Le toit du monde n’est pas seulement peuplé par toutes sortes de divinit6s, on y rencontre aussi de nombreux scientifiques. Parmi ces derniers, les géologues parcourent inlassablement depuis de nombreuses années la chaîne himalayenne, pour en découvrir ses moindres secrets. Résultat spectaculaire de la COIlisíon entre I’lnde et l’Asie, ceffe chaîne de montugnes est encore jeune et en pleine activité. LWude de son histoire, v6ritable résum6 de 1’6volution de la lithosphere, permet de , retracer celle de chaînes de montagnes plus anciennes pour lesquelles le temps a brouillé les pistes de toute reconsfitution. ~ / a chaîne himalayenne est la plus élevée du monde. Cette caractéristique se traduit dans le subconstient de ceux qu’elle domine ou de ceux qui en rêvent par des appréciations diverses. Ainsi les dieux hindouistes, les divinités bouddhistes ou animistes peuplent-ils l’Himalaya, *< ils y dansent à la lisière de la Terre et de l’infini dl). L 30 VOLUME21 Pour ceux que tente cette destination d’aventure, l’Himalaya représente tantôt le troisième pôle de la planète, tantôt une autre dimension de la Terre (fig. 1).Audelà du rêve alpiniste devenu réalité, l’Himalaya suscite aussi l’intérêt des scientifiques ; les environnements montagneux avec fort dénivelé attirent médecins, physiologistes, écologistes qui souhaitent analyser les effets sur les organismes des variations rapides de pression (voir << L‘adaptation à l’altitude D dans La Recherche de décembre 1987) ; les sociétés restreintes à échanges réduits, caractérisant chaque vallée, représentent un terrain d’étude rêvé pour les ethnologues, linguistes et économistes. Pour les géologues, l’attrait est multiLA RECHERCHE No 217 JANVIER 1990 ie I L par Georges Mascle, Bemard Delwillau et G6rard Herail .Figure 1. La chaîne himalayenne, la plus élevée du monde, suscite un grand intérêt chez les géologues. Les images prises par la navette américaine Challenger permettent d’obtenir une vue d’ensemble d’use portion de cette région très complexe. Sur la pliotographie (B) la navette survole le Tibet et l’image est prise en regardant vers le sud-sud-est. Au tout premier plan, la zone de suture entre l’Inde et le Tibet; un peu à C’arrière, la dépression de Thakkliola-Mustang est un fossé récent indiquant que le plateau tibétain tend à se dilater dans le sens est-ouest, donc perpendiculairement à l’allongement de la chaîne. Les montagnes enneigées bordant le fossé sont à l’est (à gauche), les Annapurnas (8 091 mètres) et le Manaslu (8 125 mètres); à l’ouest (à droite), le Daulaghiri (8 I67 mètres). Au tout dernier plan, coin haut droit, la plaine où divaguent les rivières est la dépression du Gange remplie de sédiments récents issus de Pérosion de la chaîne. Entre les deux s’observe une zone où les reliefs sont alignés, c’est le front actif de la cltaîne en cours de déformation, et une zone de reliefs moins ordonnés correspondant au moyen pays en cours de soulèvement et d’érosion. (Clichés 0 Galen RowlFovea et Nasa) ple. Tout d’abord l’Himalaya est la plus importante chaîne intracontinentale active. De nombreuses chaînes montagneuses sont situées en plein continent : les Pyrénées, l’Oural, les Rocheuses, le Pamir. Beaucoup sont des objets achevés, hérités de conditions géodynamiques qui n’existent plus en ces lieux. Seules les chaînes d’Asie centrale, Himalaya, CauLA RECHERCHE No 217 JAMIER 1990 case, Pamir, Kouen Lun, Tian Chan ... présentent encore une activité importante. Mais, à l’inverse des autres, l’Himalaya est une chaîne jeune oh pratiquement rien n’est hérité d’autres chaînes plus anciennes. I1 est donc plus aisé d’y accéder aux caractéristiques propres 2 ce type de chaînes sans avoir besoin de trier parmi des structures d’âges différents. En ’ second lieu, le dénivelé vertical est important, 8 848 mètres à l’Everest, 50 mètres au débouché de la Khosi au Népal, point le plus bas de la chaîne. Cela permet d’observer depuis les zones de déformation les plus profondes jusqu’aux plus superficielles et, par exemple, d’accéder au plafond, au plancher et aux parois d’une << bulle n de granite. HabituelleVOLUME 21 PAGE 31 ‘ L’Himalaya :un &sum6 complet de I’hisfoire de 1 0 lithosph&e. Georges Mascle est professeur a l’université Joseph Fourier (Grenoble I) et responsable du laboratoire de géologie alpine (LGN, équipe associée au CNRS. Bernard Delcalllau est maître de conférences de géographie physique a l’institut Daniel Faucher de l’université de Toulouse-Le Mirail, équipe associée au CNRS. GBrard Herail, chercheur de l’institut Daniel Faucher, est actuellement détaché comme directeur de recherches auprès de la mission ORSTOM Bolivie a La Paz. Tous trois ont travaillé en Himalaya au sein du GRECO HimalayaKarakorum du CNRS. ment de telles observations nécessitent de recourir à des forages ou de corréler entre elles des données issues de plusieurs massifs différents. Enfin l’Himalaya a vu se succéder ou se superposer tous les grands phénomènes géodynamiques caractéristiques de la tectonique globale ou tectonique des plaques : éclatement de continent, océanisation, destruction de l’océan (subduction, obduction), collision, cisaillement et redoublement de la croûte continentale. I1 présente donc un résumé complet de l’histoire de la lithosphère. Des équipes de recherches appartenant aux nations riveraines (Chine, Inde, Népal, Pakistan) ou à d’autres (Allemagne, Australie, Autriche, Canada, GrandeBretagne, Italie, Japon, Pays-Bas, Pologne, Suisse, Etats-Unis) participent à l’effort d’investigation. Une grande partie de ce vaste domaine d’accès peu aisé est demeurée inexplorée dans le détail jusqu’à une date récente, pour des raisons principalement politiques. Les équipes françaises ont entamé l’étude de l’Himalaya dès 1954, dans le sillage des expéditions alpinistes. En 1963, le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) décidait de soutenir une équipe pluridisciplinaire (écologistes, ethnologues, géographes, géologues, médecins) qui se consacrait à l’étude de l’Himalaya du Népal. Par la suite, l’ouverture de régions longtemps interdites aux étrangers a permis d’élargir le champ d’étude au Ladakh en 1976, puis au Tibet en 1980. Pendant trois ans (1980-1983), une importante mission franco-chinoise (CNRSet ministère de la géologie de Chine) a ainsi pu travailler au sud du Tibet. Elle a été relayée par un groupe anglais qui a pris en charge l’étude d’une transversale nordsud de l’ensemble du plateau du Tibet. I1 ne faut cependant pas imaginer, tendance fréquente de nos jours, que la découverte de cette région ait commencé 3O”Sud Inde avec nous. Dès le milieu du siècle précédent, les Himalayas (un Himal en népali est une montagne couverte de neiges éternelles ; en tibétain elle se nomme Kangri ou Kanri) ont attiré des