COMPAGNIE DEF MAIRA Thomas Bouvet John & Mary © Timothée Eisenegger Revue de presse Octobre 2014 COMPAGNIE DEF MAIRA – DIRECTION THOMAS BOUVET SIRET : 48870041000019 – Licence n°2-1000227 Siège social : 68 rue de Longpont – 91 310 Longpont-sur-Orge Adresse de correspondance : 93 bd Paul Vaillant Couturier – 93 100 Montreuil www.defmaira.fr Endormis sous le ciel / Batista L’Humanité – 07 juin 2013 2 Le Souffleur – 08 juin 2013 3 ARTISTIKREZO / Christelle Granja – 9 OCTOBRE 2014 Endormis sous le ciel, un monologue intense et trouble porté par Thomas Bouvet - La Loge "Allez-y, passez, moi je n'y vois rien" chuchote une spectatrice en bord de rang. Ce lundi, soir de première, un noir profond accompagne le public qui pénètre dans la salle de La loge. Le lieu parisien accueille jusqu'au 17 octobre "Endormis sous le ciel", un monologue intense et trouble porté par Thomas Bouvet. "Une petite fille et un petit garçon, depuis longtemps, se regardent longuement. (…). Leur corps attend le signal. (…) Depuis des heures ils contemplent la mort." Les premières phrases du texte de Mario Batista jaillissent dans une obscurité profonde. Les ténèbres semblent avoir créé ces mots là – à moins que ce ne soit le contraire. "Endormis sous le ciel", la dernière création de Thomas Bouvet, est née d'une rencontre et d'une fascination: "J'ai découvert la pièce de Mario Batista lors d'une lecture de Stanislas Norday au Théâtre Ouvert", se souvient le jeune metteur en scène. "C'était hallucinant à entendre. L'écriture, si particulière, crée une parole continue. Le temps est dilaté, la linéarité absente. C'est une écoute qui provoque l'hypnose". Hypnotique: c'est bien la sensation créée par la figure spectrale, désincarnée, que porte Thomas Bouvet. Seuls son visage et ses mains émergent peu à peu du néant. Son corps immobile reste plongé dans le noir, comme pour mieux préserver l'attention sur le texte et la prise de parole, et renforcer du même coup l'immatérialité du personnage. Que sait-on de lui ? Peu de choses. Il parle et observe deux enfants, on ne sait où ni quand. Les parois sombres et réfléchissantes qui l'entourent multiplient son pâle reflet, brouillant un peu plus l'espace et nos repères. Est-il humain, existe-t-il seulement? Ce doute qui subsiste, et le trouble qu'il crée, sont l'une des lignes fortes de la mise en scène, qui sait préserver le caractère énigmatique du texte. Si c'est un homme c'est La nuit du chasseur, si c'est une femme c'est Médée, indique seulement l'auteur dans une didascalie. Thomas Bouvet ne tranche pas: "Est-ce que tout cela existe? Est-ce qu'il s'agit d'enfants ou d'adultes? Assez volontairement, je ne réponds pas à ces questions, je laisse ouvert, j'aime l'idée que cela reste mystérieux". De fait, son personnage, vêtu d'une ample cape sombre, semble tenir autant d'une déesse vengeresse que de l'ecclésiaste du film de Charles Laughton. Le face à face hiératique avec le public est mené sans trêve, une heure durant. Une frontalité troublante, récurrente dans les créations du metteur en scène, de Phèdre (2008) à John & Mary (2012). "Tout est à vue, je ne peux pas tricher: je sais que le public est là. Cela crée quelque chose de total dans le corps, le regard", explique-t-il. Le malaise émerge parfois, face à la radicalité de la mise en scène et surtout du texte, où la sexualité s'introduit –parfois violemment- dans l'univers de l'enfance. Mais l'intention de Thomas Bouvet n'est pas là: "Ces deux enfants, je les perçois comme les survivants d'une humanité qui s'est détruite. Cette figure les regarde, témoigne de leur présence. Si un désir naît, c'est parce que ces deux êtres sont en capacité de refaire vivre l'humanité. La pédophilie n'a jamais été un axe de travail. Ce qui m'intéresse, ce sont les questionnements très concrets que transmet le texte: l'auto-destruction, le don de vie." 4 Un Fauteuil pour L’orchestre – 9 OCTOBRE 2014 Dans une grande simplicité poétique et à travers un jeu tenu et profondément incarné, Thomas Bouvet nous fait découvrir l’univers et l’écriture de Mario Batista. Une écriture pleine, tout un poème, prenant, par moments, la cadence d’une prière exaltée. L’histoire du monologue est très simple, se résumant presque à un geste… Deux enfants (mais peut-être s’agit-il d’adolescents, d’adultes, ou de vieillards, peu importe, ils s’aiment et se découvrent) dans la nature, se regardent. Avec toute leur candeur et leur pureté, ils font l’amour et s’endorment sous le ciel. Mais ils ne sont pas seuls, une silhouette les regarde, puis s’approche… Cela pourrait être une femme et ce serait Médée. Cela pourrait être un homme et ce serait La nuit du chasseur. Seul dans l’obscurité de la scène, Thomas Bouvet incarne cette silhouette. Immobile et confiant, il nous livre ce qu’il voit, ce qu’il imagine de ces corps aimants. L’innocence de ces deux enfants se mêle à l’étrange. Rasé et enveloppé d’une robe noire dénuée de signe distinct, le personnage n’est ni un homme, ni une femme. Cela pourrait être Dieu, ou Satan, et l’on pourrait d’ailleurs douter de son existence. Climat de doute et d’ambigüité qui nous maintient accroché à chaque mot du texte. Thomas Bouvet nous garde en tension par son aisance à incarner des vers teintés de poésie et de violence. Mario Batista donne à voir dans ce monologue, le monde et l’humanité vus à travers des yeux sans limite. Des yeux, comme un précipice, s’ouvrant sur le néant. La mise en scène respecte la simplicité de la narration et nous enfonce un peu plus dans un climat où l’innocence côtoie les ténèbres. Le plateau plongé dans le noir au début du monologue, puis voguant dans la pénombre, fait jouer des ombres sur le visage du personnage ; on ne sait plus tout à fait si l’on rêve, ni où l’on est. Ce dont nous sommes certains, c’est de voir un petit garçon