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Le retour tourmenté des entreprises
françaises en Iran
Face à la frilosité des grandes banques françaises, les
entreprises tricolores se tournent de plus en plus vers des
petites banques étrangères comme PSA Peugeot-Citroën
qui sollicite la banque italienne Banca Popolare di Sondrio.
«C’est une course d’obstacles redoutable» confie le patron d’une entreprise de taille
intermédiaire (ETI) française qui ambitionne de s’implanter en Iran. Dans le viseur de cet
entrepreneur spécialisé dans la santé: la frilosité des banques françaises à financer les
entreprises dans leurs projets persans. La visite du président Hassan Rohani fin janvier
à Paris, quelques jours après la levée officielle des sanctions contre Téhéran, avait pourtant
suscité un immense espoir pour les entreprises tricolores qui lorgnent le prometteur
marché iranien. 15 milliards d’euros d’accords commerciaux avaient été signés dont un
méga contrat avec Airbus portant sur l’acquisition de 118 avions - réduit ensuite à 112.
Sauf qu’en neuf mois, il ne s’est pas passé grand chose. Hormis Air France qui est revenu
en Iran avec trois vols par semaine, PSA et Renault qui ont acté leur retour industriel
dans ce pays de 82 millions d’habitants et Airbus qui a obtenu le feu vert des États-Unis
pour la vente de 17 des avions commandés, les entreprises tricolores tardent à finaliser
leurs projets. «Les banques françaises sont toujours très frileuses et bloquent la finalisation de nombreuses opérations», indique Kourosh Shamlou, fondateur du cabinet
d’avocats franco-iranien Shamlou.
«Nous allons tenter notre chance du côté des banques allemandes»
A ce jour, seules deux petites banques françaises – Wormser Frères et Delubac - assurent
des flux financiers peu conséquents entre les deux pays, les autres ne bougent pas,
échaudées par l’amende record infligée en 2014 par Washington à la BNP pour violation
de l’embargo américain. Une situation qui a même obligé le groupe PSA Peugeot-Citroën
à se tourner vers la petite banque italienne Banca Popolare di Sondrio pour transférer 14
millions d’euros en Iran. «Nous avons sollicité une demi-douzaine de grandes banques
françaises qui ont toutes refusé de nous accorder des financements, appuie le même
dirigeant d’une ETI. Nous allons tenter notre chance du côté des banques allemandes».
Trois d’entre elles: EIH, KFW bank et AKA bank acceptent en effet de financer pour des
montants relativement peu élevés le secteur privé en Iran. Il faut aussi ajouter les
banques autrichiennes Raiffeisen Bank et Erstebank, les banques Italiennes Mediobanka
et Banca Popolare di Sondrio, les banques belges KBC et ING ainsi que la banque Turque
Halk. Celles-ci, contrairement aux six grandes banques françaises (BNP Paribas, BPCE,
Crédit agricole, Crédit mutuel-CIC, Société générale et La Banque postale) qui ont des
filiales aux États-Unis ne sont pas exposées au dollar.
Et ce blocage s’explique essentiellement par la peur de subir les foudres de Washington
qui interdit les transactions en dollar avec l’Iran et veille scrupuleusement à l’application
de «l’International Emergency Economic Powers Act», cette loi fédérale américaine de
1977 qui autorise le président des Etats-Unis à restreindre les relations commerciales
avec certains pays. L’Office of foreign assets control (OFAC), véritable bras armé économique des USA, actualise par exemple régulièrement une liste intitulée «specially
designated nationals», longue de 973 pages mentionnant des personnes ou des sociétés
avec lesquelles il est interdit d’avoir des relations commerciales.
Vers une amélioration?
Mais pour certains observateurs la situation est toutefois en voie d’amélioration. «On
constate depuis quelques semaines que les choses se clarifient peu à peu, précise
Matthieu Etourneau, le directeur général du centre français des affaires de Téhéran qui a
ouvert ses portes mi-octobre. Le feu vert donné par l’Ofac à Airbus et Boeing fin septembre
envoie un bon signal aux investisseurs. C’est un déclic psychologique. Un autre signal
positif serait de voir l’Iran sortir de la liste noire du Groupe d’action financière sur le
blanchiment des capitaux (Gafi)». Alain Wormser, le PDG de la banque Wormser Frères,
qui réalise grâce à l’Iran 7% de son chiffre d’affaires soit environ un million d’euros
abonde. «Des situations se sont débloquées chez nous depuis peu, notamment grâce à
un travail diplomatique plus soutenu».
Un contexte qui a suscité ces dernières semaines plusieurs discussions entre les autorités
américaines et françaises. «Il y a un dialogue avec le Trésor américain et l’Ofac pour les
amener à préciser leur régime de sanctions, à le rendre plus lisible et donc plus rassurant
pour le secteur bancaire», précise-t-on à Bercy. Le patron du Quai d’Orsay, Jean-Marc
Ayrault, est aussi attendu à Téhéran d’ici la fin de l’année pour faire avancer plusieurs
projets tricolores.
L’élection américaine, l’autre enjeu
«L’ouverture de l’économie iranienne est laborieuse mais elle est inexorable, observe
l’avocat d’affaires franco-iranien Ardavan Amir-Aslani, conseiller de PSA et Vinci en Iran.
La situation s’améliore peu à peu et la volonté politique est là. Le guide suprême Ali
Khamenei a par exemple refusé que Mahmoud Ahmadinejad soit candidat à l’élection
présidentielle de mai 2017 pour ne pas revenir sur cette ouverture». Quant au président
Hassan Rohani, qui visera un deuxième mandat l’an prochain, il estime que pour moderniser
son outil industriel et relancer l’économie, son pays a besoin de 30 à 50 milliards de
dollars d’investissements étrangers par an.
L’élection américaine devrait en tout cas permettre de lever quelques doutes. «Si Donald
Trump est élu, les Américains ne vont pas amender leur position vis à vis de Téhéran,
bien au contraire, mais si c’est Hillary Clinton, les choses pourraient avancer», espère un
banquier d’affaires. Un avis que ne partage pas forcément Hassan Rohani. Le président
iranien a en effet déclaré dimanche 23 octobre qu’il n’avait aucune préférence entre la
candidate démocrate et le tonitruant milliardaire. «A l’Organisation des Nations unies, le
président d’un pays m’a demandé lequel des deux candidats je préférais. J’ai répondu:
«Est-ce que je préfère le mal au pire ou le pire au mal?».
Source : Challenges
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