chercheurs hardis, qui y ont parfois laissé leur vie. I1 n’est que de consulter les volumes des Memoirs and Records of the Geological Survey of India pour constater combien de découvertes importantes sont dues à ces précurseurs surtout anglais comme Medlicott (1864-1876) et Lydekker (1876-1883) ou autrichiens comme Stoliczka (1865) mort à la Karakorum pass. Tous ces travaux avaient d’ailleurs permis à E. Argand, de Lausanne, d’établir dès 1922 sa célèbre synthèse sur la tectonique de l’Asie présentée au Congrès ?Tologique international de Bruxelles(- . Plus près de nous, A. Gansser, de Zurich, publiait en 1964 un ouvrage remarquablement illustré qui faisait le point des connaissances et sert encore de référence(3). Que savons-nous aujourd’hui de cette chaîne de montagnes qui a passionné tant de générations de géologues ? Le toit du monde parfois saisi de tremblements. La chaîne himalayenne (fig. 2) borde au nord le sous-continent indien qu’elle sépare du haut-plateau tibétain. Elle s’étend sur plus de deux mille cinq cents kilomètres avec une direction générale WNW-ESE (N 120O). Cette chaîne présente la caractéristique de comporter dix des plus hauts sommets du monde, dépassant huit kilomètres d’altitude (Kangchenjonga, 8 598 mètres ; Makalu, 8 475 mètres ; Lhotse, 8 501 mètres ; Cho Oyu, 8 153 mètres ; Xixa Pamgma, 8 016 mètres ; Manaslu, 8 125 mètres ; Annapurna, 8 O91 mètres ; Daulaghiri, 8 167 mètres ; Nanga Parbat, 8 126 mètres) ; atteignant presque neuf kilomètres au Qomolangma Neotethys (nom tibétain de l’Everest qui possède aussi un nom népali : Sagarmatha) ; les quatre autres sommets dépassant huit kilomètres se situent non loin, au Karakorum (K2,8 611 mètres ; Gasherbrum I ou Hidden Peak, 8 068 mètres, Broad Peak, S 047 mètres ; Gasherbrum II, 8 035 mètres). Vers l’ouest, comme vers l’est, la chaîne est relayée par des systèmes montagneux moins élevés, orientés en gros nord-sud. I1 existe donc à chacune de ses extrémités un changement brutal de direction de la chaîne, ce que les géologues nomment une virgation. Au-del2 de celle de l’ouest, dite du Punjab ou encore de Nanga Parbat (8 126 mètres), se développent les systèmes montagneux sub-désertiques de l’ouest du Pakistan et de l’est de I’Afghanistan : chaîne du Kohistan, du Waziristan, du Belouchistan, de Suleiman, de Kirthar. A l’est, la virgation d’Assam ou de Namche Barwa (7755 mètres) relie l’Himalaya aux chaînes de Birmanie (Arakan-Chin, Yoma) plus basses et recouvertes par la jungle. La chaîne himalayenne est située sur une limite active du globe. Cela se traduit par une séismicité imp~rtante‘~) avec en moyenne un séisme violent tous les vingtcinq ans ; le dernier date de l’été 1988. La plupart de ces séismes sont relativement superficiels. Leur foyer se trouve entre dix et quarante kilomètres de profondeur, et ils sont d’autant moins profonds que situés plus au sud, donc plus proches du front de la chaîne. Cela indique que la surface sismiquement active s’enfonce doucement sous la chaîne depuis sa bordure méridionale. Ces séismes traduisent une déformation en compression, donc un raccourcissement sous la chaîne. L‘activité de la chaîne se traduit également par des variations d’altitude. Celles-ci ont pour résultat des plissements des nappes d’alluvions récentes car le soulèvement n’est pas uniforme ; il est en particulier Sud bet 100 km B -- I 50’ Sud 1 Inde 140 32 VOLUME 21 LA RECHERCHE No 217 JANVIER 1990 GÉOLOGIE Figure 2. La chaîue liiinalayenne, située au nord de l’Inde et au sud du Tibet, se prololige Ci l’est par la cltaîne birmane et à l’ouest par la cliaîue béloutclte. L’ensentble constitue IC système périindien. A u nord, la limite (en vert) est la zone de suture, correspondant à la cicatrice laissée par la fermeture de l’ancien océan néotétliysien ;au sud (en ronge), c’est ce qu’on appelle le chevaucliement bordier (MBT), le long duquel la croûte contiitentale indienne, poussée par l’ouverture de l’océan Indien, est en traiu de disparaître sous l’Eurasie, entraînant la surrection de la chaîne liiinalayenne. La première surface de redoublement de Ia croûte (duplication), aujourd’ltui inactive, est le clievauclzement central (MCT, en rose). II correspond vers 35-40 M A à la rupture de la croûte Itimalayenne, la partie sud s’enfonçant sous la partie nord. La zone actuellement active est celle du MBT; elle est associée Ci une séismicité assez importaiate (points noirs). Les séismes sont décalés vers le nord, ce qui indique bieu que Ia croûte indienne plonge dans cette direction sous la chaîne. On a reporté en orange sur ce scltéiua deux courbes d’égale valeur de l’anoinalie de gravité. Le doniaine continental, ici l’Inde, est en général caractérisé par iute faible anomalie négative (entre O et -50 mgal), le domaine océanique par de faibles anomalies positives (O à 4-50 mgal); en Himalaya existent de fortes anomalies négatives, par exemple au Kasliinir Panomalie atteint -500 mgal. Ces fortes anomalies indiquent que la croûte est ici très épaisse. plus important sur le front de la chaîne. Les ouvrages de génie civil, conduites forcées ou canaux, situés sur ce front à la limite entre la chaîne et la plaine du Gange sont déformés ; ainsi a-t-on observé un raccourcissement horizontal atteignant quelques dixikmes de millimètres par mois, sur une galerie près de Dehradun. Des contrôles de nivellement trBs précis confirment l’existence de variations d’altitude de l’ordre du millimètre par an. On sait que sous les montagnes la croûte terrestre est épaisse. En effet la Terre est formée d’enveloppes successives emboîtées. L‘enveloppe extérieure est la croûte, constituée de matériau peu dense, qui repose en équilibre archimé- dien (principe d’Archimède) sur le manteau plus dense. A l’échelle du globe, le principe d’Archimède se nomme principe d‘isostasie ou équilibre isostatique. S’agissant de la plus haute chaîne du monde, et en vertu de ce principe, la croûte terrestre atteint sous l’Himalaya une épaisseur importante, pratiquement double de la normale. La discontinuité de Mohorovicic (MOHO), séparant la croûte ~ Inde 10” Nord suture Sud Tibet 52 et 20” Nord , ’ Inde 30”Nord Mahabharat Himalaya MBT .____.--_ MCT I I !A RECHERCHE No 217 JANVIER 1990 su+ure _.