et une petite fille qui se regardent sans savoir qu’ils sont observés… 5 L’Humanité / STRAMM France Culture / Marie Richeux – Pas la peine de crier A chaque bout de cette création, s’étend un poème d’August Stramm. « L’espace » est le premier mot du premier poème. Il reviendra plusieurs fois. Et comme il sera prononcé, on pourra le voir, le toucher, le voir trembler à la surface des corps. Tout tend vers quelque chose, à l’horizontale, et à la verticale. Et tout se passe comme si les comédiens prononçaient une partition, envisageable dans un second temps par les danseurs, récupérable par la guitare, et dépliable à l’infini. Tout s’engendre, se nourrit, vérifiant l’hypothèse d’un poème capable d’agir. De faire agir. D’être. Le Souffleur / Elvira Hsissou Il se dégage de ce spectacle une poésie propre au travail de la cie Def Maira, et au travail de Thomas Bouvet dont le traitement chorégraphique de l’espace le conduit pour la première fois à mettre en scène des danseurs. Avec ce travail, un pas de plus dans son art est passé. La danse déforme l’espace, celui-ci se renverse dans les corps séparés, existe plus profondément quand ils sont enlacés, l’un avec l’autre, et l’un dans l’autre. Il y a de ces moments de grâce. 6 John & Mary / Rambert Rue 89 Pascal Rambert & Thomas Bouvet, « John & Mary », ce soir au théâtre de Vanves. Passionnant d’entendre aujourd’hui « John &Mary » une pièce ancienne de Pascal Rambert qui est comme la matrice archaïque et multiple de l’épure qu’est « Clôture de l’amour ». D’autant plus passionnant que la mise en scène de Thomas Bouvet déploie la dimension tragique que la pièce recèle dans un univers scénique aux ombres intenses, traversé de faisceaux lumineux où les corps se prolongent en échos et correspondances dans les reflets d’un sol liquide. Le couple, basse continue du théâtre rambertien en sort magnifié au cœur tourmenté de la nuit. Désir de mots écorchés, mots du désir exacerbé. Déchirement de l’amour. Belle et forte soirée. Jean-Pierre Thibaudat Journal de bord d’une accro (blog) Publié le 6 mars 2013 par edithrappoport C’est une découverte heureuse et non préméditée que ce John and Mary de Pascal Rambert. Sortant de la Mairie de Vanves, nous sommes conviés à un deuxième spectacle. Malgré des souvenirs anciens plutôt pénibles de cet auteur mettant en scène l’un de ses textes au Théâtre de la Colline, nous nous laissons entraîner. Deux femmes en longues robes bleues, cigarettes à la main échangent des propos pessimistes sur le devenir du monde, qui rappellent les sorcières de Macbeth. Dans la pénombre éclairée par des projecteurs latéraux, on distingue six silhouettes immobiles dans un grand bassin d’eau : « Le monde devient fou, on ne veut plus de nous ! » Trois couples se parlent, le mari qui quitte sa femme pour partir on ne sait où, la belle soeur plaquée par son mari blessé qu’elle méprise, l’épouse abandonnée et sa riche belle-soeur aggressive. Chaque échange entre les personnages se fait face au public, avec un écart respectable d’au moins 5 mètres entre les personnages qui jamais ne se regardent pour se parler. Chacun parle de départ, mais n’en fait rien. Des beaux costumes noirs, des éclairages superbes, un traitement qui n’a rien de réaliste, donnent à ce spectacle obscur une force inattendue. Formé en physique fondamentale, Thomas Bouvet a assisté Pascal Rambert pour La clôture de l’amour au Festival d’Avignon 2011. Il a monté La cruche cassée de Kleist, Phèdre de Racine, Loretta Strong de Copi et La ravissante ronde de Werner Schwab. Il prépare actuellement Endormis sous le ciel de Mario Batista qui sera présenté à la Loge 77 rue de Charonne, 75011 du 4 au 15 juin prochain. 7 ETHERREAL – 08 mars 2013 Avant d’aller découvrir Memento Mori (la dernière création chorégraphique en date dePascal Rambert) le mois prochain en son Théâtre de Gennevilliers, nous passions par Vanves pour y voir John and Mary, pièce écrite il y a une vingtaine d’années. Au-delà de la proximité calendaire entre ces deux représentations, on relève que Thomas Bouvet(qui avait déjà travaillé avec Rambert) réalise la mise en scène de la pièce de théâtre tandis qu’il assiste Rambert pour le spectacle de danse. Cette parenté entre les deux Français permet au metteur en scène de se saisir avec une certaine réussite de cette pièce en trois actes qui met aux prises trois couples et un étranger, dans un espace-temps indéfini et sans que les personnages n’aient de nom (même pas les John et Mary du titre). Peu à peu, la tragédie se fait jour, à mesure que les croisements amoureux se font et qu’une histoire d’argent interfère. Inéluctable, le final renvoie à l’évidence aux dramaturgies antiques que les tenues comme la scénographie (un plateau vide et recouvert d’un mince filet d’eau) évoquent aussi. Cette sobriété répond à la volonté de Bouvet de mettre en avant les mots de Pascal Rambert afin d’établir que ceux-ci peuvent constituer des armes, au même titre que le revolver argenté qui passe de main en main. Dans ce contexte, les comédiens sont conduits à adopter une scansion un peu déclamatoire (texte dit face public, personnages ne s’adressant presque jamais l’un à l’autre, se tournant le dos, texte souvent crié) qui n’aide pas à l’approche d’une langue qui joue délibérément sur la répétition et les circonvolutions complexes. Subordonnées multiples, phrases elliptiques, omissions du sujet sont ainsi convoquées dans un procédé qui, parfois, fait son effet, et se trouve légitimé, à la fin du deuxième acte par exemple. Pour autant, généralement, ces partis pris gênent la préhension d’un propos dont l’auteur semble avouer lui-même la sécheresse. Par la voix de deux jeunes femmes, sorte de mini-chœur antique, intervenant au début de chaque acte dans de longs prologues, Pascal Rambert paraît se dédouaner et anticiper les critiques en proposant des résumés de l’action passée ou à venir, à destination des spectateurs qui auraient décroché. Peut-être un peu facile, cette béquille se trouve rejointe par d’autres choix de Thomas Bouvet, tel celui d’habiller identiquement les trois hommes (tenue noire faite d’une redingote et d’un pantalon, cheveux et barbes fournis) tandis que l’étranger est torse nu, chauve et glabre, visage et corps maquillés en blanc et porte un pantalon bouffant tout aussi clair. Néanmoins, ces quelques limites (dans un sens, celui de l’aridité, comme dans l’autre, celui de la facilité) s’estompent en même temps que la tragédie déroule son implacable logique et qu’approche l’issue fatale. Aboutissement d’une pièce assurément tenue et maîtrisée, cette fin favorise également la relecture à rebours de l’intégralité de la dramaturgie et de sa mise en scène, en réévaluant assurément la réception. François Bousquet 8 Le Souffleur – 14 octobre 2012 Deux comédiennes, sorte de Parques débarquent, déambulent. Vêtues de robes bleues transparentes, cigarettes en main et voix graves, éreintées, elles parlent d’un temps que l’on ne saisit pas, qu’à l’évidence on ne peut pas saisir. Relais de la scène au spectateur à qui elles s’adressent directement, qu’elles critiquent mais surtout exposent à la pièce. Elles parlent des personnages, de la réalité dramatique qu’ils investissent sur un ton badin, acerbe en fait. Ce ton devient le registre de traduction de la scène au spectateur, elles nous balancent et figurent l’adresse que servent et dont pâtissent les comédiens. Soudain et avant même que l’histoire soit entamée on apprend qu’on y est déjà, « tassés ». Alors la jauge d’eau dans laquelle se déplacent les comédiens passe d’une consolation, mince à une réalité allégorique qui n’admet plus le pardon. Qui pèse de chaque mot l’étendue de notre responsabilité face à une promesse que force l’emploi de la parole. C’est donc par la parole que chaque personnage prend corps ; c’est à travers elle que chacun se singularise car il tente de s’y faire une place et d’y repousser la présence de l’autre. L’histoire pourrait être résumée ainsi : trois personnages se partagent un capital, le gain engage leurs relations amoureuses mutuelles. Cet événement pourrait être l’aboutissement de quelque chose. Mais dans un premier temps il faut « partir » ou « rester ». C’est cette question qui formule peut être le destin, le tragique de chacun d’eux. Il n’y a pas de couples dans cette histoire, mais des ruptures qui successivement se posent sur un désaccord vital ; c’est l’injonction de l’autre dans ce qu’il y a de plus intime qui heurte et crève les personnages au cas par cas. Le comédien expose ainsi un espace intime d’une profondeur incroyable car toute phrase tend à rejoindre le sens absolu des mots dont elle use. « Amour » s’il arrive doit s’incarner aux racines de la vie du personnage, ainsi nous parvenons par la parole à un espace source, à l’espace qui en chacun maintient la vie. C’est au nom de cette force que nous disons chaque jour nous battre, qu’il en soit donc ainsi, tous les actes seront filés , aboutis, rejoint jusqu’à l’espace fondateur . On verra ce qui tient, ce qui est encore 9 capable de regarder la vie en face. La pièce toute entière tient cette force et cette honnêteté là qui rend une justice insatiablement humaine et implacable. On y passe tous, on y est déjà, tous. Pour soutenir cette tension dramatique, le metteur en scène construit un espace allégorique de bout en bout. Le parti pris esthétique est d’une cohérence qui rassemble l’ensemble de la plasticité de la scène. Les corps-costumes, lumières, son, décors construisent un espace d’emblée trouble et en même temps extrêmement ordonné. Les comédiens viennent se placer, formant à chaque tableau une figure chorégraphique esthétisée par les costumes et les lumières. Tout en étant dans un espace géométrique, la mise en scène est extrêmement sensuelle, et force un état d’attention. Elle nous plonge dans un état de perception singulier. Chaque scène aiguise une lame perceptive, on se sent sur un fil car on est après chaque geste, après chaque mot comme en attente du tranchant qui se profile , du couperet définitif qui arrive. Durant 2h30 c’est à cette vigilance et à cette forme de discipline que Thomas Bouvet et l’ensemble de l’équipe artistique nous assignent, et qu’ils tiennent dans une honnêteté encore une fois des plus admirable. On n’atteindra pas l’espace des rescapés tenu par les Parques, mais on peut tenter l’humour qui tient quelque chose de Beckett, et retenir en écho une forme d’humilité qui se doit d’être sévère ( ? ) Le débat est à suivre . Elvira Hsissou Les Trois Coups – 18 octobre 2012 « John and Mary », de Pascal Rambert [création] (critique d’Aurore Krol), Théâtre de Vanves » Une tragédie des corps foudroyés Comment se mêlent l’amour et les rapports de force dans nos intimités contemporaines, comment se perçoit le couple – ce qu’il en reste – et quelles guerres existent encore entre les hommes et les femmes ? C’est ce à quoi sept personnages, au cours d’une même journée, vont être confrontés à travers « John and Mary », tragédie en trois actes qui inscrit le genre dans une démarche audacieuse et frontale. 