Cours de 2e cycle, département de sociologie, Université Laval Hiver 2015 SOC-7152 : Sociologie du genre Horaire : mercredi, 12h30-15h30 Enseignante : Hélène Charron Descriptif du cours Champ d’étude assez récent, la sociologie du genre a pour objet les processus sociaux de différenciation et de hiérarchisation des femmes et des hommes, du féminin et du masculin qui sont transversaux à l’ensemble des espaces sociaux. Ce séminaire abordera des enjeux actuels touchant divers champs de la sociologie (travail, politique, éducation, etc.) en les interrogeant du point de vue du genre et des principales notions et concepts qui y sont associés (division sexuelle du travail, intersectionnalité, épistémologie du point de vue, travail de care, sexualités, hétéronormativité, etc.), dans une approche à la fois théorique, empirique et épistémologique. Problématisation et perspective générale Au moins jusqu’aux années 1960, l’objet d’étude privilégié en sociologie pour connaître la situation sociale des femmes est la « femme » ou au mieux les « femmes » (ainsi le problème de la femme, la condition de la femme, etc.). Cet objet ne correspond nullement à celui, sociologique, de « rapport social de sexe » ou de « genre » qui est aujourd'hui privilégié, notamment dans ce cours. Alors que le premier (la ou les femmes) est constitué à partir d’une définition de sens commun qui envisage les femmes comme une catégorie naturelle (biologique) regroupant tous les individus caractérisés par une anatomie féminine, le second (rapports sociaux de sexe ou genre) est le résultat d’un processus de définition sociologique des catégories de sexe et de leur relation. Au départ, et même maintenant, la catégorie « femmes » peut être fort utile pour révéler les expériences empiriques des femmes, largement occultées par des discours faussement universalistes, développés notamment les sciences humaines et sociales. Toutefois, elle peut paradoxalement contribuer à isoler et à particulariser encore davantage les femmes par opposition aux hommes, parce que ceux-là ne sont pas étudiés comme catégorie de sexe et leurs expériences particulières sont souvent confondues avec l’universel. Cette asymétrie est bien réelle dans le langage, et donc, dans le domaine de la connaissance. Et seule la théorisation des rapports sociaux de sexe peut permettre d’en révéler les mécanismes. Pour Nicole-Claude Mathieu (1991 : 37), les deux catégories de sexe ne peuvent « être étudiées isolément, du moins sans qu’elles n’aient été auparavant pleinement conceptualisées comme éléments d’un même système structural » dans lequel s’organise la hiérarchie entre les deux catégories de sexe. Les rapports sociaux de sexe ou le genre ne constituent pas un secteur du social, mais au contraire, « une logique d’organisation du social qui forme un système à travers l’ensemble de l’espace social, sans qu’il y ait a priori prépondérance d’une sphère » (DauneRichard et Devreux 1992 : 10). Les rapports sociaux de sexe sont donc transversaux à l’ensemble des autres systèmes et espaces sociaux. Malgré l’apparente universalité de la différenciation des sexes, force est pourtant de constater que les catégories se modifient à travers les époques et les espaces (Duby et Perrot 1992). Les frontières des catégories de sexe sont en transformation constante, même dans les domaines qui paraissent les plus naturels comme la reproduction ou les plus neutres du point de vue du genre comme les sciences (Russet 1989, Jordanova 1989, Wijngaard 1997, Löwy et Gardey 2000). Le rapport social de sexe se caractérise donc par sa « reproduction dynamique et l’historicité qui font que, simultanément, il est partie prenante du développement historique global des sociétés et il connaît son propre développement » (Daune-Richard et Devreux 1992 : 12). L’historicité des rapports sociaux de sexe n’est pas évidente, car les différences entre les sexes ont été à travers les époques l’objet d’un travail incessant de déshistoricisation (Bourdieu 1998 : 116), ou, en d’autres termes, de naturalisation. Ce travail prend la forme d’une négation du caractère sociologiquement déterminé des inégalités de sexes, en les faisant notamment résulter des différences biologiques ou d'instances extérieures à l’action humaine. Une des dimensions essentielles de la définition sociologique des catégories de sexe est donc la critique de l’usage à des fins scientifiques des conceptions de sens commun naturalistes des sexes. Pour Kergoat (2005) et Molinier (2003), l’enjeu principal des rapports sociaux de sexe dans les sociétés occidentales contemporaines demeure le travail, ou plus précisément, le partage du travail entre les sexes qui se caractérise par l’assignation prioritaire des hommes à la sphère publique et des femmes à la sphère privée ainsi que par l’attribution aux hommes des fonctions les mieux pourvues en capital symbolique. Selon Kergoat, la division sexuelle du travail a deux principes organisateurs : la séparation et la hiérarchisation. Les modalités concrètes de la division du