-- Sud Tibet du manteau, se situe à près de soixantedix kilomètres de profondeur (fig. 3). Cela apparaît bien sur les profils sismiques réalisés à travers la chaîne par les géophy~iciens(~) et se traduit par de fortes anomalies de la pesanteur (gradient de gravité de l’ordre de 450 mgal) (fig. 2). Ainsi la chaîne himalayenne est un domaine actif de la croûte terrestre situé en plein continent asiatique ; c’est une Figure 3. L’évolution du domaike himalayen peut se résumer en six étapes figurées sur ce schéma. En A , entre 260 et 240 M A (PermienTrias), un rift se forme dans le continent de Gondwana, une lanière, le sud Tibet va se détacher. A u nord, l’océan, la Paléotéthys, se détruit sous l’Asie, bloc nord Tibet. E n B, vers 230 M A (Trias supérieur), un amincissement de la lithosphère a provoqué la rupture de la croûte et la naissance de marges coqtinentales. E n C, vers 150-140 M A f i i l du Jurassique, début du Crétacé), l’océan néotétliysien s’est formé; la marge tibétaine est devenue active, de type andin, le magmatisme et le volcanisme (futures cltaînes du Ladakh et Kangdese) s’établit; en D, vers 52 MA, Pocéan néotéthysien est rdsorbé par subduction complète sous la marge tibétaine, sous l’effet de l’ouverture de l’océan Indien au sud de l’lude. Les deux marges sont en contact (collision), un peu de matériel océanique est passé par-dessus l’Inde (obduction). En E, vers 15 M A (milieu du Miocène), la poussée persistante de l’Inde sous l’effet de l’ouverture de l’océan Indien, entraîne le redoublement de la croûte continentale indienne. L’Inde commeiice à s’enfoncer sous la chaîne himalayenne. En F, actuellement, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, l’Inde continue à s’enfoncer sous la chaîne, une deuxième rupture est apparue dans la croûte continentale. VOLUME 21 PAGE 33 (1) Himalayas Autrement, H.S no 28, 1988. (2) E. Argand, << La tectonique de l’Asie n, C.R. 13 Congr. Géol. Intern., 1922, 171. (3) A. Ganser, Geology of the Himalayas, Wiley, 1964. (4) P. Molnar, Rev. Earth Planet. Sci., 12, 489, 1984. (5) A. Hirn et M. Sapin, Ann. Geoph., 2, 123, 1984. Une Bvolution en cinq actes. chaîne intracontinentale. Cette situation est le résultat, récent à l’tchelle géologique, d’une histoire complexe, qui a débuté il y a près de 260 MA. Reconstituer cette histoire nécessite d’analyser finement les couches de terrains qui constituent la chaîne elle-même, d’en retrouver les conditions de genèse (profondeur et latitude des dépôts pour le matériel sédimentaire ; température, pression et origine pour le matériel magmatique), ainsi que celles de leur déformation et de leur transformation. Ce travail nécessite l’emploi de méthodes analytiques diverses ayant toutes en commun l’observation des roches à différentes échelles. Acte 1 : separation du bloc du sud Tibet, naissance de la Nbt6thys. L‘histoire de la future chaîne débute un peu avant 260 MA (fig. 3). A cette époque en effet, le super-continent de Pangée commence à se briser. Ce supercontinent s’était formé vers la fin des temps primaires (330-300 MA) lorsque trois blocs continentaux, constitués d’un ensemble 1 (Amérique du Sud-AfriqueArabie-Inde-Australie-Antarctique), d’un ensemble 2 (Amérique du Nord-Europe) et d’un ensemble 3 (Sibérie), s’étaient soudés formant la grande chaîne hercynienne euraméricaine d‘une part, celle de l’Oural de l’autre. A ce super-continent correspondait un super-océan Panthalassa (largeur du Pacifique largeur de l’Atlantique actuel), qui présentait un très large golfe engagé dans la Pangée, équivalent de l’océan Indien actuel. Ce très large golfe océanique est nommé Paléotéthys. Au travers du continent, s’ouvrait, *il y a 260 MA, une craquelure délimitant une lanière, le bloc du sud Tibet. Cette lanière, relativement étroite à l’échelle du continent, mesurait près de quatre-cents kilomètres dans sa plus grande largeur. Elle rappelait un peu la e lanière >> d’Afrique orientale (ErythréeSomalie-Tanzanie-Mozambique) qui se sépare actuellement du reste de l’Afrique au niveau des fossés est-africains. Cependant, longue de quatre mille kilomètres, et avec une largeur maximale dépassant mille kilomètres, cette lanière africaine est plus vaste que ne l’était la lanière sud-tibétaine. La reconstitution du scénario de rupture que nous avons proposée à la suite des recherches effectuées au Ladakh et au Tibet se fonde sur deux groupes d’argu(6) J.P. ments principaux(6). I1 faut d’abord certiBassoullet fier que le bloc du sud Tibet s’est détaché et al., du reste du continent. Cela repose sur Mém. BRGM, l’observation, dans les deux domaines, de no 115, 180, 1980; structures identiques antérieures à la rupI. Reuber et al , ture et assez particulières pour être caracGeod. Acta, téristiques. I1 s’agit en l’occurrence 1, 283, 1987. de séries sédimentaires montrant des in(7) J. P. fluences glaciaires dénommées tillites. Bassoullet. Elles datent du Paléozoïque supérieur et al., (Carbonifère-Permien, entre 320 et 270 C.R. Acad. MA) et sont connues sous le nom d’cc AgSci. Paris, 287, 675, 1978. glomeratic slates >>. Ces formations in- + I 34 VOLUME21 diquent qu’un domaine émergé environnant était en partie occupé par des glaciers ou au moins qu’existaient des calottes de glace sur des sommets assez élevés. De telles formations sont présentes dans le Carbonifère-Permien, en Inde et au sud Tibet. I1 faut ensuite déceler les traces de la rupture. Celles-ci sont de deux ordres. I1 y a d’abord une intense activité volcanique caractérisée par des séries magmatiques (anciennes laves) pour lesquelles les analyses géochimiques réalisées depuis 1980 montrent qu’elles appartiennent à la lignée alcaline, c’est-à-dire où le pourcentage de soude et potasse représente 5 à 6 % du total de l’analyse. Elles se mettent en place au cours du Permien (entre 270 et 250 MA) constituant les << Panjal traps >> du Cachemire et au cours du Trias. Or, actuellement, les zones où se fragmente la lithosphère (fossés africains), ou celles où elle s’est fragmentée récemment (Limagne, Alsace), présentent des séries volcaniques à caractère alcalin. Ainsi le volcanisme alcalin est un argument en faveur de la fragmentation du continent du Gondwana (la partie sud de l’ancienne Pangée). Un deuxième argument provient de l’obser- vation d’un changement très important de la profondeur de dépôt des sédiments à la limite Permien-Trias (245 MA). Nous avons en effet eu la chance de trouver des affleurements où ce passage est observable. Les sédiments permiens sont représentés par des calcaires déposés à fleur d’eau, un peu comme sur les bords de la mer Rouge actuelle. E n témoignent en particulier des fossiles d‘algues et de polypiers, organismes qui ne vivent que dans la zone où pénètre la lumière. Cette situation dure jusqu’à la fin du Permien (245 MA). Puis, brutalement, apparaissent, au tout début du Trias (peu après 245 MA), des faciès très différents, beaucoup plus profonds(7), constitués de calcaires rouges à fossiles d’animaux vivants en haute mer (ammonites, conodontes) analogues aux dépôts actuels de la Méditerranée profonde. ,Ainsi cette succession témoigne-t-ellé d’un mouvement brutal d’enfoncement survenu aux environs de -245 MA, mouvement que les géologues dénomment subsidence. Une telle subsidence brutale, dite encore subsidence initiale, est la signature classique d‘un important étirement de la lithosphère, donc d’un déchirement intéressant la croûte continentale. LA RECHERCHE No 217 JANWER 1990 L‘étirement est tel qu’un océan, déommé Néotéthys, va apparaître. C’est l’abord un océan étroit, situé entre deux llocs continentaux, du type de la mer touge actuelle. Mais, différence avec ette dernière, l’axe de l’océan est occupé lar une zone d’expansion océanique ralide (10 c d a n ) . Les deux blocs continen9ux vont donc s’écarter rapidement. ’our témoigner de cette histoire, nous isposons de deux types d’arguments. )es arguments directs sont fournis par l‘observation des restes de la lithosphère océanique. Ceux-ci jalonnent la zone de << suture s parcourue par le haut Indus et le Yalu Tsang Po. Dans cette région, les chercheurs du CNRS ont pu étudier des fragments de roches représentant un ancien manteau océanique (péridotites), qui sont d’ailleurs les séries océaniques les plus hautes du monde (6 500 mètres à Spongtang) (fig. 4). Existent également des morceaux de croûte océanique (basaltes en coussins) et de sédiments océaniques profonds (des radiolarites qui sont d’anciennes boues à radiolaires). Les arguments indirects proviennent de l’étude des séries sédimentaires. Bien que la région soit très déformée, nous avons en effet découvert que coexistaient à une LA RECHERCHE No 217 JANVIER 1990 GÉOLOGIE Figure 4. L’existence d’un ancien océan à la place aujourd’hui du Raut Indus et du Y a h Tsang Po est révélée par des témoins de lithosplière océanique ancienne :les oplciolites de Spongtang, qui sont du reste les séries océaniques les plus liantes du monde. A l’arrière-plan, le haut sommet proche de 6 500 mètres d’altitude situéà droite de la photo (au sud), estformé de péridotites, ancien manteau supérieur de la Téthys; les pentes un peu plus douces enneigées situées au-dessous représentent les (< mélanges N, c’est-à-dire un assemblage structural fornié par des sédiments raclés sur l’océan et la marge continentale, par l’unité constituée des ophiolites, lorsque celles-ci ont grimpé sur la marge (pliénomène d’obduction). Cette dernière est représentée ici par sa couverture de sédiments plissés visibles au premier plan. (Cliché G. Masele) .~ Figure 5. La dérive de l’Inde vers le nord entraîne la destruction de la Néotétliys, ce vaste océan qui s’était eréé entre -230 et -I50 millions d’années au niveau du futur Himalaya. L’une des deux marges de l’océan, celle du nord, devient alors active lorsque Ia litliosphère océanique ne‘otétltysienne y plonge sous la litliosplcère continentale du Tibet et disparaît d a m un phénomène de subduction. La subduction se traduit entre autres par la formation de inassifs de granitoïdes. Sur cette photographie, on peut voir les alluvions de la vallée de l’Indus formant une série de terrasses alluviales où se succèdent des oasis verdoyantes dans les zones irriguées, dont celle de Nimu. Au second plan, les granitoïdes du Ladakh forment des arêtes décliiquetées, siège d’une intense érosiori ; l’am*ère-plan les reliefs sombres formant l’axe de Ia chaîne montrent les volcanites du Wardung La, autre expression superficielle de la subduction. (Cliché G . Masele) Figure 6.Lors de la collision de l’Inde et du reste de l’Asie, les séries sédimentaires qui s’étaient déposées dans l’océan disparu sont déformées. Le pli synclinal d’Hémis est vu ici depuis le monastère de Gosaiig Gompa au LadakIi (drapeaux Ci prière au premier plan). Il est accompagné d’une légère schistosite‘ (débit anguleux de la roche). (ClicIié G. Mascle) VOLUME 21 PAGE 35 3 La longue di5rive de l’Inde vers le nord. même époque, au Trias et au Jurassique (de 240 à 160 MA), des séries déposées profondément sur un bas de talus continental et des séries peu profondes caractéristiques d’un haut de marge continentale. Mieux, on rencontre des Cléments du haut de marge continentale, intercalés dans les séries du talus, à la suite de glissement sur la pente continentale. Tout ceci témoigne de l’existence durant cet intervalle d’une ancienne marge conti- niques dits du troisième type, c’est-à-dire ni constitués de croûte continentale amincie comme sur les marges, ni constitués d’une croûte basaltique comme c’est généralement le cas dans l’océan ;.ces péridotites sont en effet parfois recouvertes directement par les sédiments océaniques indiquant ainsi qu’elles affleuraient sur le fond de la mer, comme c’est le cas des fonds océaniques récemment étudiés en Atlantique au large de l’Espagne (voir retrouve en effet également des élémen de lithosphère océanique, constituant 1 ophiolites, en particulier celles du Que ras et de Montgenèvre dans les Alp françaises (voir << La formation d Alpes >) dans La Recherche de décemb 1983). I1 se prolongeait également au I veau de l’Atlantique central, ent l’Afrique et l’Amérique du Nord. Enfin, le diamètre de la Terre éta fixe, l’ouverture de la Néotéthys impliqi qu’une fermeture se produise ailleurs. E l’occurrence celle-ci s’est produite i nord du bloc du sud Tibet par la ferm ture de la Paléotéthys; les traces s’( retrouvent au Tibet central sous la forn d’une suture séparant le bloc du sud Tib de celui du nord Tibet. Acte 2: deStNdOn de la Néotéthys. A partir de 150-140 MA (fig. 3) débu une autre phase de l’histoire du fut Himalaya. A cette époque, en effet, continent de Gondwana, moitié sud I l’ancien continent de Pangée, éclat D’abord (vers 150-140 MA) se sépare un ensemble Afrique-Amérique du Si et un ensemble Madagascar-Inde-Austr i Ml lie-Antarctique, Puis vers 110 ?100 ces blocs se séparent à leur tour en quat principaux ensembles mobiles : l’Am rique du Sud, l’Afrique et Madagascz l’Inde et enfin l’Australie et l’Anta1 tique. Naissent alors les océans Atla tique sud et Indien ouest. L’Inde est do désormais un bloc continental autonon encadré par l’océan, au nord la Néot thys, au sud l’océan Indien. Ce derni s’ouvre à grande vitesse, 18 cm/a comme l’ont montré les recherches océ nographiques@) réalisées tant par 1 équipes étrangères que françaises (IFR MER - Institut français pour la rechercl et l’exploitation de la mer -, Terres ai Figure 7 . Cette image satellite (LANDSAT) en fausse couleur du front himalayen au Népal central tiques et australes françaises), soit à u1 permet de distinguer les caractéristiques géologiques de cette vaste région. Trois domaines sont nettement visibles. Au sud, la plaine alluviale du Gange où divaguent les rivières descendues de la vitesse comparable à celle de la dorsa chaîne; cette zone est une dépression subsidente (en cours d’enfoncement) qui piège les débris sud-est pacifique actuelle. Ainsi l’In1 arrachés à la chaîne par l’érosion. Juste au nord, apparaissent des reliefs est-ouest en rouge sombre dérive-t-elle à grande vitesse vers le nor car, converts de jungle, séparant des dépressions losangiques (au milieu de l’image). Toute cette zone Le résultat de ce mouvement est correspond au domaine actif; les reliefs sont des plis chevauchantsvers l e - s u d - d u s i m e n t - destruction de la Néotéthys. L‘une d continu de l’Inde vers le nord. La croûte continentale indienne, soubassement du bassin du Gange s’enfonce vers le nord sous la chaîne. Cependant, le remplissage sédimentaire refuse partiellencent de deux marges de l’océan devient acth c’est-à-dire que la lithosphère océaniq suivre le mouvement et reste coincé en donnant les plis chevauchants. Enfin,plus au nord, les reliefs boisés (teinte rouge) et cultivés (teinte jaunâtre) correspondent au y plonge sous la lithosphère continents moyen pays himalayen. C’est une région en voie de soulèvement; le phénomène dominant y est et disparaît. Ce phénomène, dit de su l’érosiorc. La haute chaîne n’apparaît pas sur cette image; elle serait sitnée immédiatement au nord. La tache orangée située à droite (moitié est), dans le moyen pays, est le bassin de Kathmandu. II s’agit duction, se produit au niveau d’une fos d’un ancien lac qui s’est vidangé lorsque Pérosion régressive a fait sauter le barrage érigé par la océanique. Actuellement les marges i tipes présentent un certain nombre surrection de la chaîne au sud (Mahabharat). (Cliché Nasa) dispositifs bien caractéristiques, en par nentale, située au nord de l’Inde actuelle. << Les fonds sous-marins du troisième culier : l’existence d’une très profon La reconstitution de cette marge que type )> dans La Recherche de novembre fosse sous-marine, d’importantes anom nous avons proposée(6) conduit à un sché- 1987). Cette situation va durer une cen- lies de la pesanteur, une séismicité tr ma très proche de celui des marges ac- taine de millions d’années (jusqu’à 150- intense avec des tremblements de ter tuelles recouvertes de peu de sédiments, 140 MA). Un vaste océan se créera ainsi situés à grande profondeur, un volc telles que celles de Galice ou la marge au niveau du futur Himalaya, large sans nisme très actif. Tout ceci s’observe tI armoricaine en Atlantique (voir << Les doute de près de six mille kilomètres, bien tout autour du Pacifique actuel. Mi fonds sous-marins du troisième type >) I’équivalent de l’Atlantique central ac- ces caractères, qui sont ceux d’une mar actuelle, n’existent plus au nord de l’Inc dans La Recherche de novembre 1987). I1 tuel. existe même quelques indices pour enviL‘océan n’était pas limité à cette trans- En revanche, on peut observer les rési sager qu’une partie des péridotites, versale ; bien que moins large, il existait tats de l’activité, de l’ancienne marge roches d’origine profonde issues du man- égalèment entre l’Europe et l’Afrique, au particulier au Ladakh et au Tibet. I teau terrestre, formaient des fonds océa- niveau des chaînes alpines actuelles. On y effet, lorsqu’une lithosphère s’enfon 1 36 VOLUME21 LA RECHERCHE No 217 JANVIER 199 GÉOLOGIE sous une autre et atteint une certaine profondeur, en général proche de cent kilomètres, l’eau qu’elle contient, réchauffée et sous pression, induit la fusion du matériel environnant. I1 se crée un réservoir de magma. Celui-ci présente une composition géochimique particulière, caractérisée par une certaine abondance en calcium (magma calco-alcalin). Ce magma se met en place dans la lithosphère sus-jacente, soit en surface en c’est bien celle-ci, située au sud du Tibet, et non l’autre située au nord de l‘Inde, qui a été activée. On retrouve ainsi de nos jours les traces d’une activité volcanique calco-alcaline d’âge allant de 110 à SO MA au Tibetfg) et au Ladakh, ainsi que des ceintures de granitoïdes, datées de 120 à 40 MA(10), qui forment la chaîne du Ladakh et la chaîne de Kangdese au Tibet. On peut même préciser que la structure de la marge active devait varier longitudi- nant d’anciennes laves et d’anciens sédiments, transformés à haute pression à ‘la suite d’un enfouissement à plus de trente kilomètres de profondeur sous l’effet de la subduction. L‘étape de subduction dure de 150-140 MA à 52 MA. A partir de cette date au . droit de l’Inde, tout l’océan téthysien est consommé par la subduction (fig. 3) ; il est suturé, c’est-à-dire remplacé par une cicatrice ou suture. La marge passive nord-indienne arrive au contact de la marge active sud-tibétaine. Entre temps toutefois s’est déroulée la troisième étape de l’histoire. Acte 3: obduction de I’oc6an. Figure 8. Depuis la collision entre la marge passive nord iiidieitiie et la marge active (subduction) sud-tibétaine qui s’est traduite par la disparition totale de l’océan: la Néotéthys (zone de suture en vert), l’expansion de l’océan indien persiste, bien que ralentie. L’Inde continue donc à exercer une poussée vers le nord. La surface créée par l’expansion océanique doit correspondre à autant de surface détruite. La dimunition de la surface s’effectue à trois niveaux et au moyen de trois dispositifs successifs ou parfois simultanés: tout d’abord la croûte de Ia marge indienne amiucie s’est réépaissie en se dflormarit, ensuite est intervenue sa duplication qui continue au niveau du front actif himalayen (eli rouge triangle noir sur le schéma); siniultanément suivant le schéma de G . Peltzer de l%istitut de physique du globe de Pans et de ses collaborateurs, l’Asie orientale a été expulsée latéralemeut vers le Pacijïque, sous forme de grandes lanières (Chine, pbiiiisule iiidochiiioise, Malaisie) séparées par des grandes failles coulissantes (en orange sur le schéma) avec des phénomènes de subduction sous le Japon, les PIiilipines, etc. ( en rouge triangle blanc sur le schéma). Dans l’avenir, deux scénarios sont possibles :ou bien le système continuera avec la même logique et l’Asie orientale sera expulsée vers l’estjusqu’à ce que l’Inde se bloque sur le Siri Kiang ou la Sibérie ;ou bien une subduction apparaîtra au sud de l’Inde avec, pour celle-ci, le risque de forniatioit d’un bassin marginal au pied de C’Himalaya actuel; la déformation des sédiments situés au sud de l’Inde, observée récemment par des forages en mer, tendrait à indiquer que c’est plutôt ce scénario qui se met en place. donnant lieu au volcanisme explosif caractéristique des marges actives (SaintHelens, Nevado del Ruiz pour ne retenir que les éruptions les plus récentes), soit en profondeur en donnant des massifs de granitoïded9) (fig. 5). Les recherches sur’ le terrain et les études géochimiques réalisées sur des matériaux du Ladakh et du Tibet montrent que ces deux types de manifestations ont intéressé la marge active néotéthysienne apparue au nord de l’océan. Ils permettent de préciser que IA RECHERCHE No 217 JANVIER 1990 nalement. Vers l’est la subduction devait s’effectuer directement sous un domaine continental, le sud Tibet, la situation ressemblait à celle de 1’Amérique du Sud actuelle (subduction andine). Plus à l’ouest, au Kohistan (nord du Pakistan) existait un arc volcanique, du type des Mariannes ou des Tonga actuelles, et une mer marginale. Un autre indice d’activité de cette marge est fourni par la présence de schistes bleus(”); il s’agit de roches métamorphiques prove- Les ophiolites, témoins de l’ancienne croûte océanique, sont peu abondantes dans la chaîne himalayenne. Elles,y apparaissent sous deux types de gisement. Soit elles constituent un chapelet discontinu d’affleurements jalonnant la zone de suture dans les hautes vallées de l’Indus et du Yalu Tsang Po : il s’agit alors de gisements à l’aspect de lanière, parfois réduits à quelques mètres de large et quelques dizaines de mètres de longueur, mais pouvant atteindre quatre cents kilomètres de long sur cinq kilomètres de large, et très exceptionnellement quinze kilomètres, dans les régions de Laze-Xigaze au Tibet. Ces affleurements caractérisent la cicatrice de la Néotéthys refermée ou suture. I1 existe aussi d’autres, très rares, affleurements ophiolitiques situés au sud de la suture. Trois sont assez bien connus. La montagne de Spongtang située au sud du village de Photaksar au Ladakh est contournée par les nombreux trekkers qui empruntent le classique trajet Lamayuru Spadum. Elle couvre une superficie de cent quarante kilomètres carrés, l’altitude du plus haut sommet dépasse 6 500 mètres et la base des ophiolites se situe à près de S 200 mètres d’altitude (fig. 4). La montagne de Debring située à quelques kilomètres à l’est est de surface beaucoup plus petite (10 km*). En revanche, mille kilomètres plus ’à l’est, l’ensemble, appelé nappe de Jungbwa-Amlang La par A. Gansser, couvre une superficie de près de trois mille kilomètres carrés. Tous ces lambeaux ophiolitiques ont en commun de se situer assez loin au sud de la suture @squ’à soixantedix kilomètres) et de reposer sur les séries déformées de la marge indienye. Ils témoignent du transport des ophiolites sur la marge indienne ; la croûte océanique jeune, mince et fragile est poussée contre un vieux continent qu’elle finit par chevaucher, ce phénomène se nomme obduction (voir (< L’obduction >> dans La Recherche de mars 1987). I1 s’agit là des seules traces restant de l’immense océan néotéthysien, équivalent de l’Atlantique, et il peut paraître Ctonnant qu’il en reste si peu. Aussi une discussion est-elle en cours parmi les géologues ,himalayens. Les uns imaginent qu’une immense nappe ophiolitique continue, analogue à celle VOLUME 21 PAGE 37 (8) I. Norton et J. Sclater, J . Geophys. Res., 84, 6803, 1979. (9) C . Codon etal., E.P.S.L., 79, 281, 1986. (10) K. Honegger etal., E.P.S.L., 60, 253, 1982. (11) K. Honegger et al., Jouili. Metarn. Geol., 7, 57, 1989. Une cl6 pour comprendre les chaînes inactives. d’Oman, s’est mise en place puis a été éiodée, dont ces fragments ne représentent que quelques restes. Les autres pensent que l’obduction n’a concerné que quelques fragments disjoints, relativement restreints, de lithosphère océanique. La première solution n’est pas impossible eu égard à l’importance considérable de l’érosion qui a intéressé la chaîne himalayenne. Cette érosion est attestée par les dépôts retrouvés en mer dans le golfe du Bengale (embouchure du Gange) et le golfe de Cambay (embouchure de l’Indus). Ils représentent un volume d’environ cinq millions de kilomètres cubes, qui formerait une couche de près de sept kilomètres d’épaisseur si elle était étendue uniformément sur toute la superficie actuelle de la chaîne himalayenne. En tout cas,’ l’analyse des structures successives est possible sur ces ophiolites ; celle qui a été réalisée par I. Reuber, chercheur du GRECO Himalaya-Karakorum, montre que celles-ci se sont déformées dans l’océan à des températures de plus en plus basses(12),avant d’être transportées sur la marge en raclant des sédiments de l’océan et de la marge ; ceux-ci constituent respectivement les mélanges ophiolitiques et les nappes du Zanskar(13). On retrouve ainsi la succession classique d’événements : << traversée de l’océan >> puis cc assaut du continent >> dé(12) I. Reuber, crite lors des phénomènes d’obduction. Nature, L‘âge de l’obduction n’est pas facile à 321, 592, 1986. déterminer, car les derniers niveaux si(13) M. Colchen tués sous les nappes sont continentaux, et I. Reuber, C.R. Acad. Sci. sans fossile ; cependant les dernières couches fossilifères marines, situées peu Paris. 302. 325, 1986.. au-dessous, sont datées de la fin de YEo(14) T. Van cène inférieur, soit à 52 MA. L‘obduction hier s’est donc vraisemblablement terminée et al., vers cette époque. C.R. Acad. Sci. Paris, 302, 325, 1986. (15) A. Pêcher ’ Acte 4: collision des marges. A partir de 52 MA, les deux marges sont en contact, au Ladakh en tout cas (fig. 3). On a donc en contact, au sud, une marge passive nord-indienne, comportant, comme toute marge passive, une Geol. Soc. croûte continentale amincie, formée de Su. Pub., blocs basculés successifs et de leur cou13, 159, 1986. verture sédimentaire mince et, au nord, (17) B. une marge active sud-tibétaine ; celle-ci Deicaillau présente un ensemble de sédiments déforet al., Zeischr. Geomorph., més lors de la subduction, ces sédiments 31, 339, 1987. qui ne s’enfoncent pas dans le mouve(18) J. P. Burg ment de subduction, s’accumulent et et al., Journ. constituent ce qu’on appelle un prisme Struct. Geol., d‘accrétion installé en avant d’une zone 6, 535, 1984. volcanique (arc magmatique) (voir << Les (19) J. Besse, prismes d’accrétion >> dans L a Recherche thèse Paris, de novembre 1989). Les Cléments les plus 1986; J. Besse et fragiles sont : le prisme d’accrétion, les V. Courtillot, sédiments des blocs basculés et la croûte J. Geophys. Res., amincie. Sous la poussée de l’Inde, ces 93, 11791, 1988. éléments vont se déformer de façon (20) G. Peltzer complexe en donnant lieu à des charet al., C.R. riages et à des plis plus ou moins serrés et Acad. Sci. multiples accompagnés de transformaParis, 294, 1341, 1982. tions minérales ou structurelles (métaet P. Le Fort, << Sciences de la Terre B, mémoire 47, 285, 1986. (16) P. Le Fort, 38 VOLUME21 morphisme et schistosités) (fig. 6). Nous avons pu ainsi distinguer deux principales étapes de déformation, la plus ancienne se traduit par des plis et nappes dirigés vers le sud, la plus récente par des plis et failles vers le nord. L’ensemble revêt alors l’aspect d’un éventail qui rappelle à bien des égards la structure des Alpes (voir << La formation des Alpes >> dans L a Recherche de décembre 1983). L‘un des résultats de cette évolution est que la mer est définitivement chassée. Les derniers dépôts marins sont en effet peu postérieurs à 52 MA. Désormais les formations marines seront cantonnées au sud de