
cinq ans
;
le dernier date de l’été 1988. La
plupart de ces séismes sont relativement
superficiels. Leur foyer se trouve entre
dix et quarante kilomètres de profondeur,
et ils sont d’autant moins profonds que
situés plus au sud, donc plus proches du
front de la chaîne. Cela indique que la
surface sismiquement active s’enfonce
doucement
sous
la chaîne depuis sa bor-
dure méridionale. Ces séismes traduisent
une déformation en compression, donc
un
raccourcissement
sous
la chaîne. L‘ac-
tivité de la chaîne se traduit également
par des variations d’altitude. Celles-ci ont
pour résultat des plissements des nappes
d’alluvions récentes car le soulèvement
n’est pas uniforme
;
il est en particulier
3O”Sud Inde Neotethys Sud bet
100
km
B
I
--
50’
Sud Inde
1
140
32
VOLUME
21
LA
RECHERCHE
No
21
7
JANVIER
1990
GÉOLOGIE
Figure
2.
La chaîue liiinalayenne, située au nord
de l’Inde et au sud du Tibet, se prololige
Ci
l’est
par la cltaîne birmane et
à
l’ouest par la cliaîue
béloutclte. L’ensentble constitue
IC
système péri-
indien. Au nord, la limite (en vert) est la zone de
suture, correspondant
à
la cicatrice laissée par la
fermeture de l’ancien océan néotétliysien
;
au sud
(en ronge), c’est ce
qu’on
appelle le chevauclie-
ment bordier (MBT), le long duquel la croûte
contiitentale indienne, poussée par l’ouverture de
l’océan Indien, est en traiu de disparaître sous
l’Eurasie, entraînant la surrection de la chaîne
liiinalayenne. La première surface de redouble-
ment de Ia croûte (duplication), aujourd’ltui
inactive, est le clievauclzement central (MCT, en
rose).
II
correspond vers
35-40
MA
à
la rupture
de la croûte Itimalayenne, la partie sud s’enfon-
çant
sous
la partie nord. La zone actuellement
active est celle du MBT; elle est associée
Ci
une
séismicité assez importaiate (points noirs). Les
séismes sont décalés vers le nord, ce qui indique
bieu que Ia croûte indienne plonge dans cette
direction sous la chaîne.
On
a reporté en orange
sur ce scltéiua deux courbes d’égale valeur de
l’anoinalie de gravité. Le doniaine continental,
ici l’Inde, est en général caractérisé par iute
faible anomalie négative (entre
O
et
-50
mgal),
le domaine océanique par de faibles anomalies
positives
(O
à
4-50
mgal); en Himalaya existent
de fortes anomalies négatives, par exemple au
Kasliinir Panomalie atteint
-500
mgal. Ces
fortes anomalies indiquent que la croûte est ici
très épaisse.
plus important sur le front de la chaîne.
Les ouvrages de génie civil, conduites
forcées
ou
canaux, situés sur ce front
à
la
limite entre la chaîne et la plaine du
Gange sont déformés
;
ainsi a-t-on obser-
un raccourcissement horizontal attei-
gnant quelques dixikmes de millimètres
par mois, sur une galerie près de Dehra-
dun. Des contrôles de nivellement trBs
précis confirment l’existence de varia-
tions d’altitude de l’ordre du millimètre
par an.
On
sait que
sous
les montagnes la
croûte terrestre est épaisse. En effet la
Terre est formée d’enveloppes succes-
sives emboîtées. L‘enveloppe extérieure
est la croûte, constituée de matériau peu
dense, qui repose en équilibre archimé-
10”
Nord
20”
Nord
,
30”Nord
I
dien (principe d’Archimède) sur le man-
teau plus dense.
A
l’échelle du globe, le
principe d’Archimède se nomme principe
d‘isostasie
ou
équilibre isostatique.
S’agissant de la plus haute chaîne du
monde, et en vertu de ce principe, la
croûte terrestre atteint
sous
l’Himalaya
une épaisseur importante, pratiquement
double de la normale. La discontinuité de
Mohorovicic
(MOHO),
séparant la croûte
~
Inde suture Sud Tibet
52
et
I
!A
RECHERCHE
No
217 JANVIER
1990
Inde Mahabharat Himalaya
su+ure
Sud Tibet
MBT
.
____.--_
MCT
_.--
du
manteau, se situe
à
près de soixante-
dix kilomètres de profondeur (fig.
3).
