La Menuiserie. Chronique d’une fermeture annoncée
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De quoi s’agit-il ? La Menuiserie est effectivement la chronique d’une fermeture annoncée : celle de
la petite entreprise tenue par le père d’Aurel (Aurélien, comme on s’en doute probablement),
située dans un petit village d’Ardèche. Le sous-titre présage d’un climat tendu, d’une promesse de
chômage, voire de déclin pour la localité, tant l’activité économique ne doit pas y être développée.
Mais ce ne sont pas sur ces éléments qu’insiste Aurel. Il prête attention aux hommes qui
constituent cette entreprise : son patron, ses ouvriers. Quel regard ont-ils sur la fermeture
imminente ? Comment envisagent-ils leur avenir ?
Ces questions sont d’abord celles de la famille, car on apprend de prime abord que quatre
générations, évidemment masculines, ont dirigé la menuiserie. Aurel aurait dû la reprendre (« S’il
travaille bien les planches, celles d’Aurel sont de bande dessinée », comme l’indique plaisamment
la présentation de la BD sur le site de Futuropolis) , mais il annonce dès les premières pages que ce
ne sera pas le cas (« Je serai le fils qui ne reprendra pas… »), pas plus que sa sœur, physicienne.
Mais leur père, Arnaud, n’insiste pas beaucoup pour leur forcer la main : ayant fait des études
supérieures, aux Arts et Métiers, il a fait le choix d’assurer la succession de son propre père au lieu
de devenir ingénieur.
Ce sont celles des salariés. Quelqu’un pourrait reprendre l’affaire, mais chacun sait quelle charge
de travail cela suppose, ce qui signifie faire le sacrifice de sa vie familiale et de ses loisirs. Un
ancien employé s’est mis « à son compte » et s’y consacre pleinement ; un autre, Marc, était
pressenti par Arnaud, mais il a préféré quitter la menuiserie. Une solution pourrait être la création
d’une coopérative ouvrière, une SCOP (société coopérative ouvrière de production), à laquelle a
poussé Arnaud : cela assurerait une reprise efficace par ceux qui y travaillent, et satisferait les
convictions de gauche de l’actuel patron. L’âge de celui qui en serait le gérant s’y oppose. Pour les
autres, cela voudrait dire rester dans l’entreprise, et personne ne veut insulter son propre avenir.
Et il reste la grand-mère d’Aurel, qui a assuré la gestion de la menuiserie à la mort de son mari, et
a continué avec Arnaud : assurément, c’est la pièce maîtresse de l’entreprise. Si elle n’en laisse
guère paraître pour ne pas accabler inutilement son petit-fils, on sent bien qu’elle redoute la
fermeture en raison de son investissement personnel (elle avait laissé sa fonction d’institutrice) ; ce
sera alors la deuxième mort de son époux.
Au-delà du cas de cette menuiserie, cette bande dessinée indique plusieurs enjeux. Elle révèle
également la fragilité de ces entreprises qui reposent essentiellement sur des familles, et leurs
difficultés à être en conformité avec une réglementation dont le sens échappe trop souvent. Ici, la
nature de leur activité, artisanale ou agricole, importe peu : les problèmes sont les mêmes. Et c’est
également le rapport des hommes au patrimoine familial, et qui donne un sens à leur vie : la
confusion entre leur destinée et l’entreprise est complète. C’est enfin le problème de la pérennité
d’une activité économique en milieu rural (et même le rural « profond »), autre que l’agriculture :
la question tient alors à l’aménagement du territoire.
Au fond, La Menuiserie révèle peut-être la transition qui s’opère, avec toutes les incertitudes qui
pèsent sur les hommes qui n’en maîtrisent pas tous les tenants et les aboutissants. Elle est surtout
la part qu’Aurel a probablement souhaité apporter à l’œuvre familiale. On peut aussi y retrouver la
même démarche et le souci qu’avait eu Raymond Depardon en filmant, entre autres, les paysans
du Massif central au cours de la précédente décennie [1] : conserver la trace d’un monde qui
disparaît, dont il est issu lui-même.
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes
[1] Raymond Depardon, Profils paysans. L’Approche, 2001 ; Le Quotidien, 2005 ; La Vie moderne,
2008