raisonnement analogique, périodisation, construction d’entités historiques (Lautier, 2001). Cette étape
de rationalisation du savoir se réalise dans l’apprentissage des démarches à de la discipline, en
interaction avec l’enseignant. Sur la base de rapprochements plus pertinents avec les pharaons ou les
empereurs romains chrétiens, les élèves envisagent Louis XIV comme un monarque absolu de droit
divin.
Cependant, la mobilisation de la pensée sociale des élèves ne peut se décréter par l’enseignant et la
complexité des opérations d’historisation empêche les élèves de les mobiliser hors d’une situation
d’écriture scolaire pertinente. En outre, dans la réalité des classes, un malentendu perturbe
l’apprentissage de l’histoire : dans leurs écrits, les élèves s’efforcent en général de montrer qu’ils ont
appris leur cours alors que les enseignants voudraient qu’ils montrent qu’ils ont compris ce qu’ils ont
appris (Audigier, 1996 : p. 113). Mon hypothèse est que l’apprentissage du récit historique est
susceptible de clarifier le contrat didactique en classe d’histoire et qu’il rend possible la mobilisation par
les élèves des démarches de pensée présidant à l’apprentissage de l’histoire. On peut alors examiner les
fonctions et le fonctionnement du récit chez les historiens pour en envisager une « scolarisation »
prudente (Serandour, 1998 : p. 293).
Récit historique et apprentissage de l’histoire
En privilégiant le récit historique, on se situe plutôt du côté littéraire de l’histoire qui prétend restituer
le vécu des hommes du passé (Certeau, 1975 : p. 46-47). Mais Ricoeur a montré que le récit n’a jamais
réellement disparu de l’historiographie française et qu’il était vain d’opposer une histoire-récit tournée
vers la compréhension et l’individuel et une histoire scientifique explicative et plus générale.
En effet, le récit historique constitue la forme la plus habituelle des écrits des historiens en vertu du
« caractère ultimement narratif de l’histoire » (Ricoeur, 1983 : p. 165). Plus largement, dans toute
société humaine, le récit caractérise le mode de la pensée naturelle. Il rend compte de l’agir humain et de
l’expérience des individus, la sienne et celle des autres, car la matière du récit est l’intention qui préside
à l’action humaine (Bruner, 1986). Comme tout récit, le récit historique est organisé par une mise en
intrigue, cette « synthèse de l’hétérogène » (Ricoeur, 1983 : p. 125-130) qui ordonne en un tout
intelligible et cohérent les causes et les intentions, les buts et les motifs qui poussent les acteurs à agir en
fonction de leur appréciation du contexte, ainsi que l’interprétation que l’on peut en proposer. Afin
d’expliquer un changement dans l’ordre du monde humain, l’intrigue structure les diverses composantes
d’une action bornée chronologiquement en fonction de la problématique de l’historien, depuis une
situation initiale jusqu’à une situation finale concluant une série de péripéties. Pour expliquer l’action,
l’auteur du récit, qu’il soit un historien ou un élève, mobilise un raisonnement naturel du sens commun,
des représentations sociales, une psychologie et une sociologie plus ou moins naïves sur le
comportement habituel des hommes en société (Prost, 1996 : p. 158).
Toutefois, même si la production d’une explication par l’historien a beaucoup à voir avec le récit
d’un fait divers par l’homme de la rue, le simple récit quotidien ne suffit pas à produire un discours
historique valide (Prost, 1996 : p. 237-262). C’est pourquoi le récit historique se distingue par son
rapport au réel : « L’histoire est un récit d’événements vrais » (Veyne, 1971 : p. 21). Il s’en distingue
surtout, selon Ricoeur, par les trois niveaux de « coupure épistémologique » recouvrant partiellement les
procédés d’historisation déjà évoquées : le niveau des procédures intégrées au récit (à savoir
l’explication historique justifiée par des preuves documentaires et consistant principalement en une
restitution des intentions des hommes du passé), celui des entités collectives qui constituent les
personnages de l’action décrite (des forces sociales analogues à des personnages, capables d’intentions
et sujets de verbes d’action) et celui de la périodisation mise en forme par la mise en intrigue et en
fonction de laquelle sont choisis, classés et pensés les faits relatés, en fonction de la problématique de
l’historien (Ricoeur, 1983 : p. 311-314).
D’autre part, dans la mesure où certaines des entités collectives sont des concepts historiques, on peut
considérer que le récit historique est susceptible de favoriser la conceptualisation (Ricoeur 1983, p.
358-361). Certes, d’aucuns hésitent à parler de concepts en histoire puisque l’histoire, science du
changement et des événements singuliers, ne construit pas de généralités universelles et invariantes.
Comme ils relèvent eux aussi du raisonnement naturel, les concepts historiques restent des généralités
incomplètes. Leur fonction est principalement heuristique, ils servent à penser les faits particuliers du
passé : « L’histoire est description de l’individuel à travers des universaux » (Veyne, 1971 : p. 174). A