Cela apparaît bien sur les profils sis-
miques réalisés
à
travers la chaîne par les
géophy~iciens(~) et se traduit par de fortes
anomalies de la pesanteur (gradient de
gravité de l’ordre de
450
mgal) (fig.
2).
Ainsi la chaîne himalayenne est un do-
maine actif de la croûte terrestre situé en
plein continent asiatique
;
c’est une
Figure
3.
L’évolution du domaike himalayen
peut se résumer en
six
étapes figurées sur ce
schéma.
En
A, entre
260
et
240
MA (Permien-
Trias), un rift se forme dans le continent de
Gondwana, une lanière, le sud Tibet va se déta-
cher. Au nord, l’océan, la Paléotéthys, se détruit
sous
l’Asie, bloc nord Tibet. En
B,
vers
230
MA
(Trias supérieur),
un
amincissement de la litho-
sphère a provoqué la rupture de la croûte et la
naissance de marges coqtinentales.
En
C,
vers
150-140
MA
fiil
du Jurassique, début du Créta-
cé), l’océan néotétliysien s’est formé; la marge
tibétaine est devenue active, de type andin, le
magmatisme
et
le volcanisme (futures cltaînes du
Ladakh et Kangdese) s’établit; en
D,
vers
52
MA,
Pocéan néotéthysien est rdsorbé par subduction
complète sous la marge tibétaine, sous l’effet de
l’ouverture de l’océan Indien au sud de l’lude.
Les deux marges sont en contact (collision),
un
peu de matériel océanique est passé par-dessus
l’Inde (obduction).
En
E,
vers
15
MA (milieu du
Miocène), la poussée persistante de l’Inde sous
l’effet de l’ouverture de l’océan Indien, entraîne
le redoublement de la croûte continentale in-
dienne. L’Inde commeiice
à
s’enfoncer sous la
chaîne himalayenne.
En
F,
actuellement, les
mêmes causes engendrant les mêmes effets,
l’Inde continue
à
s’enfoncer
sous
la chaîne, une
deuxième rupture est apparue dans la croûte
continentale.
VOLUME
21
PAGE
33
(1)
Himalayas
Autrement,
H.S
no 28, 1988.
(2)
E.
Argand,
<<
La
tectonique
de l’Asie
n,
C.R.
13
Congr. Géol.
Intern.,
1922, 171.
(3) A. Ganser,
Geology
of
the Himalayas,
Wiley, 1964.
(4)
P.
Molnar,
Rev. Earth
Planet. Sci.,
12,
489, 1984.
(5)
A. Hirn et
M.
Sapin,
Ann.
Geoph.,
2,
123, 1984.
Une Bvolution
en cinq actes.
(6)
J.P.
I
Bassoullet
et
al.,
Mém. BRGM,
no
115, 180,
1980
;
I.
Reuber
et
al
Geod. Acta,
1,
283, 1987.
(7)
J.
P.
Bassoullet.
et
al.,
C.R. Acad.
Sci.
Paris,
287,
675, 1978.
chaîne intracontinentale. Cette situation
est le résultat, récent
à
l’tchelle géolo-
gique, d’une histoire complexe, qui a dé-
buté il
y
a près de 260 MA. Reconstituer
cette histoire nécessite d’analyser fine-
ment les couches de terrains qui consti-
tuent la chaîne elle-même, d’en retrouver
les conditions de genèse (profondeur et
latitude des dépôts pour le matériel sédi-
mentaire
;
température, pression et ori-
gine pour le matériel magmatique), ainsi
que celles de leur déformation et de leur
transformation. Ce travail nécessite l’em-
ploi de méthodes analytiques diverses
ayant toutes en commun l’observation des
roches
à
différentes échelles.
Acte
1
:
separation
du
bloc du sud Tibet,
naissance de
la
Nbt6thys.
L‘histoire de la future chaîne débute un
peu avant
260
MA (fig.
3).
