1
Introduction
La finance durable est-elle une nouvelle finance
pour le XXIe siècle ?
Pascal Grandi et Dhafer Saïdane
Université Lille Nord de France SKEMA
1. Les questions posées par la finance durable
Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace, a déclaré lors du forum du 24 novembre 2008 « nous sommes
tous convaincus que notre système financier sortira transformé de cette crise. Il sagit là dun enjeu fondamental
pour lavenir de léconomie française et européenne. Laction collective autour de Paris Europlace, pour une
finance durable, est une nécessité
1
». Dans un sondage récent effectué auprès de professionnels de la finance
2
,
50 % dentre eux estiment que les questions déthique sur la pratique financière vont prendre un poids croissant
dans les années à venir mais 62 % dentre eux pensent que la notion de « finance durable » na pas davenir ou
est simplement un concept à la mode. Le concept est jugé comme passe-partout et un travail de définition
simpose donc. Lobjet du présent ouvrage est dy contribuer en apportant le point de vue de dix-sept experts.
Que veut dire finance durable ? Comment se positionne-t-elle par rapport à la finance conventionnelle ? Quels en
sont les défis et les opportunités ? Quelle est la place des investissements durables dans les portefeuilles de
clients privés ? Telles sont quelques-unes des questions qui sont abordées. Le périmètre de cette finance est
suggéré. En première approximation, la finance durable peut être définie comme une finance responsable qui
serait une alternative à la finance conventionnelle. Cette dernière sinscrit dans la sphère marchande les prix
sont lexpression dun coût de production auquel sajoute une marge. Elle est motivée par la rentabilité, la
productivité, lefficacité et la gestion factorielle optimale. Elle vise le financement de projets conventionnels
sinscrivant dans la même optique marchande.
Face à cette finance que certains qualifient d« apatride » et d« impersonnelle », la finance durable serait quant à
elle « à visage humain » basée sur des relations où lasymétrie informationnelle et en particulier laléa moral sont
plus faibles. Selon le Programme des Nations Unies pour lenvironnement (PNUE) la finance durable serait aussi
lexpression dun acte social. Elle sinscrirait dans la sphère non marchande les prix seraient la traduction
dun coût social de production auquel sajoutent en général les subventions, les aides et les transferts. Cette
finance est motivée par le social, le solidaire, lhumain, le durable, léthique, l’équitable…et la bonne
gouvernance. Elle saccorde avec les projets socialement responsables.
En substance, louvrage contribue à montrer que cette finance sappuie sur quatre principes : une réflexion
innovante et utile, le financement respectueux de lenvironnement, la proximité par rapport aux individus et
enfin linclusion.
En effet la finance durable est :
Basée sur des approches financières nouvelles et des comportements individuels nouveaux.
Conforme au financement de la croissance soutenable.
Proche des individus.
Inclusive et non-prosélyte et ne cherche pas à rejeter la finance conventionnelle.
Même si le périmètre de la finance durable est en cours de définition, en première approximation, cette finance
peut être définie comme une « finance responsable » complétant la finance conventionnelle et non forcément en
opposition à cette dernière.
1
A. de Bresson « La finance durable Un remède à la crise », Banque Stratégie, n° 267, févr. 2009.
2
M. Leblanc-Wohrer et J. Marais, « Avenir de la finance : le scepticisme domine », L’Agefi Hebdo, 19 mai 2011.
2
2. Les quatre principes de la finance durable
1/ La finance durable est basée sur des approches financières nouvelles et des comportements individuels
nouveaux.
