Aussi indiscutable soit la nécessité de nouvelles réformes
des pensions, aussi surprenante est la focalisation sur le
seul paramètre de la fixation de l’âge légal ouvrant des
droits à la retraite.
Les tendances lourdes qui imposent de nouvelles règles
tiennent de deux ressorts. Le premier, le plus «structurel»
est l’allongement de l’espérance de vie constaté dans la qua-
si-totalité des Etats membres de l’UE (un an tous les dix ans).
Le second, conjoncturel, est le résultat du «papy boom»
avec l’arrivée massive des conscrits des classes 1945 à 1973.
Une troisième tendance, des plus préoccupantes, résulte
des conséquences, encore bien mal maîtrisées, des crises fi -
nancière, économique et sociale qu’il n’apparaît pas sérieux
de considérer comme conjoncturelles. Il n’est pas plus per-
tinent d’en mesurer des eff ets structurels d’ici le milieu du
présent siècle. Les prévisions économiques à l’horizon 2050
sont certes établies par des « professionnels de la profes-
sion » sur des fondements solides, sauf que les modèles à la
base des prédictions sont ceux d’aujourd’hui. Dans quarante
ans, l’économie ne sera plus la même, a fortiori si l’on tient
compte des défi s environnementaux.
Or, la retraite est fondée sur la solidarité intergénération-
nelle. La technique de répartition fait foi de cette protection
sociale solidaire. Celle de la capitalisation ne peut faire fi du
renouvellement des générations, des capacités contributi-
ves, donc du futur de l’emploi, qui est la condition sine qua
non de la durabilité des systèmes de retraite.
Tenir compte des défi cits d’aujourd’hui impose des répon-
ses immédiates. Ceci ne suffi t pas à une politique à très long
terme comme l’exige la retraite et ne répond ni au choix
collectif du modèle social : solidarité ou fi n de la cohésion
sociale, ni à celui de l’individu quant à l’équilibre entre sa vie
professionnelle et personnelle.
Le paramètre le plus conséquent reste la durée de cotisation
conditionnée par la sécurisation des parcours profession-
nels. Le seul critère de l’âge tient de l’aveuglement idéologi-
que, qu’il soit au nom du maintien des avantages acquis ou à
l’inverse du reniement des progrès sociaux.
Oui, repousser de 63 à 67 ans en Espagne aujourd’hui, de 57
à 65 ans en Italie hier, permet quelques économies. Encore
faut-il que les plus de 50 ans soient employés. En Belgique,
seul 1 sur 3 l’est. Des experts britanniques ne veulent pas
se contenter des mesures permettant le départ à 70 ans,
ces gentlemen se voulant inspirés suggèrent 80 ans. Ré-
cemment vient d’être découvert en Indonésie un «jeune»
cœlacanthe, un poisson dont les origines remontent à 360
millions d’années. A quand sa retraite ?
Folio 53 - mars 2010 / 3
Édito Folio 53
The Cœlacanth’s
Retirement
La retraite du
cœlacanthe
As indisputable as the need for pension reform may be,
it is nothing short of astonishing to focus on a single
parameter concerning the legal age for entitlement to
retirement benefi ts.
Several burdensome trends are forcing us to impose new
rules. These stem from two causes. The fi rst, a more «struc-
tural» factor is the increasing life expectancy observed in
nearly every European Union member state (a year-increase
every ten years). The second, an economic concern, results
from the massive infl ux of baby boomers, those born from
1945 to 1973, who are now reaching retirement age. A third,
and more worrisome, trend comes from the still poorly
understood eff ects of the fi nancial, economic and social
crises. We cannot seriously dismiss them as merely a tem-
porary result of socio-enonomic circumstances. It doesn’t
help to measure structural eff ects from now until the mid-
dle of the century. Economic forecasts through 2050 have
certainly¬¬ been made on solid grounds by «professionals
in the fi eld.» The only problem is that their predictions are
based on today’s models. In forty years, the economy will
certainly have changed, especially considering current en-
vironmental challenges.
Retirement is built upon intergenerational solidarity. Our
re-distribution technique is proof of this solidarity. Funded
pension plans cannot obviate the question of the renewal
of generations and their ability to contribute--the future of
employment—which is the sine qua non for the sustainabi-
lity of retirement systems.
Considering today’s defi cits, immediate responses are re-
quired. They do not suffi ce for policies to be carried out
over the long run, such as those for retirement, and corres-
pond neither to the collective choice of the social model:
solidarity or the end of social cohesion, nor to individuals’
needs with regards to a work-life balance.
The most consequential parameter remains the steady, las-
ting fl ow of contributions which depends on the security of
career paths Relying solely on age amounts to ideological
blindness, whether in the name of maintaining acquired ad-
vantages or conversely, in denying social progress.
Yes, pushing the age back from 63 to 67 in Spain today
and from 57 to 65 In Italy yesterday is saving some money.
However, this would assume that individuals over 50 be
employed. In Belgium, only one out of every three is.
British experts aren’t satisfi ed with measures permitting
retirement at 70. No, these self-avowed inspired gentle-
men are suggesting 80. Recently in Indonesia, scientists
discovered a rather «young» coelacanth, a fi sh whose ori-
gins go back some 360 million years. When does he get to
retire?
Dominique Boucher, délégué général de l’Ipse