La théorie des modèles et l`architecture des mathématiques

LA THEORIE DES MODELES ET L’ARCHITECTURE DES
MATHEMATIQUES
par Philippe de Rouilhan
(Version n°3, 25 mars 2006)
Avertissement pour cette version. - Ceci n’est qu’un document de travail. D’une part la
version définitive ne sera mise au point qu’après le 1er avril, en tenant compte des remarques
qui m’auront été faites ; d’autre part, une grande partie (formelle) de ce qui est écrit ne sera
pas reprise à l’oral, et, inversement, une partie (dialectique) de ce qui sera dit le 1er avril
n’est sans doute pas écrite. L’idée de départ était de déterminer la place qui revient de jure,
sinon de facto, à la « théorie des modèles » (ainsi nommée par les logiciens depuis les
années 50 du siècle dernier) dans l’architecture des mathématiques, et, corollairement, de
réfuter nombre d’idées reçues à son sujet. La principale différence entre cette version et la
précédente est dans le paragraphe 5, consacré à cette réfutation, rédigé ici pour la première
fois.
Table des matières
I. Une théorie des modèles d’avant la « théorie des modèles »
II. Structures
II.1. Echelles d’ensembles
II.2. Structures
II.2.1. Structures au sens restreint
II.2.2. Structures au sens général
II.2.3. Remarque
II.3. Extensions canoniques d’applications
II.4. Isomorphismes
II.4.1. Isomorphismes de structures au sens restreint
II.4.2. Isomorphismes de structures au sens général
II.4.3. Sur d’autres usages possibles du mot « structure »
III. Genres et espèces de structure dans les termes de l’ancienne théorie des modèles
III.1. Genres de structure
III.1.1. Construction d’une théorie de genre de structure, première étape : théorie
d’arrière-plan et termes de base auxiliaires
III.1.2. Construction d’une théorie de genre de structure, deuxième étape : constantes
de base principales et axiomes de position
III.1.3. Complément sur les échelles d’ensembles
III.1.4. Construction d’une théorie de genre de structure, troisième étape: constantes
structurales et axiomes de typification
III.1.5. Structures de genre donné ; genres de structure
III.2. Espèces de structure
III.2.1. Transportabilité
III.2.2. Quatrième étape pour la construction d’une théorie d’espèce de structure à
partir d’une théorie de genre de structure : axiomes de spécification ; structures
d’espèce donnée ; espèces de structure
III.2.3. Exemples de théories d’espèce de structure
III.3. La reconstruction des mathématiques traditionnelles
III.3.1. La reconstruction axiomatique moderne des théories mathématiques
traditionnelles comme théories d’espèce de structure catégorique
III.3.2. Sur la méthode usuelle de développement non axiomatique de ces théories ; un
(premier) théorème de coopération
III.3.3. Excursus. Une autre morale pour la fable d’Ernie et de Johnny
IV. Genres et espèces de structure dans les termes de la nouvelle théorie des modèles
IV.1. Un nouveau langage pour les axiomes de spécification
IV.1.1. Que les axiomes de spécification peuvent en général s’exprimer plus
simplement dans un certain autre langage que celui d’une extension de la théorie des
ensembles
IV.1.2. Exemples
IV.2. La nouvelle théorie des modèles
IV.2.1. Structures d’interprétations et univers du discours
IV.2.2. Modèle
IV.2.3. Conséquence
IV.2.4. Un (second) théorème de coopération
IV.2.5. Théories d’espèce de structure nouvelle version
IV.3. La nouvelle architecture des mathématiques modernes
IV.3.1. Esquisse de la nouvelle architecture
IV.3.2. Deux exemples de nouvelle théorie
V. Réfutation de quelques idées reçues concernant la nouvelle théorie des modèles
V.I. Les deux théories des modèles existent-elles ?
V.2. En quoi consiste la différence des deux théories ?
V.3. La nouvelle théorie des modèles est-elle applicable à la théorie des ensembles et à
toutes ses extensions de même ordre?
V.3.1. Une idée reçue, un diagnostic
V.3.2. Le test de Kreisel et son résultat
V.3.3. Un faux théorème de coopération et sa réfutation
2
I. Une théorie des modèles d’avant la « théorie des modèles »
I.1.
Il y a au moins deux théories des modèles dignes de ce nom.
La première, trop peu connue des logiciens, a été esquissée par Tarski dans
son article classique de 1936 sur le concept de conséquence logique ; on y
retrouve, mutatis mutandis, des idées avancées par Bolzano en 1837 dans sa
Wissenschaftslehre (que Tarski ne connaissait pas). Elle est simple et naturelle,
et ses concepts fondamentaux sont d’excellentes explications des notions
informelles correspondantes. Je lui ai donné par ailleurs le nom de théorie des
modèles BT ; mais, en fait, c’est une variante de cette théorie que vise, dans le
titre de ce paragraphe I, l’expression « théorie des modèles » (sans
guillemets). J’appellerai cette variante MT1.
La seconde, trop peu connue des mathématiciens, a fait florès dans les
années 50 du siècle dernier, sous l’impulsion notamment de Tarski (encore
lui !). Elle explique excellemment nombre de notions à l’œuvre dans la
tradition de l’algèbre de la logique. Ses premiers grands théorèmes remontent
aux années 10 et 20. Je l’ai souvent notée par ailleurs MT, mais, en fait, c’est
une variante, dite inclusive, de cette théorie que je vise, dans le titre de ce
paragraphe, avec l’expression « « théorie des modèles » » (avec guillements).
La seule différence entre la « théorie des modèles » et sa variante inclusive est
que, dans cette dernière, on n’exclut pas les structures d’interprétation dont
l’univers (ou domaine, ou ensemble) de base est vide. Pour être tout à fait
général, je devrais plutôt parler de multi-univers (ou multidomaine, etc.) de
base, pour prendre en compte le cas où plusieurs sortes d’« individus »1 sont en
jeu. Il m’est arrivé par ailleurs de noter MTi la variante inclusive de la « théorie
des modèles », mais, dans cet article, je la noterai MT2.
Je suppose MT2 connue et je présente rapidement MT1.
I.2.
D’abord BT. La référence fondamentale est l’article de Tarski de 1936,
mais, comme il ne s’agit pas pour moi d’histoire et d’exégèse, je reprendrai ici
les idées de Tarski dans un autre cadre que le sien. Le rôle qu’il confiait à la
théorie des types simple, je le ferai jouer à la théorie élémentaire des
1 La réserve des guillemets ici pour rappeler que c’est en un sens relatif qu’il faut entendre
ce terme, d’usage courant en MT et dans toutes ses variantes.
3
ensembles, disons, pour fixer les idées, à ZF (sans exclure les individus2). En
particulier je considèrerai cette théorie des ensembles comme une théorie
purement logique.
Soit M un langage obtenu à partir du langage de la théorie des ensembles par
adjonction d’un nombre fini de constantes d’objet, a1, ..., an, données dans cet
ordre, tenues pour des signes extra-logiques, et, dont la référence est, comme
on disait autrefois des paramètres en mathématiques élémentaires,
« indéterminée [pour nous], mais fixée [en elle-même] ». M est donc un langage
non-interprété. Voici, exposés librement et de façon informelle, les concepts
fondamentaux de BT appliqués à M. Qu’il soit dit une fois pour toutes que je ne
me laisserai pas arrêter par les paradoxes sémantiques qui rendent la
formulation de certaines définitions explicites impossible dans le cadre choisi.
Pour résoudre cette difficulté, il faut, soit élargir le cadre de départ, en le
remplaçant, par exemple, par celui de la théorie des ensembles du second
ordre, ZF2, soit, si l’on tient à rester dans le cadre de départ, se contenter de
définitions schématiques.
Une interprétation pour M est un n-uplet d’objets, x1, ..., xn. Un énoncé A
de M est vrai dans l’interprétation x1, ..., xn, si, et seulement si, il devient vrai
lorsque a1, ..., an prennent respectivement les valeurs x1, ..., xn.3 Un modèle
d’un ensemble (fini ou infini) E d’énoncés est une interprétation dans laquelle
les énoncés de E sont vrais. Un énoncé A est conséquence logique d’un
ensemble E d’énoncés si, et seulement si, tout modèle E est un modèle de A. A
partir de là, on peut naturellement définir les notions d’analyticité logique (ou
caractère tautologique), de consistance (ou cohérence), d’inconsistance (ou
incohérence, ou caractère contradictoire), d’un ensemble E d’énoncés ; ou les
2 Pas de guillemets, ici, le terme étant à prendre au sens absolu. On parle souvent, dans le
même sens, d’Urelemente. Les objets de la théorie élémentaire des ensembles sont les
ensembles et, s’il y en a, les individus en ce sens. Les termes primitifs proprement
ensemblistes (set-theoretical) sont le prédicat unaire « ens » (vrai des ensembles et d’eux
seulement)) et le prédicat binaire « » ; les axiomes proprement ensemblistes sont les
axiomes habituels de ZF revus et corrigés pour tenir compte de la présence éventuelle
d’individus, à savoir les axiomes (Ind), (Ext), (Union), (Power), (Inf), et les clôtures
universelles des formules de la forme (Repl), où « !t» est le quantificateur d’unicité (« il
existe au plus un ») et A[z, t] une formule du langage de la théorie où ne figurent ni « x » ni
« y » :
(Ind) xy(x y ens y),
(Ext) xy{(ens x & ens y) [z(z x z y) x = y]},
(Repl) x{(ens x & z!tA[z, t]) y[ens y & t(t y z(z x & A[z, t]))]},
(Union) x{[ens x & y(y x ens y)] z[ens z & t(t z u(t u x))]},
(Power) x{ens x y[ens y & z(z y z x)],
(Inf) x[ens x & x & y(y x {y} x)].
3 Je passe ici sur la définition de la vérité, la référence obligée étant évidemment le fameux
mémoire de Tarski sur le sujet (1933, en polonais ; 2e éd. 1936, en allemand).
4
notions de dépendance et d’indépendance d’un énoncé A par rapport à E ; et
l’on peut facilement établir quelques petits résultats4 reliant les diverses
notions définies jusque-là.
Vers la fin de son article de 1936 de Tarski note que la distinction entre les
signes logiques et signes extra-logiques semble dénuée de fondement objectif,
conventionnelle. D’où l’idée de relativiser les notions définies jusque-là à telle
ou telle distinction entre signes logiques et les signes extra-logiques. Dans la
suite de cet article, j’accepterai cette relativisation dans la mesure limitée où
j’envisagerai que certaines des constantes a1, ..., an de M puissent être
considérées, traitées, comme des signes logiques. Dans ce cas, notant ai1, ...,
aim (avec m < n) les constantes extra-logiques restantes, données dans cet
ordre, les définitions données ci-dessus doivent être revues et corrigées : une
interprétation pour M est un m-uplet d’objets, x1, ..., xm ; un énoncé A de M
est vrai dans l’interprétation x1, ..., xm, si, et seulement si, il devient vrai
lorsque ai1, ..., aim prennent respectivement les valeurs x1, ..., xm ; etc.
La théorie des modèles que j’envisage ainsi, c’est la théorie des modèles BT
à deux modifications près : d’une part, le cadre n’est plus celui de la théorie des
types simple, c’est celui de la théorie élémentaire des ensembles ZF ; d’autre
part, la liberté de choix de la distinction entre signes logiques et signes extra-
logiques est limitée à la possibilité de traiter comme des signes logiques telles
ou telles constantes d’objet habituellement réputées extra-logiques. J’apporterai
encore une troisième modification, qui me sera très utile pour la suite:
j’admettrai que les constantes extra-logiques de M puissent être données, non
pas sous la forme d’une simple séquence, comme ci-dessus, mais comme un
couple de séquences de la forme 〈〈a1, ..., an, b1, ..., bp〉〉, que je noterai a1,
..., an ; b1, ..., bp. Dans ce cas, les définitions données ci-dessus doivent être à
nouveau revues et corrigées : une interprétation pour M est un couple de
séquences de la forme 〈〈x1, ..., xn, y1, ..., yp〉〉, noté x1, ..., xn ; y1, ..., yp ; un
énoncé A de M est vrai dans l’interprétation x1, ..., xp ; y1, ..., yp, si, et
seulement si, il devient vrai lorsque a1, ..., an, b1, ..., bp prennent
respectivement les valeurs x1, ..., xn, y1, ..., yp ; etc. C’est la théorie des
modèles ainsi obtenue que j’appelle MT1.
C’est la version MT1 de la théorie des modèles BT, et non la version MT2
de la théorie des modèles MT chère aux logiciens, qui est à l’œuvre, en fait,
dans les mathématiques modernes. Les paragraphes II et III fourniront la
4 Du genre de ceux dont Carnap faisait ses délices dans la Syntaxe.
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