Aen croire ces critiques, la mondiali-
sation serait responsable de la plu-
part de nos maux et conduirait à un
recul sans prédent de l’humanité1. Elle
soumettrait les populations du monde
entier aux pressions du capital transna-
tional et au pouvoir sans partage des
entreprises multinationales. Elle canton-
nerait les pays en développement dans
la production de biens et services sans
avenir, tandis qu’elle détruirait les
emplois, notamment peu qualifiés, dans
les pays velops. Elle projetterait des
populations de plus en plus nombreuses
dans l’univers sans protection de l’immi-
gration. Les contraintes de la compé -
titivi réduiraient à la pauvreté un nom-
bre croissant de personnes, parmi les
plus fragiles dans le monde, notamment
les femmes, les handicapés, etc. La loi du
marché forcerait les populations locales à
des adaptations cteuses, incertaines et
inégalement réparties. Ce faisant,
elle accroîtrait les inégalités et minerait le
consensus social fragile sur lequel repose
l’autori des Etats démocratiques.
Dans ce monde régi par la seule
concurrence, l’environnement et les
géné rations futures seraient sacrifiées
à la recherche d’un profit de court
terme. Les forts deviendraient de plus
en plus forts et les faibles de plus en
plus faibles. Inégalités sociales crois -
santes, domi nation de la superpuissance
capitaliste américaine, mon tée des
mafias politico- économiques et du crime
organisé, écla tement des nations faibles
victimes de la guerre civile et du terro-
risme ne seraient que les conséquences
de la mainmise du capital inter national
sur l’ensemble des rouages de la société.
Il est difficile de pondre à toutes ces
critiques, tout simplement parce que la
plupart d’entre elles ne sont pas
! ,.-$)!+)2!3).- %23%++% 1%2/.-2!"+% $E4-%
!''1!5!3).-$%+!/!451%3;241+!/+!-<3%#.,,%
+%2.43)%--%-3+%2!-3)%3!+3%1,.-$)!+)23%2.-
+!/!451%3;%3+%2)-;'!+)3;2.-31%#4+;!4#.412
$%2$%46$%1-)<1%2$;#%--)%2D #%++%2.?+!,.-
$)!+)2!3).-2E%23!##;+;1;%$%&!:.-2/%#3!#4+!)1%
%2/!72%-$;5%+.//%,%-3-%2E731.,/%-3/!2
)+22.-3$!-2+E%-2%,"+%$%,!-$%412$E4-%)-3;
'1!3).-/+42/.422;%$!-2+E;#.-.,)%'+."!+%%2
1%2/.-2!")+)3;2$%2;#(%#2%-,!3)<1%$%$;5%+./
/%,%-3 2.-3 8 #(%1#(%1 !)++%412 %3 2.-3 /!13!
';%2 %-31% +% A 4$ B %3 +% A .1$ B  $E4- #>3;
4-% !"2%-#% $% '.45%1-!-#% /.+)3)04% .4 $%2
%11%412$%231!3;')%;#.-.,)04%$%+E!431%4-%
)-23!")+)3;&)-!-#)<1%#(1.-)04%%34-,!-04%$%
#+!)15.7!-#% $!-2 +! $)231)"43).- $% +E!)$% !46
Sociétal N° 43 g1er trimestre 2004
La mondialisation fait
reculer la pauvreté !
### '%!%
* Directeur des Affaires économiques, financières et internationales à la Fédération française des
sociétés d’assurance.
4LIVRES ET IDÉES
4CONJONCTURES
6RERES ET TENDANCES 4DOSSIER
CONTROVERSE
1Cf. J.H. Mittelman (2000), The Globalization
Syndrome : Transformation and Resistance,
Princeton University Press.
« contestables », étant fondées sur des
modèles d’interprétation a priori qui ne
sont susceptibles d’aucune vérification
empirique. L’appropriation médiatique
de la défense des pauvres « contre le
capital apatride » semble constituer une
légitimation suffisante pour ces « pieux »
mensonges. Nombre d’intellectuels,
d’élus, de syndicalistes et de journalistes
notamment français se retrouvent
dans ce discours.