En plantant le décor dans lequel sinscrit la problématique de la finance durable, Michel Henry Bouchet montre
que lhyperfinance constitue un véritable défi à la régulation globale. Lauteur suggère que puisque derrière les
transactions sur les marchés il y a des instincts grégaires souvent irrationnels, il faut une nouvelle surveillance et
une nouvelle régulation des marchés pour prévenir des comportements spéculatifs, sources de volatilité
déstabilisatrice, daléa moral et de crise. La priorité doit alors être donnée à une coordination internationale des
institutions de surveillance et de régulation et à des normes le plus largement acceptées afin de minimiser
larbitrage réglementaire et les distorsions de concurrence. Mais, aujourdhui, le caractère « vif-argent » des
marchés financiers globalisés et leur propension à muter sont tels que le régulateur est condamné à être en retard
dune crise. La crise financière globale a ainsi mis en lumière linertie des institutions de surveillance, qui ne
prennent la mesure de limminence dune crise que lorsque la contagion des risques de liquidité se transforme en
risque dinsolvabilité. Le transfert des risques de crédit sous-jacent allège les bilans bancaires et augmente la
liquidité des instruments financiers tout en fragmentant les risques. Il importe donc denvisager des mesures
nouvelles visant à réformer en profondeur la gouvernance financière et à redonner aux banques leur rôle de
soutien de léconomie réelle, de lemploi et de linnovation technologique.
En rapprochant léthique et la finance Frédéric Lobez cherche les fondements dune séparation entre la façon
dont a été pensée la finance, tant dans ses concepts théoriques que dans sa capacité descriptive, et léthique.
Cette séparation appauvrissante naît dune conception étroite de la rationalité en finance se traduisant par la
diffusion dun modèle utilitariste, qui certes a été fécond dans ses conclusions théoriques et sa capacité
explicative, mais qui se révèle aujourdhui inadapté à la représentation de problématiques émergentes sous-
tendues par des comportements individuels nouveaux. Au-delà de cette approche critique, il sagit aussi de
suggérer que de nouvelles perspectives théoriques sont pertinentes pour compléter lanalyse scientifique des
pratiques et de la sphère financière. En particulier, les questions de régulation ne peuvent être uniquement
pensées en référence à la posture utilitariste. Il convient entre autres de mobiliser la perspective des capabilités
développée par Sen dans le cadre des théories de la justice.
Michel Félix et Christophe Sempels envisagent une nouvelle relation entre les banques et leurs clients à propos
des valeurs dusage quelles proposent. Ils cherchent à définir dans quel contexte stratégique et avec quels effets
sur les attitudes des clients, ces valeurs dusage issues des modèles économiques classiques ont pris place sur le
marché bancaire. Elles désignent classiquement la façon dont un client convertit un bien (prêt ou emprunt par
exemple) en utilité dont il cherche la maximisation. Il développe en cela un comportement de rationalité
économique essentiellement préoccupé par son intérêt personnel, par sa propre fonction dutilité selon son
aversion au risque. Il sagit concrètement, par exemple, des offres financières sur une tarification ou une
intermédiation particulièrement avantageuses. Presque toutes sont dinspiration utilitariste et sont loin, à ce titre,
dépuiser toutes les valeurs dusage que, la crise aidant, les particuliers recherchent. Les auteurs montrent
comment la perception des valeurs dusage par les clients a évolué et invite, dans un contexte de crise financière,
à repenser les pratiques bancaires et lusage même quelles font de largent. Ils proposent un nouveau cadre de
réflexion permettant de repenser la relation commerciale bancaire sur une alternative consistante et durable. Ils
montrent, au plan conceptuel et pratique, la richesse dune réinvention possible et durable des relations entre les
banques et leurs clients particuliers ou professionnels quand on les fonde sur la notion de co-création de valeurs
dusage.
2/ La finance durable sert à financer la croissance soutenable au moyen dintermédiaires financiers durables
qui sont des entreprises solides, avec des services stables, conscientes de leurs responsabilités à légard de la
société et qui inscrivent leur action dans le temps par des financements de long terme.
