Février-Mars 2013 ❘ Biologiste infos
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Biologiste infos ❘ Février-Mars 2013
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«N
otre équipe est la première à avoir travaillé
sur l’effet des mammographies sur des cellules
épithéliales mammaires non tumorales dans
des conditions exactes d’exposition mammo-
graphique, affirme Catherine Colin, radiologue aux Hospices civils
de Lyon et chercheuse au Centre de recherche en cancérologie de
Lyon. Jusqu’à présent, les études sur les effets des radiations faible
dose avaient été réalisées sur cellules tumorales ou transformées,
chez l’animal, ou sur des cellules humaines non mammaires. Nous
avons bénéficié de l’expérience d’un radiobiologiste, le Dr Nicolas
Foray, qui travaillait depuis plusieurs années sur des cellules
humaines non tumorales (fibroblastes) et sur les mécanismes de
réparation des lésions radio-induites. En modélisant les irradia-
tions sur un mammographe utilisé en routine clinique, nous nous
sommes rapprochés le plus possible des conditions d’irradiation
mammographique in vivo », précise-t-elle.
Les cellules ont été prélevées sur des femmes volontaires, venues au
Centre d’imagerie du sein de l’Hôpital universitaire de Lyon pour
réaliser un diagnostic par biopsie d’une lésion mammaire. Trente
femmes ont été incluses : 19 considérées comme présentant un faible
risque de cancer du sein et onze identifiées à haut risque familial
par l’équipe de généticiens. Le niveau de risque était apprécié en
fonction de l’histoire familiale de cancers du sein ou de l’ovaire et
au regard des résultats d’analyses génétiques (recherche de muta-
tions des gènes suppresseurs de tumeurs). Les cellules épithéliales
issues des biopsies de chaque femme ont été mises en culture afin
d’obtenir des lignées d’épithélium mammaire. Les séquences d’ir-
radiation reproduisaient les séquences de dépistage, qui comprend
classiquement deux clichés par sein, chaque cliché délivrant une
dose glandulaire moyenne d’environ deux milligray (mGy). Ont
donc été testés plusieurs protocoles : une irradiation à 2 mGy, deux
irradiations à 2 mGy espacées de trois minutes (2x2 mGy) et une
irradiation à 4 mGy.
Un biomarqueur de cassures
double-brin d’ADN : H2AX
Les effets de ces différents types d’irradiations ont ensuite été mesu-
rés à dix minutes et à 24 heures. Les chercheurs ont quantifié, par
immunofluorescence et par coloration DAPI et dans les cellules de
phase G0/G1 uniquement, les foci phosphorylés de l’histone H2AX
(γH2AX).
La quantité de tels foci après irradiation a en
effet été corrélée dans d’autres études au nombre
de cassures de doubles brins d’ADN. « Elle peut
servir de biomarqueur fiable des dommages de
l’ADN induits par les rayons X à faible dose »,
rappelle le chercheur Nicolas Foray.
L’équipe de biostatistique des Hospices civils
de Lyon a défini trois catégories de cellules,
en fonction du nombre de foci γH2AX qu’elles
présentaient avant et après chaque séquence
d’irradiation : les cellules sans foci, celles
présentant entre 1 et 14 foci, et celles en pré-
sentant plus de 15.
Plus d’effets chez les
femmes à risque
Pour les deux groupes de patientes, le nombre
de foci γH2AX a augmenté après irradiation,
quelle que soit la dose reçue. L’effet le plus
important a été observé avec deux doses répé-
tées (2x2 mGy), qui faisaient notamment plus
de dommages non réparés à 24 heures qu’une
irradiation unique de 4 mGy.
La quantification du biomarqueur à 24 heures
a permis d’évaluer la capacité de cellules en culture à réparer les brins
d’ADN endommagés pendant l’irradiation. « Le résultat principal est
qu’à 24 heures, les effets induits par une irradiation de faible dose dans
des conditions mammographiques (rayons X, faible énergie) peuvent
ne pas être réparées. Ce résultat était d’autant plus marqué que les
cellules étaient issues de femmes à haut risque familial de cancer du
sein – des patientes déjà prédisposées au cancer du sein », précise
Catherine Colin. Des résultats qui vont dans le même sens que ceux
d’une vaste étude épidémiologique européenne sur le lien entre les
expositions aux rayonnements médicaux et le cancer du sein, chez les
femmes porteuses de mutations BRCA1 ou BRCA2 (voir encadré).
L’ADN subit plus de dommages à
dose faible et répétée
L’étude conclut à deux effets principaux des irradiations de faible dose
sur les cellules épithéliales mammaires. Le premier est un effet dose :
les chercheurs ont montré des dommages pour des doses faibles de
2 mGy, et des dommages plus nombreux à 4 mGy. Le second est un effet
« dose faible et répétée » : il y a plus de dommages avec une dose faible
et répétée (2x2 mGy)
qu’avec une dose plus
importante émise une
seule fois (4 mGy). Afin
d’expliquer cet effet
dose faible et répétée,
les chercheurs rappel-
lent que « l’ADN subit
trois types majeurs de
dommages lorsqu’il est
soumis à des rayons X :
les dommages de base,
les cassures simple brin
et les cassures double
brin. Ils sont respec-
tivement caractérisés
par un demi-temps de
réparation moyen de
1-5 minutes, 5-10 minutes et 50 minutes ». Les cassures de simple
brin et les dommages de base pourraient évoluer et s’aggraver avec la
deuxième dose délivrée. « Il existe un impact de la mammographie à
deux vues sur la réparation, qui impliquerait les dommages de base
et les cassures simple brin radio-induites », supposent-ils.
