Article Cartable de Clio 2006 - Centre de Recherche sur l`Education

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Article paru dans : Le cartable de Clio, Revue romande et tessinoise sur les didactiques de
l’histoire, n°6, 2006, p. 174-184
Didier Cariou
Laboratoire savoirs et socialisation, Université d’Amiens.
RECIT HISTORIQUE ET CONSTRUCTION DU SAVOIR
EN CLASSE D’HISTOIRE AU LYCEE
Dans la précédente livraison du Cartable, Benoît Falaize (2005) listait - afin de les réfuter fort
justement - les critiques adressées habituellement au récit historique à l’école élémentaire : un discours
univoque et partial empêchant tout examen critique, un obstacle au cheminement intellectuel et à
l’apprentissage de la discipline. Pourtant, le récit historique est légitimé sur le plan épistémologique, en
tant qu’il développe les démarches historiennes de la compréhension, de l’explication et de la
conceptualisation. Sur le plan didactique, la fonction du récit historique dans les apprentissages est
également avérée pour le collège (Serandour, 1998). Mon propos, appliqué cette fois au lycée, se situe
dans la continuité de ces analyses. A partir d’une expérimentation menée en classe de Seconde, je
souhaite montrer que le récit historique fournit un cadre à l’activité cognitive des élèves quand ils sont
invités à écrire en classe dans une perspective de construction autonome du savoir historique. Le récit
historique est entendu ici non pas comme une narration prononcée ex cathedra par un professeur devant
un auditoire ébloui mais passif, mais comme un écrit réalisé par les élèves eux-mêmes, en conclusion de
travaux sur des documents.
La recherche de terrain relatée ici, centrée sur les apprentissages des élèves qui mobilisent à leur
niveau les démarches de pensée historiennes, s’inscrit dans le cadre théorique énoncé par Vygotski
(1934 : p. 166-182) selon lequel les ajustements progressifs entre la pensée et le langage au fil de
différents écrits, et parfois même d’un seul écrit, favorisent la construction du savoir. Dans les récits des
élèves, les maladresses et les tâtonnements dans la formulation des concepts historiques signalent le plus
souvent la mise en mots et en ordre d’une pensée historienne. Une grille d’analyse de ces indices
textuels éclaire ce qui favorise la réussite des élèves quand ils écrivent en histoire.
Une théorie de l’apprentissage de l’histoire
On sait que le raisonnement historique relève du raisonnement naturel et de la pensée sociale du sens
commun, par opposition à la pensée logico-formelle des sciences de la nature (Bruner, 1986 ; Passeron,
1991). Le mode de compréhension des hommes du pasest en effet analogue à celui que chacun
applique au quotidien dans sa vie sociale quand il cherche à savoir ce qu’autrui « a derrière la tête » pour
comprendre ses intentions et expliquer ses actes (Veyne, 1971 : p. 146 ; Prost, 1996 : p. 159). En même
temps, ce raisonnement est contrôlé par la méthode critique de la discipline à des fins de formalisation
d’un savoir validé par la communauté des historiens. C’est pourquoi il consiste en un mixte de pensée
sociale et de pensée scientifique.
Du côté des élèves, le « modèle intermédiaire d’appropriation de l’histoire » (Lautier, 1997 : p.
213-220) présente lui aussi ce caractère mixte car il postule une continuiet non pas une rupture entre le
raisonnement naïf des élèves et le raisonnement plus expert des historiens. Dans un premier temps,
quand ils sont placés en situation autonome d’apprentissage de l’histoire, les élèves rapprochent
spontanément un savoir historique nouveau de leurs représentations sociales afin de le transformer en un
savoir du sens commun plus familier (Moscovici, 1976 : p. 107-126). En effet, à l’inverse d’une
coutume fort répandue dans le champ didactique, il ne s’agit pas de considérer les représentations
sociales comme un obstacle à l’apprentissage. Bien au contraire, ce mode de connaissance du sens
commun, socialement construit, sans cesse transformé et reconstruit par chacun au fil de son expérience
sociale, fournit aux membres d’un groupe social un cadre interprétatif des conduites et des pratiques des
hommes en société. En histoire, les représentations sociales constituent alors un système d’accueil d’un
savoir scientifique nouveau pour les profanes (Cariou, 2003). On sait bien la première réaction des
élèves est de considérer Louis XIV comme un dictateur.
