oici les fruits de la méditation d’un an, parfois d’un travail plus
ancien, d’un dialogue ébauché il y a longtemps avec tel artiste
ou telle formation. Voici des saveurs nouvelles, des sensations à
vivre et des élans, des expériences à tenter, des rendez-vous, des
battements de cœur.
Il fut voulu qu’il y ait un sens d’ensemble, sensible même auprès de ceux
qui ne viendront qu’un peu. On a rêvé d’un théâtre qui s’éclairerait à
l’extérieur comme les soirs de fête, qu’on pourrait raconter à ses voisins
même quand on n’y vient jamais, qui pourrait dire à tous ses larmes et
ses joies.
Cette saison a un emblème. L’an passé c’était le courage, et vous avez été
courageux, puisque curieux, toujours nombreux, et plus divers qu’avant,
plus mélangés. Cette saison, c’est la tempérance, autre vertu terrestre,
autre vertu mêlée. Nous ne sommes pas tout d’un bloc. Il y a en nous de la
guerre aussi bien que de la paix. Nous ne sommes pas le tyran Richard III,
même s’il nous fascine, ce monstre intempérant. Il y a de la véhémence
en nous, pourquoi ne pas le dire ? Mais pas uniquement. On cherche
toujours son point d’équilibre, on l’explore, on le remet en jeu. Ce n’est
jamais ni. Ne croyons rien de ceux qui promettent de l’apaisement.
Rions plutôt, inventons, c’est une façon de séduire, et donc de rester
libres…
Parce qu’elle est proche de nous, nous avons voulu que cette saison
se fasse avec certains d’entre nous. Nous sommes las des accusations
de sufsance, d’être hautains, dans l’entre-soi, qui sont adressées à
la culture et aux artistes. L’art est accessible à tous. Il demande certes
un effort, celui de venir vers lui, dépouillé de toute idée reçue, celui de
se rendre disponible, de bousculer le rythme, parfois abrutissant, de
nos emplois du temps. Il réclame de se laisser surprendre, de ne rien
dire d’abord, d’observer ce qui se passe en soi. Mais il ne demande rien
d’autre.Ilsuftd’êtreensemblepourquel’artfasseeffet.Ilcirculeentre
nous aussi simplement que l’émotion.
Nous avons voulu que l’art soit accessible à tous dans sa pratique, pas
seulement à ceux qui en font leur métier, qui ont ce courage. Nous avons
voulu que des professionnels accompagnent des citoyens pour qu’ils
puissent s’exprimer. Sur scène ou en piste, l’homme atteint une forme
de liberté qui ne se produit pas ailleurs. Celle d’être à la fois universel
et singulier. Celle de tout recréer, comme s’il n’y avait pas eu de début
avant que la lumière ne se fasse.
La légitimité du spectacle, autant que du concert, est peut être plus forte
que celle de tous les autres arts. Le spectacle atteste d’un besoin collectif
et individuel de l’homme qui va plus loin que celui de se montrer, de se
dire, de se raconter, de se situer. Ce besoin consiste à se remettre en jeu, à
redistribuer les ingrédients de tout ce que nous sommes, à se réinventer,
dansunprésentaussiréelquectif.
Vincent Léandri
Edito
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