sympathisé et elle m’avait avoué qu’elle souhaitait jouer un texte seule. Je n’avais rien
dans mes tiroirs mais je lui promis que je réfléchirais à sa demande.
Trois éléments ont convergé qui m’ont porté à écrire la Demoiselle. Je me
souvenais bien de la prestation d’Alix dans Fitness de Jacques De Decker : elle m’avait
ému. Par ailleurs, j’avais envie, je ne sais trop pourquoi, de parler de la Belgique – à ce
moment, on préparait en grande pompe un certain mariage princier. De plus, la presse
faisait aussi régulièrement état d’un phénomène étonnant de notre société de la fin du 20ème
siècle : les gens vivent de plus en plus seuls ; ils étudient et se marient de plus en plus
tardivement et paradoxalement, une partie de ces jeunes gens devient de plus en plus
exigeante quant à une future vie à deux. Comme on dit, en bon wallon, j’ai touillé ça dans
ma tête et j’en ai sorti le personnage de la Demoiselle.
Dire si je me sens belge, ça, je n’en sais vraiment rien. Mais si on prend la question
autrement et si on me demande ce qu’est la Belgique, je pourrais répondre que c’est un
pays qui devrait exister et qu’il faudrait un jour penser à l’inventer.
Sinon, je me sens surtout attaché à une culture, la culture gréco-latine et à la langue
française, j’y ai de profondes racines. Cependant, la culture du Nord, celle de Ulenspiegel,
ne me laisse pas indifférent. Non, décidément, je ne suis vraiment pas attaché à un
endroit.Cet amour de la langue est né il y a très longtemps quand j’écoutais les
dramatiques radio de l’INR, à la maison, pendant que ma mère repassait. Ah ! Suivre une
histoire à travers la voix des personnages, sans image pour venir troubler l’imagination et
l’émotion! Voilà sans doute pourquoi je suis si attentif à la musique et au rythme lorsque
j’écris.
Le théâtre est un art qui s’adresse à l’instinct : il arrive de plein fouet, rapide,
éphémère, il est bref, il est là, il passe… Ce n’est pas comme le roman où on a le loisir de
revenir sur ce qu’on a déjà lu, ou de sauter des pages… Au théâtre comme le dit Peter
Brook, « le diable, c’est l’ennui ». Si le spectateur s’ennuie ne serait-ce que cinq minutes, il
se perd ; voilà pourquoi il faut lui procurer à chaque instant une émotion qui le fasse rire,
pleurer, s’indigner. En tout cas, il faut faire en sorte que le spectateur participe à l’acte
théâtral.Cinquante ans après Beckett, il me paraît difficile d’encore dénoncer le monde et sa
noirceur ; les journaux, les télés se chargent de nous faire voir un monde bien plus horrible
que la fiction ne pourrait jamais faire. Par contre, nous faire percevoir le cheminement des
faits dans la psyché des personnages voilà ce qui est encore tout à fait faisable. Et malgré
tout, dans mon théâtre, j’essaie de toujours ouvrir sur demain une petite lucarne à travers
laquelle un peu de lumière peut pénétrer. C’est de la résistance. »