1. Santé, éthique, argent...
Dans tous les pays développés , avec l'évolution des technologies et des coûts des traitements, et la
médicalisation d'une population vieillissante, les dépenses de santé ne cessent de croître plus vite
que le PIB et exercent une pression accrue sur les finances publiques. La question de savoir quels
soins doivent être prodigués, à qui, par qui, aux frais de qui, possède des dimensions médicales,
économiques et en dernière instance éthique. (2)
Selon le Comité Consultatif National d’Éthique, dans ce contexte de dépenses de santé, l’État
providence trouve ses limites, et semble nous obliger à pondérer une éthique centrée sur la
personne. (15) Les conceptions égalitaristes de la justice, inspirées de Kant, actaient que « chacun
doit être soigné en fonction de ses besoins sans égard à ses conditions d'existence, son âge, à sa
position hiérarchique ou son degré de rentabilité sociale » 1. Depuis quelques décennies, leurs sont
préférées de nouvelles réponses, dites de justice distributive, faisant valoir l'exigence d'une
distribution rationnelle des services de soin en fonction des besoins à l'échelle collective.
Cette évolution traduit la montée en puissance des conceptions utilitaristes de la justice, pour
lesquelles le juste sera l'équité plus que l'égalité. L'utilitarisme que John Stuart Mill définissait
comme « une doctrine, qui donne comme fondement à la morale l'utilité ou le principe du plus
grand bonheur », va ainsi substituer à la dignité, valeur inconditionnelle de la personne héritée des
désastres de la seconde guerre mondiale2, le prix, qui qualifie une valeur à l'usage du bien ou à
l'utilité d'un service. Norman Daniels défend dans ses travaux, l'extension de la justice comme
équité rawlsienne, à la santé et aux soins de santé. (17)
L'influence grandissante de la philosophie utilitariste conduisait le CCNE à s'inquiéter de la prise en
compte de critères de décisions sanitaires « au seul nom de leur rentabilité ».
Son avis 101, sur les enjeux éthiques liés aux contraintes budgétaires en milieu hospitalier,
concluait que le concept de rentabilité ne peut s'appliquer à l'hôpital de la même manière qu'une
activité commerciale ordinaire, de part sa nécessité de concilier sa performance dans un
environnement concurrentiel et sa mission de service public confiée par le Code de Santé Publique.
Qu'en est-il du secteur de la chirurgie dentaire en France, dont la mission de service public est
portée à 90,6% par des professionnels libéraux? (45)
Les tensions éthiques soulevées, de manière institutionnelle par le CCNE au niveau de
l'hôpital, ne se retrouvent-elles pas, de manière interindividuelle, au cœur de la relation entre
le chirurgien dentiste et son patient ?
1 Art. 2 du code de déontologie médicale.
2 Préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948.
5