A l’issue de cette étape de socialisation du savoir scientifique, les procédés de mise à distance et
d’historisation mettent à distance ce savoir du sens commun : critique des sources, contrôle du
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raisonnement analogique, périodisation, construction d’entités historiques (Lautier, 2001). Cette étape
de rationalisation du savoir se réalise dans l’apprentissage des démarches à de la discipline, en
interaction avec l’enseignant. Sur la base de rapprochements plus pertinents avec les pharaons ou les
empereurs romains chrétiens, les élèves envisagent Louis XIV comme un monarque absolu de droit
divin.
Cependant, la mobilisation de la pensée sociale des élèves ne peut se décréter par l’enseignant et la
complexité des opérations d’historisation empêche les élèves de les mobiliser hors d’une situation
d’écriture scolaire pertinente. En outre, dans la réalité des classes, un malentendu perturbe
l’apprentissage de l’histoire : dans leurs écrits, les élèves s’efforcent en général de montrer qu’ils ont
appris leur cours alors que les enseignants voudraient qu’ils montrent qu’ils ont compris ce qu’ils ont
appris (Audigier, 1996 : p. 113). Mon hypothèse est que l’apprentissage du récit historique est
susceptible de clarifier le contrat didactique en classe d’histoire et qu’il rend possible la mobilisation par
les élèves des démarches de pensée présidant à l’apprentissage de l’histoire. On peut alors examiner les
fonctions et le fonctionnement du récit chez les historiens pour en envisager une « scolarisation »
prudente (Serandour, 1998 : p. 293).
Récit historique et apprentissage de l’histoire
En privilégiant le récit historique, on se situe plutôt du côté littéraire de l’histoire qui prétend restituer
le vécu des hommes du passé (Certeau, 1975 : p. 46-47). Mais Ricoeur a montré que le récit n’a jamais
réellement disparu de l’historiographie française et qu’il était vain d’opposer une histoire-récit tournée
vers la compréhension et l’individuel et une histoire scientifique explicative et plus générale.
En effet, le récit historique constitue la forme la plus habituelle des écrits des historiens en vertu du
« caractère ultimement narratif de l’histoire » (Ricoeur, 1983 : p. 165). Plus largement, dans toute
société humaine, le récit caractérise le mode de la pensée naturelle. Il rend compte de l’agir humain et de
l’expérience des individus, la sienne et celle des autres, car la matière du récit est l’intention qui préside
à l’action humaine (Bruner, 1986). Comme tout récit, le récit historique est organisé par une mise en
intrigue, cette « synthèse de l’hétérogène » (Ricoeur, 1983 : p. 125-130) qui ordonne en un tout
intelligible et cohérent les causes et les intentions, les buts et les motifs qui poussent les acteurs à agir en
fonction de leur appréciation du contexte, ainsi que l’interprétation que l’on peut en proposer. Afin
d’expliquer un changement dans l’ordre du monde humain, l’intrigue structure les diverses composantes
d’une action bornée chronologiquement en fonction de la problématique de l’historien, depuis une
situation initiale jusqu’à une situation finale concluant une série de péripéties. Pour expliquer l’action,
l’auteur du récit, qu’il soit un historien ou un élève, mobilise un raisonnement naturel du sens commun,
des représentations sociales, une psychologie et une sociologie plus ou moins naïves sur le
comportement habituel des hommes en société (Prost, 1996 : p. 158).
Toutefois, même si la production d’une explication par l’historien a beaucoup à voir avec le récit
d’un fait divers par l’homme de la rue, le simple récit quotidien ne suffit pas à produire un discours
historique valide (Prost, 1996 : p. 237-262). C’est pourquoi le récit historique se distingue par son
rapport au réel : « L’histoire est un récit d’événements vrais » (Veyne, 1971 : p. 21). Il s’en distingue
surtout, selon Ricoeur, par les trois niveaux de « coupure épistémologique » recouvrant partiellement les
procédés d’historisation évoquées : le niveau des procédures intégrées au récit savoir
l’explication historique justifiée par des preuves documentaires et consistant principalement en une
restitution des intentions des hommes du passé), celui des entités collectives qui constituent les
personnages de l’action décrite (des forces sociales analogues à des personnages, capables d’intentions
et sujets de verbes d’action) et celui de la périodisation mise en forme par la mise en intrigue et en
fonction de laquelle sont choisis, classés et pensés les faits relatés, en fonction de la problématique de
l’historien (Ricoeur, 1983 : p. 311-314).
D’autre part, dans la mesure certaines des entités collectives sont des concepts historiques, on peut
considérer que le récit historique est susceptible de favoriser la conceptualisation (Ricoeur 1983, p.
358-361). Certes, d’aucuns hésitent à parler de concepts en histoire puisque l’histoire, science du
changement et des événements singuliers, ne construit pas de généralités universelles et invariantes.
Comme ils relèvent eux aussi du raisonnement naturel, les concepts historiques restent des généralités
incomplètes. Leur fonction est principalement heuristique, ils servent à penser les faits particuliers du
passé : « L’histoire est description de l’individuel à travers des universaux » (Veyne, 1971 : p. 174). A
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moins de rester une simple énumération de faits disjoints, un récit ne peut se passer de la caractérisation
et de la catégorisation des faits évoqués.
Un concept historique est le plus souvent désigné par un mot du langage courant. Il résulte de la
compétence du raisonnement naturel à comparer sans cesse, à rapprocher le connu du pas encore connu
et à établir empiriquement des typologies qui rangent dans la même catégorie des objets comparables en
faisant abstraction de leurs différences (Passeron, 1991 : p. 368-384). Par exemple, les années
1642-1653 en Angleterre, la période 1789-1799 en France, l’année 1917 en Russie peuvent être rangées
dans la catégorie de la révolution. Les propriétés communes à ces objets définissent les propriétés du
concept : « Les concepts de l’histoire (…) sont construits par une série de généralisations successives et
définis par l’énumération d’un certain nombre de traits pertinents qui relèvent de la généralité empirique,
non de la nécessité logique » (Prost, 1996 : p. 129). En conséquence, selon Passeron, un concept
historique n’est qu’une « description résumée » des traits communs aux faits comparés. Il reste
« indexé » aux personnages et aux faits à partir desquels il a été construit. Il ne présente qu’un faible
degré de généralité puisque, afin d’échapper au danger d’anachronisme, son domaine de validiest
strictement restreint à la période considérée. Le concept historique aide surtout l’historien à questionner
chaque fait particulier c’est l’objet de son travail pour comprendre la spécificité de la Révolution
française par rapport aux autres révolutions (Ricoeur, 1983 : p. 223).
Le récit déploie les faits, les actions, les personnages, les contextes à partir desquels sont construits
les concepts qui permettent en retour de penser ces derniers. Pour reprendre les analyses de Vygotski sur
la dialectique de la pensée et du langage, le récit historique constituerait donc la forme langagière la plus
appropriée à la pensée historienne car ils relèvent tous deux de ce mixte de pensée naturelle et de pensée
scientifique : « Dans le cas de l’écriture littéraire de l’histoire, la narrativité ajoute ses modes
d’intelligibilité à ceux de l’explication / compréhension » (Ricoeur, 2000 : p. 360). En ce sens, ils
recouvrent les deux étapes du « modèle intermédiaire d’appropriation de l’histoire », et l’on peut
raisonnablement supposer que l’usage du récit historique bien sûr adapté à des élèves - devrait
favoriser la construction du savoir historique.
Le protocole expérimental
L’expérimentation en question ici a mobilisé trois classes de Seconde (une classe expérimentale et
deux classes témoins) d’un lycée classé « sensible » dans la proche banlieue parisienne. Ces classes se
sont vues dispenser le même type d’enseignement sur la partie du chapitre d’histoire sur « La
Méditerranée au XIIe siècle » concernant les relations entre chrétiens et musulmans dans l’Orient des
croisades. Le jeu des options suivies par les élèves et les orientations en fin d’année scolaire dans la
classe de Première scientifique établissent une hiérarchie en terme de réussite scolaire : les élèves de la
classe expérimentale sont le plus en difficulté, ceux de la classe témoin n° 2 sont le plus en réussite, la
classe témoin n°1 se situant à un niveau intermédiaire.
Dans la séquence antérieure portant sur « Naissance et diffusion du christianisme », les
caractéristiques du récit historique avaient été préalablement enseignées aux élèves de la classe
expérimentale et de la classe témoin°1. En cours de séquence, à l’issue d’un travail sur les persécutions
des chrétiens aux IIe et IIIe siècles, durant une heure de cours en demi-groupe (en module), la consigne
suivante avait été soumise aux élèves de deux classes : « Comment avez-vous fait pour expliquer pour
les romains persécutaient les chrétiens et pourquoi ils ont adopté ensuite la religion chrétienne ? ». Le
but était de les amener à verbaliser et à formaliser, par un « écrit réflexif », la démarche qu’ils avaient
mobilisée spontanément durant les séances précédentes. Le travail écrit était individuel, mais les élèves
étaient répartis en petits groupes afin de favoriser la réflexion collective. Pour illustrer le propos, on
s’appuiera sur le texte paradigmatique de Nadia, une élève en réussite scolaire de la classe témoin n°1.
