La Nature
8
est fait ou provient quelque objet artificiel
1
» : la force, l'origine,
le fondement et l'essence sont les quatre notions qui dessinent
la constellation aristotélicienne de la phusis. Autrement dit,
chez Aristote, nature signifie l'unité de la forme et de la matière,
matière et forme, séparément, pouvant être appelées également
« nature ». Or la forme induit la finalité parce qu'elle est, selon
Aristote, la « fin du devenir
2
» : par rapport à la matière pre-
mière, la forme, en effet, n'apparaît qu'à la fin. Synthéti-
quement, la nature sera définie comme « la substance des êtres
qui ont, en eux-mêmes et en tant que tels, le principe de leur
mouvement
3
». La définition du début du livre II de la Physique
(le second grand texte aristotélicien concernant la nature) est
analogue : « la nature est un principe et une cause de mouve-
ment et de repos pour la chose en laquelle elle réside immédia-
tement, par essence et non par accident
4
». La nature est donc à
la fois le premier et l'ultime, l'origine et la fin, le fondement et le
résultat.
Il est remarquable qu'aucune des acceptions mentionnées
par Aristote ne correspond à notre usage prioritairement exten-
sif du mot (l'ensemble des êtres et phénomènes, hors travail
humain, déployés devant nous) : les deux premières (la force et
l'origine) sont, si l'on peut dire, « biologiques », les deux der-
nières (le fondement et l'essence), « physiques ». Mais il est pos-
sible de reconnaître dans cette dualité le sens de la distinction
que les scolastiques
5
établiront plus tard entre la nature natu-
rante et la nature naturée. Cette dualité est nécessaire dès lors
que ne sont plus confondus le principe et les réalités auxquelles
il s'applique. C'est par cette dualité de sens – le formel et le ma-
tériel – que Kant commence son texte intitulé Premiers
principes métaphysiques de la science de nature : au sens formel,
nature « désigne le principe premier et intérieur de tout ce qui
1. Ibid., 1014b 27-28, p. 255.
2. Ibid., 1015a 11, p. 257.
3. Ibid., 1015a 14-15, p. 257.
4. Aristote, Physique, tome I, livre II, 192b, trad. H. Carteron, Les Belles Lettres,
1966, p. 59.
5. A partir d'une traduction latine d'Averroès, lui-même commentateur d'Aristote
(la distinction se trouve dans Physique II).