février 2012 PAUL SABATIER magazine scientifique DOSSIER La planétologie Délégation Midi-Pyrénées Avec la participation de www.ups-tlse.fr Délégation régionale Midi-Pyrénées, Limousin N°24 février 2012 PAUL SABATIER magazine scientifique Dossier N°24 DOSSIER La planétologie La planétologie p. Délégation Midi-Pyrénées 4 Délégation régionale Midi-Pyrénées, Limousin Avec la participation de www.ups-tlse.fr Paul Sabatier N° 24 • Février 2012 Illustration de couverture : Représentation du Rover Curiosity (mission MSL) en action sur Mars, avec un tir laser de ChemCam en premier plan. (©NASA/JPL-Caltech). Directeur de la publication : Gilles Fourtanier Rédacteur en chef : Daniel Guedalia Comité de rédaction : Jean-François Arnal Patrick Calvas Daniel Guedalia Guy Lavigne Fréderic Mompiou Aude Olivier Martine Poux Carine Desaulty Nathalie Boudet Valeria Medina (délégation Midi-Pyrénées du CNRS) Christine Ferran (délégation régionale Midi-Pyrénées de l’Iserm) Conseillère de rédaction : Anne Debroise Diffusion : Joëlle Dulon Vie des laboratoires p. 12 Coordination du dossier Planétologie Michael Toplis Conception graphique et impression : Ogham-Delort 05 62 71 35 35 n° 1347 dépôt légal : Février 2012 ISSN : 1779-5478 Tirage : 2 000 ex. Université Paul Sabatier 118, route de Narbonne 31 062 Toulouse cedex 9 Infos en a Vos encouragements, vos critiques, vos suggestions, une seule adresse : revue-paulsabatier@ adm.ups-tlse.fr Vous pouvez consulter et télécharger ce magazine et les numéros antérieurs sur le site www.ups-tlse.fr (rubrique « diffusion des savoirs/ le magazine scientifique ») Innovation p. 22 Édito Peau neuve… L e magazine scientifique Paul Sabatier fait peau neuve… Après huit ans d’existence sous sa jaquette initiale qui datait de juin 2004, il méritait en effet un « lifting ». La couverture a été retravaillée pour la rendre plus attractive. Pour les pages intérieures un format à trois colonnes a été adopté. Ce nouveau format permet d’améliorer la place réservée aux graphiques et aux photos, répondant ainsi à de nombreuses demandes de lecteurs, tout en gardant le même volume de texte. Vous noterez l’apparition d’une image sur la quatrième de couverture offrant un autre regard sur la recherche dans nos laboratoires. Tous ces changements s’appuient sur de nouveaux codes de couleurs pour mieux identifier les différentes rubriques. Sur le fond, les modifications sont aussi importantes. Depuis sa première parution, chaque numéro du magazine comportait deux dossiers scientifiques. Ce sont 46 dossiers qui ont été ainsi publiés depuis 2004, balayant les différentes disciplines scientifiques. Désormais, chaque numéro ne contiendra qu’un seul dossier. Chaque dossier pourra être préparé avec plus de temps et d’autre part, les actualités scientifiques, de plus en plus nombreuses, auront une plus grande place. On notera aussi une modification de la fréquence de parution du magazine, qui passe de 3 à 4 par an. Nous espérons que ces changements rendront ce magazine encore plus accessible, plus proche de l’actualité scientifique, sans rien perdre de sa rigueur et de son sérieux. Que le comité de rédaction à l’origine de cette nouvelle maquette soit ici remercié pour son implication. Rappelons également que ce magazine existe et se développe grâce au soutien de la présidence de l’Université Paul Sabatier et des délégations régionales du CNRS et de l’Inserm, associées à cette aventure. Le dossier présenté dans ce numéro concerne la planétologie. Un dossier sur ce sujet avait été publié dans le premier numéro de juin 2004. Au cours des dix dernières années, l’exploration du système solaire a connu un essor sans précédent. Des sondes et des rovers travaillant in situ de plus en plus perfectionnés sont envoyés vers Mars, Vénus et Saturne, sans oublier notre propre Lune. Cette période intense et riche en données scientifiques, a permis de réaliser d’immenses progrès quant à notre perception de la planétologie, allant d’une vision nouvelle de l’histoire de l’eau à la surface de Mars, à la découverte de paysages étrangement familiers sur Titan, lune glacée de Saturne dont la surface est façonnée par des pluies de méthane. Les chercheurs toulousains ont eu une contribution significative à ces avancées. Je vous souhaite, au nom du comité de rédaction, une très bonne année 2012 et une agréable lecture, en espérant que vous serez encore plus nombreux à être séduits par le nouveau format du magazine. Daniel Guédalia Rédacteur en chef du magazine © S. Chastanet Dossier La planétologie La planétologie : la quête des origines Photo prise par la sonde Galileo de la surface de Europa, lune de Jupiter. Sous la surface glacée se trouve un océan d’eau liquide. © Galileo propject, JPL, NASA, retravaillée par Ted Stryk Les sondes envoyées à la rencontre des planètes du système solaire bouleversent notre vision de l’histoire de la Terre et de l’origine de la vie. D epuis l’antiquité, philosophes et scientifiques ont scruté le ciel, directement ou indirectement, animés par la question de notre place dans l’univers. L’invention de la lunette astronomique et la découverte des lunes de Jupiter par Galilée en 1610 annonçaient une ère nouvelle, où la combinaison d’observations et d’études théoriques permettait de repousser les limites de nos connaissances. Cependant, malgré des télescopes de plus en plus puissants, les planètes et leurs satellites sont longtemps restés des objets mystérieux et lointains. Cette situation a brusquement évolué dans la seconde moitié du XXe siècle, avec le développement de sondes capables de voyager à travers l’espace interplanétaire, pour scruter de près nos voisins célestes. Le début des années soixante a vu les premiers survols de Vénus et depuis cette date une centaine de missions spatiales ont été envoyées vers les principaux corps du système solaire, de Mercure à Neptune. 4 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Un essor sans précédent Au cours des dix dernières années, l’exploration du système solaire a connu un essor sans précédent, avec des orbiteurs et atterrisseurs de plus en plus perfectionnés envoyés vers Mars, Vénus et Saturne, sans oublier notre propre Lune. Cette période, intense et riche en données scientifiques, a permis de réaliser d’immenses progrès dans notre perception de l’origine et de l’évolution du système solaire et des objets qui le constituent. Depuis une vision nouvelle de l’histoire de l’eau à la surface de Mars, jusqu’à la découverte de paysages étrangement familiers sur Titan, lune glacée de Saturne dont la surface est façonnée par des pluies de méthane. Des équipes techniques et scientifiques de l’Observatoire Midi-Pyrénées ont participé activement à un très grand nombre de ces aventures à dimension internationale en se trouvant en première ligne, que ce soit dans la conception, Michael Toplis, directeur de recherche CNRS et Pierre-Louis Blelly, directeur de recherche CNRS, à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] La planétologie dans la construction d’instruments embarqués, ou bien dans l’exploitation scientifique des données acquises par les instruments. Ces nombreux succès ont été le fruit de collaborations efficaces, non seulement entre équipes techniques et scientifiques, mais également entre chercheurs de disciplines différentes. En effet, la planétologie est une science pluridisciplinaire par excellence depuis ses débuts, quand astronomes, mathématiciens et physiciens perçaient les mystères des mouvements des astres dans le ciel. Ce caractère pluridisciplinaire s’est renforcé avec l’ère spatiale et la nécessité de développer une ingénierie de pointe capable de répondre aux contraintes de la mesure toujours plus précise dans les environnements extrêmes. Par ailleurs, les questionnements scientifiques posés par cette exploration planétaire ont suscité un dialogue croissant entre planétologues, géophysiciens et géologues. Pluridisciplinarité Peut-être plus qu’ailleurs, la planétologie à Toulouse s’inscrit totalement dans cette démarche, caractérisée à la fois par des liens étroits entre science et instrumentation, et par la constitution d’équipes scientifiques transdisciplinaires, héritage de la création visionnaire, en 1995, du pôle de planétologie à l’Observatoire Midi-Pyrénées. Le rapprochement de spécialistes de différents laboratoires a été une initiative déterminante dans la création du groupe Géophysique planétaire et plasmas spatiaux (GPPS) au sein du nouvel Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP), créé en janvier 2011. Le groupe GPPS est riche d’une centaine de chercheurs, ingénieurs, doctorants et post-docs et il bénéficie de liens forts avec le CNES. Comme ce dossier l’illustre bien, les membres du groupe s’intéressent à l’ensemble des enveloppes planétaires, des plus internes (noyau/manteau), aux plus externes (magnétosphère/ionosphère), cherchant à comprendre les processus physiques et chimiques à l’œuvre. La constitution du groupe GPPS ouvre la voie à une vision intégrée des corps planétaires, qui permettra de reconstruire leur histoire géologique, mettant ainsi en avant la grande variété des spécificités de chaque objet, et contribuant dès lors à une meilleure compréhension de l’histoire du système solaire dans son ensemble. Les formations associées : Les recherches en planétologie couvrent un large panel de compétences allant de la conception et la réalisation de l’instrumentation spatiale, au déploiement et l’entretien de réseaux de sismomètres, en passant par la réalisation d’expériences de laboratoire et le développement de modèles et de simulations numériques dans les domaines aussi divers que la thermodynamique, les interactions rayonnement-matière, la physique des plasmas et la dynamique des fluides d’intérêt géophysique en général. Sur Toulouse, un grand nombre de formations permettent d’accéder à ces compétences, en particulier les Masters de recherche en Sciences de la Terre et en astrophysique (M2R STPS et M2R ASEP), le Master Pro Techniques spatiales et instrumentation, ainsi que la formation assurée par le département « mesures physiques » de l’IUT. Huygens autour de Saturne ; Cluster qui étudie l’interaction du vent solaire avec la magnétosphère terrestre, ou les missions américaines et européennes vers Mars (Mars Odyssey, Mars Exploration Rovers, Mars Express), devrait faire place à un avenir tout aussi prometteur. En effet, de nombreux projets d’envergure sont engagés pour les années à venir, dans lesquels notre contribution instrumentale est importante : la mission Mars Science Laboratory de la NASA lancée en décembre 2011, la mission MAVEN qui va partir vers Mars en 2013, la mission BepiColombo de l’agence spatiale européenne (ESA) qui va partir vers Mercure en 2017 ou la mission Solar Orbiter de l’ESA prévue pour un lancement vers le soleil en 2017. Le groupe participe également à la préparation d’autres missions ambitieuses, en particulier vers les lunes de Jupiter (mission JUICE de l’ESA) et l’envoi du premier sismomètre vers Mars (mission InSight de la NASA). Difficile de prévoir de quoi sera fait l’avenir, car; aujourd’hui encore, la découverte de nombreuses planètes autour d’autres étoiles et l’éternelle question de l’origine de la vie font que la planétologie se diversifie, tissant des liens nouveaux avec d’autres disciplines, de l’astrophysique à la biologie. Le brassage d’idées et de cultures scientifiques est plus que jamais nécessaire pour explorer le contexte de notre planète et la vie qui y est apparue. ■ Les principaux corps du système solaire : les planètes, la Lune, les astéroïdes et les comètes. © NASA Missions Cette décennie, riche d’une récolte exceptionnelle de résultats pour les équipes toulousaines, par exemple la mission Cassini/ f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 5 Dossier La planétologie Intérieurs planétaires L’écoute du bruit sismique a dévoilé la structure interne de notre planète. Une méthode que l’on commence à appliquer aux autres planètes… planètes où l’absence de tectonique risque de priver les sismologues de séisme. Des grains de fer de taille différente Vue d’artiste de l’atterrisseur du projet de mission NASA « InSight » (responsables à l’IRAP : R.F. Garcia et B. Dubois, © JPL/NASA) L ’échographie est bien connue dans le domaine médical. Les sismologues utilisent la même technique pour imager les entrailles de la Terre. En effet, les tremblements de Terre sont la source d’ondes élastiques qui se propagent partout à l’intérieur de la planète, se réfléchissent sur les interfaces et voyagent à des vitesses qui dépendent de la température et des propriétés physiques du milieu traversé. En écoutant un grand nombre de séismes en différents points du globe on parvient à identifier les structures internes de la Terre. Résolution spectaculaire Les recherches en sismologie connaissent actuellement un développement rapide avec en particulier l’utilisation de réseaux sismologiques denses. Ces outils permettent d’utiliser le bruit de fond micro-sismique pour réaliser des images d’une résolution spectaculaire. Par exemple, l’expérience PYROPE (PYRenean Observational Portable Experiment) déploie depuis la fin de 2010 un réseau dense de stations sur le sudouest de la France. Ce projet franco-espagnol regroupant plus de 25 chercheurs (géologues et géophysiciens) de sept instituts différents vise l’étude multidisciplinaire d’une chaîne de montagne complète, les Pyrénées, une première mondiale. Le développement de ces techniques devient un atout essentiel pour ausculter les 6 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Ces techniques permettent de sonder des zones beaucoup plus profondes de la Terre. Par exemple, le noyau de fer, enfoui sous 2 880 km de manteau rocheux. La partie externe de ce noyau est liquide, mais la partie interne, qu’on appelle la graine est cristallisée. Cette graine de 1 220 km de rayon passait pour un des objets les plus tranquilles de la Terre, mais la sensibilité des réseaux sismiques et l’analyse des signaux ont révélé une structure asymétrique, avec un côté (situé sous l’Indonésie) dans lequel les ondes sismiques se propagent plus rapidement que dans le côté opposé (situé sous le Pérou). Des calculs montrent que cette variation peut s’expliquer par des tailles de grains de fer différentes entre les deux hémisphères, mais restait à expliquer pourquoi. En 2010, les chercheurs de l’IRAP ont montré que sous certaines conditions, la graine peut être gravitationnellement instable, donnant lieu à un mouvement de translation continu. Ce déplacement implique la cristallisation sur une face et la fusion sur la face opposée, l’asymétrie de taille des grains de fer étant simplement dû au fait que ces derniers grossissent au cours de leur transit à travers la graine. La graine, une véritable fonderie à plus de 5 000 km sous nos pieds ! Regarder à l’intérieur des autres planètes Les autres planètes ont-elles aussi une graine ? Ont-elles même un noyau et de quelle taille ? Parfois, l’analyse fine des orbites des sondes spatiales permet d’obtenir quelques informations, mais cette source de données a ses limites. Pour la Lune, l’existence d’un noyau est une question qui vient tout juste d’être résolue, grâce à une étude récente conduite par les sismologues de l’IRAP en collaboration avec l’IPGP de Paris. Ces travaux ont permis de détecter, dans les données sismologiques des missions Apollo vieilles de 40 ans, des ondes réfléchies sur le noyau de la Lune et de quantifier le rayon du noyau de 380 km. Cet éclairage sur la structure interne de la Lune permet de mieux cerner les conditions de l’impact géant qui a formé le système TerreLune et la composition de notre planète et de son satellite. Dans le cas de Mars, les données orbitales indiquent que la Planète Rouge possède un noyau, mais on ne connaît ni sa densité ni sa taille avec précision. Pour répondre à ces questions les équipes scientifiques et techniques de l’IRAP et de l’OMP sont impliquées dans le projet de mission NASA « InSight » visant à déployer un capteur sismologique à la surface de Mars. Ce capteur permettra d’avoir une première estimation de la sismicité et de la structure interne de Mars. Et pourquoi pas, de visualiser pour la première fois son noyau… ■ Schéma représentant le modèle de croissance de la graine. La graine est dans un régime dynamique instable et une hétérogénéité de température entre les 2 hémisphères induit un décalage du centre de masse. La cristallisation à la surface du côté dense et froid et la fusion de l’autre côté tendent à amplifier l’hétérogénéité de densité initiale. Il en résulte un mouvement de translation permanent de la graine avec des grains jeunes et petits d’un côté et des grains vieux et gros de l’autre. Raphaël F. Garcia, maître de conférences et Marie Calvet, physicienne-adjointe à l’Institut d’astrophysique et de planétologie (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] La planétologie Les volcans de Mars sont-ils toujours actifs ? Grâce à l’exploration spatiale, l’étude de la morphologie, de la minéralogie et de la composition des roches martiennes permet de reconstruire l’histoire géologique de la Planète Rouge. S ur des corps planétaires de la taille de la Terre, Mars ou la Lune, des grands mouvements internes donnent lieu à la fusion des roches en profondeur. Ces liquides magmatiques peuvent à leur tour atteindre la surface, formant des coulées de laves et des volcans. À l’Observatoire Midi Pyrénées, où géologues, géophysiciens, géochimistes et planétologues impliqués dans les missions spatiales se rencontrent, les dix dernières années ont vu une véritable révolution, tant par la quantité que par la qualité des données disponibles. La planète Mars a été au coeur de ces activités, à travers de nombreuses participations à des missions européennes et américaines. Les données d’imagerie HRSC (High-ResolutionStereo-Camera) à bord la sonde Mars Express de l’ESA ont largement bouleversé notre vision de l’histoire volcanique martienne. Parmi les découvertes, des chercheurs toulousains ont contribué à la mise en évidence d’une grande province volcanique (Central Elysium Planitia, analogue à la « Snake River Plain » aux Etats-Unis) où le volcanisme a été très actif sur les derniers 200 millions d’années, voire beaucoup plus récemment par endroits. À l’échelle de l’histoire du système so- laire de tels âges sont extrêmement récents, ce qui laisse ouverte la possibilité que le volcanisme martien ne soit pas totalement éteint Points chauds Les données orbitales offrent aussi la possibilité de mettre en évidence la présence de certains minéraux qui cristallisent dans les laves, grâce à l’imagerie hyperspectrale (ou spectro-imagerie) dans le domaine visible et proche infrarouge. Cependant, la détection de l’ensemble des minéraux est un problème complexe et un défi pour la communauté internationale, car la signature spectroscopique de certains minéraux peut masquer celle d’autres tout aussi importants. En mettant au point une méthode d’inversion numérique validée en laboratoire, la présence régionale du minéral olivine dans les laves situées dans la partie centrale d’un large édifice volcanique ancien, dénommé Syrtis Major, a pu ainsi être établie à partir des données de l’instrument OMEGA à bord de Mars Express. La présence d’olivine est caractéristique de liquides basaltiques issus d’un large degré de fusion partielle du manteau, et évoque sur Terre des contextes de points chauds tels que l’Islande ou Hawaii. Les globes martiens illustrent la position de 12 grandes provinces volcaniques, 6 d’entre elles sont jeunes (en rouge), et 6 autres ont un âge supérieur à 3.6 milliards d’années. C’est à partir des ces provinces et de concentrations en fer, silice et thorium des roches volcaniques que le refroidissement de l’intérieur de la planète rouge au cours du temps a pu être mis en évidence. David Baratoux, maître de conférences UPS et Patrick Pinet, directeur de recherche CNRS, chercheurs à l’Institut d’astrophysique et de planétologie (IRAP, unité mixte UPS/ CNRS) Mars se refroidit moins vite Concernant la chimie de ces mêmes roches volcaniques, plusieurs chercheurs toulousains sont impliqués dans l’analyse des données du Gamma Ray Spectrometer à bord de la sonde Mars Odyssey de la NASA, avec l’objectif de produire et d’analyser des cartes de l’abondance de plusieurs éléments chimiques sur une grande partie de la surface de Mars. Parmi ces éléments, le fer, la silice et le thorium sont particulièrement sensibles aux conditions de formation des magmas. À partir des ces trois éléments, et pour 12 provinces volcaniques d’âges différents, il a été possible de retracer l’évolution de la température du manteau martien sur 3 milliards d’années. Il apparaît alors que Mars se refroidit bien moins vite que la Terre, une différence notable probablement liée à la tectonique des plaques sur Terre. Ce travail offre un cadre solide pour comprendre les évolutions minéralogiques révélées par la spectro-imagerie orbitale ainsi que la persistance d’une activité volcanique jusqu’à nos jours évoquée ci-dessus. ■ u Contacts [email protected] & [email protected] f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 7 Dossier La planétologie De l’eau sur d’autres planètes ? L’observation de la minéralogie des surfaces planétaires, associée à des expérimentations de laboratoire et à la modélisation thermocinétique, peut apporter de précieux renseignements sur la présence d’eau à des époques lointaines. Ces travaux sont possibles dans le cas de Mars mais plus difficile dans le cas de Venus, deux planètes proches ayant connu des atmosphères plus ou moins agressives. Représentation du Rover Curiosity (mission MSL) en action sur Mars, avec un tir laser de ChemCam en premier plan. ©NASA/JPL-Caltech D ans le cas de Mars, les indices de la présence d’eau sont nombreux. La spectroscopie et imagerie orbitale ont permis de définir trois grands ensembles géomorphologiques qui semblent, sur la base de leur minéralogie, associés à des conditions de surface bien distinctes. Sur les terrains de l’époque la plus ancienne (le Noachien) il existait effectivement un environnement humide de type terrestre. Puis les fluides de surface se sont enrichis en soufre (l’époque Hesperienne). Depuis à peu près 3 milliards d’années, les sols se sont asséchés, refroidis et oxydés (l’époque Amazonienne). Les progrès de l’exploration au sol, avec des rovers de plus en plus mobiles et de mieux en mieux équipés, ont permis d’obtenir des informations bien plus précises sur la composition chimique et minéralogique des sites d’atterrissage. Grâce aux données obtenues sur les roches très riches en sulfate, analysées à Meridiani Planum par le rover Opportunity de la NASA, les chercheurs de l’Observatoire Midi-Pyrénées ont abordé la question de l’altération Hesperienne sous un angle de géochimie plus globale. Sur la base de modélisations numériques des interactions fluide-roche, il a été démontré que la formation de ces roches a nécessité une très forte acidité, mais très peu d’eau et des temps d’altération extrêmement courts à l’échelle géologique. Eau en abondance L’attention de la communauté scientifique se focalise maintenant sur les périodes plus anciennes de Mars, quand l’eau se trouvait en abondance. Ces conditions clémentes ont pu permettre l’émergence d’organismes vivants, une hypothèse qui a guidé le choix du site d’étude et l’équipement du robot Curiosity de la NASA (dont l’arrivée sur Mars est prévue en août 2012) sur lequel est embarqué, parmi d’autres instruments, la sonde laser ChemCam développée à l’IRAP et le CNES à Toulouse en partenariat avec le LANL aux USA. Les microanalyses chimiques par spectroscopie laser réalisées par ChemCam à des distances allant jusqu’à 7 m du rover vont permettre l’étude de la minéralogie à la surface de Mars à l’échelle infra millimétrique. En raison de la courte durée de l’analyse (quelques secondes) et sa capacité à mesurer loin du rover ChemCam sera également un éclaireur pour les autres instruments équipant Curiosity. Les minéraux argileux seront des cibles privilégiées d’étude, car ils sont sans doute propices à un début de colonisation de la vie, notamment en préservant des conditions favorables avant que l’arrivée de soufre ait généré des acides bien plus forts qu’H2CO3. Volcanisme intense Le cas de Venus s’avère plus difficile à étudier. L’atmosphère dense riche en gaz carbonique, les nuages d’altitude et les conditions thermiques au sol (470 °C) rendent son observation depuis l’espace très difficile, tout autant que son exploration au sol où la durée de vie des instruments n’excède pas 3 heures. On sait néanmoins que sa surface est modelée par un volcanisme intense et qu’il existe une chimie du soufre atmosphérique complexe. Les rares observations faites au sol par les missions russes Venera suggèrent des Olivier Gasnault, chargé de recherche CNRS et Gilles Berger, directeur de recherche CNRS, à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] phénomènes d’altération. La question de l’existence de minéraux hydratés en surface renvoie au contrôle du cycle de l’eau mais l’atmosphère sèche de Vénus soulève des questions chimiques élémentaires. Ces questions sont abordées à l’IRAP à l’aide d’une chambre expérimentale reproduisant les conditions de la surface de Vénus. Cette enceinte permet aujourd’hui de reproduire l’interaction basalte-atmosphère, et à terme de permettre l’analyse in situ des roches altérées par spectrométrie laser LIBS et Raman, instruments proposés par l’IRAP à l’embarquement dans une possible future mission spatiale NASA (SAGE). ■ Infos en 8 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 www.msl-chemcam.fr a La planétologie Environnements ionisés des planètes telluriques Le vent solaire qui balaie les planètes telluriques leur dérobe de la matière : gaz, poussières, ou même l’eau qu’elles ont pu abriter… U n vent froid, dense, qui se déplace à environ 1,5 millions de km/h : le vent solaire, un plasma constitué de particules chargées émis depuis la couronne solaire, balaie les planètes telluriques avec violence. Mais toutes ne réagissent pas de la même manière. À la différence de la Terre, les planètes sans champ magnétique intrinsèque comme Mars et Vénus sont soumises à son influence directe. Mars et Vénus possèdent une atmosphère et leur interaction avec le vent solaire produit une queue magnétosphérique induite, étendue, comme celle observées à l’arrière des comètes. Les atmosphères de Mars et Vénus sont ainsi soumises à une érosion intense au contact du vent solaire. Les modèles prédisent un effet cumulé très important à l’échelle du milliard d’années, potentiellement capable de dissiper une atmosphère primitive dense, nécessaire au maintient de l’eau sous forme liquide. Le cas de Mercure est différent puisque cette planète possède un champ magnétique intrinsèque mais n’a pas d’atmosphère notable. Son interaction avec le plasma environnant provoque une érosion des matériaux de sa surface, au contact du milieu solaire pour produire l’exosphère de la planète. Echappements des matériels planétaires L’IRAP a construit, en coopération avec l’institut spatial de Kiruna en Suède, les spectromètres de masse qui, placés à bord des premières missions planétaires européennes Mars Express (MEX) Flux des ions hydrogène solaires au voisinage de Vénus. La zone d’exclusion correspond à la magnétosphère de la planète induite par le drapé du champ magnétique interplanétaire autour de l’ionosphère conductrice. et Venus Express (VEX), permettent actuellement de quantifier les échappements de matériels planétaires. Contrairement aux prédictions, les mesures de MEX montrent que si les échappements de l’atmosphère martienne sont importants (1,2 1 024 ions/s, en minimum d’activité solaire), ils ne peuvent probablement pas expliquer la disparition des océans primitifs de Mars. En effet, même en tenant compte de l’évolution du soleil et des flux UV et particulaires reçus par Mars depuis plusieurs milliards d’années, l’effet cumulé du soleil, calculé à partir des données de Mars Express et de l’observation de « soleils jeunes », ne peut être à l’origine que de la disparition de quelques centimètres d’eau de la surface de la planète. D’autres phénomènes doivent être invoqués (échappements à très basse énergie par exemple, événement cataclysmique…). À moins que l’eau ne soit enfouie dans des réservoirs qui restent à découvrir… En ce qui concerne Vénus, la mission Venus Express a permis la première estimation de l’érosion de l’atmosphère en période de minimum d’activité solaire. Le flux des ions d’énergie comprise entre 10 eV et 25 000 eV qui s’échappent a été mesuré pour l’hydrogène et pour l’oxygène. Ces taux sont dans un rapport voisin de 2, ce qui indique que la surface de la planète ne s’oxyde plus ou peu. Ils sont très voisins des taux estimés auparavant en période de forte activité solaire par la mission américaine Pionner Venus. Ceci montre que les pertes atmosphériques de Vénus ne dépendent que faiblement de l’activité solaire. Flux des ions planétaires oxygène s’échappant de Vénus. Jean André Sauvaud, directeur de recherche CNRS et Andrei Fedorov, ingénieur de recherche CNRS, à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] Atomes accélérés Les mécanismes physiques responsables de l’échappement du matériel planétaire et de son accélération ont pu être cernés. Les études en cours des différentes régions de l’environnement de ces planètes révèlent que le mécanisme d’accélération principal est lié à la forte tension magnétique régnant dans la région antisolaire de la queue magnétique induite de la planète ainsi qu’à à un champ électrique de polarisation. Dans une seconde région plus externe, les ions sont accélérés par le champ électrique interplanétaire et un champ électrique de séparation de charge. Ainsi les atomes de l’exosphère ionisés par impact du vent solaire sont accélérés par le champ électrique interplanétaire. A partir de 2014, les chercheurs de l’IRAP disposeront des données de la mission américaine MAVEN pour laquelle ils ont fourni un spectromètre d’électrons. MAVEN (Mars Atmosphere and Volatile EvolutioN) a pour objectif d’étudier les mécanismes à l’origine de la disparition de l’atmosphère de la planète Mars. Le lancement de la sonde est planifié pour fin 2013. Par ailleurs, l’IRAP fournit des instruments pour la première mission européenne d’exploration de Mercure, BepiColombo qui sera lancée en 2014. Lors de l’arrivée autour de Mercure, en 2020, elle subira des températures atteignant 350 °C et fournira des données pendant 1 an, avec une extension possible d’une année supplémentaire. BepiColombo est une mission coordonnée entre l’ESA et agence spatiale japonaise JAXA. L’IRAP participe aussi aux groupes scientifiques chargés de la préparation de la mission et de la simulation numérique de l’environnement de Mercure. ■ f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 9 Dossier La planétologie Plongée dans l’environnement des planètes géantes Le système de Saturne et ses principales composantes observés par les instruments de la mission Cassini-Huygens haut à gauche: émissions aurorales et infrarouges dans la haute-atmosphère de Saturne; à droite: plume de gaz neutre éjecté par Encelade. En bas à gauche: émissions en atomes énergétiques neutres de Titan; milieu: Titan; à droite: représentation imagée de la magnétosphère de Saturne. © NASA/JPL D es environnements constituent des cibles privilégiées d’exploration pour les missions spatiales : le système de Saturne est étudié depuis juin 2004 (et jusqu’en 2017) par la mission NASA/ESA Cassini-Huygens, la mission américaine Juno se mettra en orbite polaire autour de Jupiter en 2016, tandis que la mission européenne JUICE (JUpiter ICy Moon Explorer) est à l’étude pour un lancement en 2022. Magnétosphères instables Dans les magnétosphères des planètes géantes, les sources de plasma sont très abondantes et variées, d’origine essentiellement interne au système, à l’inverse du cas terrestre où l’importance des sources externe (vent solaire) et interne (ionosphère) est comparable. Les magnétosphères des planètes géantes sont structurées en différentes régions et composées de plasmas de différentes caractéristiques et origines. Le couplage entre les différentes régions, notamment à leur interface, est à l’origine de la dynamique de ces magnétosphères. Un des problèmes clés de la physique magnétosphérique à Jupiter et Saturne est ainsi de comprendre comment des plasmas créés dans le vent solaire, dans la haute atmosphère des planètes, et surtout par leurs lunes, tout particulièrement Io à Jupiter et Encelade à Saturne, alimentent l’ensemble de la cavité magnétique, diffusent radialement, sont accélérés et finalement recombinent. En s’appuyant sur les données de Cassini, les équipes de l’IRAP ont mis en évidence le rôle de l’instabilité d’échange dans le transport radial du plasma. Cette instabilité centrifuge, dont la pré- 10 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Jupiter et Saturne ont des environnements planétaires complexes, multiphases, dans lesquels les composantes du système planétaire (surfaces solides des anneaux et des lunes, gaz neutres atmosphériques, particules chargées et populations de plasma piégées par le champ magnétique de la planète) sont en étroites interactions. Un vrai défi pour les scientifiques. sence était anticipée dans les magnétosphères en rotation rapide des planètes géantes, est l’équivalente de l’instabilité convective, de type Rayleigh-Taylor, qui conditionne le mélange des couches adjacentes dans les atmosphères planétaires en présence de gravité. Les secrets de Titan Découverte par l’astronome hollandais Huygens au XVIIe siècle, Titan est un satellite de Saturne, unique dans notre système solaire. Par sa grande taille d’une part, avec un diamètre supérieur à celui de la planète Mercure. Par son atmosphère d’autre part, la plus dense parmi les satellites connus avec une pression à la surface 1,5 fois supérieure à celle de notre planète Terre. La mission Cassini-Huygens a révélé de nombreux secrets, en particulier sur le cycle du méthane, dont la présence sous les formes gazeuse, liquide et solide crée un cycle similaire à celui de l’eau sur la Terre. Par ailleurs, l’atmosphère de Titan est caractérisée par une chimie complexe entre hydrocarbures et nitriles qui en fait une véritable usine à molécules organiques lourdes, prémices des blocs à l’origine de la vie. Les équipes de l’IRAP ont montré que l’interaction entre Titan et le plasma du système de Saturne induit un chauffage de la haute atmosphère de Titan amenant à un échappement important, génère des atomes énergétiques neutres imagés comme des photons par l’instrument INCA, ionise l’atmosphère neutre initiant ainsi la chimie complexe précitée, et force l’entrée du champ magnétique saturnien que Titan garde ainsi en « mémoire » dans l’ionosphère. Mini-magnétosphère Enfin, il faut citer la mission américaine Galileo qui a permis de découvrir en 1996 que Ganymède, le plus grand satellite naturel du système solaire, possède son propre champ magnétique, et donc forme une mini-magnétosphère contenue dans la magnétosphère géante de Jupiter. Les équipes de l’IRAP développent actuellement des modèles numériques pour caractériser les populations de particules chargées présentes dans cette mini-magnétosphère et concevoir ensuite des instruments de mesure qui seraient proposés sur la future mission JUICE. ■ Philippe Garnier, maître de conférences UPS et Nicolas André, chargé de recherche au CNRS, chercheurs à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP, unité mixte UPS/CNRS).a u Contacts [email protected] & [email protected] La planétologie Météorologie de l’espace Prévoir les orages magnétiques en provenance du Soleil permet de se prémunir contre leurs effets délétères sur les systèmes électriques et de communication terrestres. Tâches solaires Les tâches solaires correspondent à des zones aux travers desquelles des éruptions de particules et de flux magnétique ont lieu. Les particules ainsi éjectées emportent un champ magnétique intense et se propagent dans l’héliosphère pour former des bulles de plusieurs milliards de tonnes de plasma – appelées « éjection de masse coronale » – dont les dimensions peuvent être de l’ordre de la moitié de la distance Soleil-Terre, ou plus au-delà de l’orbite terrestre. Le Soleil est caractérisé par un cycle d’activité d’environ 11 ans. Depuis environ 4 siècles, l’indicateur le plus utilisé pour quantifier cette activité est le nombre de « tâches solaires » observées à sa surface Perturbations terrestres Les orages géomagnétiques déclenchés par les éjections de masse coronale engendrent des perturbations très importantes au voisinage de la Terre, de la magnétosphère à l’ionosphère et jusqu’au sol. Ils provoquent des dégradations ou des coupures des systèmes de communications, des black-out électriques sur des régions très vastes, des dysfonctionnements du système GPS, impact sur l’aviation civile et militaire et sur les satellites et les hommes dans l’espace. Les capacités prédictives de ces phénomènes sont directement dépendantes de notre com- préhension physique de la chaine de processus qui régit l’interaction Soleil-Terre. Les activités du groupe GPPS de l’IRAP sont donc largement centrées sur l’étude des processus plasmas fondamentaux se produisant dans l’environnement terrestre proche, tels que la reconnexion magnétique, les chocs, la turbulence, et autres mécanismes d’accélération des particules générant entre autres les aurores boréales. Cette thématique de prédiction des conditions dans l’environnement terrestre, mais également au niveau des autres planètes du système solaire en fonction de l’activité solaire est appelée « météorologie de l’espace », une discipline en plein essor. Ces études mobilisent des approches diverses, allant de la théorie et la modélisation, jusqu’aux observations. Le groupe GPPS est fortement investi dans tous ces domaines, et en particulier dans l’instrumentation. Ont été ainsi réalisés des instruments de mesure de particules pour de nombreuses missions spatiales passées (Interball, Giotto, Double Star), présentes (Cluster, THEMIS, STEREO, DEMETER) et futures (MMS, Solar Orbiter, Bepi-Colombo, Maven). Mission Stereo En 2006, par exemple, était lancée la mission Stereo. Sa mission : observer l’initiation, la propagation et l’impact de ces structures dans l’héliosphère. Elle comprenait deux satellites Une éjection de masse coronale est représentée se propageant en direction de la Terre, où celle-ci est susceptible de produire de nombreuses perturbations dans l’environnement terrestre (incluant les aurores boréales). Les inserts du haut montrent, respectivement de gauche à droite, une éruption vue dans l’UV, une éruption vue dans le visible à partir d’un coronographe, puis deux images d’aurores dans le visible et l’UV. Benoit Lavraud, chargé de recherche CNRS, et Iannis Dandouras, directeur de recherche CNRS, à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected] & [email protected] distants avec des instruments de mesure de particules réalisés dans le groupe GPPS de l’IRAP. Cette capacité d’observation multipoints, combinée à la qualité des mesures in situ et d’imagerie à bord des satellites, nous a permis pour la première fois de suivre ces éjections, sans interruption, depuis leur initiation au Soleil jusqu’à la Terre. Les données de Stereo ont également été utilisées pour démontrer, par exemple, l’ubiquité du processus de reconnexion magnétique dans le vent solaire et la capacité de ce processus à éroder les éjections de masse coronales au cours de leur propagation dans l’héliosphère. L’érosion magnétique ayant lieu à l’avant de ces structures, elle altère le contenu et la quantité de plasma qui interagit ensuite avec la magnétosphère terrestre (produisant orages géomagnétiques et aurores boréales). Outre de tels résultats scientifiques relatifs aux processus d’éjection et d’interaction de ces structures dans l’héliosphère, les travaux menés récemment ont mis en exergue la capacité à surveiller (par imagerie) et ainsi prédire de manière efficace l’arrivée et l’intensité des plus grosses de ces structures à la Terre. Cet important effort dans le développement instrumental s’accompagne d’une activité pour pérenniser et valoriser les masses des données spatiales obtenues, à travers le développement d’outils scientifiques et « d’Observatoires Virtuels » dans le cadre du Centre de Données de la Physique des Plasmas. ■ Infos en www.cdpp.cesr.fr a f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 11 Vie des labos Sciences de la matière Un miroir de Bragg immatériel pour des ondes de matière L’équipe ‘Atomes froids’du Laboratoire « collisions, agrégats et réactivité » a mis au point un dispositif innovant d’optique atomique. Il est basé sur le guidage d’une onde de matière pour sonder les structures fines. Entretien avec David Guéry-Odelin, professeur à l’Université Paul Sabatier dans le laboratoire LCAR. David Guéry-Odelin, Professeur à l’Université Paul Sabatier, au Laboratoire Collisions, Agrégats et Réactivité (LCAR, unité mixte UPS/CNRS) Dispositif expérimental. Qu’est-ce c’est que la physique des atomes froids ? La physique des atomes froids est un domaine de recherche qui permet de sonder, de contrôler et de manipuler les atomes avec une grande précision. Une partie importante de notre travail consiste à développer des outils pour manipuler les ondes de matière. Pour exalter le comportement ondulatoire il faut se placer à très basse température, au voisinage du zéro absolu. Depuis 1995, les physiciens savent ainsi atteindre avec des atomes froids un état particulier de la matière, le condensat de Bose-Einstein, état que la physique quantique prévoyait depuis longtemps. Cette découverte a valu à Cornell, Wieman et Ketterle le prix Nobel de physique en 2001. Cet état particulier est souvent considéré comme le 4e état de la matière, et n’est ni solide ni liquide mais gazeux avec un comportement ondulatoire. En quoi consiste votre avancée scientifique ? Nous avons développé une technique qui met en oeuvre un condensat de Bose-Einstein d’atomes de rubidium à une température de 100 nano Kelvin. L’onde de matière obtenue est ensuite 12 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 guidée par un faisceau laser, comme le serait une onde lumineuse par une fibre optique. Ce dispositif permet d’étudier les interactions de l’onde de matière avec des potentiels extérieurs. Ici, le croisement de deux rayons de lumière issus d’un même laser crée un réseau de franges d’interférences, soit une alternance de plans lumineux et sombres séparés par moins d’un micromètre. L’onde de matière explore en se propageant la succession de murs de lumière qui résulte de cette superposition d’ondes lumineuses. L’onde réfléchie qui résulte de cette interaction est en fait le résultat d’un phénomène d’interférences d’ondes de matière dans lequel la contribution à la réflexion de chaque couche s’additionne. Nous avons pu ainsi créer l‘équivalent de la réfraction de Bragg pour les ondes de matière. Quelles informations et quelles applications découlent de cette étude ? Nous avons pu visualiser directement la structure de bandes du réseau, phénomène quantique par essence qui prend place en présence d’un motif périodique. La technique qui consiste à sonder une structure grâce à des ondes de matière nous a conduit à d’autres avancées avec en particulier l’étude de structures chaotiques générées par un motif lumineux approprié. Ces travaux participent au développement de l’optique atomique guidée, étape indispensable pour la miniaturisation de ces expériences dont l’un des objectifs est d’exploiter la grande sensibilité des atomes à la mesure d’une rotation ou d’une accélération, soit au développement de senseurs inertiels ultraprécis. ■ Propos recueillis par Martine Poux u Contact [email protected] Pour en savoir a C. M. Fabre, P. Cheiney, G. L. Gattobigio, F. Vermersch, S. Faure, R. Mathevet, T. Lahaye, and D. Guery-Odelin. Realization of a Distributed Bragg Reflector for Propagating Guided Matter Waves, Physical Review Letters, décembre 2011 G. L. Gattobigio, A. Couvert, B. Georgeot, et D. Guéry-Odelin, Exploring classically chaotic potentials with a matter wave quantum probe, Physical Review Letters, décembre 2011 http://www.coldatomsintoulouse.com/ Nanotechnologies Un nanocomposite explosif Une équipe toulousaine vient de créer un nanocomposite assemblé grâce à de l’ADN et qui présente une des meilleures densités énergétiques connues. Il pourrait servir de source d’énergie dans un grand nombre d’applications. Entretien avec Fabrice Séverac du LAAS. Dans quel contexte s’inscrivent vos travaux ? Parmi les matériaux énergétiques, les nanothermites suscitent un grand intérêt dans la communauté des nano matériaux énergétiques et des microsources d’énergie car ils sont caractérisés par une densité énergétique très élevée, proche des explosifs, sont peu coûteux, non polluants et « sûrs ». Ainsi, ces matériaux font l’objet d’intenses recherches pour des applications civiles, spatiales et bien sûr militaires. De quoi sont composés ces matériaux et comment fonctionnent-ils ? Les nanothermites sont constituées par des poudres ultrafines d’aluminium et d’oxyde métallique (typiquement CuO, Fe2O3, WO3) mélangés mécaniquement. En chauffant, le métal et l’oxyde diffusent l’un dans l’autre ; l’aluminium s’oxyde pour former de l’alumine (Al2O3) et l’oxyde se réduit. Cette réaction s’accompagne d’un fort dégagement de chaleur. La réduction de la taille des particules d’aluminium et d’oxyde permet, en rapprochant les constituants, de gagner plus d’un facteur 100 sur les vitesses de réaction. De plus, en diminuant la taille des particules, on augmente leur surface de contact, fa- Alain Estève, chargé de recherche CNRS, Carole Rossi, directeur de recherche CNRS, Aurélien Bancaud, chargé de recherche CNRS, chercheurs au Laboratoire d’Analyse et d’Architecture des Systèmes (LAAS, unité propre CNRS, associée à l’UPS) et Fabrice Severac, actuellement ingénieur de recherche chez Nanomade-Concept. vorisant ainsi la réactivité. Enfin, la température d’initiation de la réaction est réduite lorsque les particules d’aluminium ont un diamètre inférieur à 100nm. Quelle a été votre démarche pour améliorer ces matériaux ? Afin d’optimiser les propriétés de réaction, il est idéal de pouvoir disposer les nanoparticules d’oxyde autour des nanoparticules d’aluminium. Pour cela, nous nous sommes inspirés d’une technologie née aux USA et qui consiste à diriger l’assemblage de nanoparticules par des monobrins d’ADN complémentaires. L’idée était donc d’adapter cette technologie à nos matériaux pour mettre en intimité ces deux types de nanoparticules. Comment avez-vous procédé ? Nous avons d’abord effectué un travail de modélisation pour définir la chimie de greffage des brins d’ADN sur l’aluminium et sur l’oxyde de cuivre. Puis nous avons développé un procédé permettant de disperser les nanopoudres en solution, avant de coiffer les nanoparticules d’aluminium et d’oxyde de cuivre avec des monobrins d’ADN distincts pour chacun des matériaux mais complémentaires entre eux. Les nanoparticules sont ensuite mélangées. Les brins d’ADN s’hybrident pour former la fameuse double hélice d’ADN engendrant un assemblage des nanoparticules sous forme d’agrégat de taille micrométrique homogène en composition chimique. La densité d’énergie de ce matériau est surprenante : elle est environ 8 fois supérieure à celle du même composé préparé classiquement. Quels pourraient être les débouchés pour ce matériau ? Intégrées par exemple dans des micro initiateurs ou micro détonateurs, les nanothermites pourraient remplacer certains matériaux énergétiques dangereux. Ils sont également envisagés dans des micropiles thermiques, des assemblages pour effectuer de la soudure in-situ et aussi, comme agents de neutralisation de produits chimiques dans des systèmes miniaturisés. De plus, l’utilisation de l’ADN devrait permettre de « multi-fonctionnaliser » ce type de matériaux. Par exemple, en y attachant des colorants photo-absorbants, il serait possible sous l’action de la lumière de déclencher la libération d’énergie. ■ Propos recueillis par Frédéric Mompiou u Schéma représentant les différentes étapes de fabrication des nanocomposites Al/CuO par assemblage ADN. Les nanopoudres d’aluminium et d’oxyde de cuivre sont d’abord mises en suspension et stabilisées en solution aqueuse, ensuite fonctionnalisées avec des monobrins d’ADN et finalement assemblées grâce à l’hybridation des brins d’ADN complémentaires. Contacts [email protected], [email protected] & [email protected] Pour en savoir a High Energy Al/CuO nanocomposites obtained by DNA-directed assembly. F. Séverac, P. Alphonse, A. Estève, A. Bancaud, and C. Rossi, Adv. Funct. Mater., DOI: 10.1002/adfm.201100763. f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 13 Vie des labos Sciences du vivant Chlöé Farrer-Pujol, chargée de recherche CNRS au Centre de recherche cerveau et cognition (Cerco, unité mixte UPS/ CNRS) . u Contact [email protected] Les patients schizophrènes utilisent mal leur expérience sociale La schizophrénie est une maladie mentale complexe, avec un trouble des relations sociales. Ce dysfonctionnement social est en partie expliqué par les difficultés que rencontrent ces patients à comprendre les intentions des autres. L’équipe de Chlöé Farrer, au Centre de recherche cerveau et cognition (CERCO), a montré que ces difficultés s’expliquent par une utilisation inappropriée de leur expérience passée. À quelles questions souhaitiez-vous répondre par l’étude que vous publiez ? Les difficultés qu’ont les schizophrènes à apprécier les intentions d’autrui au cours d’une interaction sont établies. Nous souhaitions approfondir la connaissance des mécanismes en cause car ces déficits sont en fait mal cernés malgré de nombreuses études. Pouvez-vous nous expliquer les bases de cette étude ? Nous avons utilisé un nouveau paradigme de compréhension des intentions d’autrui développé chez des sujets sains. La reconnaissance des intentions d’autrui est un phénomène qui relève de la confrontation de l’observation sensorielle d’une action en cours avec un savoir stocké a priori, fait d’expériences mémorisées. Nous avons émis l’hypothèse que ces deux types d’information, les informations sensorielles et les informations a priori, étaient mal utilisés chez les patients schizophrènes. Pour cela, nous avons étudié la capacité des patients à reconnaître différentes intentions lorsque l’information sensorielle et les informations à priori étaient contrôlées. Les patients visionnaient des vidéos montrant des acteurs manipulant des objets, avec des intentions différentes. Certaines intentions étaient volontairement plus fréquentes afin de manipuler l’information a priori. Les séquences étaient ensuite visualisées en faisant varier la quantité d’information sensorielle (c’est-à-dire la durée du film montré au sujet). Nous avons ainsi pu montrer que les patients schizophrènes ont une utilisation inadéquate des informations a priori. 14 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Reconnaissance de 4 types d’intentions: des intentions dirigées vers des objets (intentions non-sociales, figures A et B) et des intentions dirigées vers autrui (intentions sociales, figures C et D). Les intentions dirigées vers des objets consistaient à manipuler des objets de manière à construire une forme particulière, que les sujets devaient reconnaître. Pour les intentions sociales, le sujets visualisaient deux joueurs interagir au cours d’un jeu de manipulation d’objets. Les sujets devaient reconnaître les intentions des joueurs (collaborer ou rentrer en compétition avec l’autre). S’agit-il d’une caractéristique propre à cette maladie ? Comment envisagez vous la suite de ce travail ? Il n’est pas encore possible de répondre, des études précédentes ont montré que le déficit de reconnaissance des intentions d’autrui est stable dans le temps chez les patients. Par contre, ce que montre aussi cette étude est que la nature de l’intention à découvrir influence le résultat. En effet, différentes intentions étaient manipulées dans cette étude. Certaines intentions étaient dirigées vers des objets (intentions nonsociales) et d’autres étaient dirigées vers autrui (intentions sociales). Nous avons montré que la mauvaise utilisation des informations à priori s’observait surtout pour les intentions sociales. Nous étendrons l’analyse de ce paradigme à d’autres types de patients souffrant aussi de trouble des interactions sociales comme l’autisme. Nous souhaitons également étudier les régions et les circuits cérébraux impliqués dans l’interaction entre les informations a priori et les informations sensorielles en réalisant des études en IRM fonctionnelle chez les sujets sains. ■ Propos recueillis par Patrick Calvas Pour en savoir a Mentalizing under influence : abnormal dependence on prior expectations in patients with schizophrenia. V. Chambon, E Pacherie, G. Barbalat, P. Jacquet, N. Franck and C. Farrer. Brain. 2011 ;134 :3728-41. Sciences du vivant Contrôler des vaisseaux sanguins impliqués dans l’inflammation et le cancer Les cellules dendritiques contrôlent la fabrication de certains vaisseaux sanguins, qui servent de portes d’entrée des lymphocytes dans les ganglions lymphatiques, les tissus enflammés et les tumeurs cancéreuses. C’est ce que vient de publier dans la revue Nature, l’équipe de Jean-Philippe Girard, chercheur à l’IPBS. Entretien avec le chercheur. Jean-Philippe Girard, directeur de recherche Inserm, directeur de l’Institut de pharmacologie et de biologie structurale (IPBS, unité mixte UPS/CNRS) u Contact [email protected] Quelle est la fonction des cellules dendritiques dans le système immunitaire ? Les cellules dendritiques sont des cellules sentinelles du système immunitaire, découvertes en 1973 par Ralph Steinman, Prix Nobel de Médecine 2011. Elles sont chargées de collecter et de présenter les antigènes étrangers provenant de virus, de bactéries ou de cellules cancéreuses, aux lymphocytes. Leur forme étoilée avec de longs prolongements cellulaires, leur permet de capter les éléments de leur environnement dans les tissus périphériques. Elles migrent ensuite vers les ganglions lymphatiques pour aller à la rencontre des lymphocytes. Quel est le rôle des vaisseaux sanguins HEV dans l’organisme ? Afin de lutter contre les infections virales et bactériennes, les lymphocytes s’acheminent vers les ganglions lymphatiques. Ils pénètrent dans Visualisation en microscopie multi-photonique d’un vaisseau sanguin HEV (en vert) dans un ganglion lymphatique. Les autres vaisseaux sanguins du ganglion sont colorés en rouge. Les vaisseaux HEV permettent l’entrée dans le ganglion des lymphocytes circulant dans le sang. les ganglions grâce à un type particulier de vaisseaux sanguins, appelés HEV - pour High Endothelial Venul. Les cellules qui tapissent la paroi de ces vaisseaux HEV sont bombées, arrondies, et cette morphologie très caractéristique facilite le passage des lymphocytes du sang vers le tissu. Les vaisseaux HEV constituent des portes d’entrée très efficaces puisque l’on estime que dans l’organisme, à chaque seconde au moins 5 millions de lymphocytes entrent dans les ganglions lymphatiques via les vaisseaux HEV. En quoi consiste votre récente découverte ? Depuis plusieurs années, notre équipe s’efforce de mieux comprendre comment un vaisseau sanguin normal se transforme en vaisseau HEV (et vice versa). En étudiant les cellules présentes au voisinage des vaisseaux HEV, Christine Moussion, doctorante dans mon équipe, a mis en évidence le rôle fondamental des cellules dendritiques dans la fabrication des vaisseaux HEV. Sous l’action des cellules dendritiques, les vaisseaux sanguins qui constituaient une barrière infranchissable, se transforment en vaisseaux HEV et deviennent alors capables de faire entrer massivement les lymphocytes dans les ganglions lymphatiques. En contrôlant l’accès des lymphocytes aux ganglions via les vaisseaux HEV, les cellules dendritiques vont permettre la rencontre entre les lymphocytes et les antigènes étrangers contre lesquels ils sont dirigés. Les cellules dendritiques jouent ainsi un nouveau rôle essentiel dans le système immunitaire, rôle insoupçonné jusqu’alors. Cette découverte peut-elle conduire à de nouveaux traitements des maladies inflammatoires ou du cancer ? Des vaisseaux HEV apparaissent dans la plupart des maladies inflammatoires chroniques (polyarthrite rhumatoïde, maladie de Crohn, dermatite atopique, psoriasis, asthme…) et contribuent à l’inflammation du tissu. Bloquer la fabrication des vaisseaux HEV permettrait donc de diminuer l’inflammation. A l’inverse, dans le cancer, les vaisseaux HEV ont un effet bénéfique lorsqu’ils sont présents dans les tumeurs, car ils facilitent l’entrée dans ces tumeurs des lymphocytes tueurs. Mieux comprendre les mécanismes de fabrication des vaisseaux HEV pourrait permettre d’augmenter la quantité de ces vaisseaux dans les tumeurs afin d’améliorer l’éradication des cellules cancéreuses par les cellules tueuses. ■ Propos recueillis par Christine Ferran Pour en savoir a Moussion C, Girard JP. Dendritic cells control lymphocyte entry to lymph nodes through high endothelial venules. Nature. 2011 Nov 13;479(7374):542-6. doi: 10.1038/nature10540. f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 15 Vie des labos Sciences du vivant Les poissons d’eau douce se ressemblent de plus en plus L’homme a non seulement provoqué des extinctions d’espèces, mais il a également introduit, volontairement ou non, de nombreuses espèces hors de leur aire d’origine. Ces deux processus peuvent conduire à accroître la proportion d’espèces communes à différentes faunes, ce qu’on appelle l’homogénéisation biotique. Un consortium international piloté par Sébastien Villéger et Sébastien Brosse, chercheurs au laboratoire EDB a fait le point sur cette question. Entretien avec Sébastien Villéger. Comment est-on arrivés au constat d’une homogénéisation biotique ? Notre étude, basée sur des données relatives à des poissons présents dans 1 054 cours d’eau du monde, révèle que si la ressemblance entre faunes n’a augmenté que de 0.5 % à l’échelle du globe durant les deux derniers siècles, certaines zones présentent un taux d’homogénéisation jusqu’à 20 fois supérieur. C’est en particulier le cas des cours d’eau Eurasiens et Nord-Américains qui ont accueilli un grand nombre d’espèces non-natives. Par ailleurs, le pourcentage de cours d’eau n’ayant aucune espèce en commun a fortement diminué à l’échelle mondiale, passant de 81 à 68 %. Les introductions d’espèces engendrent donc non seulement des changements dans le nombre d’espèces présentes dans les cours d’eau mais aussi un déclin d’une autre facette de la biodiversité, la dissemblance entre les communautés. Comment expliquer cette évolution ? un intérêt aquacole ou récréatif (par exemple la carpe commune et la truite arc-en-ciel) ont été introduites dans de nombreux cours d’eau à travers le monde ce qui amplifie l’homogénéisation. Que peut-on y faire ? Nous avons montré que l’homogénéisation biotique est essentiellement imputable aux introductions d’espèces, alors que les extinctions locales n’y contribuent que faiblement. Plus particulièrement, un petit nombre d’espèces ayant Pour en savoir « Niveau d’homogénéisation actuelle des faunes de poissons d’eau douce (variation du pourcentage de ressemblance entre une faune et ses voisines depuis la période pré-industrielle) ». © Sébastien Villéger et al. a Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS) : http://www.pnas.org/content/ early/2011/10/18/1107614108 Même si le risque d’une homogénéisation mondiale massive parfois évoquée sous le terme de « nouvelle Pangée » ne semble pas d’actualité, le niveau particulièrement élevé d’homogénéisation révélé par cette étude dans certains cours d’eau suggère de mener des études ciblées pour évaluer les risques écologiques encourus par ces écosystèmes. De quelles collaborations avez-vous bénéficié ? Il s’agit d’un consortium de chercheurs de l’UPS, du CNRS, de l’IRD, du Museum national d’Histoire naturelle (MNHN) et de l’Université d’Anvers (Belgique) qui a mesuré pour la première fois l’homogénéisation biotique des poissons d’eau douce à l’échelle du globe. ■ Propos recueillis par Valeria Medina 16 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Simon Blanchet, chargé de recherche CNRS à EcoEx Moulis ; Sébastien Villéger, post doctorant et Sébastien Brosse, professeur UPS, tous les deux au laboratoire Evolution dynamique et biodiversité (EDB, unité mixte UPS/CNRS) u Contact [email protected] & [email protected] Sciences du vivant Jean-Charles Guéry, directeur de recherche Inserm au Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan (CPTP, unité mixte UPS/Inserm). Hommes et femmes ne sont pas égaux devant la maladie Les femmes développent souvent des réponses immunes plus fortes que les hommes. Cette différence pourrait expliquer la fréquence plus élevée des maladies autoimmunes chez les femmes. Jean-Charles Guéry, nous livre les grandes lignes d’une étude qu’il a menée au Centre de Physiopathologie de Toulouse-Purpan (CPTP) pour expliquer ces différences. Comment peut-on expliquer les réactions différentes des hommes et des femmes à la maladie ? Les différences liées au sexe dans la susceptibilité aux maladies autoimmunes apparaissent après la puberté. Cela suggére que les hormones sexuelles peuvent être impliquées. Nous nous intéressons plus particulièrement à l’une d’entre elles, l’œstradiol, produit par les ovaires. En fonction des pathologies, les œstrogènes peuvent exercer des effets soit bénéfiques (anti-inflammatoires), soit délétères (pro-inflammatoires), en se fixant sur un récepteur intracellulaire, le récepteur aux œstrogènes (RE). Nos travaux visent à définir les cibles cellulaires répondant donc aux oestrogènes et responsables des effets pro-inflammatoires et anti-inflammatoires de l’œstradiol (E2), en particulier dans des modèles de maladies autoimmunes, comme le lupus érythémateux disséminé. Bien que le rôle délétère des œstrogènes soit reconnu depuis plus de 30 ans, leurs mécanismes d’action dans cette pathologie restent largement incompris. Quelle est donc la principale population de cellules du système immunitaire impliquée ? Les cellules dendritiques plasmacytoïdes (pDCs) représentent une population rare de cellules de l’immunité innée (moins de 0.5 % des globules blancs dans le sang). Ces « sentinelles » de l’organisme reconnaissent notamment les virus grâce à des récepteurs spécifiques, les récepteurs Toll, dont l’activation induit la production de quantités considérables d’interférons de type I. Ces cytokines possèdent une puissante activé anti-virale, mais également de propriétés immunorégulatrices fortes. Dans le cas du lupus, l’activation chronique de ces cellules par des complexes immuns constitués d’anticorps dirigés contre nos propres acides nucléiques conduirait à la production soutenue d’interférons de type I et à l’amplification de la réponse autoimmune. Bien qu’il ait été reconnu que les pDCs des femmes produisent plus d’interférons de type I que celles provenant d’hommes, la raison précise de cette différence liée au sexe n’avait pas été élucidée. Qu’avez-vous observé ? Marquage analysé en microscopie confocale de cellules dendritiques de souris normales ou déficientes pour le récepteur aux œstrogènes (ERa) marquées à l’aide d’un anti-ERa (vert), les pDCs sont marquées en rouge (anti-B220). Grâce à une collaboration avec des cliniciens du CHU de Toulouse, nous avons confirmé que la réponse des pDCs est augmentée chez les femmes par rapport aux hommes avant 45 ans, alors qu’elle est fortement réduite chez les femmes ménopausées suggérant un rôle des œstrogènes. Effectivement, l’administration d’estradiol chez des femmes ménopausées augmente u Contact [email protected] de manière très significative la réponse des pDCs après stimulation de leurs récepteurs Toll. Enfin, dans des modèles expérimentaux chez la souris, nous démontrons que l’estradiol peut agir directement in vivo, via l’activation du RE exprimé par les pDCs pour moduler leur fonction effectrice innée. Ainsi, les œstrogènes jouent un rôle majeur dans la régulation de la fonction des pDCs à la fois chez l’humain et la souris, pouvant rendre compte de leur influence sur certaines maladies autoimmunes, comme le lupus. Quelles peuvent être les retombées thérapeutiques de ce travail ? L’estradiol pourrait favoriser la réponse immune vis-à-vis de certains pathogènes, comme par exemple le virus de l’hépatite C, comme le suggère le fait que le pronostic des femmes ménopausées infectées par l’hépatite C est meilleur lorsqu’elles prennent un traitement œstrogénique. Il s’agit maintenant de le prouver par un essai clinique randomisé. Nous proposons donc d’activer, avec des oestrogènes ou des molécules apparentées, les RE pour améliorer la réponse des pDCs dans cette affection qui touche plus de 200 millions de personnes à travers le monde. ■ Propos recueillis par Jean-François Arnal Pour en savoir a Seillet, C., S. Laffont, F. Tremollieres, N. Rouquie, C. Ribot, J. F. Arnal, V. Douin-Echinard, P. Gourdy, and J. C. Guery. 2011. The TLR-mediated response of plasmacytoid dendritic cells is positively regulated by estradiol in vivo through cellintrinsic estrogen receptor alpha-signaling. Blood. Nov 16. [Epub ahead of print] f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 17 Vie des labos Sciences de la planète Tempête tropicale en Méditerranée En novembre dernier un quasi-cyclone frappait les côtes du Var. Comment ces phénomènes se forment-ils ? Une équipe du Laboratoire d’Aérologie, en collaboration avec une équipe du Laboratoire de météorologie dynamique (LMD/IPSL CNRS/Université Pierre et Marie Curie/Ecole normale supérieure de Paris/Ecole Polytechnique) a modélisé le développement explosif d’une dépression méditerranéenne. Entretien avec Jean-Pierre Chaboureau, principal auteur de l’étude. Vue tri-dimensionelle du medicane (en violet) au-dessus de la mer Adriatique le 26 septembre 2006 à 12 h TU après avoir traversé le courant jet (en grisé) simulé par le modèle Méso-NH La Méditerrané peut-elle connaître des tempêtes de type tropical ? Oui. Ce type de tempête qu’on appelle « medicane » (contraction de « Mediterranean hurricane ») se forme généralement à l’automne lorsque la mer Méditerranée est encore chaude. Des orages qui se développent autour d’une dépression vont en s’intensifiant la creuser et s’enrouler autour jusqu’à former un œil, des vents forts à la surface de l’eau et une température dans les basses couches atmosphériques plus élevée au cœur des nuages qu’à l’extérieur. Comment les avez-vous étudiés ? Nous nous sommes intéressé au medicane le plus intense jamais enregistré. Ce medicane s’est produit le matin du 26 septembre 2006 au Pour en savoir a Chaboureau, J.-P., F. Pantillon, D. Lambert, E. Richard, and C. Claud: Tropical transition of a Mediterranean storm by jet crossing, Quart. J. Roy. Meteor. Soc., doi :10.1002/qj.960, sous presse, 10 novembre 2011 18 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 sud de l’Italie. La dépression initiale s’est formée la veille derrière l’Atlas algérien le long duquel elle s’est ensuite déplacée avant de rejoindre la Méditerranée via la Tunisie. Elle s’est ensuite développée de manière explosive en medicane sur la mer Ionienne dans la matinée du 26. Le passage du medicane au-dessus de la Pouille méridionale quelques heures plus tard a permis de mesurer son creusement (diminution de la pression au cœur de la tempête) qui était très profond (986 hPa) et les rafales de vent qui atteignaient plus de 144 km/h. Bien que l’intensité du vent moyen n’ait pas atteint celle d’un cyclone (118 km/h), ce medicane a néanmoins été classé comme une tempête tropicale sévère. Pour l’étudier, nous avons réalisé une série de simulations numériques avec le modèle météorologique de recherche Méso-NH à haute résolution en faisant varier les conditions initiales Que vous ont apporté ces simulations ? Les simulations numériques nous ont permis de constater que pour reproduire le medicane dans des conditions proches de la réalité, il faut non seulement une situation fortement orageuse autour de la dépression mais aussi la présence d’un courant-jet d’altitude. C’est le passage de la dépression sous le courant-jet qui conduit à son creusement explosif et au phénomène de medicane. Jean-Pierre Chaboureau, physicien au Laboratoire d’Aérologie (LA, unité mixte UPS/CNRS) u Contact jean-pierre.chaboureau@ aero.obs-mip.fr Ce phénomène explosif est-il facile à prédire ? Ce type de phénomène est difficile à prévoir avec exactitude car de petites modifications des conditions initiales suffisent à modifier radicalement l’évolution du système vers, ou non, un medicane. Cela est d’autant plus vrai pour les modèles opérationnels dont la résolution est bien plus grossière que celle du modèle de recherche Méso-NH. ■ Propos recueillis par Daniel Guedalia Sciences de la planète Mais où va l’eau de fonte de la Sibèrie ? Une équipe du LEGOS s’est intéressée au devenir de l’eau provenant de la fonte du manteau neigeux dans la région arctique de la Sibérie Occidentale. Rencontre avec Alexei Koraev, qui nous fait part de résultats pour le moins inattendus. Alexei V Kouraev, maître de conférences UPS au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (unité mixte UPS/CNRS/ IRD/CNES) u Contact [email protected] Comment arrivez-vous à accéder aux bilans d’eau ? À l’aide de données satellitaires, nous avons pu faire une estimation de la hauteur du manteau neigeux avant la fin du printemps sur une période allant de 1989 à 2006 pour une région de Sibérie (entre les fleuves Ob et Ienissei) qui couvre une superficie identique à celle de l’Allemagne. Il nous est ainsi possible de calculer, en utilisant les mesures sur le terrain de la densité de la neige, la quantité d’eau qui provient de sa fonte. D’autre part, avec les enregistrements des débits journaliers des quatre fleuves majeurs qui irriguent cette région, nous avons estimé le volume d’eau qui passe chaque année pendant les crues de printemps. En combinant les mesures satellitaires, les mesures in situ et la modélisation hydrologique et hydrodynamique, nous avons pu étudier le bilan d’eau dans les bassins versants et les liens avec le climat régional et ses forçages. Qu’avez-vous constaté ? Tout d’abord, et de façon évidente, plus la quantité de neige est importante, plus le flux d’eau au printemps est élevé. Mais une constatation inattendue est que, pour cette eau issue de la fonte des neiges, une grande partie (environ 30 %) ne se retrouve pas dans le débit des fleuves pendant les crues. Et, deuxième constatation, plus importante encore, on note une tendance à l’augmentation de cette perte avec les années, pour passer de 20 à 30 % dans les années 1990 à 50 à 60 % dans les années 2000. Pour en savoir a Snow Cover and Spring Flood Flow in the Northern Part of Western Siberia (the Poluy, Nadym, Pur, and Taz Rivers). E. A. Zakharova, A. V. Kouraev, S. Biancamaria, M. V. Kolmakova, N. M. Mognard, V. A. Zemtsov, S. N. Kirpotin, and B. Decharme. Journal of Hydrometeorology, Volume 12, dec 2011, pp 1498-1511 Valeurs annuelles (période 1989-2006) du ratio eau de fonte de la neige perdu (en % par rapport au volume total de l’eau présent dans le couvert neigeux en hiver) pour le bassin de la Pur (courbe rouge), de la Nadym (courbe bleue), de la Taz (courbe verte), de la Poluy (courbe orange). Sur ces courbes les lignes verticales correspondent aux barres d’erreur. Comment expliquer cette perte d’eau ? Cette région présente une forte concentration en zones humides, marécages et lacs, qui sont propices à un taux d’évaporation élevé. D’autre part, ces zones humides stockent l’eau qui est libérée graduellement tout le long de l’été. En plus de ces deux facteurs, le pergelisol (sous-sol gelé) joue aussi un rôle majeur dans la redistribution saisonnière des débits fluviaux. L’augmentation de la température de l’air depuis les années 2000 a pour effet de favoriser l’évaporation mais aussi de modifier la végétation induisant un changement de surface et une modification de la profondeur de la couche active,c’est-àdire la couche supérieure du sol qui, au gré des saisons, gèle et dégèle, mais leur impact est encore mal étudié et reste complexe. Les incendies de toundra auraient aussi un effet sur ces pertes, en modifiant aussi la profondeur de la couche active du sol. retombées sociétales. Le transport fluvial des marchandises n’est plus possible sur les rivières de taille moyenne et la période de fonctionnement des routes d’hiver - « zimnik » - construites à travers des marécages gelés a été réduite. L’évolution du manteau neigeux dans le contexte des changements climatiques affecte aussi la vie animale, en particulier les troupeaux de rennes. ■ Propos recueillis par Martine Poux 1 GDRI CAR WET SIB Biogeochemical cycle of carbon in wetlands of Western Siberia À votre avis, quelles seraient à terme les conséquences de la diminution de la couverture neigeuse ? Le manteau neigeux participe activement au cycle de l’eau, et c’est ce cycle que nous étudions dans le cadre d’une coopération entre le CNRS et la Russie1. La diminution du manteau affecte directement les débits fluviaux et induit des Vue aérienne, à proximité de la ville de Noviy Urengoy, mettant en évidence la multitude de lacs, marécages, zones inondées et petites rivières caractéristiques de cette région. f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 19 Vie des labos Sciences de la planète L’histoire de la tectonique des plaques bouleversée Un article publié en novembre 2011 dans la revue Nature Geoscience, bouleverse les connaissances sur l’histoire de la Terre. Il propose une chronologie de la tectonique des plaques différente de celle admise jusqu’ici. En outre, elle permettrait une meilleure localisation des gisements aurifères en Afrique de l’Ouest. Jérôme Jérôme Ganne, Ganne, du GET, nous parle de cette chargé de recherche IRD au laboratoire étude, réalisée en collaboration Géosciences avec une équipe du Brookhaven environnement de Toulouse (GET, unité National Laboratory (USA). mixte UPS/CNRS/ IRD) Comment peut-on remonter aux origines de la tectonique des plaques ? Comment est-il possible de dater la formation des zones de subduction ? La planète Terre est constituée d’enveloppes concentriques dont les plus denses ont formé le noyau, et les moins denses le manteau terrestre. Le manteau supérieur est découpé en plaques rigides (lithosphère) qui se déplacent horizontalement sur le manteau inférieur (asthénosphère), plus ductile. Ces mouvements de surface sont couplés à une dynamique plus profonde que l’on appelle la convection. Cette mécanique est décrite par la théorie unificatrice de la tectonique des plaques, proposée en 1968, qui rend compte du fonctionnent de notre système Terre durant les derniers 900 millions d’années de son évolution, sur un modèle proche de l’actuel. En remontant le temps au-delà de cette frontière, des différences apparaissent, liées principalement à l’absence apparente des zones de subduction. Les zones de subduction reliques identifiées à la surface de la Terre sont toutes caractérisées par la présence de minéraux de métamorphisme formés à haute pression et basse température (HP-BT). Le plus caractéristique de ces minéraux est l’amphibole bleue (glaucophane) dont on ne trouve pour le moment aucune trace dans les terrains géologiques vieux de plus de 900 Ma. D’où l’hypothèse admise jusqu’ici que les roches de HP-BT, donc les zones de subduction, n’existaient pas avant cette époque et que la tectonique des plaques fonctionnait sur un mode assez différent… u Contact [email protected] Image SEM (Scanning Electron Microscopy) sur des minéraux du métamorphisme préservés dans les ceintures de roches vertes d’âge paléoprotérozoïque d’Afrique de l’Ouest (zone de Fada N’Gourma, Burkina Faso). Il s’agit pour l’essentiel de chlorite et de phengite ayant cristallisé autour d’oxydes de fer (hématite). Les variations de compositions chimiques présentes au sein de ces plages minérales permettent de mieux comprendre à quelle profondeur et à quelle température la roche métamorphique s’est formée. Cet enregistrement exceptionnel permet de discuter des processus géodynamiques qui ont existé sur Terre il y a plus de 2 milliards d’années. 20 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Dans ce contexte, en quoi consiste votre découverte ? Nous avons pu démontrer qu’il est possible de caractériser la présence de roches de HP-BT – donc de zones de subduction - dans des terrains géologiques anciens en tenant compte du couple chlorite-micas blancs et non plus seulement de l’amphibole bleue. Notre découverte de zones de subduction actives il y a plus de 2 milliards d’années dans les grandes provinces d’Afrique de l’Ouest améliore considérablement notre compréhension de l’évolution thermique et mécanique de la lithosphère au cours de l’histoire de la Terre. C’est la preuve que la lithosphère pouvait s’enfoncer, sans se désagréger, dans le manteau asthénosphérique et que la tectonique des plaques, telle que nous la connaissons aujourd’hui, était déjà pleinement fonctionnelle. En quoi le fait d’avoir daté plus précisément la tectonique vous aide t’il à prévoir la localisation des gisements d’or ? Les dépôts aurifères du Burkina Faso et du Ghana se sont mis en place sous des conditions très particulières de pression, de température et de composition du fluide minéralisateur qu’il faut pouvoir caractériser finement si l’on veut retrouver la source de ces gisements. Ces conditions physico-chimiques sont enregistrées par l’assemblage chlorite – micas blancs que l’on retrouve systématiquement associé aux dépôts aurifères. Ces couples chlorite – micas blancs, associés à l’or, ont pour beaucoup cristallisé dans des conditions de basse pression (P < 1 000 bars) et généralement basse température (T < 250 °C). Cette nouvelle technologie nous offre donc la possibilité de cartographier en 3D les fines évolutions de pression et de température enregistrées par un socle minéralisé ou un bassin sédimentaire faiblement métamorphisé. Une application potentielle de nos travaux dans le domaine de l’exploration pétrolière est aussi envisageable. ■ Propos recueillis par Guy Lavigne Pour en savoir a Modern-style plate subduction preserved in the Palaeoproterozoic West African Craton. Ganne, J., De Andrade, V., Weinberg, R., Dubacq, B., Vidal, O. Kagambega, N., Naba, S., Baratoux, L., Jessell, M. and Allibon, J. Nature Geoscience, 2011. DOI: 10.1038/ NGEO1321. Sciences de l’univers Prédire les vibrations acoustiques stellaires La propagation des ondes à l’intérieur des étoiles permet de sonder leur structure. Encore faut-il disposer d’un modèle prédisant les modes de vibration des étoiles en rotation rapide. Une collaboration originale entre astrophysiciens de l’IRAP (Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie) et physiciens du LPT (Laboratoire de Physique Théorique) a permis tout récemment d’avancer sur le sujet. Entretien avec Bertrand Georgeot, directeur de recherche CNRS au LPT. De gauche à droite : Bertrand Georgeot, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de physique théorique (LPT, unité mixte UPS/CNRS), Mickael Pasek, doctorant et François Lignières, chargé de recherche CNRS à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP, unité mixte UPS/CNRS) u Contacts [email protected]) & [email protected]) Quelle a été votre approche pour contourner ce problème ? Exemple de mode régulier dans une étoile en rotation rapide, vue dans un plan méridien. Le mode est centré sur une orbite périodique des rayons acoustiques, marquée en noir. Qu’est-ce que l’astérosismologie ? L’astérosismologie s’intéresse aux ondes qui sont engendrées par différents mécanismes dans les étoiles. Ces ondes se propagent et provoquent à la surface des variations d’intensité lumineuse qui peuvent être mesurées. Comme dans le cas de la sismologie terrestre, l’étude de ces ondes permet de « sonder » l’intérieur d’une étoile. En raison de sa proximité avec la Terre, la sismologie solaire s’est développée la première dès les années soixante-dix. Depuis, grâce au lancement de programmes spatiaux d’envergure tel que CoRoT en 2006, la mesure fine des spectres acoustiques d’une large gamme d’étoiles a été rendue possible. Peut-on alors en déduire la structure interne des étoiles ? En principe oui, mais cela suppose de bien comprendre la physique des modes d’oscillation associés. Dans le cas d’une étoile sphérique comme le Soleil, ces modes de vibration sont bien connus. Les plus importants à l’échelle de l’étoile produisent des oscillations stationnaires, qui résultent d’un phénomène de résonance, comme dans le cas d’une corde vibrant à une fréquence harmonique. Cependant de nombreuses étoiles sont en rotation rapide, ce qui a tendance à les rendre plus renflées à l’équateur sous l’effet de l’accélération centrifuge. Calculer les modes de vibrations pour ces étoiles est une tâche plus ardue. Nous savions que la rotation rapide provoquait des phénomènes chaotiques dans les ondes acoustiques. Nous avons alors utilisé les outils mathématiques développés en physique théorique pour l’étude des mécanismes chaotiques rencontrés en mécanique quantique. Cela nous a permis de séparer les modes chaotiques des modes réguliers plus faciles à observer et à identifier. Des comparaisons effectuées avec les simulations numériques d’oscillations dans des modèles d’étoiles montrent que les fréquences et les amplitudes de ces modes sont décrites avec précision par notre approche pour presque toutes les valeurs de la rotation. Les spectres sont principalement caractérisés par deux nombres quantiques, dont l’extraction à partir des spectres observés devrait permettre d’obtenir des informations sur l’intérieur des étoiles en rotation rapide. ■ Propos recueillis par Frédéric Mompiou Pour en savoir a M. Pasek, B. Georgeot, F. Lignières, D. R. Reese «Regular modes in rotating stars», Phys. Rev. Lett. 107, 121101 (2011). f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 21 Innovation Diagnostic Diagnostic innovant des pannes automobiles L’électronique est omniprésente dans les voitures modernes ce qui rend le diagnostic des dysfonctionnements automobiles de plus en plus complexe. Fort de ce constat, le LAAS et la société toulousaine ACTIA ont breveté un procédé de diagnostic qui permet une identification optimisée du composant électronique à l’origine de la défaillance. Louise TravéMassuyès, directeur de recherche CNRS au LAAS, revient avec nous sur ces travaux. Louise Travé-Massuyès, directrice de recherche CNRS, responsable du groupe « Diagnostic supervision et conduite » au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS, unité propre CNRS, associée à l’UPS). Dans quel contexte s’insèrent vos recherches ? Actuellement, les voitures sont équipées d’un nombre grandissant d’équipements électroniques qui permettent la réalisation de multiples fonctions : sécurité, confort, respect de l’environnement… Mais la complexité des architectures électroniques impliquées rend indispensables des systèmes d’aide au diagnostic. Ces systèmes doivent être capables d’indiquer le plus efficacement possible, les séquences de tests à effectuer pour localiser le composant défaillant. ces valeurs attendues sont statiques : elles ne donnent qu’une image instantanée du circuit électronique. Or, dans les voitures modernes, les équipements électroniques communiquent, en temps réel, des informations concernant leur état aux calculateurs de bord qui peuvent basculer, en conséquence, la commande des équipements. Nous sommes donc dans un mode de fonctionnement totalement dynamique où la signature des défaillances elle-même se caractérise par des évolutions temporelles. Quelle est l’originalité du procédé que vous proposez ? Avec ce nouveau procédé, nous modélisons les fonctions mécatroniques du véhicule, décrivant l’interaction de l’activité mécanique, électronique et informatique en temps réel du véhicule, et nous sommes capables de simuler, par anticipation, des scénarios de défauts des différents composants impliqués dans ces fonctions. Les résultats de ces simulations sont analysés et synthétisés de manière très visuelle sous la forme de courbes, dites de « référence », représentant l’évolution temporelle des paramètres clés de la voiture. Jusqu’à présent, comment fonctionnaient les outils de diagnostic automobile ? Pourriez-vous nous décrire une séquence de diagnostic « type » ? Les outils actuels se basent sur des procédures de diagnostic élaborées à partir des schémas de conception des circuits électroniques. Elles proposent au garagiste de mesurer un certain nombre de paramètres du véhicule et de comparer leurs valeurs à des valeurs attendues. Mais Voici un exemple. L’automobiliste indique au garagiste la nature du dysfonctionnement observé. A partir de ce signalement, l’algorithme va proposer au garagiste d’effectuer un premier test. Un premier signal est recueilli et comparé à l’ensemble des courbes de référence relatives aux 22 PAUL SABATIER f é v r i e r 2 0 1 2 Nouvelle génération d’outil de diagnostic ACTIA. © ACTIA défauts anticipés. Seules les courbes similaires au signal mesuré sont retenues, réduisant alors l’ensemble des défauts possibles. En fonction de cette comparaison, le programme va sélectionner un nouveau test jusqu’à réduire l’ensemble des défauts possibles à un seul. Le composant à remplacer est alors localisé. Le garagiste bénéficie ainsi d’un procédé rapide et efficace pour repérer les composants défectueux. D’ailleurs, la société ACTIA propose déjà à ses clients d’intégrer ce nouveau procédé dans les outils d’aide au diagnostic qu’elle commercialise. Quelles sont les perspectives d’application de votre brevet, hors du domaine automobile ? Ce brevet a une portée très large puisqu’il peut trouver des applications dans tous les domaines qui utilisent des systèmes électroniques embarqués. On peut penser en premier lieu à l’aéronautique. ■ Propos recueillis par Nathalie Boudet u Contact [email protected] Pour en savoir a « Procédé de diagnostic d’un dysfonctionnement d’un système mécatronique », copropriété CNRSACTIA. Dépôt national n°09.59513. 23/12/2009. Publication en France 24/06/2011. La Recherche à l’UPS Le Potentiel de Recherche de l’Université Paul Sabatier se répartit sur 66 laboratoires, la plupart unités mixtes avec le CNRS, l’INSERM, l’IRD, l’INRA, le CNES… 1500 enseignants-chercheurs, 950 chercheurs, 1200 personnels techniques et administratifs travaillent dans ces laboratoires.. Les quatre grands pôles de recherche sont : > MST2I (Mathématiques et Sciences et Technologies de l’Information et de l’Ingénierie) : 5 laboratoires mixtes, 1 laboratoire CNRS, 3 EA, 5 fédérations > UPEE (Univers, Planète, Espace, Environnement) : 7 laboratoires mixtes, 1 Observatoire > SM (Sciences de la matière) : 9 laboratoires mixtes, 3 laboratoires CNRS, 2 Fédérations > SV (Sciences du vivant) : 21 laboratoires mixtes, 1 laboratoire INRA, 11 EA, 7 Fédérations À ces quatre pôles, il faut ajouter un axe : CIGEDIL (Communication, Information, Gestion et Didactique des Langues) : 1 EA, et 2 unités universitaires EA : équipe d’accueil © P. DUMAS © OMP 1700 doctorants sont inscrits à l’UPS, répartis dans 11 Écoles Doctorales, dont 6 pilotées par l’UPS. Infos en www.ups-tlse.fr rubrique “recherche” a La science en images 2012 : Année internationale de l’énergie durable Lampes à décharge basse pression. Une lampe à décharge basse pression est une lampe dans laquelle la lumière est produite par le passage d’une décharge électrique dans une ampoule ou un tube renfermant une vapeur métallique (mercure, sodium) ou un gaz. L’objectif est la fabrication de lampes à décharge basse pression sur mesure pour le diagnostic du plasma, ces travaux sont aussi appliqués à l’éclairage basse consommation. Laboratoire : Plasma et Conversion d’Energie (LAPLACE, unité mixte UPS/ CNRS, Toulouse). © Photothèque CNRS -VRIGNAUD François