travail entre les sexes « varient fortement dans le temps et dans l’espace comme l’ont abondamment démontré ethnologues et historien(ne)s. Ce qui est stable, ce ne sont pas les situations (elles évoluent constamment), mais l’écart entre les groupes de sexe » (Kergoat 2005 : 98). Le défi est de parvenir à articuler les pratiques individuelles avec les conditions structurelles et ce que Haicault (2000) nomme « la doxa de sexe » (ou les systèmes de représentations et de croyances qui constituent les évidences sociales partagées), en les historicisant, pour comprendre comment les changements sociaux sont possibles. Le genre ou les rapports sociaux de sexe n’ont de sens que bien circonscrits dans l’espace et dans le temps, parce qu’au-delà du maintien des systèmes sociaux inégalitaires, le changement social est constant, aussi bien lors de transformations importantes dans les conditions « objectives » d’existence des rapports sociaux de sexe (révolution politique, crise démographique, accession des femmes aux diplômes universitaires, etc.) que dans les pratiques individuelles par lesquelles sont sans cesse modifiées, à une échelle souvent infinitésimale, les divisions et les catégories sociales qui fondent le genre. L’unité ontologique et politique de la catégorie « femmes » a été mise à mal depuis les années 1980 tant par les critiques des féminismes subalternes, noirs, postcoloniaux, postmodernes et queer. L’hétérogénéité des positions sociales occupées par les femmes dans les sociétés occidentales et dans les pays du sud, ainsi que les relations inégalitaires entre diverses catégories de femmes ont d’une part mené à des réflexions épistémologiques sur la validité des cadres théoriques sur le genre proposés par des sociologues du Nord et utilisés pour expliquer des réalités du Sud et des catégories de femmes subalternes. Mohanty, Spyvak et d’autres ont montré que si des structures semblables paraissent coexister à travers les âges et les espaces, les analyses font voir que « the relationship between them and their relative significance is different » (Walby 1996 : 29). Ainsi s’est imposée la nécessité de questionner les inégalités constitutives de la catégorie « femmes » et d'articuler les différents systèmes d'oppression (de classe, de race, de colonialité, d’âge, etc.) pour comprendre leurs reproductions et leurs transformations dans une perspective intersectionnelle ou consubstantielle et coextensive. Les théories queer et le mouvement lgbt ont, d’autre part, contribué à repenser la question des frontières entre catégories de sexe, les enjeux de la binarité de genre, la complexité et la fluidité du pouvoir dans les relations sociales ainsi que les résistances identitaires et la subversion individuelle des assignations de genre. L’objectif de ce séminaire est donc de réfléchir les apports et les interactions de la sociologie de genre et des autres secteurs de la sociologie encore généralement perçus comme étranger au genre ou dans lesquels la question du genre demeure marginalement abordée. Mode d’évaluation Compte rendu de lecture : 20% Présentation du texte étudié et animation d’une discussion : 10% Travail de session : 35% Exposé oral : 25% Participation aux échanges : 10% Organisation des séances La première partie de la session sera organisée autour des exposés magistraux de l’enseignante et des discussions sur les textes obligatoires. Les étudiants et les étudiantes devront réaliser un compte rendu de lecture sur un des textes à l’étude qu’ils ou elles devront présenter à leurs collègues et autour duquel ils ou elles devront animer une discussion. Les séances porteront successivement sur l’histoire et la sociologie du champ des études sur le genre, sur la sociologie de l’éducation et de la connaissance, sur la sociologie politique et les mouvements sociaux, la sociologie du travail et de l’économie, sociologie du corps et sexualités, sociologie des relations ethniques. La deuxième partie de la session sera organisée autour des exposés oraux des étudiants et des étudiantes. La formule du séminaire implique la lecture des travaux des étudiants et des étudiantes par tous les collègues et une discussion collective autour de ceux-ci. Les travaux préliminaires, soumis à la lecture commune, devront être déposés une semaine avant l’exposé oral. Les versions finales de tous les travaux seront attendues à la fin de la session. Calendrier des séances et des textes suggérés 1. Introduction Clair, Isabelle. Sociologie du genre, Paris, Armand Colin, 2012. Chapitre « Ce que le genre fait aux objets sociologiques », p. 97-121. Delphy, Christine. « Un féminisme matérialiste est possible », Nouvelles questions féministes, no. 4, 1982, p. 50-86. Delphy, Christine. L'ennemi principal. 2. Penser le genre, Paris, Éditions syllepse, 2001, « Penser le genre: problèmes et résistances », p. 243-260. Scott, Joan Wallach. « Le genre : une catégorie d’analyse toujours utile ? », Diogène, no. 225, 2009, p. 5-14. 