Les données empiriques acquises
récemment sur les inégalités et la pau -
vreté mondiales nous montrent que ce
sont les pauvres qui subissent le plus le
préjudice de considérations erronées
car, pour eux, la phase de mondialisation
a été liée à une amélioration concrète
de leur niveau de vie et à une réduction
des inégalités dans le monde. Les pau -
vres n’ont donc a priori aucun intérêt
à relayer le discours et les actions des
alter et anti-mondialistes. N’est-ce pas
ce que le nouveau président brésilien,
Lula, a bien compris dès son arrivée au
pouvoir ?
&)D%'D&&I
% ''%
Les inégalités et la pauvre auraient
donc explosé du fait du processus de
mondialisation observé au cours des
vingt dernières années. En mai 1998,
Ignacio Ramonet écrit : « La progression
dramatique de la mondialisation et du
néo-libéralisme (…) s’est accompagnée
d’une explosion des inégalités et d’un
retour de la pauvreté de masse » (Le
Monde Diplomatique). Le Rapport sur le
veloppement humain du Programme des
Nations Unies pour le Dévelop pement
(PNUD) conclut de la même façon en
1999 : « La pauvreté est partout (…). Les
écarts entre les plus pau vres et les plus
riches, au niveau tant des personnes que
des nations, ont contin à se creuser. »
Et ATTAC de renchérir en vrier 2003 :
« La mondialisation néo-libérale déve-
loppe et renforce les inégalités (…) entre
pauvres et riches, entre ceux qui n’ont
pas et ceux qui ont. » Curieu sement, ces
affirmations ne sont jamais étayées par
des données cohérentes, sans d’ailleurs
que les lecteurs ou les militants s’en
offusquent, bien au contraire.
Seuls, les propos du PNUD ont susci
de vives réactions, qui ont conduit à dili-
genter une enquête statistique dont les
conclusions ont été sévères. La tonalité
des rapports du PNUD a nettement
changé depuis lors. Dans le rapport
2003, il n’est ainsi plus question de stig-
matiser la montée des inégalités et de la
pauvreté dans le monde, mais de se
demander objectivement si leur baisse
est suffisante par rapport aux objectifs
de la communauté internationale ! En
revanche, du côté du Monde diplomatique
ou d’ATTAC, aucune actualisation du
message ne semble à l’ordre du jour.
Et pourtant, le jour où le politique
s’arroge le droit d’imposer sa propre
version des faits, « la vérité est morte »,
selon le titre de la célèbre pièce de théâ-
tre d’Emmanuel Roblès.
Les données de base pour apprécier les
inégalités et la pauvreté dans le monde
sont fournies par les enquêtes nationales
sur la consommation et le revenu des
ménages. Malheureusement, ces enquê-
tes ne sont que partiellement harmo -
nisées par la Banque mondiale. En outre,
elles ne couvrent pas tous les pays (les
pays de l’Est sont notoirement mal cou-
verts). Il en sulte une conséquence
majeure : l’appréciation des inégalités et
de la pauvreté dans le monde, ne pou-
vant être tirée de la lecture directe des
chiffres disponibles, résulte d’estima-
tions, elles-mêmes nécessairement fon-
dées sur des jeux d’hypothèses par
définition contestables. Trois études
récentes2ont fait un bilan statistique
exhaustif du sujet. Elles utilisent les
mêmes sources, mais se différencient par
les hypothèses qu’elles retiennent pour
le traitement des trois points suivants :
l’écart croissant entre les revenus tirés
des comptes nationaux et ceux tirés des
enquêtes auprès des ménages. Lorsqu’on
se fie aux seules enquêtes, on sous-
estime systématiquement les revenus, et
on surestime, de ce fait, la pauvreté dans
le monde ;
la sous-déclaration des hauts revenus. Elle
explique en partie l’écart entre les enquê-
tes et la comptabilité nationale. Lorsqu’on
glige ce phénomène, on sous-estime les
inégalités et, dans l’hypothèse où les don-
nées d’enquête sont corrigées par les
données de la comptabilinationale, on
sous-estime aussi la pauvreté ;
la conversion des revenus nationaux en
monnaie commune. Cette conversion est
nécessaire pour rendre comparables les
données nationales. Les taux de change
courants ne sont pas pertinents en rai-
son de leurs fortes fluctuations conjonc-
turelles, et les experts retiennent donc
des taux de change recalculés de façon à
assurer la parité des pouvoirs d’achat de
la consommation ou du PIB.
#()%'D'
&!D'D&%(!'