10 Le pouvoir peut-il asseoir les sentiments, et à quel prix, semble demander la plume aride et précieuse de Pascal Rambert. Dans un texte à l’écriture violente et complexe, où le consensus n’a pas lieu d’être, l’auteur attaque au scalpel une prétendue pureté des sentiments. Pureté qui se serait délitée dans la peur de la perte, laissant des êtres dépourvus se débattre avec leurs envies de grandeur et leurs échecs, leurs tentatives de corruption et leur besoin d’aimer. Entre désaveu et mesquinerie, les sentiments demeurent malgré tout, mais la chair est froide et les postures mortifères. La vie a été extirpée des entrailles, elle gît, automutilée, dans une eau sombre aux reflets métalliques. Et si le jeu ne s’axe pas dans une démonstration charnelle, c’est pourtant bien de corps qu’il est question, tout le temps. Profonde et glaçante, la lumière jaillit par faisceaux et sculpte les contours partiels de silhouettes sorties de la pénombre. Des silhouettes effilées qui, ainsi exposées en clair-obscur, reflètent toutes les supposées cassures qu’elles vont devoir endurer. Sur un plateau pensé de manière quasi métaphysique, sorte de diamant noir à la beauté enténébrée, aucune ligne de fuite ne se laisse entrevoir. Un écrin luisant et coupant Cet espace est un écrin luisant et coupant, dont la scénographie exacerbe la rigueur formelle des déplacements : géométrie implacable, symétrie obsessionnelle où les confrontations s’effectuent sans regard, ne faisant qu’appuyer d’avantage leur caractère irréversible. Sur un plateau inondé, où se diffractent et se démultiplient les reflets de manière somptueuse et spectrale, les personnages voudraient échanger et se dire. Mais leurs tirades sont bien souvent amputées de réponses, monologues désolés de solitude au bord du gouffre. La parole, de toutes les manières possibles, est mise au cœur du dispositif scénique. Implacables, les mots deviennent alors des armes, flèches métalliques qui viennent se ficher sous la peau, comme un piège de douleur sourde, un étau qui se resserre sur les destinées. 11 Voix et souffles en tension donnent à entendre une parole fluide et sublimée, comme intemporelle. Si le jeu pourrait se permettre plus de lâcher-prise, afin de rompre avec la précision chirurgicale de l’esthétique d’ensemble, chacun des comédiens incarne avec un charisme et une application sans faille le rôle dont il est investi. Ainsi, chaque syllabe, chaque instant, est porté par une présence totale des interprètes, Martin Douaire en tête, dont les tirades pleines de noblesse blessée foudroient les esprits. Spectateur visé et touché En guise de parques efflanquées et satiriques, un chœur d’ondines lubriques vient, quant à lui, ponctuer et désamorcer le propos, robes translucides et électriques apportant couleur et recul à ce qui se joue et se déjoue devant les yeux d’un spectateur visé et touché. Avec cette pièce, Thomas Bouvet signe une mise en scène exigeante et radicale, dont on ne peut qu’admirer le parti pris et la justesse. Le texte de Rambert, à la narrativité floue, n’avait rien d’évident. Mais il est ici sublimé. Et les situations dont on a été témoin ne cessent de provoquer et de résonner en nous. Aurore Krol 12 Un Soir ou Un Autre (blog) – 22 octobre 2012 Le général et le particulier A voir trop souvent de la danse, surtout des courtes pièces, je me suis peut-être déshabitué du théâtre caractérisé. Soudain voilà John & Mary- 2 heures 30 ininterrompu, du texte dense, dru. Le choc est rude. Le texte de Pascal Rambert est très « écrit », éloigné de l’évidence musicale et légère du début de l’A , avec des allures d’exercice de style bizarroïde. Le projet est-il de refonder la forme d’un drame antique postmoderne? On retrouve de nombreux personnages aux relations entremêlées, des dilemmes et conflits, un chœur antique, des allusions aux rois et aux dieux. Le thème de l’amour reste classique, celui de ses relations avec l’argent plus moderne. De l’auteur on retrouve les procédés de répétition, et un mélange déconcertant de trivial et d’emphase. C’est tout sauf clair, mais mon attention s’aiguise plutôt que se lasser. Je crois en comprendre les raisons, mais plus tard. Ce qui m’a troublé dans ce vocabulaire, c’est l’indéfinition, l’espace en confusion entre général et particulier. Pas de noms propres, et des termes génériques : l’amour, le mari, le frère, la sœur, la femme, l’étranger, l’argent, l’événement, partir, rester… Même le titre ne ment pas. John & Mary peuvent être n’importe qui. Je n’en finis pas d’essayer de me repérer dans cette irréalité. Je comprends mieux maintenant la mise en scène, d'abord élégante avant que l’on sache qu’elle est intelligente. Une scénographie de larmes et d’eau: la surface liquide sur laquelle évoluent les acteurs, les miroirs en fond de scène brouillent les repères, du point particulier vers l’infini. Les costumes irréels semblent glacés et ténébreux, sans étoile et noir de bible. Les postures se figent en de pures figures, les acteurs dialoguent mais tous face à la scène, dans une géométrie glacée. Sans au début se toucher. Ils s’adressent les uns aux autres dans le texte, au monde entier dans le geste, comme par monologues alternés. Un personnage apparait en contraste, blanc comme un danseur de buto. Les mouvements sont progressivement autorisés entre eux, en une lente progression vers l’émotion, au millimètre. A cette sobriété en noir et blanc, le chœur à chaque acte fait diversion en couleur: deux filles aux formes juste voilées de bleu léger, narquoises et familières, cigarette au lèvres. Et c’est surement réac d’avouer que cette élégance dans l’esthétique de la mise en scène me plait même avant que je n’y cherche une logique. Tant pis ! C’était John & Mary de Pascal Rambert, m.e.s par Thomas Bouvet, encore quelques jours au Théâtre de Vanves. 