2. Sociologie du genre, histoire d’un champ et clarification des notions Mohanty, Chandra Talpade. « Sous le regard de l'Occident : recherche féministe et discours colonial », dans Elsa Dorlin (dir.), Sexe, race, classe, pour une épistémologie de la domination, Paris, PUF, 2009, p. 49-182. Butler, Judith. « Introduction 1999 » et « Conclusion. De la politique à la parodie ».Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité, Paris, La Découverte, 2005, p. 25-50 et p. 267-276. Noyer, Sophie. « Pour un féminisme matérialiste et queer », Contretemps, avril 2014. http://www.contretemps.eu/interventions/f%C3%A9minisme-mat%C3%A9rialiste-queer (à valider) Camron, Debbie et Joan Scanlon. « Convergences et divergences entre le féminisme radical et la théorie queer », Nouvelles questions féministes, 33, 2 (2014), p. 80-94. 3. Sociologie de l’éducation et de la connaissance : Duru-Bellat, Marie. « Ce que la mixité fait aux élèves », Revue de l’OFCE, 2010, vol. 3, no. 114, p. 197-212. Zaidman, Claude. « La mixité, objet d’étude scientifique ou enjeu politique ? », Cahiers du genre, 207, 1, 42, p. 205-218. Charron, Hélène. Les formes de l’illégitimité intellectuelle. Genre et sciences sociales françaises, 1890-1940. « Conclusion ». Harding, Sandra. « Feminist Standpoint Epistemology » dans Muriel Lederman et Ingrid Bartsch (dir.), The Gender and Science Reader, Londres et New York, Routledge, 2001, p. 145-161. 4. Sociologie politique et des mouvements sociaux Maillé, Chantal. « Les interventions des mouvements de femmes en faveur d’une politique de présence dans les institutions de la démocratie libérale : observations autour des filières nordaméricaines », dans Manon Tremblay, Thanh-Huyen Ballmer-Cao, Bérengère Marques-Pereira et Mariette Sineau (dir.), Genre, citoyenneté et représentation, PUL, 2007, p. 189-207. Bereni, Laure et Éléonore Lépinard. « " Les femmes ne sont pas une catégorie " : les stratégies de légitimation de la parité en France », Revue française de science politique, 2004, 54 (1) : 7198. Okin, Susan Moller. « Le genre, le public et le privé » dans Than-Huyen Ballmar-Cao, Véronique Mottier et Lé Sgier (dir.), Genre et politique. Débats et perspectives. Paris, Gallimard, 2000, p. 345-395. Jacquemart, Alban. L'engagement féministe des hommes, entre contestation et reproduction du genre. Cahiers du Genre, (2), 2013, p. 49-63. Mayer, Stéphanie. « Pour une non-mixité entre féministes », Possibles, été 2014. http://redtac.org/possibles/2014/10/01/pour-une-non-mixite-entre-feministes/ 5. Sociologie du travail et de l’économie Kergoat, Danièle. Se battre disent-elles…, Paris, La Dispute, 2012. Chapitres v (« Les paradigmes sociologiques à l’épreuve des catégories de sexe »), XII ( « Rapports sociaux et division du travail entre les sexes »), pp. 111-123, 225-233. Tronto, Joan. Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La découverte, 2009, chapitre « Le care », p. 141-171. Glenn, Evelyn Nakano. « De la servitude au travail de service: les continuités historiques de la division raciale du travail reproductif payé », dans Elsa Dorlin (dir.), Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, Paris, PUF, coll. Actuel Marx confrontation, 2009, p. 21-63. Salazar-Parrenas, Rhacel. « Servants of Globalization : Women, Migration, and Domestic Work », dans Carole R. McCann et Seung-Kyung Kim, feminist theory reader. Local and Global Perspectives, Routledge, 2013, p. 202-217. 6. Sociologie des corps et sexualités Dworkin, Andréa. Pouvoir et violence sexiste, Éditions Sisyphe, 2007. Chap. 4 « Prostitution et domination masculine », p. 75-103 Toupin, Louise. « Analyser autrement la « prostitution » et la « traite des femmes » », Recherches féministes, 19, 1 (2006), p. 153-176. http://www.erudit.org/revue/RF/2006/v19/n1/014068ar.html Gayle S. Rubin. « Les sciences sociales à la découverte de l’homosexualité », Genre, sexualité et société, 2011, hors série no. 1 : http://gss.revues.org/1849 Falquet, Jules. « Rompre le tabou de l’hétérosexualité, en finir avec la différence des sexes : les apports du lesbianisme comme mouvement social et théorie politique », Genre, sexualité et société, no. 1, 2009. 7. Sociologie des relations ethniques et intersectionnalité Crenshaw, Kimberlé. « Cartographie des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du genre, vol. 39, 2005, 51-82. Bilge, Sirma. « De l'analogie à l'articulation : théoriser la différenciation sociale et l'inégalité complexe », L'Homme et la société, 176-177, 2 (2010), p. 43-64. Bilge, Sirma. « "... alors que nous, Québécois, nos femmes sont égales à nous et nous les aimons ainsi" : la patrouille des frontières au nom de l’égalité de genre dans une "nation" en quête de souveraineté », Sociologie et sociétés, 42, 1, 2010, p. 197-226. Juteau, Danielle. Rapports de sexe, frontières ethniques et identités nationales, rapport pour la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, décembre 2007. 8 à 14 : Exposés oraux et discussions. (nombre de séances variable selon la quantité d’étudiantes et d’étudiants dans le cours). Bibliographie Remise lors du premier cours.