#(&)!'!&
Les sultats des trois études citées
ci-dessus, qui font autorité en la
matière, reflètent assez bien le jeu des
hypothèses qu’elles retiennent sur ces
trois points :
L’étude de la Banque mondiale (Chen
et Ravaillon) se fonde exclusivement sur
les données des enquêtes auprès des
ménages, ne tient pas compte de la sous-
déclaration des hauts revenus, et conver-
tit les revenus nationaux en monnaie
commune sur la base des parités de
pouvoir d’achat de la consommation.
Elle estime le nombre de pauvres vivant
avec moins de 1 dollar par jour3en 1998
à 1,2 milliard, en baisse par rapport au
début de la décennie.
L’étude de Sala-i-Martin, économiste
espagnol réputé qui a notamment tra-
vaillé avec Robert Barro, corrige les don-
nées d’enquête par les résultats de la
comptabilité nationale, ne tient pas
compte de la sous-déclaration des hauts
revenus, et convertit les revenus natio-
naux en monnaie commune sur la base
des parités de pouvoir d’achat au niveau
Sociétal N° 43 g1er trimestre 2004
CONTROVERSE
4LIVRES ET IDÉES
4CONJONCTURES
6RERES ET TENDANCES 4DOSSIER
2Cf. S. Chen et M. Ravaillon (2001), How did
the World Poorest Fare in the Nineties ?,
document de travail de la Banque Mondiale ;
X. Sala-i-Martin (2002), The World Distribution of
Income, document de travail n°8933, NBER ; S.
Bhalla (2002), Imagine There’s no Country : Poverty,
Inequality and Growth in the Era of Globalization,
Institute for International Economics.
du PIB. Elle conclut à un niveau sensi -
blement inférieur de la pauvreté dans le
monde, qui s’inscrit sur un trend de
baisse au cours des vingt dernières
années. Elle fait aussi ressortir une dimi-
nution des inégalités.
L’étude de Bhalla, économiste indien
spécialiste des problèmes de pauvreté,
comme celle de Sala-i-Martin, corrige les
données d’enquête par les résultats de la
comptabilité nationale et convertit les
revenus sur la base des parités de pou-
voir d’achat au niveau du PIB. Elle essaie
par ailleurs de prendre en compte la
sous-déclaration des hauts revenus et
aboutit à un niveau de pauvreté inter -
médiaire entre les deux études précé-
dentes, de l’ordre de 0,7 milliard de
personnes. Elle fait aussi ressortir un
trend de baisse de la pauvreté et des iné-
galités plus rapide.
Quelles sont les principales leçons de
ces travaux ? Létude de Bhalla paraît
et de loin – la plus complète et la plus
rigoureuse. Elle montre que les inégalités
dans le monde, qui auraient augmenté
jusqu’au début des années 80, diminue-
raient depuis lors. Soulignons que la
mesure concernée des inégalités porte
sur le monde considéré comme une
communauté unique, et qu’elle intègre
donc tout autant les inégalités à l’inté-
rieur des pays que les inégalités entre les
pays (graphique 1).
Parallèlement, le taux de pauvreté se
situerait sur un trend de baisse bien
antérieur aux années 80. Si l’on retient
les estimations de Bhalla comme les plus
probables, le taux de pauvreté serait
aujourd’hui de 15 % : il aurait donc déjà
atteint le niveau de l’objectif retenu pour
2015 par le Sommet du Millenium ! La
baisse aurait été particulièrement rapide
entre 1980 et 2000 (graphiques 2 et 3).
En dépit de la forte progression de
la population mondiale, ce mouvement
se traduit par une baisse significative du
nombre de pauvres vivant au-dessous
LA MONDIALISATION FAIT RECULER LA PAUVRETÉ !
Sociétal N° 43 g1er trimestre 2004
0,61
0,62
0,63
0,64
0,65
0,66
0,67
0,68
1960 1970198019902000
Niveau de l'indice de Gini
Sala-i-Martin
Bhalla
1960 197019801990 2000
0 %
10 %
20 %
30 %
40 %
50 %
60 %
% de la population mondiale
Banque Mondiale
Sala-i-Martin
Bhalla
1960 1970198019902000
Banque Mondiale
Sala-i-Martin
Bhalla
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
1600
Millions de personnes
<,:23;?00=38E1,63>E=/,8=60798/0
<,:23;?0',?A/0:,?@<0>E/,8=60798/0
7938=/0:,<49?<
<,:23;?0!97-<0/0:0<=9880=@3@,8>
,@0.7938=/0:,<49?<
3Il s’agit de 1 dollar en pouvoir d’achat de
1993.
du seuil de 1 $ par jour, entre 1980
et 2000. Si l’on retient les estimations
de Bhalla, le nombre de pauvres aurait
diminué de moit en
vingt ans, alors qu’il avait
augmenté de 20 % au cours
des vingt années précéden-
tes. Il serait revenu à
700 millions de personnes
en 2000.
Il est donc clair que les iné-
galités, le taux de pauvreté
et le nombre de pauvres
diminuent dans le monde.
Les anti et alter-mondialis-
tes ne le voient pas pour
des raisons de confort
idéologique, mais aussi
parce qu’ils se sont focali-
s sur une vision par
nation, accordant autant
d’importance à un pays d’un million
d’habitants comme la Guinée-Bissau
qu’à un pays dépassant le milliard d’ha-
bitants comme la Chine. Or, la pauvreté
a justement diminué rapidement dans
ces pays très peuplés d’Asie, qui repré-
sentent près la moitié de la population
mondiale.
&"!)%&"!&I
G "!&'"!
D% H
Pour Bhalla et Sala-i-Martin, on l’a
vu, la baisse des inégalités et de la
pauvreté s’est produite essentiellement
au cours des vingt dernières années :
les années 80 marquent un retourne-
ment. Comme cette décennie et la sui-
vante correspondent aussi à une
période d’intense mondialisation, et qui
plus est de mondialisation « libérale »,
c’est-à-dire de libéralisation des échan-
ges de biens et d’idées, et d’ouverture
des mouvements de capitaux et de per-
sonnes, force est de constater que la
mondiali sation « libérale » est associée
à de réels progrès économiques et
sociaux. De ce point de vue, la remise
en cause globale du phénomène, ou
même de sa dimension « libérale », ne
peut être qu’une mauvaise nouvelle
pour les moins fortunés dans le monde,
qui aspirent à de meilleures conditions
sociales et économiques.
La protection de la liberté d’entre -
prendre et d’échanger, ainsi que celle des
in vestissements étrangers, constituent
donc une dimension essen-
tielle des politiques de
développement. Les pays en
développement en sont de
plus en plus conscients, et
particulièrement la Chine
et les principaux asiatiques.
Il n’y a pas jusqu’à l’Afrique
qui ne recon naisse ce prin-
cipe d’économie politique,
par la voix du président
sénégalais ou dans le cadre
de l’initiative du NEPAD.
Cette « conversion » relati-
vement récente de l’Afrique
n’est en rien le produit de la
pression d’organisations
inter nationales « inféodées
au capitalisme américain ».
Elle sulte bien plutôt d’une conviction
qui s’est forgée à partir des expériences
malheureuses du passé. Les politiques
qui concentraient leurs efforts sur des
objectifs peu réalistes, comme la stabili-
sation des prix des matières premières
ou la protection des industries naissan-
tes, avaient fait l’impasse sur ce qui cons-
titue le ressort me du décollage,
c’est-à-dire la diversification des activités
vers les secteurs insérés dans la concur-
rence mondiale.
De fait, le discours anti et alter-mondia-
liste ne permet pas de poser les vrais
questions : pourquoi la mondialisation
a-t-elle si bien réussi en Europe, en
Amérique du Nord et en Asie ? Pourquoi,
au contraire, l’Afrique, ainsi que certains
pays de l’Est, n’ont-ils pas ussi à s’insé-
rer dans l’économie mondiale ? Ces deux
grandes régions du monde ne sont pas
victimes de la mondialisation, mais au
contraire de leur incapacià s’insérer
sur le marché « global ».
Les véritables sujets de préoccupation
sont donc les obstacles politiques,
sociaux ou économiques à la mondialisa-
tion, qui ne sont manifestement pas glo-
baux, mais locaux. Certes, les situations
particulières résultent d’une histoire
souvent longue et complexe. Mais le
succès de l’Asie en développement nous
montre bien que la cause des situations
désespérées n’est pas imputable à la
mondialisation.
&(&&(
D)"## !'
Quelles sont ces causes locales ?