A cette
époque en effet, le super-continent de
Pangée commence
à
se briser. Ce super-
continent s’était formé vers la fin des
temps primaires
(330-300
MA) lorsque
trois blocs continentaux, constitués d’un
ensemble
1
(Amérique du Sud-Afrique-
Arabie-Inde-Australie-Antarctique),
d’un
ensemble
2
(Amérique du Nord-Europe)
et d’un ensemble
3
(Sibérie), s’étaient
soudés formant la grande chaîne hercy-
nienne euraméricaine d‘une part, celle de
l’Oural de l’autre. A ce super-continent
correspondait
un
super-océan Panthalas-
sa (largeur du Pacifique
+
largeur de
l’Atlantique actuel), qui présentait un
très large golfe engagé dans la Pangée,
équivalent de l’océan Indien actuel. Ce
très large golfe océanique est nommé Pa-
léotéthys. Au travers du continent,
s’ou-
vrait, *il y a 260 MA, une craquelure
délimitant une lanière, le bloc du sud
Tibet. Cette lanière, relativement étroite
à
l’échelle du continent, mesurait près de
quatre-cents kilomètres dans sa plus
grande largeur. Elle rappelait
un
peu la
e
lanière
>>
d’Afrique orientale (Erythrée-
Somalie-Tanzanie-Mozambique) qui se
sé-
pare actuellement du reste de l’Afrique
au niveau des fossés est-africains. Cepen-
dant, longue de quatre mille kilomètres,
et avec une largeur maximale dépassant
mille kilomètres, cette lanière africaine
est plus vaste que ne l’était la lanière
sud-tibétaine.
La reconstitution du scénario de rup-
ture que
nous
avons proposée
à
la suite
des recherches effectuées au Ladakh et au
Tibet se fonde sur deux groupes d’argu-
ments principaux(6).
I1
faut d’abord certi-
fier
que le bloc du sud Tibet s’est détaché
du reste du continent. Cela repose sur
l’observation, dans les deux domaines, de
structures identiques antérieures
à
la rup-
ture
et
assez particulières pour être carac-
téristiques. I1 s’agit en l’occurrence
de séries sédimentaires montrant des in-
fluences glaciaires dénommées tillites.
Elles datent du Paléozoïque supérieur
(Carbonifère-Permien, entre
320
et 270
MA) et sont connues
sous
le nom d’cc
Ag-
glomeratic slates
>>.
Ces formations in-
,
34
VOLUME21
diquent qu’un domaine émergé environ-
nant était en partie occupé par des
glaciers
ou
au moins qu’existaient des
calottes de glace sur des sommets assez
élevés. De telles formations sont pré-
sentes dans le Carbonifère-Permien, en
Inde et au sud Tibet.
I1 faut ensuite déceler les traces de la
rupture. Celles-ci sont de deux ordres.
I1
y a d’abord une intense activité volca-
nique caractérisée par des séries mag-
matiques (anciennes laves) pour lesquel-
les les analyses géochimiques réalisées
depuis
1980
montrent qu’elles appar-
tiennent
à
la lignée alcaline, c’est-à-dire
le pourcentage de soude et potasse
représente
5
à
6
%
du total de l’analyse.
Elles se mettent en place au cours du
Permien (entre
270
et
250
MA) consti-
tuant les
<<
Panjal traps
>>
du Cachemire et
au cours du Trias. Or, actuellement, les
zones
se fragmente la lithosphère (fos-
sés
africains),
ou
celles
elle s’est frag-
mentée récemment (Limagne, Alsace),
présentent des séries volcaniques
à
carac-
tère alcalin. Ainsi le volcanisme alcalin
est un argument en faveur de la frag-
mentation du continent du Gondwana (la
partie sud de l’ancienne Pangée). Un
deuxième argument provient de l’obser-
vation d’un changement très important de
la profondeur de dépôt des sédiments
à
la
limite Permien-Trias (245 MA). Nous
avons en effet eu la chance de trouver des
affleurements
ce passage est obser-
vable. Les sédiments permiens sont re-
présentés par des calcaires déposés
à
fleur
d’eau,
un
peu comme sur les bords de la
mer Rouge actuelle. En témoignent en
particulier des fossiles d‘algues et de poly-
piers, organismes qui ne vivent que dans
la zone
pénètre la lumière. Cette situa-
tion dure jusqu’à la fin du Permien (245
MA). Puis, brutalement, apparaissent, au
tout début du Trias (peu après
245
MA),
des faciès très différents, beaucoup plus
profonds(7), constitués de calcaires
rouges
à
fossiles d’animaux vivants en
haute mer (ammonites, conodontes) ana-
logues aux dépôts actuels de la Méditerra-
née profonde. ,Ainsi cette succession
témoigne-t-ellé d’un mouvement brutal
d’enfoncement survenu aux environs de
-245
MA, mouvement que les géologues
dénomment subsidence. Une telle sub-
sidence brutale, dite encore subsidence
initiale,
est
la signature classique d‘un
important étirement de la lithosphère,
donc d’un déchirement intéressant la
croûte continentale.
LA
RECHERCHE
No
217 JANWER 1990
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !