CREATION 16 – 17
DANS LE BLANC DES DENTS
DANS LE BLANC DES DENTS (MIRROR TEETH dans sa version originale) se déroule au sein d’une
famille anglaise, assez aisée, que l’on imagine habiter une de ces banlieues de grandes villes du Royaume
Uni, les maisons sont bâties sur le même modèle, différenciées uniquement par les nains de jardin
décorant les pelouses taillées à la perfection. Les Jones – Jane, James et leurs deux enfants Jenny et John
forment une famille modèle, blanche, heureuse et candidats idéaux au casting d’une pub Kinder Bueno.
Sauf que James s’avère être vendeur d’armes, Jane est atteinte de xénophobie obsessionnelle et
paranoïaque, Jenny est un tantinet nymphomane avec un incestueux penchant pour son grand frère, qui,
lui, est à peu près normal, mais sort avec Jean, qui ressemble beaucoup à sa soeur Jenny.
Et les membres de cette délicieuse famille présentent la particularité d’être incapables de tenir leur langue:
ils expriment tout haut et sans tabou ce qu’ils pensent, ce qu’ils ont fait et ce qu’ils vont faire.
Cela donne lieu évidemment à des situations tout à la fois hilarantes et gênantes, en particulier lorsque
Jenny amène à la maison son nouveau petit ami, Kwesi Abalo…
DANS LE BLANC DES DENTS est une pièce cruellement intelligente et brutalement drôle, tant Nick Gill
parvient, avec beaucoup de justesse, à faire la caricature d’un européen bourgeois, bien pensant, hypocrite,
auquel chacun d’entre nous ressemble au moins un petit peu… et c’est douloureux…
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NICK GILL
Nick Gill est britannique. Il est auteur de pièces de théâtre, scénariste, musicien, illustrateur et typographe.
Il est l’auteur d’une vingtaine de pièces, présentées aux Royal Court Theater, Finborough Theater, Theater
503. Parmi celles-ci, on compte A KINGDOM, HEAVEN, KARPOSI, CATS & CATS & CATS & CATS & CATS et CELA
NE VA JAMAIS MARCHER. Sa pièce FIJI LAND a été finaliste du concours de nouvelles écritures « Protect the
human » organisé par Amnesty international. Il a bénéficié du soutien à l’écriture de la Peggy Ramsay
Foundation. FIJI LAND, MIRROR TEETH et THE TRIAL sont édités dans la collection Oberon modern plays chez
Obernon Books.
Comme musicien, il participe aux groupes The Monroe Transfer, Fireworks Night, Lights et en solo.
Son site web est www.nickfuckinggill.com.
Notre travail en collectif
Les projets du Collectif Sur Un Malentendu s’appuient avant tout sur le choix d’un texte contemporain. Il
s’agit de rencontrer un auteur, d’entrer en dialogue, en friction avec sa proposition. Comment ce qu’il a écrit
va entrer en interaction avec nos imaginaires à la fois individuellement et collectivement ? Nous faisons
appel à des collaborateurs qui suivent les différentes phases de la création et avec qui nous débattons,
échangeons, proposons et décidons.
Dans le processus de travail nous commençons par une semaine de dramaturgie : un chantier qui nous
permet de dégager les thèmes, les questions soulevées par la pièce, d’analyser les mouvements de
l’écriture, les moteurs et les trajectoires des personnages. Nous collectons des matériaux qui entrent en
correspondance avec l’univers de la pièce (textes, films, musiques, images, expositions,…). Chacun prend
l’initiative de présenter au groupe ce qui l’interpelle. Et nous débattons. Nous procédons à des séances
d’écriture automatique. Cela permet de découvrir quelle(s) réalité(s) imaginaire(s) recouvrent les mots
employés, les idées avancées. À l’issue de cette semaine, la distribution est décidée et des directions se
dessinent quant à la scénographie, au son, au climat, au type de jeu...
Une deuxième phase, ultérieure, réservée au plateau, sans présence de regards extérieurs, constitue une
sorte de laboratoire. Chacun a pour mission de lancer des défis aux autres membres du groupe, en rapport
avec les thèmes de la pièce et en fonction des rôles de chacun. Cela permet de réveiller le goût du jeu, de
s’amuser avec la matière, les partenaires sans viser de résultat.
Dans un troisième temps, celui qui dure le plus longtemps, nous nous confrontons directement au texte, à
l’espace, au climat sonore, au jeu. Il s’agit de donner une forme à l’univers rêvé. Chacun, dans son domaine,
est responsable de faire des propositions que nous testons, que nous analysons. Les phases de discussion,
de bilan sont fréquentes afin d’avancer ensemble.
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NOTE D’INTENTION
Dans le blanc des dents, Nick Gill
Dans le blanc des dents est une variation en trois temps de la vie d’une famille anglaise bourgeoise : Les
Jones. Nous assistons à la dégénérescence de ce modèle.
Les dents du pouvoir
Qui détient l’autorité ? Que fait-on du pouvoir une fois qu’on en a ? Avoir les dents longues, oui, mais à quel
prix ? Qu’est-ce qu’un gagnant ?
Le texte que nous traitons est un miroir qui nous renvoie à nous-même et au fonctionnement de la société
dans laquelle nous vivons.
Cette pièce peut apparaître comme une loupe sur notre société et plus précisément sur un milieu, la
bourgeoisie. Est bourgeois celui qui possède les moyens de production et de ce fait appartient à la classe
dominante d’une société. À travers cette famille, en sondant ses comportements, ses codes, en analysant
son langage, en lui donnant un corps, une voix, nous souhaitons soulever les questions du pouvoir que
confère l’argent, un statut social, une appartenance, et comment les rapports de force qui régissent ce
microcosme l’amène à s’autodétruire en considérant l’autre uniquement comme une marchandise. Effaçant
les barrières ethniques et ne proposant plus qu’un seul horizon, celui du devenir nègre.
« Cette réduction de nous-même à des objets désirables est le nouveau tour de force du capitalisme qui veut
faire de nous tous des nègres. Dans ce devenir nègre du monde, la race n’est plus une affaire de couleur,
mais la réduction à une réalité subalterne et superflue ». Achille Mbembe, philosophe et théoricien du post-
colonialisme.
Il s’agira de mettre au jour comment se distribue le pouvoir dans cette famille : qui obéit à qui ? Découvrir
comment peut naître la révolte, le soulèvement par rapport aux codes instituées à travers le personnage de
Jenny. Comment l’étranger, Kwesi peut vouloir intégrer ces codes jusqu’à être désintégré.
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L’Autre : un miroir ou les dents de la menace ?
La faille Jones est un milieu fermé dans lequel un étranger (Kwesi, le petit ami de Jenny) va entrer. Nous
désirons aborder ce phénomène d’un point de vue chimique et faire l’expérience suivante : Qu’est-ce qu’un
corps étranger provoque en s’introduisant dans un milieu homogène (qui ne se remet pas en question) ?
Dans quelle mesure un monde avec ses codes se laisse-t-il altérer, modifier, déplacer par l’arrivée d’un
Autre ? Comment Kwesi modifie l’état des Jones ? Et quelles sont les répercussions sur la famille ?
Il s’agira, en filigrane, de raconter, de questionner un phénomène géopolitique actuel : comment et
pourquoi un pays ouvre ou ferme ses frontières aux étrangers ? Et quel processus d’intégration est-il
possible ?
Mais il s’agira également de questionner d’autres types d’altérité. Du point de vue de la filiation : quels
dangers représentent les enfants pour leurs parents ? En quoi le fils menace-t-il l’autorité du père ?
Comment la fille peut-elle devenir une potentielle rivale de la mère en accédant à la maturité sexuelle ?
Comment la sœur peut-elle faire apparaître les paradoxes de son frère ? De son petit ami ?
Qu’est-ce que nous attendons de l’Autre ? Qu’il soit même et rassure, comme Jean, la petite amie du frère
ressemblant comme deux gouttes d’eau à la sœur ? Jean apparaît comme un ersatz de Jenny. Qu’il soit
exotique et nous fasse rêver à un ailleurs idéalisé ? Qu’il comble nos désirs ? Ou qu’il nous pousse dans nos
retranchements et tente de faire apparaître nos paradoxes ?
Dans quelle mesure est-il possible d’intégrer à une forme un élément qui va nécessairement la
transformer ?
Un miroir déformant
Dans le blanc des dents peut apparaitre comme un miroir déformant de nous-mêmes, des tares de notre
société, des tares qui menacent chaque groupe se formant. En tant que groupe, que collectif, nous voulons
questionner notre formation, nos rapports. Le collectif est lui-même objet d’expérience. Il faut pouvoir porter
un regard critique sur lui, remettre en cause, inquiéter les affirmations qui nous ont fondés.
Avec cette pièce nous désirons travailler sur le cliché, à la fois visuel et langagier. Comment se forme-t-il ?
Comment circule-t-il ? Comment agit-il ? Dans Dans le blanc des dents, on peut identifier des « phrases qui
courent » : celles qu’on entend ailleurs (dans les médias, chez les voisins, dans la rue…) et qu’on répète
sans y avoir pensé. Des « on dit » qui forment une pensée collective, qui ont un impact sur le comportement
d’un groupe. Nous souhaitons mettre au jour la nécessité de remettre en cause ce qui a été dit, sans quoi la
sclérose risque de s’installer. Sans mouvement, sans la perturbation (provoquée par l’Autre) la maladie
s’installe. Les Jones déménagent, ils opèrent une migration. Dans la première partie, ils vivent en
Angleterre, dans la deuxième, au Moyen-Orient et cependant leur maison, leurs comportements restent
absolument intacts, identiques. Les Jones ne semblent pas intégrer dans leur système le changement du
paramètre « environnement ». L’Autre est un corps dérangeant à éliminer. La famille Jones devient
autophage, détruisant ses propres membres (Jenny qui finit par sombrer dans l’apathie). A travers elle, on
peut lire le fonctionnement d’un type de société. Par contagion, les Jones deviennent le miroir d’une Europe
qui se renfermerait sur elle-même, d’une mentalité occidentale qui se figerait, se scléroserait.
Les personnages de cette pièce apparaissent comme des archétypes, comme des caricatures, ce qui permet
d’opérer une catharsis. Dans le blanc des dents fonctionne comme une loupe. Les traits grossis, observés de
trop près mettent au jour leur ridicule, leur absurdité. Ce qui peut réveiller le rire, le dégoût, une réaction
physique, une mise à distance.
CREATION 16 – 17
Ne sais-tu pas, surtout toi, qu’il est nécessaire, toujours,
D’être des perdants ? La victoire est turpitude.
Et on ne peut, impunément, avoir raison
Pendant tant d’années ! ça devient,
Une mauvaise habitude.
Pylade
, Paolo Pasolini!
!
!
JEU
Le travail du jeu va suivre la ligne proposée par la pièce, c’est-à-dire s’ouvrant sur un monde stéréotypé et
comique pour se métamorphoser petit à petit en un univers menaçant atteignant l’absurde.
Dans la première partie, les personnages apparaissent comme des archétypes empruntant les codes des
séries télévisées (par exemple, le cœur a ses raisons). Ainsi, nous travaillerons sur les différents procédés qui
caractérisent ce genre populaire. Les personnages de Nick Gill se définissent par leurs défauts
surdimensionnés : par exemple, le racisme assumé de Jane, l’ultra-libéralisme décomplexé de James, la
psychorigidité de John ou encore l’hyper sexualisation du comportement de Jenny. Dans les sitcoms, le
comique naît de la confrontation des défauts des personnages qui font avancer l’intrigue. Nous travaillerons
donc sur l’exagération et l’amplification de ces traits de caractère. Pour cela, nous nous appuierons
également sur les mécanismes de l’humour anglais qui reposent sur la figure de l’overstatement (exagérer
énormément un fait qui n’a rien d’extraordinaire) qu’on retrouve chez les Monthy Python.!
Le rythme apparaît également comme un des rouages de ce système. En effet, on peut remarquer que
l’écriture de Nick Gill repose sur les répétitions et les échos à l’intérieur des phrases.
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Il s’agira pour nous de faire apparaître cette partition musicale stychomitique relevant du vaudeville. Les
nombreuses entrées et sorties des personnages participent également de cette machine burlesque. De
manière opposée et complémentaire, nous nous appuierons aussi sur le procédé de l’understatement, cher
à l’humour anglais. Cela consiste à minimiser les faits, les relativiser et à ne rien laisser paraître en affectant
une certaine froideur. La figure de John en étant l’exemple parfait. Ainsi, l’utilisation de l’overstatement et
de l’understatement nous permettra une grande amplitude de jeu. !
Si les personnages sont des stéréotypes, ils n’en sont pas moins des êtres humains riches et
tridimensionnels. Ils se doivent d’êtres contemporains et crédibles. Le but ne sera pas seulement de mettre
au jour leurs côtés grotesques, il s’agira également de chercher la résonance que cela provoque en nous et
d’atteindre une certaine forme de sincérité. Ainsi, à travers ces différents codes de jeu, nous souhaitons créer
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