pour le patient comme pour le médecin du sceau
de l’ambiguïté, entre la connaissance et la certi-
tude d’une part, ses exacts contraires de l’autre :
il est difficile au patient d’envisager le doute chez
son médecin, difficile au médecin d’admettre, en-
core plus de dire, qu’il travaille dans l’incertain :
« chacun joue souvent à cacher à l’autre son in-
certitude et son angoisse » [6]. Vision pessimiste
de la pratique et de la complexité des rapports
entre les deux protagonistes ? Elle montre en
tout cas qu’il est impératif pour le médecin, théo-
riquement mieux formé à cet usage, de discrimi-
ner la valeur de l’information médicale qu’il utilise
et gérer au mieux l’approche statistique, celle de
la médecine factuelle, pour prendre une décision
pour laquelle le malade aura toujours le dernier
mot... « De la médecine factuelle à nos prati-
ques » implique cette incertitude et la valeur très
relative de toute « preuve » dans ce domaine.
«Il n'y a pas de preuves
suggérant que... »
Selon R. Scott Braithwaite, médecin de santé
publique new-yorkais, c’est probablement l’ex-
pression la plus dangereuse de la médecine fac-
tuelle, tant elle peut mener à des conclusions
fausses pour la décision : « il n’existe pas de preu-
ves suggérant que regarder des deux côtés avant
de traverser une rue réduit le nombre de décès de
piétons par rapport à ne pas le faire » [8]. Techni-
quement imparable, mais pratiquement imbécile !
Un obstétricien et un médecin de santé publique
britanniques avaient ainsi parodié les excès d’une
EBM réduite à sa valeur statistique à propos du
risque mortel d’un saut en parachute... sans para-
chute. L’efficacité du parachute n’ayant pas fait
l’objet d’une évaluation rigoureuse au moyen d’es-
sais randomisés, ils proposaient que les partisans
de l’EBM opposés à l’adoption de traitements éva-
lués « seulement » par l’observation « organisent
et participent à un essai randomisé, contrôlé et en
double aveugle contre placebo, du parachute »
[9]... Ne pas intervenir si « aucune preuve ne sug-
gère que » est logique si cela implique un risque
ou engage des coûts importants ; mais intervenir a
du sens dans le cas inverse, si l’expérience sug-
gère son intérêt... Braithwaite propose donc d’ou-
blier ce (mauvais) avatar de l’EBM, sans intérêt au
quotidien, et de le remplacer par des propositions
plus claires pour la prise de décision, pouvant aider
au partage avec le patient :
– il a été démontré qu’il n’y avait aucun avantage
à... : option à écarter ;
– les preuves scientifiques ne sont pas concluan-
tes et nous ne savons pas ce qui est le mieux :
option à éviter, sauf si les risques dépassent les
avantages chez certains patients mais pas les au-
tres : cas particulier à peser soigneusement ;
– les preuves scientifiques ne sont pas concluan-
tes, mais mon expérience (ou d’autres...) sug-
gère que c’est utile : option à envisager...
Ce n’est pas nécessairement « confortable » au
jour le jour, mais le respect mutuel entre le pa-
tient et son médecin que cela implique est le fil
rouge de notre réflexion dans Médecine.
Dixième année pour Médecine, tout un symbole !
Merci aux abonnés fidèles de la première heure,
merci à ceux qui les rejoignent, merci à Gilles
Cahn, notre éditeur, et à ses collaborateurs, pour
leur soutien fidèle. Que 2014 vous apporte au
mieux ce que vous en souhaitez !
Références :
1. Jamoulle M, Bernstein J, Pizzanelli Báez M, Da Silva A, Wagner H. Un test improbable : la connaissance de quelques uns contre le doute de la plupart... Internationalisation du
concept de prévention quaternaire. Médecine. 2014;10:24-7.
2. Moynihan R, Heneghan C, Godlee F. Too Much Medicine: from evidence to action. BMJ. 2013;347:f7141.
3. Moynihan R, Glasziou P, Woloshin S, Schwartz L, Santa J, Godlee F. Winding back the harms of too much medicine. BMJ. 2013;346:f1271.
4. Redberg R, Katz M, Grady D. Diagnostic Tests: Another Frontier for Less Is More Or Why Talking to Your Patient Is a Safe and Effective Method of Reassurance. Arch Intern Med.
2011;171:619.
5. Boissel JP. Médiator®ou les deux défaites de la pensée. Médecine. 2011;7:199-201.
6. Jamoulle M. Prévention quaternaire et limites en médecine. Pratiques. 2012;octobre.
7. Gallois P. Sur-diagnostic : une sur-médicalisation à risque pour le patient et la société. Médecine. 2013;9:340-2.
8. Braithwaite RS. EBM’s Six Dangerous Words. JAMA. 2013;310:2149-50.
9. Smith GCS, Pell JP. Parachute use to prevent death and major trauma related to gravitational challenge: systematic review of randomised controlled trials. BMJ. 327:1459-61.
5janvier 2014MÉDECINE
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