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POLITIQUE CULTURELLE
La mairie de Marseille a pris l’initiative de consacrer
un espace à notre hymne national, la Marseillaise.
Rue Thubaneau, dans l’ancien jeu de paume, deux
salles ont été aménagées avec un effort de mise
en scène. La vidéo, largement mise à contribution,
tient le rôle principal, accompagnée de vitrines qui
proposent quelques documents sur la
période. Le parcours débute par la
période prérévolutionnaire avec ses
souffrances et ses injustices; une
France d’un vieux monde trop
inégalitaire pour faire long feu, trop
chiche en libertés pour durer. En
prolongeant ses pas, on se retrouve
au milieu des enthousiasmes révolu-
tionnaires et de son fameux chant.
La salle, pavée, sertie d’un grand mur
écran, d’une galerie en arcatures et
deux autres parois, fait reflet ou écho
à la scène principale. Le spectateur,
percuté par le son et l’image, assiste
au périple des Marseillais et à la
journée du 10 août, où ils contri-
buent à la mise à bas de la monarchie.
Visions singulières
On retire de cette scénographie spec-
taculaire l’impression d’une vision
provinciale de l’événement : 517 vo-
lontaires semblent avoir bousculé l’ordre établi et
sauvé la France d’un monarque qui la trahissait
pour l’étranger ! Strasbourg et Rouget de Lisle sont
bien présents, François Mireur vient bien chanter le
«nouveau tube» et en faire un succès national,
mais il difficile de ne pas avoir l’impression que
Marseille, au travers de ses fils, marquait l’histoire
de la France ! On a vite fait de comprendre que
cette construction est une interprétation singulière
des événements, destinée en particulier à soigner
auprès des touristes l’image de Marseille.
Les discours du Maire, Jean-Claude Gaudin, et du
ministre de l’Éducation, Luc Chatel, venus le 3
mars inaugurer l’édifice, ont achevé de dispenser
un certain trouble. Devant l’establishment éducatif
(Recteur, Inspecteur d’Académie...) ou administra-
tif (Préfet...), accompagné des élus, le Premier
Magistrat a parlé de rendre compte du réel, de la
vérité qui doit atteindre à l’objectivité, de symbole
pour le printemps des peuples, de rendez-vous avec
la mémoire, de voir les enfants apprendre l’histoire
de l’hymne national et celle du pays, de vision
républicaine de la citoyenneté. Intentions fort
louables ! Le ministre a poursuivi en parlant de
pacte républicain, de symbole de la démocratie
rassembleuse fondée sur le droit, du lien entre
République et citoyens et de la liberté des peuples
à disposer d’eux-mêmes. Il a ensuite sollicité le
Recteur pour que les élèves viennent ici en visite
et que l’école joue son rôle dans l’apprentissage de
l’histoire de la République Française.
Ainsi apprit-on que bientôt la Marseillaise serait
enseignée dans les salles de classe.
Conflits oubliés
Il est normal qu’un ministre donne ses directives et
impose ses idées. Mais, parlant de mémoire et
d’histoire, l’impulsion n’est pas neutre. À des titres
divers, ces deux discours affirment une idée précise
de la nation et de ses symboles. Comme le mémo-
rial, ils tentent de gommer une période complexe
et tumultueuse.
Peut-on aujourd’hui oublier que la Marseillaise ne
fut pas adoptée «naturellement» ? Qu’elle fut le
produit d’un milieu bourgeois patriote qui refusait
le cours pris par les événements à partir de 93 ?
Enjeu symbolique, le chant de l’armée du Rhin le
fut et l’est encore ! Les Thermidoriens, bourgeois
installés et bénéficiaires, en firent un hymne natio-
nal pour contrebalancer les espoirs révolutionnaires
bien plus présents dans La Carmagnole ou le Ça
Ira. Ils voulaient aussi empêcher les royalistes de
la Terreur Blanche d’imposer leur propre chant, Le
Réveil du peuple.
Et que dire des avatars postérieurs ? Bonaparte, em-
pereur, la mit au rencard comme son neveu d’ailleurs.
La Restauration la gomma quand Louis-Philippe la
toléra quelque peu. En fait, elle devint un symbole
de lutte pour les Républicains jusqu’au 14 février
1879 où elle acquit le titre définitif d’hymne
national. Mais les masses populaires,
échaudées par une République sans
sens social, s’en défièrent au point
de lui préférer l’Internationale.
Le choix d’une version simplificatrice
de l’histoire de notre hymne n’est
pas, paradoxalement, un bon signe
pour l’histoire. Le message ressemble
à une version nationaliste œcumé-
nique de la Marseillaise, un point de
vue édulcoré qui oublie la dimension
conflictuelle d’une société, à cette
vision qui fait de la Révolution un
passage sans rupture d’un monde
ancien à un monde nouveau, un
prolongement des valeurs tradition-
nelles de la France.
L’étroitesse de vues du mémorial
inquiète : pourquoi consacrer la moi-
tié des salles à un exposé général et
mièvre sur la Révolution et omettre
sa dimension internationale ou sub-
versive ? Air du temps, volonté
politique ? Il faudra compléter ce point de vue
univoque pour faire de ce mémorial un lieu vivant
pour la Marseillaise. En la rangeant au titre des
accessoires républicains, comme le drapeau auquel
elle est associée à l’entrée du bâtiment, on opte
pour une vision simplificatrice, alors que la diver-
sité de la France mérite plus de complexité.
RENÉ DIAZ
Le coût des travaux du Mémorial
de la Marseillaise s’est élevé à 4,5 M d’€,
investis entièrement par la Ville de Marseille
www.marseilleaccelere.fr
La gestion est assurée par une délégation
de Service Public, la société Vert Marine.
Ouverture du mardi au dimanche de 14h à 18h
jusqu’au 31 mars, puis de 10h à 12h et de 14h
à 18h Tarif 7 €
04 91 91 91 97
www.vert-marine.com/memorial-marseillaise-
marseille-13
Mémorial :
la Marseillaise,
un chant révolutionnaire ?
MÉMORIAL DE LA MARSEILLAISE
© X-D.R