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Lulu,
tragédie-monstre
De Berlin à Londres, en passant
par Paris, le destin de Lulu semble
intimement lié aux hommes
qui partagent sa vie.
Quelle personnalité se cache,
de votre point de vue, derrière
cette figure de femme ?
D’abord, j’ai envie de dire que, dans
mon imaginaire, Lulu n’est pas une
femme fatale, elle n’est pas l’être froid
et calculateur que l’on a l’habitude de
voir en elle. Bien sûr, elle peut se révé-
ler fatale pour les hommes qui l’appro-
chent, mais ces hommes ne sont-ils pas,
avant tout, fatals pour eux-mêmes... Je
crois qu’il est très important d’évacuer
cette image de papier glacé. D’ailleurs,
Frank Wedekind voyait ce personnage
comme quelqu’un d’instinctif, quelqu’un
qui vit au présent, qui se débat dans les
difficultés de la vie sans jamais baisser
les bras. Lulu possède une capacité hors
du commun à dédramatiser les pires
situations et à rebondir.
Par quoi cette capacité
à rebondir passe-t-elle ?
Par le jeu. Lulu joue comme une enfant
peut jouer, avec la part de cruauté et
d’innocence que cela implique. Ce que
je trouve passionnant, c’est que cette
part d’ingénuité, qui a toujours fait
fantasmer les hommes qu’elle a ren-
contrés, et qui est donc à l’origine de la
ENTRETIEN AVEC LE METTEUR EN SCÈNE STÉPHANE BRAUNSCHWEIG
maltraitance qu’elle a subie dès son
enfance, est également sa principale
ressource de vie. Car, bien sûr, être tout
le temps dans le jeu évite de prendre
l’existence totalement au sérieux.
Lulu a longtemps été considérée
comme une œuvre profondément
transgressive. Pensez-vous qu’elle
le soit encore aujourd’hui ?
Frank Wedekind a conçu cette pièce
comme une arme destinée à faire explo-
ser la morale bourgeoise de son temps.
Aujourd’hui, les mœurs ont évidem-
ment évolué. Je crois qu’il faut retrou-
ver cet esprit de transgression à un autre
endroit : dans la contradiction qui se
joue entre l’utopie de la libération
sexuelle et la face noire de cette libé-
ration. J’ai essayé de tendre cette
contradiction en donnant à
Lulu
une
acuité et une capacité de trouble.
J’aimerais que le public puisse être
déstabilisé par ce spectacle, qu’il
soit amené à se poser toutes sortes de
questions.
Qu’est-ce qui vous a amené
à choisir Chloé Réjon pour
interpréter le rôle de Lulu ?
C’est vraiment à partir d’elle que j’ai
conçu ce spectacle. Car, je ne crois pas
que l’on puisse réellement envisager
de mettre en scène cette pièce sans
connaître, au préalable, la comédienne
qui incarnera Lulu. Chloé Réjon pos-
sède toute l’ambiguïté nécessaire pour
interpréter ce rôle: une très forte pré-
sence enfantine, une grande possibilité
de fraîcheur, de légèreté, mais égale-
ment une immense profondeur. Elle
parvient à retrouver, sur scène, quelque
chose du jeu innocent et cruel qui carac-
térise la part d’enfance de Lulu.
Lulu : un personnage mythique
Il s’agit de l’un des personnages
mythiques du répertoire allemand. Un
personnage immortalisé par l’actrice
Louise Brooks, en 1929, dans le film de
Georg Wilhelm Pabst, ainsi que par l’opéra
que composa Alban Berg dans les années
1930. Mi-femme enfant, mi-femme fatale,
Lulu fut modelée, dès son enfance, par les
hommes qui traversèrent sa vie. Des
hommes qui firent d’elle une femme
complexe et ambivalente, une femme
évoluant dans les zones les plus troubles
de la fascination érotique, de la candeur,
de la manipulation, du grotesque et du
tragique.
De Frank Wedekind
>
Traduction Jean-
Louis Besson et Henri Christophe
>
Mise en scène et scénographie Stéphane
Braunschweig
>
Collaboration artistique
Anne-Françoise Benhamou
>
Costumes
Thibault Vancraenenbroeck
>
Lumières
Marion Hewlett
>
Son Xavier Jacquot
>
Peinture et vidéo Raphaël Thierry
>
Collaboration à la scénographie Alexandre
de Dardel
>
Assistante à la mise en scène
Caroline Guiela
>
Assistante aux costumes
Isabelle Flosi
>
Maquillage et coiffures
Karine Guillem
>
Avec Jean-Baptiste
Anoumon, John Arnold, Elsa Bouchain,
Thomas Condemine, Claude Duparfait,
Philippe Faure, Philippe Girard,
Christophe Maltot, Thierry Paret,
Claire Rappin, Chloé Réjon, Grégoire
Tachnakian, Anne-Laure Tondu
Production La Colline - théâtre national
Tarif B
www.legrandT.fr
Stéphane
Braunschweig
C’est au cœur de l’institution
publique (il a dirigé le Centre
dramatique national
d’Orléans de 1993 à 1998,
le Théâtre national de
Strasbourg de 2000
à 2008, a pris la direction
du Théâtre national de
la Colline en janvier 2010),
que Stéphane Braunschweig
a bâti sa carrière.
Particulièrement sensible aux
grands auteurs du répertoire
classique (il a créé des pièces
de Georg Büchner, Bertolt
Brecht, William Shakespeare,
Henrik Ibsen, Anton Tchekhov,
Molière…), le metteur en
scène de
Lulu
pose comme
idéal un théâtre visant
à un équilibre
« entre
questionnements sur le
monde et logique de plaisir ».
C’est, selon lui, lorsque
le théâtre parvient à cet
équilibre qu’il est
« le plus
fort, le plus utile et le plus
populaire ».
UNE « FOLIE THÉÂTRALE » DE FRANK WEDEKIND
Jamais jouée du vivant de Frank Wedekind (1864-1918),
la première version de Lulu a été écrite en 1894. C’est ce texte
primitif que Stéphane Braunschweig, actuel directeur du Théâtre
national de la Colline, a choisi de mettre en scène avec,
dans le rôle titre, la comédienne Chloé Réjon.
Une « tragédie à faire frémir », comme l’écrit le dramaturge
allemand dans son journal intime, qui retrace l’ascension
puis la déchéance d’une femme soumise aux désirs
et aux fantasmes des hommes.
Mercredi 19 janvier à 20h
Jeudi 20 à 20h
Vendredi 21 à 20h
Samedi 22 à 19h30