Au début il y a la rencontre avec deux acrobates
extrêmement doués, Edward Aleman et Wilmer
Marquez (Cie El Nucleo). Je meais en scène le
spectacle de la 23ème promoon du CNAC, eux étaient
de la 22ème. En les voyant travailler, j'ai trouvé chez
eux quelque chose de l'ordre d'une virtuosité et
d'une simplicité assez extraordinaires. Je leur ai alors
proposé de me rejoindre sur diérents projets, et
notamment . A la suite de quoi, ils se
sont démenés pour que je prenne des " vacances " en
Colombie, où j'ai donné un workshop à la compagnie
dont ils sont issus, La Gata. Une toute pete
compagnie dans un tout pet lieu-école à Bogota, qui
cherche à développer le cirque contemporain dans
un pays où il existe très peu. L’atelier était organisé
via La Gata par le Ministère de la Culture colombien,
avec l’idée de faire venir des gens qui amèneraient la
compagnie vers un cirque de créaon, en travaillant
sur un propos dramaturgique suscepble d'être porté
par ces acrobates incroyables.
Comme souvent quand je suis un peu secoué par une
ville ou un pays, je suis touché par la façon dont les gens
qui y habitent trouvent des moyens de résistance face
à une violence contextuelle. Qu'est-ce qui fait qu'un
être humain est irréducble, quand il est maintenu
par les pouvoirs publics dans des condions de vies
diciles voire insupportables, sans accès aux soins, à
l'eau, à l'électricité, à la culture, à l'éducaon ? Tout est
fait pour que l'humanité s'eondre. Et elle trouve le
moyen de rester debout. Je compte me plonger plus
précisément dans l'histoire de la Colombie, mais j'y
ressens déjà quelque chose d'une violence intérieure.
C'est un pays en guerre depuis des années, en guerre
contre lui-même.
A travers l'engagement physique, qui peut parfois
toucher à l'engagement polique, les corps des
acrobates m'apparaissent toujours comme de
fabuleux instruments de résistance. Les arstes de La
Gata portent ça, et bien plus encore. La plupart vient
d'histoires, de quarers compliqués, et par le cirque,
ils ont réussi à sorr quelque chose de créaf, tout
en se sortant d'un bourbier dans lequel ils auraient
pu s'engluer. L'histoire de la colonisaon espagnole
est aussi très présente dans les têtes, les discussions,
les improvisaons, et c'est curieux de voir comme
ils se posionnent quasiment toujours du côté des
nafs. Pourtant, ils portent sur leurs peaux et dans
leurs gestes tout l'éventail du patrimoine généque
des diérentes cultures brassées, colons espagnols,
indiens, esclaves africains Poliquement, cee
contradicon entre l'intérieur et l'extérieur de leur
corps m'intéresse beaucoup. »
bruts et musique savante
(Dieu pourvoira), c'est ce qu'on dit là bas
quand on n'a rien et qu'on n'imagine pas que quoi que
ce soit puisse changer. Une façon de dire, rien ne sert
de s'en faire. Ce qui m'intéressait, c'est le répertoire
baroque qui a été importé avec la colonisaon avant
de connaitre son propre développement en Amérique
Lane. Ces musiques sublimes sont aussi une façon de
toucher à l'atroce, puisqu'elles ont accompagné les
colonies, les viols, les conversions forcées.
Reprises par toute une populaon de convers qui
n’avait pas toujours un orgue sous la main, elles
ont été revisitées avec des utes de pans et autres
instruments locaux, ce qui donne aujourd'hui un
répertoire très étonnant. L'idée est de travailler sur
une espèce d'opposion entre le sacré et le profane,
le sublime de ce répertoire et le brutal du cirque
acrobaque de rue, qui se fait avec rien : avec des
acrobaes au sol et des portés plutôt que de gros
agrès, éventuellement une corde, des sangles, une lyre,
quelques aériens Une énergie incroyable, et basta.
Et puis, il y a en Colombie un climat social qui est assez
mouvementé, assez violent. Quand j’étais là-bas, j'ai
ainsi assisté à une manifestaon contre Monsanto,
qui vient poser des brevets sur des graines ulisées
depuis des millénaires. Là-dessous aussi, il y a une
espèce de violence sombre et à la fois pleine d'espoir,
oul salutaire pour venir combare l'obscurité d'une
époque décidemment violente. Les manifestaons,
les émeutes seront la base des chorégraphies du
spectacle, que je veux sans mots : les corps s'expriment
déjà susamment.