13 Pièces détachées / Radio Campus –15 octobre 2012 Interventions critiques de Christine Armanger et Laurent Bazin - retranscription Laurent Bazin : « John and Mary est une création de Thomas Bouvet, à partir d’un texte de jeunesse de Pascal Rambert. Mais est-ce qu’on peut dire un texte de jeunesse de Pascal Rambert ? De mémoire, il avait quelque chose comme 30 ans, je pense, au moment où il a fait le spectacle… ça fait donc quelques années. C’est une création très alléchante puisque, imaginez-vous les deux styles les plus antagonistes qui soient. Moi, je connaissais un petit peu, par ouïe dire, et pour l’avoir vu, mal vu, le théâtre de Thomas Bouvet, qui est un « théâtre d’acteur », très puissant, très profond, qui avait fait notamment une Phèdre très remarquée, dans une scénographie extrêmement élégante et intemporelle ; et puis notre Pascal Rambert, avec ses baskets, ses néons, cette tonalité de l’hyper-présent et cette blancheur lactée que j’aime aussi, mais qui est à un tout autre endroit. Et je me dis, mais que va produire ce télescopage…? Et, le mélange est très étonnant. Alors d’abord, il faut remarquer une grande continuité au delà des années dans l’écriture de Rambert. Là, je sors d’un très beau souvenir de Clôture de l’amour, et on se rend compte d’un texte extrêmement bien écrit sur l’amour, et sans complaisance aucune, avec un mélange de lyrisme et de cynisme en permanence. Et on sent que cette écriture là en déjà en germe dans John and Mary, qui raconte une histoire d’amours impossibles, mêlés, et rendus impossibles finalement pour des histoires de tractations financières. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais je vais essayer de vous présenter comment Thomas Bouvet l’a présentée. Rambert présente son texte comme une tragédie contemporaine. Et Thomas Bouvet lui en donne cet écrin là. Une scénographie extrêmement élégante, dans une ambiance crépusculaire, avec des lumières latérales qui éclairent les comédiens faiblement. Et, au sol, une immense étendue d’eau. Au lointain, des surfaces miroitantes qui rendent à cette étendue une profondeur incroyable. On a l’impression d’être dans un univers d’entre-deux. Je pense notamment à L’île des Morts de Böcklin, tous ces mondes ténébreux, entre le ciel et la terre, où les gens sont peut-être morts, on en n’est pas tout à fait sûr. Ajoutez à cela des costumes aristocratiques, plutôt intemporels qui nous font penser que les personnages pourraient être des personnages tchekhoviens ou même des monarques shakespeariens. Le mélange est détonant. Rajoutons que Thomas Bouvet dirige ses comédiens d’une façon qui me fait penser à Nordey ou à Régy : il y a une grande économie de gestes et une très grande intensité dans la parole. On sent que l’enjeu est de proposer une gaine au comédien qui n’est pas là pour étouffer sa parole, mais au contraire, pour l’exalter, pour déployer en lui sa capacité de profération. Il y a tout un tas de mises en scènes qui essaie de réduire la différence entre le spectateur et l’acteur, là, c’est tout le contraire. Ça devient des espèces de surhommes qui sont là pour proférer. Je trouve que tout est très beau, délicat, avec cette ambiance nocturne à laquelle j’ai été très attaché mais 14 je trouve malheureusement que, de temps en temps, l’aspect baroque du texte frotte un tout petit peu. C’est un texte très hybride avec des moments de sublime poétique, on peut dire que Rambert arrive à réenchanter les métaphores comme le faisait Racine et avec des moments au contraire, très comiques un peu triviaux, où l’injure fuse. Et je trouve que c’est peut-être à ce moment là que ça frotte un tout petit peu. Donc, il amène le texte de Rambert par le haut, et c’est très bien. Mais du coup, il y a une petite gêne sur cette sophistication ». Christine Armanger: « Pour ma part, je trouve que c’est un sacré pari que cette proposition de tragédie de bout en bout, tenue de bout en bout. Je ne suis pas friande de l’écriture de Pascal Rambert. Grâce soit louée par l’intervention d’un chœur de jeunes femmes à cigarettes, ironique, qui nous emmène dès le début du spectacle là où ça va se passer. Car je pense que c’est justement le genre de propositions dans lesquelles on peut soit rentrer, soit ne jamais rentrer. Et je trouve que c’est une très belle voie d’accès que de commencer avec ces comédiennes qui font le chœur. J’ai trouvé ensuite ce côté hiératique vraiment tenu. C’est un bravo quoi. Je trouve que c’est vraiment impressionnant, et de la part du metteur en scène, et de la part de ses interprètes. Quant au jeu de reflet dans l’eau, les acteurs sont toujours disposés l’un derrière l’autre, ils ne communiquent jamais en se regardant. Et parfois, si l’on veut voir le visage du personnage qui est derrière, il suffit juste de regarder son reflet dans l’eau pour y avoir accès, et je trouve que c’est d’une très grande subtilité. » 15 La Dispute / France Culture – 22 octobre 2012 Critique « Coup de Cœur » de Joëlle Gayot. Retranscription. « Il y a des périodes fastes, et puis il y a des périodes moins fastes. Et là, en l’occurrence, je suis allée dans un théâtre qui est le théâtre de Vanves, dans la banlieue sud de Paris, où généralement, pour le coup, la pioche peut-être très bonne. Et mon coup de cœur est double. Il est à la fois sur ce théâtre qui est un tout petit théâtre, municipal, avec quasiment pas de moyens, qui programme… enfin le directeur José Alfarroba fait une programmation d’une audace qu’il faut saluer, parce qu’elle est peu suivie par les autres lieux, centres proches-Paris (sauf Genevilliers), enfin les lieux intra-muros. Donc, il a une programmation vis-à-vis des jeunes qui est remarquable. Il programme des jeunes artistes qui n’ont quasiment rien fait. Il prend ce risque là, il ne les programme pas très longtemps parce qu’il ne peut pas faire plus. Mais en tout cas, ils ont la salle, ils ont la technique, ils ont le personnel à disposition et ça c’est… C’est un endroit où je vais régulièrement parce que je sais que je vais y voir des choses. Et en l’occurrence, là, il y a un jeune garçon qui s’appelle Thomas Bouvet qui a une trentaine d’années. C’est le deuxième spectacle que je vois de lui, à Vanves. Il avait monté un Phèdre qui m’avait beaucoup impréssionée. C’est un garçon qui a fait une maîtrise de physique fondamentale, comme quoi finalement, les sciences, ça mène à tout. Et là, il met en scène un texte de Pascal Rambert qui s’appelle John and Mary – Mary (dit-elle avec l’accent anglais), qui n’est pas un texte récent de Rambert. Il l’a écrit, il n’avait pas trente ans. Il est publié chez Actes Sud Papiers, est sorti en 1992, donc ça ramène quand même assez loin en arrière. C’est intéressant à deux titres. D’abord parce qu’on voit que Rambert n’est pas un auteur qui arrive de nulle part. C’est à dire que quand il écrit Clôture de l’amour et que ça fait le tabac que ça fait, que c’est un texte aussi prodigieux que ce que l’on sait maintenant, ce n’est pas tombé comme ça de la lune, pour le Festival d’Avignon. Ça arrive de quelque part, et John and Mary, il y a quelque chose de matriciel dans cette œuvre qui annonce Clôture de l’amour, quinze ans avant. Histoire d’amour, histoire de couples, histoire d’argent, histoire de pouvoir, c’est à la fois racinien, un peu shakespearien, et ce qui est très étrange, c’est que c’est souvent écrit en alexandrins. Alors ça, c’est assez curieux. Et Thomas Bouvet, sur ça, comme il avait fait pour Phèdre, fait une mise en scène mais alors moins à la mode que ça, ce n’est pas possible. Et c’est formidable. C’est à dire que c’est d’un classicisme absolu, des acteurs qui sont dirigés mais à la virgule près, c’est à dire que vraiment, on entend… j’allais dire « on entend bien le texte », ce qui est le b-a, ba. Quand même on ne devrait même plus avoir à le dire, ça. Mais là, c’est plus que ça, c’est à dire que l’on entend ce qu’il y a dans ce texte de pulsions et de passions mises par Pascal Rambert, on entend tout ce ravage que peut faire la passion amoureuse. C’est formidable. 16 Et les acteurs sont face public, dans un bassin d’eau, avec un jeu de lumières extrêment sophistiqué, ils nous regardent. Comme chez Pommerat, entre les scènes, il y a des noirs. Et là, miracle. D’autres acteurs ont pris la place de ceux qui sont partis, ils sont debouts, et on dirait que la langue les fait se tenir droits. Par moment, ils sont tellement pris dans le flux de la profération que le texte passe un peu à la trappe… Ce qui très contradictoire avec ce que je viens de dire, mais ce n’est pas grave, parce qu’on l’entend ailleurs autrement, et par moment le texte refait autorité et là, ils découpent le texte, mais au souffle près. C’est bizarre parce que ça me fait beaucoup penser à out ce que j’entends dire d’Antoine Vitez, par exemple, sur la direction d’acteurs, sur les exigences qu’avait Vitez pour qu’un acteur dise le texte d’une manière impeccable et, en même temps, soit là avec son corps. Même si le corps n’est pas dans une démonstration gestuelle absolue, le corps est là. C’est un garçon qu’il faut vraiment suivre, je crois, de très près. Deuxième spectacle et deuxième confirmation. Thomas Bouvet, John & Mary, au Théâtre de Vanves ». Arnaud Laporte : « Alors c’est très frustrant, car il n’y a plus qu’une représentation, demain soir… » Joëlle Gayot : « Ça va revenir, ça revient au mois de mars, à Vanves, dans le cadre du Festival Artdanthé. On re-signalera les dates. On les mettra sur le site de l’émission ». Arnaud Laporte : « Absolument. Et puis vous savez bien que ce qui est indémodable, c’est le classique. Encore une fois, la preuve en est faite. Bon, ça c’est un grand, beau coup de cœur ». 17 La Cruche cassée / Kleist Les trois coups – juin 2009 Le concours des jeunes metteurs en scène se poursuit au Théâtre 13 avec Thomas Bouvet qui réinvente « la Cruche cassée » de Heinrich von Kleist. Jouant à l’unisson la carte du cauchemar burlesque, sa troupe Def Maira fait de ce classique un petit bijou d’humour noir et de visions baroques. Une sorte de féerie gothique qu’on suit, ravi, de bout en bout. Le juge Adam s’est introduit de nuit dans la chambre de la jeune Ève. Surpris par le fiancé de celle-ci, il casse une cruche en s’enfuyant par la fenêtre. Le lendemain, la mère de la jeune fille vient sans le savoir porter plainte devant le coupable. Adam est ainsi obligé d’instruire son propre procès. Or, ce jour-là justement, un révizor (Walter) est venu de la ville pour l’inspecter. La pièce montre les efforts désespérés du juge pour détourner de lui les soupçons. Soucieux d’écrire une comédie, Kleist a accumulé les pièces à conviction qui prouvent la culpabilité de son « juge indigne ». Ainsi, celui-ci porte sur le visage les traces des coups qu’il a reçus au cours de sa piteuse expédition : griffure de la jeune fille, plaie causée sur son crâne rasé par la poignée de porte dont le fiancé s’est servi pour le frapper à l’aveuglette. Comble d’infortune, notre affreux jojo a également perdu sa perruque dans la bataille. Pas moyen donc de masquer ces indices qu’il arbore au procès, telle une confession ambulante. Pour ne rien arranger, c’est l’hiver et il a neigé. Or Adam a un pied bot, qui fait qu’on le suit à la trace. Cette accumulation presque invraisemblable de preuves formelles de son forfait apparente ce personnage à ceux de Molière, dont Kleist adapta l’Amphytrion, autre pièce sur la dualité et l’abus de pouvoir. Elle fut aussi longtemps utilisée pour « brechtianiser » le propos de la pièce. Adam y devenait une sorte de Maître Puntila de la libido scandaleusement inattaquable. Thomas Bouvet ne néglige pas cet aspect politique de l’œuvre, mais l’enrichit. En se plaçant résolument sur le terrain fertile du rêve, il y ajoute une touche de psychanalyse et de métaphysique qui font de cette Cruche cassée le procès imaginaire de tout homme de pouvoir et, du coup, un grand spectacle. Très logiquement, tout démarre par un épouvantable cri poussé dans le noir. « Non ! », hurle une jeune fille. Protestation suivie du fracas de quelque chose qu’on brise. Pour enfoncer le clou, Damien Houssier (Adam) croque dans une pomme. Nous voilà prévenus : Adam sera certes un « grand seigneur méchant homme », mais aussi chacun de nous. Son jeune et fabuleux interprète s’est fait la tête du Gollum du Seigneur des anneaux. Dans un étrange rituel au ralenti, ce vieillard-enfant s’entretient avec sa conscience : son greffier Licht (la lumière !) et sa servante flottant dans l’air, tout de bleu vêtue. Autour de lui s’affairent quatre pénitents, qui vont se révéler être les plaignants. Fertile, disais-je. La marque de sa faute lui est imprimée sur le visage d’un seul geste par du maquillage. Les comédiens jouent torse nu, ce qui choque au début, puis se révèle là encore magistral. Des corps juste peints dans 18 les couleurs symboliques de leurs rôles au sens large. Ces damnés-là sortent de l’âme torturée d’un pécheur qui s’érige en juge. Quoi de plus naturel que ce dernier voit en sa servante une allégorie de la vérité avec un grand V ? Lætitia Vercken incarne d’ailleurs avec le même talent ses diverses apparences, devenant tout naturellement Dame Brigitte, la redoutable Érinye du village. La jeune fille Ève (Shady Nafar) apparaît à notre « maudit » sous la forme d’une diablesse écarlate parée de ses seuls cheveux. « Assez longs, comme le lui crie sa mère, l’inénarrable Dame Marthe, pour qu’elle puisse se pendre avec ! ». Noémie Laszlo (Dame Marthe) fait un tabac dans ce rôle de matrone trop aveuglée par l’effet pour comprendre la cause. Ce qui n’est pas le cas du public. Des rires fusent dans la salle lorsque, au milieu de son interminable description de la regrettée cruche, Adam, juge et partie, lâche cette énormité : « Au fait, Dame Marthe ! Ce qui nous préoccupe, c’est le trou. Pas les provinces (de la Hollande) ! ». Une formidable relecture également bien servie par les costumes de Christine Bouvet et de Vinciane Goullon. Avec trois tulles et deux chiffons, ces deux dames ont fait des merveilles. Éclairés machiavéliquement par Laurent Benard, leurs créations deviennent fées, torches, fantômes. Du grand art. Immense plaisir aussi à voir les duels Ève-Ruprecht (Shady Nafar-Clovis Fouin) et Adam-Walter (Damien Houssier-Gilian Petrovski). Les premiers nous rappellent que Kleist, qui connaît ses classiques, réutilise sans vergogne le quiproquo de Beaucoup de bruit pour rien pour offrir à son héroïne une vraie situation dramatique, assortie d’une tirade vengeresse sur la confiance, clé de l’amour. Son Ève, joliment défendue par Shady Nafar, éclipse alors sans peine la Hero un peu nouille du grand Shakespeare. Quant au métaphorique pugilat auquel se livrent l’ordre et le chaos, sous les formes du Conseiller Walter et du Juge Adam, il est ici excellemment joué, que dis-je : vécu, subi, habité par Gilian Petrovski et Damien Houssier. Ils nous régalent littéralement de leurs jubilatoires et incessantes trouvailles. Cynisme, désespoir, mauvaise foi, férocité, roublardise, tout y est. Avec ces deux démons, on est, disonsle, aux anges ! Comme on comprend que Goethe, pape pédant (en est-il d’autres ?) du romantisme allemand ait tout fait pour étouffer dans l’œuf un pareil rival ! Kleist, qui en est mort, est ici suprêmement vengé. Olivier Pansieri Lesouffleur – juin 2010 L’Odéon a la bonne idée, chaque année, en fin de saison, d’offrir à de jeunes compagnies la possibilité de se produire sur sa scène qui a vu, et qui continue de voir, défiler les plus grands. C’est ainsi qu’on a pu découvrir ce week end La Cruche Cassée de Heinrich Von Kleist, montée par Thomas Bouvet. Remarquablement bien menée, cette mise en scène très particulière dans sa forme, mais audacieuse, propose une vision noire mais non dénuée d’humour, d’une des pièces les plus intéressantes de ce dramaturge incontournable. 19 L’orchestre de la salle était plein. Ce festival des jeunes compagnies sait rassembler les mordus de théâtre friands de découvrir toute nouveauté théâtrale. Ici, on assiste à une véritable démonstration artistique dont on apprécie fortement le professionnalisme. Avec des moyens modestes, Thomas Bouvet a su mettre en valeur un texte à l’écriture très romantique en passant par la forme. Entendons par là un jeu hors de tout réalisme mais sans jamais perdre de vue le propos et l’histoire. C’est d’ailleurs là sa grande force. Costumes en trompe l’œil, maquillage très dessiné, un juge, au jour de son propre jugement à l’aspect d’un mauvais sbire, se retrouve face à son instructeur à l’apparence d’un méchant diable. Duel sans fin, autour duquel gravitent Eve et autres personnages dont les rôles donnent l’impression de l’assaillir de toutes parts. Jusqu’à ce que la vérité éclate… Comment contourner la faute inavouable ? Le péché originel n’est pas pardonnable et le sort du juge Adam semble inéluctable. Musiques qui rythment son destin qui semble alors scellé, il n’existe plus pour lui aucun échappatoire. L’écriture de Von Kleist est magistrale et les comédiens jouent avec comme une partition musicale. Tout est pensé et la mise en scène va au-delà d’une simple interprétation. Elle a su créer un univers terrible et angoissant où l’étau se resserre autour d’un homme qui ne maîtrise plus rien. Effets magnifiques de pluie et d’étoiles, nous voilà plongés dans un monde hors du temps qui nous fait suivre l’avancée d’une histoire palpitante. Tel est pris qui croyait prendre, la vision pessimiste de ce poète tragique qui se donna la mort, se retrouve dans cette pièce, à se demander si ce juge démasqué et banni ne serait pas Kleist luimême à la porte de sa propre fin. On espère qu’il y aura une suite à ce spectacle à la folle originalité et au talent prometteur…Bonne chance ! Julie Laval Un fauteuil pour l’orchestre – juin 2010 La Cruche cassée, une satire de la justice et de la dissimulation humaine. Dans un petit village reculé des Pays-Bas, huit personnes se préparent à un procès. La nuit précédente quelqu’un a osé s’introduire chez Dame Marthe en commettant un épouvantable crime : celui d’une cruche, fierté familiale depuis des dizaines de générations…Cette pièce contient tous les thèmes chers à son auteur Heinrich Von Kleist et que l’on peut retrouver dans l’ensemble de son œuvre : Le conflit entre l’intérêt individuel et communautaire, l’exclusion, le masque et la dissimulation, la tromperie, le secret et l’interrogatoire, le besoin de confiance, les méprises sur les êtres, les rapports familiaux…Ces thèmes graves et noirs sont toutefois traités dans la pièce avec comique par son auteur et sous différents registres théâtraux par le metteur en scène Thomas Bouvet. Un théâtre populaire, rituel et comique sous fond de noirceur 20 D’emblée, nous nous trouvons dans un univers gothique : Adam renversé sur le dos, le visage tendu vers nous et grimé comme un personnage morbide, est attaché par des rubans rouges que tiennent des bourreaux drapés et encagoulés de noir. Au fond de la scène, domine du haut de 5 mètres de robe, le visage et la voix d’un personnage féminin onirique intervenant en tant que différents personnages dont la Justice divine. Tous comparaissent devant le juge Adam et le conseiller : ce qui retient notre attention en même temps que le texte magnifique, ce sont les registres et les voix multiples. De la plainte lyrique ou pathétique aux interventions comiques entre le conseiller et le juge, les tons et les rythmes varient grâce à des ruptures habilement mises en scène. L’aspect comique du texte réside dans l’acharnement du juge à instruire ce procès tout en dissimulant sa faute et en inventant sans cesse de nouvelles explications dans ses mensonges ! Les acteurs, et plus particulièrement Damien Houssier dans le rôle du juge Adam, font preuve d’une précision et d’une diction parfaite, joignant la parole aux expressions du corps. La gestuelle qui accompagne leur jeu est très techniquement travaillée : on se délecte devant l’agilité et la rigueur des mouvements. La mise en scène est très esthétique avec beaucoup de couleurs dans les costumes, dans la peinture qui recouvre le haut des corps des personnages et dans les différentes teintes des lumières. Thomas bouvet a fait le pari de nous montrer un théâtre complet dans ses registres, à travers un texte littéraire et pointu et à travers un jeu des comédiens centré sur l’expression des corps. Nous retrouvons un style expressionniste dans les maquillages, très exagérés et marqués. La présence de cette entité féminine surélevée et drapée rappelle quelque peu le théâtre antique où le Chœur était monté sur des échasses. Le comique est présent dans le texte mais le jeu très morcelé et découpé des comédiens, faisant penser à des automates, révèle l’absurdité de la situation au tribunal. Dans l’ensemble, le spectacle retrouve le ton du théâtre populaire. Les acteurs s’adressent à nous uniquement de manière frontale essayant par là de nous happer dans le texte. Mais les partis pris très réussis et originaux, s’enchaînent de manière automatique sans toutefois amener de souffle vivant : le jeu des comédiens est bon, les décors, les maquillages portent une vraie personnalité, le texte nous parvient toujours avec une grande fluidité, tout est bien et beau. Peut-être manque t-il un peu d’actions instinctives qui nous feraient croire que rien n’est défini à l’avance… C’est en tout cas une très belle mise en scène de Thomas Bouvet. Camille Hazard 21 Finantial Times - Clare Shine – juin 2010 No one, goes the rule, shall be judge in his own cause. Heinrich von Kleist took this abuse of power as the theme for his best comedy, then shot himself just three years after Goethe staged the play in 1808. Judge Adam has forced himself into Eve’s bedroom and broken a jug while doing a runner to escape the fiancé. Now, wounded and missing his wig, he must preside over the court case to find out who did it. We know, Eve knows – but his final fall from grace is played out in agonising slow motion. There’s nothing small-town German about this phantasmagorical production which won Thomas Bouvet a young director’s prize in 2009. Wrapped in gothic darkness, it plays out in a cavernous brainspace where events and characters seem like facets of the judge’s fevered imaginings. Surreal figures mark Adam’s disembodied upside-down white face as he crunches into a red apple. The deafening sound of smashing china and a howled female “No!” fill the theatre. Writhing red cords entangle him like the entrails of hell. The courtroom scenes are just as symbol-laden and ambiguous. The geometric staging lays out an axis of power with the judge dwarfed by the towering Dame Brigitte who brings his final nemesis. Chastity and carnal desire battle it out under the surface. Innocence versus concealment is carried through to the costumes: collars and cravats over bare but painted torsos that have a nicely pagan feel to debunk all that Christian shame. The one casualty of this intriguing production is, at times, the comedy itself. The first part is witty and inventive, with the hilarious arrival of the complainants and some excellent acting from the Def Maira company. Damien Houssier’s Adam is a tour de force with his permanent rictus and rubbery physique, nicely offset by Maxime Kerzanet’s enigmatic satyr of a Licht. But the long speeches from Eve’s mother (Noemi Laszlo) and fiancé Ruprecht (Clovis Fouin), though well delivered, break the flow and some of the most cynical killer lines get swamped. 22 Phèdre / Racine France Culture « C'est comme si Thomas Bouvet avait fait ça en secret. Il n'aurait dit à personne que c'était possible, et qu'il y pensait. Phèdre, Racine, joué uniquement par des hommes, pour créer un espace ignoré jusque là. Il y a le corps de ces hommes, ça part verticalement. