Cela fait longtemps que j’avais envie de faire mon Alice, mais je
l’avais oubliée. Je pense que je n’étais pas sufsamment mature
pour éclairer une œuvre aussi importante de la littérature. Mais
dès mon retour d’Inde, le parallèle entre mon envie de parler du
monde, le pays des merveilles et cet univers oriental duquel je
revenais totalement étourdi, m’a semblé comme une évidence.
Car en effet, l’Inde est un pays merveilleux, parcouru de
somptueux paysages et riche d’un patrimoine sans pareil.
Quand on est en Inde, on a l’étrange sentiment d’être ailleurs.
Tout comme si cette immense île n’appartenait pas tout à fait
à ce qu’on connait du monde.
Et comme Alice, nous préjugeons trop facilement d’une
société qu’on n’est pas à même de comprendre, à laquelle
se rattache des idées simpliées, telles que l’inégalité des
hommes, l’acceptation de la misère, les guerres civiles entre les
communautés religieuses… le contraste sanglant de la culture
et des cultures. Alors qu’on nous parle aujourd’hui, en France,
d’identité nationale… Aussi Alice au pays des merveilles se fait
prétexte alors que l’Inde serait un outil à raconter le monde.
Il est par ailleurs de ces Reines Rouges qui décapitent leurs sujets
pour un oui, ou pour un non ! Et tout comme dans les aventures
d’Alice, le temps en Inde semble s’être suspendu ; il est toujours
l’heure du thé à présent. Les personnages, emprunts de folie
dont ils ont la pleine conscience, restent en attente d’un rien qui
ne viendra probablement jamais. Quant aux chenilles bleues,
elles se contentent de fumer leur narghilé aux portes d’un
jardin parsemé de jolies eurs qu’il faut couvrir du soleil…
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Note d’intention
Alice au pays des merveilles fait partie de l’imaginaire collectif et
nous nous sommes appropriés cette œuvre pour en faire un voyage
plus proche des difcultés de notre monde contemporain.
C’est sans doute l’histoire d’une « enfant », qui pour échapper aux
exigences d’une réalité trop autoritaire, aux codes sociaux, s’oublie
au cœur d’un monde rêvé. Merveilleux certes, mais angoissant…
C’est peut-être aussi un récit épique, parsemé de métaphores,
de poésie, d’invraisemblance ; une littérature enfantine pour
grandes personnes, où il y aurait « beaucoup d’images et de
conversations »… Alice est en vérité un voyage initiatique, qui
permet de découvrir le monde, et soi-même.
Et c’est dans le terrier du lapin blanc que commence notre
histoire, au fond du puits, dans les profondeurs du rêve. De
nombreux objets, meubles anciens, petits bouts de rien passent
dans ce long couloir. On croirait une pluie horizontale de
quelques trésors emportés par la presque-épave d’un paquebot
s’enfonçant dans les profondeurs de la mer. L’esquisse se
dessine dans la pénombre d’une musique d’ambiance ; encore
quelque atmosphère feutrée…
Bientôt les Occasionneurs en font un théâtre, un rêve, une
histoire. Celle d’Alice, bien connue, beaucoup racontée, mais
cette fois la touriste du pays des merveilles se retrouve en Inde;
une terre qui prépare sa révolution. Comment envisager ce
personnage confronté à une réalité contrastée entre le terrible
et l’extraordinaire ? L’inscrivant aux portes de l’âge adulte,
Alice projète, comme chacun, sa vision des choses de plus en
plus remise en question au travers de ces aventures.