L’Europe est encore pauvre et fortement peuplée (25% de la population mondiale en
1900, contre 7% aujourd’hui) : pour des millions d’Européens souvent issus des régions
rurales l’Amérique ou les autres pays neufs représentent des « terres d’espérance », comme
l’Europe d’aujourd’hui pour les populations d’Afrique ou du Moyen Orient. 60 millions
d’Européens s’installent dans les pays neufs, les deux tiers en Amérique du Nord, les autres
en Amérique latine (Argentine, Brésil, Uruguay, Chili), en Australie, Nouvelle Zélande,
Afrique du Sud. Les Etats-Unis à eux seuls ont accueilli 4 millions d’Italiens, 2 millions de
Juifs ashkénazes fuyant les pogroms dans l’empire russe, plus d’un millions d’Irlandais, des
millions de Slaves : l’Amérique d’aujourd’hui est largement un produit de cette seconde
mondialisation, célébrée par l’écrivain Israël Zangwill dans sa pièce The Melting Pot jouée à
Washington en 1907.
Enfin il faut aussi prendre en compte la dimension culturelle de cette seconde
mondialisation : les capitales des pays émergents imitent l’urbanisme haussmannien de Paris :
c’est le cas de Buenos Aires, de Mexico, du Caire. Les missionnaires et les fonctionnaires
coloniaux répandent l’usage de l’anglais et du français dans les colonies, notamment en
Afrique et en Asie du Sud. Les vieux empires asiatiques se modernisent, à l’image de
l’Europe, tel le Japon de l’ère Meiji, la Chine, l’Egypte des khédives, ou l’Empire ottoman :
les élites y adoptent le costume occidental, les normes administratives ou techniques, les
institutions. Cette seconde mondialisation correspond à une période de forte croissance
économique marquée par deux phases A du cycle de Kondratiev, le « boom victorien » de
1850 au début des années 1870 d’une part, la Belle Epoque de 1896 à 1914 en Europe et
l’extraordinaire croissance de l’économie américaine qui dure jusqu’en 1929.
B) Le grand repli de l’entre-deux-guerres : absence de puissance
régulatrice, crises économiques, protectionnisme et totalitarismes.
La Grande guerre ouvre une période de repli de la mondialisation qui dure jusqu’en 1945 :
d’abord parce qu’elle déséquilibre durablement le système monétaire international, en raison
de la mise en place du contrôle des changes durant la guerre, et de ses conséquences
l’inflation et son corollaire, les dévaluations des monnaies (le F de 4 sous en 1926 ) ; ensuite
parce que l’Europe, appauvrie par la guerre, investit moins dans le reste du monde. Le repli
est aussi dû à des causes politiques : la guerre a provoqué l’arrivée au pouvoir de régimes
totalitaires qui adoptent des politiques autarciques : la Russie communiste en 1917 annule sa
dette extérieure, les fameux emprunts russes, l’Italie fasciste se ferme des la fin des années
1920, l’Allemagne nazie adopte une politique autarcique dans le cadre de la préparation d’une
économie de guerre. Enfin la crise des années trente relance la tentation protectionniste y
compris dans les démocraties capitalistes d’Europe de l’ouest : accord d’Ottawa en 1932 sur
la préférence impériale au sein du Commonwealth. Bref, face aux difficultés économiques, la
tentation du chaque pour soi, du repli sur le marché intérieur (Etats-Unis) ou sur les empires
coloniaux (France et Royaume-ni) s’est avérée suicidaire : elle a aggravé la crise de 1929 en
accentuant spectaculairement la contraction du commerce international qui est divisé par trois
en valeur durant les années trente. Par ailleurs, le fractionnement du monde, dans l’entre-
deux-guerres n’est pas seulement économique : les frontières se ferment ; au libéralisme de la
Belle Epoque, du « monde d’hier » pour reprendre le titre de l’autobiographie de Stefan
Zweig (Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen, 1942), se substituent dans la majorité des
pays d’Europe des dictatures ou des Etats totalitaires : le libéralisme était sans doute injuste
socialement mais il était politiquement et culturellement permissif et il apportait aussi la
croissance. Lénine, Mussolini, Staline ou Hitler ont apporté crimes de masse, régression
culturelle, stagnation économique et au final une nouvelle guerre mondiale.