l’Himalaya. Les bassins sédimentaires situés au nord seront remplis par des dépôts lacustres ou fluviatiles, comme c’est encore le cas de nos jours. Ceci ne facilite pas la datation des événements liés à la collision, car les rares fossiles contenus dans ces dépôts ne sont pas caractéristiques du point de vue chronologique. Nous avons cependant pu dater des minéraux apparus lors d’une phase de métamorphisme de bas degré (température et pression peu élevées) par la méthode potassium-argon. Les âges obtenus se situent entre 35 et 40 MA, soit .vers la fin de l’Eocènefl4).Cependant ces déformations datées ne sont pas les plus jeunes, d’autres plus récentes sont intervenues. La collision s’est donc déroulée durant un laps de temps assez long. A la fin de la collision, la croûte de l’ancienne marge nord indienne se trouve réépaissie. L‘empilement tectonique a même dû induire une épaisseur supérieure à l‘épaisseur originelle, antérieure à la création de la Néotéthys. L‘océan Indien n’en continue pas moins de s’ouvrir, à vitesse plus lente certes (6 cm/an), bien que l’Australie ait commencé à se séparer de l’Antarctique. L‘Inde continue donc à exercer une poussée vers le nord. Un nouveau processus géodynamique va se manifester. A la fin de la collision, la situation est la suivante (fig. 3) : au nord de l’Inde existe un domaine résultant de la juxtaposition de deux croûtes continentales. L‘une, au nord de la suture, forme un domaine montagneux constitué de matériel injecté de granitoïdes jeunes, encore chauds ; il s’agit donc d’un ensemble épais et relativement peu dense. Au sud de la suture, existe une croûte réépaissie, également échauffée et peu dense. Le maintien de la pression indienne conduit à des changements de régime de déformation. Assez souvent en pareil cas, une réorganisation complète de la géométrie des limites de plaque survient. Ainsi, lorsque le tronçon de la Néotéthys situé entre l’Australie et l’Indonésie a été détruit, il est apparu une nouvelle subduction en sens inverse au nord de la Nouvelle-Guinée, Dans le cas particulier de l’Inde, il aurait pu apparaître une nouvelle subduction dans l’océan Indien, soit sous l’Inde du Sud, soit sous l’Antarctique. Cela n’a pas été le cas, même si tout espoir n’est pas perdu, puisque les résultats des forages du Joides Resolution D (campagne 116 du Ocean Drilling Program >> - (été 1987) ont montré que les séries sédimentaires sous-marines avaient commencé à se déformer au sud de l’Inde. << Acte 5: duplication de la croûte indienne. En tout cas pour en revenir à la chaîne himalayenne, la déformation s’est établie en pleine croûte continentale à environ cinq cents kilomètres au sud de la suture et également plus au nord à la limite du Pamir. Cette zone sud himalayenne correspond à un domaine de croûte ancienne (1 300 à SOO MA) depuis longtemps refroidie, recouverte par une assez épaisse série de sédiments anciens (1 300 à 40C MA). Cette croûte a dû représenter 2 cette époque, vers 35-40 MA, la zone 12 plus fragile. Peut-être la chaîne de colli. sion située juste au nord a-t-elle exercé un poids excessif qui a entraîné son ilé. chissement et sa rupture. Toujours est-il que cette vieille croûte s’est rompue (fig 3). La partie située au sud s’est enfoncée sous l’autre. Une subduction, un cisaille. ment plat, au sein de la vieille croûte continentale indienne a débuté, ce qui s abouti à redoubler la croûte, phénomène dit de duplication. Bien que fragile, cette vieille croûte était un matériau rigide ; SE rupture et son cisaillement demandaienl des efforts importants ; les frottement: étaient intenses ;une énergie abondante E été dissipée qui a eu pour résultai d’échauffer la matière. A cause du che. vauchement, la partie la plus profonde plus chaude, s’est superposée à la partie plus superficielle plus froide exerçant aim si un effet de << fer à repasser B. Ler conditions thermodynamiques, pressior et température principalement, ont changé, si bien qu’est apparue une zone de transformation dynamique, parallèle $ l’ancienne marge. Ce système a été dé nommé MCT par A. Gansser de Zurich ce sont les initiales de Maia Centra Thrzut, qui signifie chevauchement cen tra1 principal. Les structures accompa gnant ce phénomène sont tout à fait ca ractéristiques. Les matériaux sont soumi: à une déformation cisaillante intense ; il: acquièrent une structure en mille-feuillc (schistosité). Cette schistosité régionale, à faiblc pendage NNE,est l’Clément structural 16 plus caractéristique de la chaîne hima 1ayenne(l5), elle affecte toutes les forma tions, y compris les vieux granites (50( MA), et les séries continentales miocène! (20 MA). Tous les objets résistants, ga. lets, minéraux préexistants ou néofor més, sont cisaillés et réorientés, laissant apparaître sur la roche une structure li- I néaire, une linéation, de direction NNE. Les courbes d’égale intensité de transformation (isogrades métamorphiques), définies grâce aux minéraux néoformés, sont parallèles à la chaîne (WNW-ESE). De part et d‘autre de la zone de cisaillement (MCT)l’intensité de la transformation déLA RECHERCHE No 217 JANVIER 1990 GÉOLOGIE croît(15). Les études du métamorphisme menées depuis dix ans tant par les chercheurs du GRECO Himalaya-Karakorum que par d’autres équipes indiquent que, du point de vue thermodynamique, les conditions sont celles de moyenne pression et moyenne température, soit 7 à 8,5 kb, 600 à 700 “C. I1 est marqué, en particulier à proximité du MCT, par des associations minérales à disthène, sillimanite, grenats. Par ailleurs, les conditions de pression et de température sont également propices;en présence de fluides (eau, gaz carbonique), à déclencher la fusion des roches. I1 s’est ainsi créé de petites poches de magma qui ont eu tendance à monter dans les formations sus-jacentes et ont donné de petits massifs de granites. Ceuxci, issus de la fusion d’un matériel continental riche en silice et alumine, sont eux-mêmes riches en silice et alumine, pauvres en minéraux sombres et donc de teintes claires; ce sont des leucogranites(16).Leur âge varie de 25 à 14 MA, ce qui permet d’envisager que le système MCT ait pu fonctionner pendant environ 10 MA. I1 a ensuite été relayé par une autre surface de rupture située plus au sud, qui a entraîné un nouveau redoublement de la croûte continentale indienne. Cette nouvelle zone de rupture est responsable de l’existence du premier escarpement montagneux séparant la chaîne himalayenne de la plaine du Gange. Cette zone est dénommée MBT, initiales de Main B o u n d a r y Tlzriist, ce qui signifie chevauchement bordier principal. La séismicité et les observations géologiques et géomorphologiques effectuées depuis 1980 par nous au Népal, ainsi que par d’autres équipes en Inde et au Pakistan, confirment qu’à ce niveau la chaîne himalayenne passe par-dessus le bassin sédimentaire du Gange actuel, qui repose sur la vieille croûte continentale indienne. Le MBT est donc encore une surface de charriage (cisaillement plat ou zone de duplication) où les sédiments du bassin gangétique sont petit à petit incorporés à la chaîne himalayenne en formant les premiers chaînons couverts de jungle nommés Siwaliks (fig. 7)(17). Le redoublement répété de la croûte continentale a pour effet d’entraîner l’élévation de la chaîne. Un premier bourrelet montagneux, situé très près de la plaine (environ vingt kilomètres), forme le Mahabharat d’altitude moyenne de 2 500 mètres, alors que la plaine se trouve à environ cinq cents mètres. Le deuxième bourrelet montagneux situé à environ cent cinquante kilomètres du front porte les très hauts sommets et constitue la haute chaîne, c’est-à-dire les << Himalayas D. L‘importance de l’altitude et la raideur dos versants sont telles que la haute chaîne n’est pas en équilibre. I1 est donc apparu une surface de décollement qui a effondré relativement le compartiment situé au nord. Ainsi la limite entre les séries métamorphiques et leur couverture sédi!A RECHERCHE No 217 JANVIER 1990 mentaire correspond presque partout au nord de la haute chaîne à une faille(15.18). Enfin, la haute chaîne constitue une cible privilégiée pour l’érosion, d’autant plus active qu’elle a des incidences climatiques en arrêtant les pluies de mousson. Nous avons signalé plus haut que le volume érodé représentait l’équivalent. d’une tranche épaisse de sept kilomètres pour toute la chaîne. I1 est évident que certaines parties ont été moins érodées et d’autres plus. On s’explique ainsi que des zones profondes de la chaîne, celles où les magmas granitiques ont pu prendre naissance, soient maintenant à l’affleurement et même que des granites, âgés seulement de 14 à 25 MA, arment les plus hauts sommets (Manaslu, Makalu, Qomolongma, Kangchenjonga, Lhotse). Ainsi l’Himalaya résulte de la collision entre l’Inde et l’Asie. L‘importance de la déformation et la vigueur du relief tiennent au fait qu’ici la collision est frontale; la chaîne est en effet a peu près perpendiculaire à la direction du mouvement. Par contre au-delà des deux virgations, la collision est oblique ; les limites déformées sont en effet presque parallèles à la direction du mouvement ; cela produit des chaînes moins élevées mais tout aussi complexes. Lorsque l’on teilte de calculer le raccourcissement induit par la collision, d’après toutes les structures observées (plis, cisaillements), on aboutit à une valeur située entre cinq cents et mille kilomètres. Cependant le mouvement de dérive de l’Inde, bien contrôlé par la structure de l’océan Indien et par les données du paléo~nagnétisme~~~) sur les différents blocs (Tibet, Inde), suggère que le raccourcissement ait été plus grand, de l’ordre de deux mille à quatre mille kilomètres. I1 y a là une contradiction qui peut être levée si l’on imagine que l’Asie tout entière se déforme. Sa largeur diminue et sa longueur augmente grâce à l’expulsion vers l’est (en direction du Pacifique) de grandes lanières qui donnent la Chine, la péninsule indochinoise et la Malaisie(’O) (fig. 8). En même temps la croûte s’épaissit sous le Tibet. Ainsi si la chaîne himalayenne est bien le résultat spectaculaire de la collision Inde-Asie, elle n’en représente cependant pas tout le produit. Le modèle himalayen, cl6 de l’explication d’autres chaînes. Ce qui définit le type structural himalayen d’une chaîne est donc le phénomène de redoublement de la croûte continentale qui représente un stade terminal d’évolution géodynamique. Ce stade est caractérisé par un certain nombre de structures typiques telles que : schistosité à grande extension régionale, leucogranites, métamorphisme moyenne pression, chaîne très élevée entraînant une forte érosion mettant à nu les parties profondes. Ces caractères, parfois tous simultanément, se retrouvent dans d’autres chaînes du cycle alpin, par exemple les Rocheuses ou le versant espagnol des PyrénCes, ainsi que dans des chaînes plus anciennes, comme la chaîne hercynienne en Europe. La connaissance de l’évolution de la chaîne himalayenne permet donc de mieux cerner ce qu’a dû être l’évolution de ces autres chaînes aujourd’hui inactives. Au demeurant, il reste du travail en Himalaya. On est très loin d’avoir tout exploré, tant sur le plan géographique que sur le plan conceptuel. De vastes régions sont encore interdites aux étrangers et n’ont souvent été l’objet que d’expéditions de reconnaissance. C‘est en particulier le cas de tout l’est de la chaîne au nord et à l’est de l’Assam. I1 est très vraisemblable qu’une meilleure connaissance de ces domaines conduira A modifier nos conceptions, par exemple à préciser si toute la chaîne est née en même temps, et donc si l’histoire que nous venons de raconter plus haut s’est déroulée en même temps tout au long de la chaîne, ou si plus vraisemblablement celle-ci a commencé à se former plus tôt à l’ouest. C‘est aussi le cas des deux prolongations est et ouest au-delà des virgations où il est actuellement pratiquement impossible de se rendre. Du point de vue conceptuel, avec l’amélioration des techniques d’analyse, on peut espérer aller plus loin dans la compréhension des phénomènes : quels sont les mécanismes intimes et les vitesses de la déformation? A quelle vitesse les différentes parties de la chaîne se soulèvent et s’érodent-elles? Enfin, la structure profonde est encore largement hypothétique. Si l’on sait que la croûte est redoublée, on ne sait pas dans le détail comment s’organise ce système. Des profils géophysiques en sismique réflexion du type ECORS (voir ((L’exploration de la croûte terrestre : le programme ECORS >> dans La Recherche de juin 1983) sont nécessaires. Ainsi le chantier himalayen B ’est-il pas prêt d’être fermé. .Pour en savoir plus . A. Ganser, Geology of the Himalayas, Wiley, 1964. P. Molnar, Ann. Rev. Earth Plan. Sci., 12, 489, 1984. Mission franco-chinoise au Tibet 1980, CNRS, 1984. Annapiirna-Manaslu-Gaties~i Himal, carte géologique au 1.200 O00 et notice par M. Colchen, P. Le Fort et A. Pecher, CNRS, 1986. I I R. Armijo et al., (< Quaternary extension in Southern Tibet >>, Jour. Geoph. Research, 91, pp. 803 à 872, 1986. Sciences de la Terre: évolution des domaines orogkniques d‘Asie méridionale (de la Turquie à l’Indonésie) *,memoire 47, Nancy, 1986. <( Geodinamica Acta (Paris), 1 , fasc. 4.5, 1987. <( Tectonic evolution of the Himalayas and Tibet >>, The Royal Society, 326,1988. Pour une bibliographie plus complète voir page 128. VOLUME 21 PAGE 39 ‘ M 1108-217-32F I \ \ mensuel no217 janvier 1990 - 32 francs e marché des biotechnologies La photographie révélée La formation de l’Himalaya Le Soleil 24 heures sur 24