Selon Michel Aglietta lorsquon évoque la finance durable, on pense spontanément à une autre finance, aux
marges de la finance globalisée qui donne limpulsion au capitalisme. Il propose une manière différente de voir
les choses et en particulier concernant le financement de la croissance soutenable. Sa vision procède dune
approche macroéconomique. Le régime de croissance fondée sur la surconsommation occidentale, financée par
la fuite dans lendettement débridé et combinée à la dépendance excessive de la croissance émergente vis-à-vis
3
de lexportation, a révélé quil était insoutenable. Il ne renaîtra pas de ses cendres. Encore faut-il trouver les
moteurs de la croissance future. Cela conduit à risquer la conjecture dun régime de croissance soutenable qui
concerne le monde entier. Lauteur pense que lEurope a lopportunité de jouer un rôle leader à condition de
saisir sa chance dans la décennie qui va souvrir. Cela implique de financer des investissements
environnementaux dans lurgence du changement climatique, avant que la fiscalité carbone ait fait lobjet dun
accord politique. Michel Aglietta propose donc une réflexion sur les caractéristiques de la croissance soutenable
et aux propositions en débat sur les mécanismes financiers qui pourraient lui être adaptés.
Paul Clements-Hunt et Moustapha Kamal Gueye examinent comment léconomie verte est actuellement
financée. Ils explorent les priorités et les méthodes pour augmenter le potentiel de cet investissement. Les
auteurs cherchent à plaider la cause de laugmentation du financement disponible pour la transition vers une
économie verte et à amplifier le rôle du secteur financier comme agent de changement. Après avoir fait un état
des lieux des pratiques et des outils existants, ils discutent de la possibilité de prendre en compte la totalité du
coût des externalités générées par lactivité des entreprises. Pour y arriver, les auteurs estiment que lÉtat, les
marchés et les institutions financières ont tous un rôle à jouer. Lanalyse met laccent sur linvestissement, les
prêts par les banques, et lassurance, axés principalement sur des sources du secteur privé de la finance. En outre,
il est fait référence à lhabilitation et au rôle complémentaire des gouvernements et autres acteurs du secteur non-
privé. Il y a déjà un élan significatif dans ce domaine, mais de plus grands défis à relever encore. Ce chapitre
examine donc les principaux défis, les opportunités et les principales conditions permettant de progresser vers
une finance durable.
Pour Georges Pauget et Dhafer Saïdane la finance durable repose sur « La banque durable ». Cette dernière offre
plus de lien et de sens au sein de la société. La banque durable nest pas la banque idéale. La banque durable est
une réponse qui simpose face à la crise financière. Elle fait référence aux fondamentaux de la firme bancaire
dont lintermédiation repose sur :
• la satisfaction de ses clients ;
une rentabilité qui la situe bien dans le marché ;
une performance à moyen et long terme ;
une contribution à la stabilité du système financier.
Bref, la banque durable est une entreprise solide avec des services stables, qui a conscience de ses responsabilités
à légard de la société et qui inscrit, en conséquence, son action dans le temps notamment par des financements
de long terme. Elle résulte dune évolution naturelle des systèmes financiers qui a duré plus dun quart de siècle.
Elle est lantidote à une désorganisation financière devenue systémique. La banque durable est une exigence de
ce nouveau siècle si lhumanité veut la paix financière pour les générations futures. Cette institution, dont on
imagine les pourtours dans ce chapitre, doit reposer sur une gouvernance permettant dassurer la production de
produits financiers traçables et compréhensibles de tous, au service de la croissance durable, sans que cette
intermédiation, fondée sur un risque mesuré, ne menace la stabilité systémique par lexploitation daléa moral
vis-à-vis du Prêteur en dernier ressort (PDR), encouragée par son statut TBTF (Too Big To Fail).
3/ La finance durable est proche des individus.
Le développement de la microfinance et de la finance islamique répond à ce besoin. Ces finances sont des
formes de finance alternatives.
Si la microfinance constitue une nouvelle classe dactifs cherchant à concilier rendement social et rendement
financier, sa prise en compte des dimensions environnementales est encore quasi inexistante. Cest un contexte
international nouveau, dune globalisation de plus en plus forte de la microfinance, que Jean-Michel Servet et
Yves D. Somé essaient dintégrer la nécessité de définir non seulement la responsabilité propre au secteur
microfinancier, mais également la responsabilité particulière des acteurs de la chaîne du microfinancement dans
un schéma de construction dune finance socialement durable. Le développement durable pour la microfinance
ne peut ici être réduit à une réflexion sur une microfinance « verte ». Son développement paraît en létat très
faible et soumis à de fortes contradictions. Faut-il privilégier lemploi à court terme ou la protection de
lenvironnement ? Faut-il prêter à des artisans qui utilisent du charbon de bois ? Faut-il encourager des prêts
pour acheter des semences hybrides plus résistantes mais dont la culture porte atteinte aux nappes phréatiques
par exemple ? Le développement durable pour la microfinance se pose essentiellement aujourdhui comme un
développement socialement durable par une recherche de pérennité et une soutenabilité des interventions.
4
Kaouther Jouaber et Elyès Jouini se proposent de montrer pourquoi et comment la finance islamique peut
inspirer la finance durable. En soi la finance islamique repose sur un système économique durable en raison des
principes sur lesquels elle sappuie. Elle lest aussi du fait des innovations quelle suscite et de loffre continue
de produits novateurs. Sa résilience en période de crise la érigé en exemple à suivre pour plusieurs observateurs
qui peuvent sen inspirer pour proposer des solutions. Les auteurs montrent que cette finance est capable de
réduire le risque systémique. Ses finalités de durabilité se trouvent dans sa dimension morale intrinsèque et dans
sa responsabilité sociale. Les auteurs rappellent que pour une finance durable et résiliente face aux crises,
certains économistes proposent aujourdhui un financement exempt de taux dintérêt avec des caractéristiques
qui ne sont pas sans rappeler les principes de la finance islamique.
4/ La finance durable nest pas une finance prosélyte qui cherche à promouvoir une vision réductrice de la
finance conventionnelle et qui soppose à elle.
Le marché financier souffre souvent dune vision réductrice et de clichés. Ce sont ces travers que Michel
Levasseur et Pascal Grandin suggèrent déviter. Ils rappellent les déterminants fondamentaux de la valeur dun
actif financier et soulignent le rôle clé des anticipations sur le très long terme, dans la détermination du prix
dune action. Ces terminants ne sont pas les seuls à expliquer les variations de cours qui savèrent en pratique
extrêmement volatils. La question est alors de savoir si le bruit engendré par ces autres facteurs est si puissant
quil ne rend plus compréhensible lévolution du cours, par rapport aux attentes de résultats à long terme que
lon peut nourrir pour lentreprise. Dailleurs, quelques cas de catastrophes industrielles mettent bien en évidence
le fait quau-delà des variations erratiques à court terme, il est possible de détecter les réactions rapides et
pertinentes des marchés dans lévaluation de leurs conséquences afin déviter les impacts négatifs en termes de
développement durable.
Pour Xavier Mahieux le private equity est un acteur méconnu que l’on pourrait même opposer à la finance
durable. Lauteur sappuie sur les nombreux travaux réalisés au cours des vingt dernières années et montre que,
loin de limage caricaturale dune finance prédatrice, cette industrie a une réelle utilité sociale et que ses
pratiques sont tout à fait compatibles avec celles quon pourrait attendre dune finance durable. Le private equity
est en effet fondamentalement une industrie du financement à long terme des entreprises, elle-même financée par
des investisseurs de long terme. Elle a mis au point un mode de fonctionnement reposant sur la gestion déléguée,
ainsi que des pratiques de gouvernance qui favorisent léclosion et la réalisation de projets à long terme de
sociétés qui nont pas accès au marché financier. Son impact économique est globalement favorable sur les
performances des sociétés et le tissu économique.
Cest sur ces principes que repose larchitecture globale de louvrage qui sarticule autour de quatre parties :
Partie 1 Nouvelles approches, nouveaux comportements.
Partie 2 Croissance soutenable et banque durable.
Partie 3 Proximité sociale et tangibilité opérationnelle.
Partie 4 Construire une nouvelle finance sans exclure lancienne.
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !