L’ouverture à la concurrence interna -
tionale va sanctionner immédiatement
l’insuffisante compétitivité des entrepri-
ses locales, obérée par des coûts publics
trop élevés et par une mauvaise alloca-
tion des ressources. Si le pays n’est pas
en mesure de se réformer et de modi-
fier sa politique économique, il a alors
objectivement intérêt à se replier sur
lui-même. Simplement, le venin qui le
ronge va agir plus progressivement. A un
soubresaut salutaire, il va préférer un
lent déclin économique.
– L’insuffisante ouverture des pays en
développement entre eux, si elle ne
constitue pas à elle seule une cause suf-
fisante d’échec, rend en revanche beau-
coup plus difficile le succès. Selon la
Banque mondiale, les deux-tiers des
bénéfices que les pays en développe-
ment pourraient tirer de l’ouverture
viendraient de la libéralisation des
échanges de biens et services, ainsi que
des mouvements de capitaux, entre ces
pays eux-mêmes, et plus particuliè -
rement entre ceux qui appartiennent
à la même zone géographique. Aujour -
d’hui encore, plus de 70 % des droits de
douane qui pèsent sur les produits
manufacturés exportés par les pays
en développement sont imposés par
d’autres pays en développement, alors
que les échanges de ces pays entre eux
(hors Asie) ne représentent que 15 % de
leur commerce extérieur. Dans l’Asie
émergente, ce ratio atteint 43 %.
– L’instabilité financière internationale
sanctionne de façon identique, par sim-
ple contagion, des pays bien gérés et des
pays mal gérés. Ce faisant, elle réduit l’in-
citation que les gouvernements peuvent
avoir à mener des politiques économi-
ques « vertueuses ». Ce phénomène d’a-
léa moral est aggravé par le fait
que la communauté internationale est
contrain te d’apporter son soutien finan -
cier dans les mêmes conditions, sachant
qu’elle n’est pas en mesure d’identifier la
responsabilité des pays concernés dans
la crise qui les frappe. En réaction, ces
pays sont incités à mettre en place des
mécanismes destinés à les isoler pour
éviter la contagion, ou même à refermer
leurs économies lorsqu’ils jugent que
les coûts de l’instabilité l’emportent
sur les bénéfices de la concurrence
internationale.
– A l’aide internationale s’applique le prin-
cipe du « corruptio optimi pessima » (la cor-
ruption du plus vertueux est la pire). Elle
constitue certes un instrument très pré-
cieux pour garder la maîtrise de certaines
situations de crise ou pour traiter des
problèmes humanitaires. Mais, en même
temps, étant une source d’ar-
gent facile et une aubaine
pour les pays bénéficiaires,
elle ne peut que susciter la
corruption et créer un cercle
vicieux de dépendance éco-
nomique, qui peut se trans-
former en véritable culture
de la dépendance. Les bénéfi-
ciaires finissent parfois par
s’habituer à l’aide au point de
ne plus pouvoir s’en passer,
concentrant alors tous leurs
efforts, non à créer des
richesses, mais à « capturer »
l’aide à leur profit. Ces effets
secondaires sont d’autant
plus négatifs que la politique
du pays ou de l’organisme
donateur est peu discrimi-
nante en fonction de la qualité de la gou-
vernance ou de la politique économique.
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On le voit, les échecs de la mondia-
lisation ne sont pas intrinsèques à
la mondialisation elle-même. Leurs cau-
ses se trouvent aussi bien dans les pays
concernés que dans la communauté
internationale. L’anti-mondialisme, en se
focalisant sur un faux problème, masque
la réalité.
La solution passe d’abord par une
mobilisation des pays concernés : il leur
faut améliorer leur gouvernance, maî -
triser leurs finances publiques, rendre
plus efficaces leurs interventions, conte-
nir l’inflation. Naturellement, les politi-
ques de reconversion, sous forme d’aide
financière ou de formation pro -
fessionnelle, sont des ingrédients impor -
tants d’une adaptation réussie. Mais elles
ne doivent pas viser à ralentir ou à
bloquer les conséquences de la mondiali-
sation, au risque de piéger des salariés
dans des secteurs en déclin. Elles doivent
anticiper ces conséquences de façon à
réaliser les adaptations souhaitables « à
froid » et sans précipitation.
Non moins nécessaire, une mobilisation
de la communauté mondiale pour mettre
de l’ordre dans les aides bilatérales et
multilatérales versées aux pays en diffi-
culté, et garantir la stabilité interna -
tionale. Sur le premier point,
il faut rendre l’aide au
développement plus discri -
minante, en l’orientant vers
les pays qui en ont le plus
besoin et qui ont marqué
leur détermination à mettre
en œuvre une bonne
gouvernance et à appliquer
des politiques économiques
reconnues ver tueu ses. Sur le
second point, la commu nauté
internationale ne pourra
continuer à se désintéresser
indéfiniment de la coordi -
nation des politiques écono-
miques et de change dans le
monde. Le déclin du G7 / G8
laisse un vide qu’il est urgent
de combler, et ne saurait
exonérer les grands pays industrialisés de
leur responsabilité collective vis-à-vis du
reste du monde. Les récentes crises
financières nous ont montré le coût
croissant pour l’ensemble de la planète,
de ce « chacun pour soi » généralisé.
Une analyse correcte de la mondialisa-
tion est d’une importance capitale, car
elle évite de se focaliser sur des solu-
tions irréalistes et, à terme, dangereuses.
Une fois mis en évidence le fait que
la mondialisation n’est pas en soi un
facteur d’appauvrissement du monde et
d’accroissement des inégalités, il sera
possible de s’attaquer aux vraies ques-
tions, qui sont celles de la mauvaise gou-
vernance, des politiques économiques
déséquilibrées, de l’instabilité financière
internationale et de l’inefficacité d’aides
non discriminantes. Les solutions ne
peuvent certes pas être univoques,
même si certaines recommandations
s’imposent plus que d’autres. Mais la pire
façon de traiter un phénomène de cette
ampleur est de l’observer à travers les
lunettes de l’idéologie. g
LA MONDIALISATION FAIT RECULER LA PAUVRETÉ !
Sociétal N° 43 g1er trimestre 2004
Plus de 70 %
des droits de
douane qui
pèsent sur les
produits
manufacturés
exportés par les
pays en
développement
sont imposés
par d’autres
pays en
développement.