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nait à entendre que, dans la parole, la signification se diffracte nécessairement entre les symbola, dont la
forme et la signification sont variables selon les langues, et l’imaginaire des pathêmata que les hommes
produisent dans leur rapport aux choses, affects qui selon lui existent de façon identique chez tous, dans
toutes les cultures et dans toutes les périodes historiques1. Mais quelle que fût la nouveauté de la théorie
du langage qu’il avançait, Aristote demeurait alors fidèle à une des significations du mot symbolon que
l’époque avait consacrée, à savoir celle de « signe conventionnel ». On pourrait suivre chacune des
autres occurrences du terme dans l’œuvre qui nous est parvenue de lui, elles sont peu nombreuses, et
montrer qu’à chaque fois son usage est pour l’essentiel conforme aux significations usuelles de
l’époque2.
Lorsque, par exemple, au Livre IV Des Politiques - en grec le titre est au pluriel- Aristote dit de la
politeia, de la politie, terme que la nouvelle traduction d’Aubonnet a consacré en français, qu’elle est
une forme particulière de politique qui compose des principes constitutionnels différents, les principes
de l’oligarchie et ceux de la démocratie, ou seulement des dispositions législatives et des mesures admi-
nistratives dont l’esprit est distinct, il dit que ce qu’elle fait est identique à ce que font « les parties d’un
symbolon» (1294a – 31). À ce moment- là, il offrait à son lecteur une leçon de pragmatisme politique, le
sien propre et celui qu’il appelait de ses vœux3. En outre, il lui donnait une leçon d’étymologie philoso-
phique. En effet, depuis les temps les plus reculés, par symbolon on désignait dans sa culture un morceau
d’argile qu’on brisait en deux, chacun des deux morceaux étant transmis aux descendants en souvenir
d’un lien d’hospitalité, permettant ainsi à ces derniers de le renouer éventuellement. Chacun des mor-
ceaux est le signe de l’autre, son complément unique et du même coup reconnaissable, et sert de média-
tion à la reconnaissance réciproque. Cette interprétation de la signification du mot symbolon comme mé-
diation entre différents, nous la retrouvons dans un autre passage de l’œuvre, consacré au devenir dans la
nature. Aristote nomme alors symbolon n’importe laquelle des qualités fondamentales - le froid, le sec,
le chaud, l’humide- dès lors qu’elle fait office de médiation de la transformation d’un élément en
l’autre : l’air, le feu, la terre, l’eau4. Enfin dans un passage de la Rhétorique (1416a), où le mot symbolon
1 Aristote, De l’interprétation, traduction Jean Tricot, Vrin, Paris 1977, pp.77-78.
2 Je dois à mon collègue Jean-Marc Narbonne, professeur à la Faculté de philosophie de l’Université Laval et spécialiste de la
philosophie grecque, de m’avoir fourni des précisions précieuses sur le sens exact du mot symbolon dans l’œuvre d’Aristote.
C’est sur la base de son examen des trente et une occurrences répertoriées dans le corpus aristotélicien (mis à part les frag-
ments) qu’il a établi la liste des six significations distinctes qu’on va énumérer plus loin. Je profite de l’occasion pour le re-
mercier publiquement.
3 Aristote, La Politique, traduction Jean Aubonnet, Gallimard, 1993, p.132.
4 De la génération et de la corruption, traduction .Jean Tricot, Vrin, Paris, 1971, p.109 (331a). Si, par exemple, le feu, qui
combine le chaud et le sec, se transforme rapidement en air, qui combine le chaud et l’humide, soutient Aristote, c’est qu’ils
contiennent l’un et l’autre des symbola, le chaud de l’un et le chaud de l’autre, qui médiatisent l’opposition du sec et de