Dans un premier temps, tous les élèves sans exception décrivent une tâche mécanique de traitement
de l’information susceptible de décrire nimporte quelle activité dans n’importe quelle discipline,
comme l’écrit Nadia : « J’ai d’abord lu la question et les documents, j’ai souligné les informations qui
pourraient m’aider à répondre à la question ». Dans les réponses de tous les élèves, rien ne semble
guider le choix des informations et le sens est supposé jaillir comme par enchantement d’une simple
lecture des documents.
Dans un second temps de la séance, un dialogue s’est engagé entre le professeur et les différents
groupes d’élèves des deux classes sur la fonction des « informations » dans les textes qui leur avaient été
soumis. Les élèves ont déclaré qu’elles renseignaient sur « ce qui s’est passé » ou « ce qui est arrivé
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avant ». Ce type d’exercice fait constamment émerger une représentation de l’histoire comme une
discipline qui dispense uniquement des informations sur le passé.
A partir de cette réponse, le questionnement très directif a porté sur la nature d’un fait ou d’un
événement en histoire. Par un détour épistémologique sommaire, le professeur a rappe qu’un
événement historique est ce qui n’est arrivé qu’une seule fois et qui est advenu à l’occasion d’une action
réalisée par les hommes du passé et dont on cherche une explication. Pour amener les élèves à verbaliser
leur démarche intuitive, il leur a été demandé de reprendre l’exemple de Constantin, avec sa « vision »
de l’emblème chrétien rapportée par Eusèbe de Césarée qui aurait donné la victoire à ses armées en 312
contre Maxence, son rival au trône impérial, puis la reconnaissance du culte chrétien par l’édit de Milan
en 313.
Les hésitations du texte suivant de Nadia, rédigé à l’issue de cet échange, signalent son cheminement :
« Pour les Romains et les chrétiens, j’ai décrit ce qui se passait avant. Les éléments qui font changer et
le résultat de ces changements. Pour trouver des arguments, ils faut parfois se mettre dans la tête par
exemple de l’empereur Galère et essayer de comprendre son point de vue. Ensuite, il faut essayer de
comprendre les raisons qui ont fait changer d’avis les romains sur la religion chrétienne et les écrire ».
Dans un premier temps, elle se situe sur le plan de la restitution d’informations ce qui se passait
avant ») liée à son texte précédent. Elle adopte ensuite la posture de la compréhension se mettre dans
la tête ») qui lui permet de produire une explication de ses agissements les raisons qui ont fait
changer d’avis »). On tient ainsi les principales modalités de la démarche de compréhension /
explication en histoire.
Une petite majorité d’élèves parvient à ce niveau d’élucidation de la démarche. C’est pourquoi, en fin
de séance, les élèves ont été invités à revenir sur leurs écrits. Le professeur notait les réponses des élèves
au tableau afin de les structurer. L’objectif était d’expliciter la démarche attendue des élèves lorsqu’ils
écrivent en histoire, en d’autres termes, à institutionnaliser la pratique du récit historique dans le contrat
didactique de la classe. Cette scolarisation du récit a conduit à souligner trois caractéristiques reprenant
grossièrement les coupures épistémologiques du récit historique selon Ricoeur :
L’action de personnages historiques, individuels ou collectifs ;
La restitution de leurs intentions (ce qu’ils pensaient) afin de produire une explication de leurs
agissements ;
Un roulement chronologique précisément daté sur le modèle du « schéma narratif » étudié en
français au collège (situation initiale, péripétie, situation finale et conclusion), renvoyant
grossièrement à la périodisation, et permettant de résoudre un problème.
Durant la séquence suivante sur « La Méditerranée au XIIe siècle », la première partie du chapitre
portant sur l’Orient des croisades (trois heures de cours) a été étudiée dans trois classes de Seconde sur la
base d’une pédagogie constructiviste de mise en activité des élèves à partir de consignes identiques
portant sur cinq documents principaux désormais classiques : l’appel à la croisade du pape Urbain II en
1095, un appel au djihad de Saladin en 1169, la correspondance échangée entre Saladin et Richard Cœur
de Lion lors de la trêve de 1191 intervenue durant la troisième croisade (Maalouf, 1983 : p. 242-243),
pour étudier le concept de guerre sainte, l’accord entre les Vénitiens et les barons du royaume de
Jérusalem en 1123 préludant à l’attaque du port musulman d’Ascalon, le texte du voyageur andalou Ibn
Jubayr sur le commerce à Saint-Jean d’Acre en 1183, pour étudier les échanges commerciaux entre
chrétiens et musulmans en Orient.
Deux sujets de composition ont ensuite été proposés aux élèves. Dans la classe expérimentale,
l’expression « récit historique » figurait explicitement dans la consigne : « Rédigez un récit historique
sur l’évolution des relations entre chrétiens et musulmans au Proche Orient au XIIe siècle ». Dans les
deux classes témoins, l’expression récit historique ne figurait pas dans la consigne : « L’évolution
des relations entre chrétiens et musulmans au Proche Orient au XIIe siècle ». Il était attendu que les
élèves construisent à cette occasion le concept de contact - à la fois affrontement et échange sur un
espace donné - pour caractériser les relations à la fois militaires (les croisades et le djihad) et
commerciales entre chrétiens et musulmans en Terre sainte.
On voulait vérifier l’effet de l’étude explicite du récit historique (classe expérimentale et classe
témoin n°1 versus classe témoin 2) et l’effet de la mention explicite du récit historique dans la
consigne (classe expérimentale versus les deux classes témoins).
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Quelques résultats quantitatifs
Les tableaux comparent les performances des élèves des trois classes. Les performances élevées des
élèves de la classe expérimentale montrent nettement l’effet pédagogique du récit historique et leurs
écrits opèrent des liens argumentatifs ou explicatifs entre les faits. Une modification dans la perception
du contrat didactique est donc intervenue à la faveur de l’institutionnalisation du récit historique dans la
classe. En revanche, les performances de la classe témoin n°2, constituée pourtant d’élèves en plus
grande réussite, sont beaucoup plus réduites. Leurs écrits consistent principalement en une énumération
de faits disjoints, conformément à l’interprétation habituelle du contrat didactique par les élèves en
histoire.
Tableau n°1 : Les occurrences en valeur absolue des concepts dans les évaluations de la classe
expérimentale et des classes témoins
Croisade
Djihad
Guerre sainte
Commerce
Contact
Classe expérimentale
n = 28
18
23
19
18
18
Classe témoin n° 1
n = 27
27
27
22
13
7
Classe témoin n° 2
n = 26
9
2
8
15
4
Total
54
52
49
46
29
Dans le tableau n°1, ont été comptabilisés les concepts correctement nommés et définis. Concernant
les affrontements militaires entre les Etats latins d’Orient et leurs voisins musulmans, à savoir la
croisade pour les chrétiens et le djihad pour les musulmans, regroupés sous le concept plus général de
guerre sainte, et pourtant construits explicitement en classe, les écarts sont relativement nets entre classe
expérimentale et classe témoin n°1 d’une part et la classe témoin n°2 d’autre part.
L’écart entre la classe expérimentale et les deux classes témoins est beaucoup plus significatif pour le
concept de contact qui constitue l’objet réel de l’évaluation et qui est plus difficile à appréhender pour
les élèves. Or, seuls les élèves de la classe expérimentale qui avaient travaillé le récit historique et qui
disposaient d’une consigne d’évaluation où ce dernier était cité explicitement, sont massivement
parvenus à construire ce concept. D’une certaine manière, la mise en intrigue du récit, capable de
« rendre compatible les contraires » (Certeau, 1975 : p. 105), a conduit les élèves à penser la dialectique
des affrontements et des échanges.
Ce constat sur le lien entre récit historique et conceptualisation du contact doit être mis en parallèle
avec certaines des modalités du raisonnement historique mobilisées par les élèves des différentes classes
et reportées dans le tableau n°2 où les écarts entre les classes sont encore très significatifs.
Tableau n°2 : Les occurrences en valeur absolue des processus d’objectivation et des procédés
de mise à distance dans les évaluations de la classe expérimentale et des classes témoins
PROCESSUS D’OBJECTIVATION
PROCEDES DE MISE A DISTANCE
Personnification
Figuration
Modalisation
riodisation
n = 28
203
35
48
20
n = 27
192
8
20
4
n = 26
84
2
5
2
479
45
73
26
Les critères retenus dans ce tableau renvoient à la théorie de l’apprentissage de Moscovici et au
« modèle intermédiaire d’apprentissage de l’histoire ».
Les processus d’objectivation rendent concrets les concepts abstraits (Moscovici, 1976 : p. 107-126).
Ils interviennent durant la première phase de socialisation du savoir scientifique durant laquelle les
profanes transforment le savoir scientifique en un savoir du sens commun à leur portée (Moscovici et
Hewstone, 1984). Comme la simple transformation d’un savoir par les élèves signale une activité
intellectuelle autonome, ces processus fournissent une grille d’analyse commode des opérations
cognitives sous-jacentes aux écrits des élèves. Seuls ont été retenus ici le processus de la
personnification qui associe un concept à un personnage de chair et d’os (le pape Urbain II pour la
croisade, Saladin pour le djihad) et le processus de la figuration qui substitue des images aux concepts
pour se figurer les intentions des hommes du passé afin d’expliquer leurs agissements.
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