Laissant de côté le cas des régi-
mes qui se sont détournés de la mon-
dialisation délibérément et pour ainsi
dire « de fondation », à travers des pra-
tiques protectionnistes (et dans un
cadre politique souvent dictatorial), à
l’instar de la Russie soviétique, de la
Chine de Mao et du Cuba de Fidel
Castro, on peut celer cinq facteurs
d’échec : la mauvaise gouvernance poli-
tique, les politiques économiques désé-
quilibrées, l’insuffisante ouverture des
pays en développement entre eux, l’ins-
tabilité financière internationale, et
enfin le caractère peu discriminant de
l’aide internationale.
La mauvaise gouvernance politique
est de façon générale corrélée avec
l’échec économique. L’absence de contre-
pouvoirs, la corruption et le non-respect
du droit sont générateurs de coûts et
d’incertitudes graves qui inhibent l’entre-
prise et l’innovation et dissuadent l’effort,
puisqu’ils offrent aux individus des
moyens plus directs et plus sûrs de
tourner des ressources à leur profit. A
cet égard, l’absence ou la quasi-absence
d’un droit de propriété reconnu et trans-
rable, comme c’est le cas pour la pro-
priété immobilière en Afrique et en
Amérique latine, est très dommageable
pour le veloppement économique. En
empêchant l’utilisation du capital en
garantie de la bonne fin des prêts, elle
tarit la principale source du financement
de l’économie locale. Tous ces aspects de
la mauvaise gouvernance mettent les pays
concernés en très mauvaise position
pour affronter la concurrence internatio-
nale et les empêchent d’en tirerfice.
La non maîtrise des finances publiques,
le développement d’un secteur public
pléthorique, l’interventionnisme tatillon
et les politiques monétaires laxistes,
non seulement accroissent les coûts
de production, mais détournent les
ressour ces financières limitées de ces
pays vers des secteurs improductifs.
Sociétal N° 43 g1er trimestre 2004
CONTROVERSE
4LIVRES ET IDÉES
4CONJONCTURES
6RERES ET TENDANCES 4DOSSIER
La protection de
la liberté d’entre -
prendre et
d’échanger, ainsi
que celle des
investissements
étrangers,
constituent une
dimension
essentielle des
politiques de
développement.
Louverture à la concurrence interna -
tionale va sanctionner immédiatement
l’insuffisante compétitivité des entrepri-
ses locales, obérée par des coûts publics
trop élevés et par une mauvaise alloca-
tion des ressources. Si le pays n’est pas
en mesure de se réformer et de modi-
fier sa politique économique, il a alors
objectivement intérêt à se replier sur
lui-même. Simplement, le venin qui le
ronge va agir plus progressivement. A un
soubresaut salutaire, il va préférer un
lent déclin économique.
Linsuffisante ouverture des pays en
développement entre eux, si elle ne
constitue pas à elle seule une cause suf-
fisante d’échec, rend en revanche beau-
coup plus difficile le succès. Selon la
Banque mondiale, les deux-tiers des
bénéfices que les pays en développe-
ment pourraient tirer de l’ouverture
viendraient de la libéralisation des
échanges de biens et services, ainsi que
des mouvements de capitaux, entre ces
pays eux-mêmes, et plus particuliè -
rement entre ceux qui appartiennent
à la même zone ographique. Aujour -
d’hui encore, plus de 70 % des droits de
douane qui pèsent sur les produits
manufacturés exportés par les pays
en développement sont imposés par
d’autres pays en développement, alors
que les échanges de ces pays entre eux
(hors Asie) ne représentent que 15 % de
leur commerce extérieur. Dans l’Asie
émergente, ce ratio atteint 43 %.
L’instabilité financière internationale
sanctionne de façon identique, par sim-
ple contagion, des pays bien gérés et des
pays mal gérés. Ce faisant, elle réduit l’in-
citation que les gouvernements peuvent
avoir à mener des politiques économi-
ques « vertueuses ». Ce phénomène d’a-
léa moral est aggra par le fait
que la communauté internationale est
contrain te d’apporter son soutien finan -
cier dans les mêmes conditions, sachant
qu’elle n’est pas en mesure d’identifier la
responsabilides pays concernés dans
la crise qui les frappe. En réaction, ces
pays sont incités à mettre en place des
mécanismes destinés à les isoler pour
éviter la contagion, ou même à refermer
leurs économies lorsqu’ils jugent que
les coûts de l’instabilité l’emportent
sur les bénéfices de la concurrence
internationale.
A l’aide internationale s’applique le prin-
cipe du « corruptio optimi pessima » (la cor-
ruption du plus vertueux est la pire). Elle
constitue certes un instrument très p-
cieux pour garder la mtrise de certaines
situations de crise ou pour traiter des
probmes humanitaires. Mais, en me
temps, étant une source d’ar-
gent facile et une aubaine
pour les pays bénéficiaires,
elle ne peut que susciter la
corruption et créer un cercle
vicieux de dépendance éco-
nomique, qui peut se trans-
former en véritable culture
de la pendance. Les bénéfi-
ciaires finissent parfois par
s’habituer à l’aide au point de
ne plus pouvoir s’en passer,
concentrant alors tous leurs
efforts, non à créer des
richesses, mais à « capturer »
l’aide à leur profit. Ces effets
secondaires sont d’autant
plus négatifs que la politique
du pays ou de l’organisme
donateur est peu discrimi-
nante en fonction de la quali de la gou-
vernance ou de la politique économique.
&)%&% K&
On le voit, les échecs de la mondia-
lisation ne sont pas intrinsèques à
la mondialisation elle-même. Leurs cau-
ses se trouvent aussi bien dans les pays
concernés que dans la communauté
internationale. L’anti-mondialisme, en se
focalisant sur un faux problème, masque
la réalité.
La solution passe d’abord par une
mobilisation des pays concernés : il leur
faut améliorer leur gouvernance, maî -
triser leurs finances publiques, rendre
plus efficaces leurs interventions, conte-
nir l’inflation. Naturellement, les politi-
ques de reconversion, sous forme d’aide
financière ou de formation pro -
fessionnelle, sont des ingdients impor -
tants d’une adaptation réussie. Mais elles
ne doivent pas viser à ralentir ou à
bloquer les conquences de la mondiali-
sation, au risque de piéger des salariés
dans des secteurs en déclin. Elles doivent
anticiper ces conséquences de façon à
réaliser les adaptations souhaitables « à
froid » et sans précipitation.
Non moins cessaire, une mobilisation
de la communauté mondiale pour mettre
de l’ordre dans les aides bilatérales et
multilatérales versées aux pays en diffi-
culté, et garantir la stabilité interna -
tionale. Sur le premier point,
il faut rendre l’aide au
développement plus discri -
minante, en l’orientant vers
les pays qui en ont le plus
besoin et qui ont marqué
leur termination à mettre
en œuvre une bonne
gouvernance et à appliquer
des politiques économiques
reconnues ver tueu ses. Sur le
second point, la commu nau
internationale ne pourra
continuer à se désintéresser
indéfiniment de la coordi -
nation des politiques écono-
miques et de change dans le
monde. Le clin du G7 / G8
laisse un vide qu’il est urgent
de combler, et ne saurait
exonérer les grands pays industrialisés de
leur responsabilité collective vis-vis du
reste du monde. Les récentes crises
financières nous ont montré le coût
croissant pour l’ensemble de la plate,
de ce « chacun pour soi » généralisé.
Une analyse correcte de la mondialisa-
tion est d’une importance capitale, car
elle évite de se focaliser sur des solu-
tions irréalistes et, à terme, dangereuses.
Une fois mis en évidence le fait que
la mondialisation n’est pas en soi un
facteur d’appauvrissement du monde et
d’accroissement des inégalités, il sera
possible de s’attaquer aux vraies ques-
tions, qui sont celles de la mauvaise gou-
vernance, des politiques économiques
déséquilibrées, de l’instabilifinancière
internationale et de l’inefficacité d’aides
non discriminantes. Les solutions ne
peuvent certes pas être univoques,
même si certaines recommandations
s’imposent plus que d’autres. Mais la pire
façon de traiter un phénomène de cette
ampleur est de l’observer à travers les
lunettes de l’idéologie. g
LA MONDIALISATION FAIT RECULER LA PAUVRETÉ !
Sociétal N° 43 g1er trimestre 2004
Plus de 70 %
des droits de
douane qui
pèsent sur les
produits
manufacturés
exportés par les
pays en
développement
sont imposés
par d’autres
pays en
développement.
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !