04 POLITIQUE CULTURELLE LA MINOTERIE |POLITIQUE D’ETAT
En ce 20 septembre il y avait foule au
Théâtre de la Minoterie, pour assister
à un étrange spectacle, aux allures de
déjà vu. Sur scène les deux directeurs
et le président, visiblement fatigués,
essayaient de faire bonne figure : ils
avaient découvert quelques jours plus
tôt, à l’entrée de leur théâtre, sur un
panneau officiel et désinvolte, la
mention d’un permis de démolition.
Légal, entériné par la Ville de
Marseille. Et précis de surcroît : le
bâtiment tout entier doit être détruit,
y compris le théâtre, dûment
mentionné.
Même si depuis plus d’un an la
Minoterie se bat pour subsister dans
une Euroméditerranée à la croissance
champignonesque, le permis a de
quoi surprendre : la Mairie, alertée par
la volonté du promoteur acquéreur du
bâtiment, avait promis publiquement
que les Minotiers ne seraient pas mis
dehors. Il avait même été question de
reconstruire un théâtre à l’intérieur du
bâtiment d’habitation prévu : la Ville
prévoyait de dépenser 6 millions
d’euros pour acheter les mètres carrés
correspondant à la surface actuelle, et
recréer un théâtre «plus beau
encore», disait Monsieur Botey,
adjoint à la Culture de la Ville, lors de
la dernière conférence de presse en
février dernier.
En dehors de la difficulté du pari – la
Minoterie est un des plus beaux lieux
culturels de Marseille – il aurait fallu
que le projet soit réaliste : construire
un théâtre au rez-de-chaussée d’un
bâtiment d’habitation paraissait peu
commun, et s’est vite révélé irréa-
lisable. La Ville s’est alors empressée
de proposer d’autres bâtiments vides,
certains impraticables, d’autres loin du
quartier que le Théâtre de la Joliette
anime depuis plusieurs décennies.
Dans la banlieue nord, là où Marseille
aime à exiler ses artistes : le terrain y
est moins cher, et les artistes peuvent
servir d’animateurs sociaux.
Avant l’août, foi d’animal
Mais malgré ces déceptions répétées
les Minotiers croyaient à la promesse
qui leur avait été faite : celle de ne
pas les déloger tant qu’un théâtre ne
leur serait pas attribué. Peaufinant
leur affiche avec le tram tout neuf en
arrière fond, c’est l’esprit léger,
persuadés de subsister jusqu’à la
saison nouvelle, confiant dans leur
intégration à la politique de la Ville,
qu’ils partirent en vacances tandis
que leur démolition s’officialisait.
Qu’en est-il aujourd’hui? Monsieur
Botey continue à promettre que rien
ne sera démoli avant qu’ils soient
relogés ailleurs : il explique que ce
permis est une erreur, commise par
un fonctionnaire aoûtien peu
vigilant, et que le bail qu’ils ont signé
jusqu’en 2012 les protège. Il s’engage
sur la recherche active d’un lieu,
explique que la Ville «mettra ce qu’il
faut mettre» pour y parvenir.
Mais les Minotiers, qui disent être
enfin sortis de la naïveté à la
découverte inopinée du panneau, ont
pris un avocat : ils ne croient plus à
une volonté politique cohérente et
constante, et font appel à la vigilance
et au soutien des citoyens, des
spectateurs, des habitants et des
artistes. Un comité de soutien s’est
formé, et le nombre de gens accourus
ce 20 septembre à leur appel était
impressionnant: seront-ils entendus?
Sans doute, s’ils maintiennent leur
mobilisation…
Vous pouvez adhérer au comité de
soutien en laissant vos coordonnées à
info@minoterie.org
AGNÈS FRESCHEL
Qu’est-ce que la Minoterie? Ce théâtre a été
inventé de toute pièce par la volonté de Pierrette
Monticelli et Haïm Menahem. Il y a 25 ans, avec
quelques copains, ils cherchaient un lieu modeste
pour installer leur compagnie et ont découvert
cette usine désaffectée, entrepôt à blé derrière un
port marchand en agonie. Alors ils ont loué la
minoterie pour une bouchée de grains, ont
dératisé, nettoyé, et construit de leurs mains ce
magnifique théâtre : la salle de spectacle, voûtée
comme un navire retourné, comme une cathédrale;
les bureaux; la salle de répétition la plus
accueillante de la région (presque toutes les
compagnies indépendantes y ont un jour répété);
la rue pavée, hall chaleureux, lieu de galerie; et le
bar, qui est aussi une bibliothèque de théâtre
remarquable.
La Minoterie est ouverte toute la journée : parce
qu’il y a des cours, des répétitions, des lectures, des
rencontres ; parce que les scolaires y passent;
parce que les voisins ont pris l’habitude d’entrer
pour dire bonjour. Mais le prix du terrain au mètre
carré a explosé, et le propriétaire a vendu à un
promoteur immobilier.
Fort dépourvu
Il est évident qu’on ne peut demander à un
promoteur d’abandonner sa logique marchande: il
y a donc peu de place pour la culture ou les équipe-
ments collectifs dans le quartier en chantier. Mais
c’est au politique de contraindre les marchands à
respecter l’intérêt des citoyens. Car au-delà de la
qualité du projet artistique développé en ce lieu,
il est question de la place accordée à une
certaine culture. Pas celle qui vient d’en haut,
mise en place par un maillage raisonné
(raisonnable?) du territoire national, à travers des
nominations institutionnelles à la tête des Théâtres,
Scènes, Centres Chorégraphiques ou Musées
Nationaux. Il est question de la culture édifiée
par la volonté des artistes.
A-t-on encore le droit d’être à l’initiative culturelle?
De monter une compagnie, de bâtir un lieu, d’ouvrir
une galerie, de demander des subventions? Et si tel n’est
pas le cas, si les artistes doivent s’intégrer à toute
force dans les projets pilotés par les politiques, au
gré des nominations et de la volonté de directeurs,
comment espère-t-on que l’art survive, trouve des
voies nouvelles? Même à la tête des scènes
nationales les directeurs sont contraints de plus en
plus violemment par des cahiers des charges qui
exigent d’eux une «rentabilité» en terme de
remplissage de salle, de degré de satisfaction du
spectateur, de coût moyen du spectacle. Quels sont
donc les lieux où pourra désormais s’inventer la
culture ?
A.F.
DE LA CULTURE INDÉPENDANTE
De la lettre de mission
d’un Président à sa Ministre
La lettre de mission de Monsieur Sarkozy à
Madame Albanel a suscité peu d’explications de
texte. Il y est abondamment fait mention de
patrimoine, d’histoire de l’art, de chantier muséal,
sans qu’il y soit question jamais de spectacle
vivant. D’art. De création. D’artistes. Sinon en trois
phrases sur la limitation des conditions d’accès au
régime des intermittents.
Par ailleurs Monsieur Sarkozy remarque l’échec de
la décentralisation culturelle, mais annonce deux
grands chantiers… à Paris. Et il établit un
parallèle préoccupant entre l’art et l’éducation. Il
faut certes éduquer à l’art, mais la culture ne peut
avoir de mission éducative assignée. Cette
confusion révèle une méconnaissance grave de
l’œuvre d’art dont tout élève de terminale est
capable, après un bon cours de philo, de montrer
l’ineptie. On ne peut appréhender la beauté (ou la
force) d’un paysage ou d’une œuvre que si on n’a
pas l’intention immédiate d’en tirer un profit, fut-
il intellectuel.
Pas prêteuse
Dans la même veine Monsieur Sarkozy tient un
raisonnement que les ennemis de la culture
énoncent souvent : le budget de la Culture, payé
par l’impôt de tous les citoyens, ne profite qu’à
quelques-uns, et la culture a raté sa
démocratisation. L’argument est spécieux : a-t-on
jamais empêché quelqu’un d’entrer dans un
théâtre, un musée, une bibliothèque, un opéra, et
de profiter de ce bien payé par ses impôts? Et
surtout, est-il juste de reprocher au seul monde
culturel l’entreprise d’abrutissement opérée par les
médias qui monnayent notre temps de cerveau
disponible ?
Si dans cette lettre le mot Art n’est pratiquement
pas cité, il est en revanche abondamment
question d’économie. Monsieur Sarkozy rappelle à
la ministre qu’on ne saurait juger de l’importance
d’un ministère à son budget, ni de la réussite d’un
ministre au fait qu’il aura persuadé d’augmenter
ses fonds. Il lui est demandé de gérer une pénurie
annoncée, et de faire appel au financement privé
pour pallier la baisse des budgets. Le monde
culturel, exsangue après des années de coupes
sombres, risque de ne pas se relever de ces
nouvelles restrictions. Mais qui s’en soucie?
A.F.
DALLAS
À LA JOLIETTE
Le Théâtre
de la Minoterie
vit un feuilleton
haletant
et plein de
rebondissements,
qui serait
passionnant
s’il n’était
si désolant.
Et tragique?
© Agnès Mellon
© Agnès Mellon