philosophiques et la finesse de son écriture. Ces jugements
ambivalents s’expliquent toutefois par le rôle différent que
chacun d’eux attribuait à la science et à la poésie.
Aux yeux de Taine, science et art appartiennent en effet à
deux domaines distincts, dont les finalités diffèrent : « l’artiste
n’a pour but que de produire le beau, le savant n’a pour but que
de trouver le vrai »
5
. Vouée à ne rechercher que la vérité, la
science ne peut se plier à des goûts personnels : « Elle est
maîtresse et non servante, et si elle n’est pas maîtresse, elle est
la plus vile des servantes, parce qu’elle dément sa nature et
dégrade sa dignité. »
6
La science, au cœur de sa pensée, n’est
pas seulement un instrument d’évaluation méthodologique, le
prélude à une théorie des sciences humaines ou la dimension la
plus élevée et développée du savoir ; elle acquiert dans son
système philosophique une ampleur métaphysique telle qu’elle
lui garantit ce savoir exhaustif qui avait fait reculer les
positivistes eux-mêmes : « La science – soutient-il dans sa
Préface à la deuxième édition des Philosophes français du
XIX
e
siècle – a pour but de trouver la cause de chaque objet et la
cause des causes qui est celle de l’univers »
7
.
Flaubert entretient par contre avec la science un rapport plus
problématique, comme l’a largement démontré Sartre dans
L’Idiot de la famille
8
. Si d’une part, il en vante la précision et
l’impartialité, des caractéristiques qui lui sont inhérentes et sur
lesquelles il a basé son écriture
9
, d’autre part, il la rejette parce
qu’« il est entré en littérature contre la science »
10
, pour
conquérir ce domaine (l’art) qui, par principe, échappe aux
analyses scientifiques et pour y triompher « en […] appliquant,
–––––
5. H. Taine. Sa vie et sa correspondance. Le critique et le philosophe (1853-1870),
ouvr. cité., p. 122.
6. Hippolyte Taine, Voyage en Italie, Hachette, 1866, t. I, p. 40.
7. Hippolyte Taine, Philosophes français du XIXe siècle, Hachette, 1860, p. IV.
Affirmation qui ne correspond pas tout à fait aux conclusions De l’Intelligence
(1870), où Taine s’interroge sur les possibilités de prouver l’existence sans recourir à
l’expérience. Le contenu de son discours philosophique ne sera toutefois pas remis en
question, parce qu’une science non inductive mais totalement réalisée, qui
correspondrait au savoir divin, lui paraissait irréalisable à ce moment-là mais pas
impossible pour l’espèce humaine.
8. Voir Jean-Paul Sartre, L’Idiot de la famille, Gallimard, 1972, t. III. Claude Digeon
n’est pas du même avis et réfute en partie l’interprétation sartrienne dans son étude
« Flaubert et le scientisme d’après Sartre » dans Antoine Thivel (éd.), Hommage à
Claude Faisant, Les Belles Lettres, 1991, p. 203-221.
9. Dans sa Correspondance, Flaubert souligne à plusieurs reprises cette analogie entre
art et science, surtout dans les lettres des années 1850, décisives pour sa nouvelle
conception artistique. Dans son échange épistolaire avec Louise Colet, on trouvera
fréquemment des affirmations portant sur cette nouvelle vision : « la littérature
prendra de plus en plus les allures de la science ; elle sera surtout exposante, ce qui ne
veut pas dire didactique ». Gustave Flaubert, Correspondance, établie, présentée et
annotée par. Jean Bruneau, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1973-1998,
t. II, p. 298.
10. Jean-Paul Sartre, ouvr. cité, p. 596.