Vers une mammographie à une
seule vue
Aujourd’hui, il est nécessaire de poursuivre ces études avec plus
de biopsies et d’autres biomarqueurs, et notamment d’identifier
des marqueurs de « mauvaise réparation ». « Il faudra également
poursuivre l’étude des liens entre cassure de double brins d’ADN et
cancérogénèse, ainsi que l’analyse de l’impact du tissu environnant
sur la cancérogenèse puisque les cellules interagissent aussi avec un
environnement tissulaire », détaille Catherine Colin.
En attendant, les chercheurs recommandent de remplacer la mammo-
graphie double vue (face et oblique) par une seule incidence oblique,
afin de réduire l’impact de la répétition de doses [3]. « Pour dépister
les cancers infiltrants, l’IRM a une sensibilité très élevée, supérieure
à 90 % chez ces femmes à haut risque familial. Nous préconisons une
seule incidence mammographique par sein afin de détecter les foyers
de microcalcifications que l’IRM ne peut pas déceler, et qui peuvent
dans certains cas traduire la présence de cancers in situ, donc non
invasifs. Nous suivons déjà ces protocoles à l’hôpital universitaire
de Lyon, et plusieurs autres centres les ont adoptés en France. Nous
sommes aussi en attente des prochaines recommandations françaises
et internationales concernant le dépistage de ces femmes à haut
risque », précise Catherine Colin, également experte auprès de la
Haute autorité de santé. ■
Les irradiations mammographiques induisent-elles
des dommages dans l’ADN des cellules épithéliales
mammaires ? C’est une des questions auxquelles
a tenté de répondre une équipe de chercheurs
français dans une étude publiée dans
l’International Journal of Radiation Biology [1].
Catherine Colin, radiologue aux
hospices civils de Lyon
Dommages induits par des irradiations mammographiques dans trois types de cellules. La quantité
de foci phosphorylés de l’histone H2AX (coloration verte) a été corrélée au nombre de cassures des
doubles brins d’ADN. En bleu, la coloration DAPI des noyaux cellulaires.
Mammographie du sein humain. Pose d’un «harpon» en vue d’une biopsie stéréotaxique.
Caroline Kim
Dépistage : limiter les radiations en présence de certaines
mutations génétiques
Les femmes porteuses de mutations des gènes BRCA1 ou 2, impliqués dans la réparation
des cassures de doubles brins d’ADN, sont prédisposées au cancer du sein. Une étude épi-
démiologique a été menée en France, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, afin d’estimer s’il
y avait un risque accru de cancer du sein causé par une exposition à des radiations médi-
cales, chez 1 993 de ces femmes, entre 2006 et 2009. Les radiations étudiées incluaient la
fluoroscopie, la radiographie du buste ou des épaules, la mammographie et la tomographie.
Les résultats publiés en septembre 2012 dans la revue BMJ [2], révèlent effectivement que
« chez les porteuses des mutations des gènes BRCA1/2, toute exposition à des radiations
de dépistage avant 30 ans est associée à un risque accru de cancer du sein, le risque aug-
mentant avec la dose totale reçue. Ils vont dans le sens de la recommandation qui consiste à
utiliser des techniques d’imagerie sans radiations ionisantes, telle que l’IRM, comme le moyen
principal de surveillance des jeunes porteuses de mutations BRCA1/2 ».
© Catherine Colin
© Raziel-Wikimedia Commons
© C. Colin et al
© C. Colin et al
Cancer du sein
Les mammographies
ne laissent pas l’ADN
indifférent
RÉFÉRENCES
[1] Colin C et al. DNA double-strand breaks induced by mammographic
screening procedures in human mammary epithelial cells. International
Journal of Radiation Biology. 2011;87(11):1103-12.
[2] Pijpe A et al. Exposure to diagnostic radiation and risk of breast cancer
among carriers of BRCA1/2 mutations: retrospective cohort study (GENE-
RAD-RISK). BMJ. 2012;345:e5660,
[3] Colin C et Foray N. DNA damage induced by mammography in high family
risk patients: only one single view in screening. Breast. 2012;21(3):409-10
Nombre de micro-noyaux pour 100 cellules chez les patients
à faible (LR) et à haut (HR) risque selon la dose d’irradiation
reçue.
Analyse par immunofluorescence yH2AX des noyaux
de cellules épithéliales mammaires irradiées
6
5
4
3
2
1
0
0 mGy
Nombre de micronoyaux pour 100 cellules
2 mGy 4 mGy 2+2 mGy
HR
LR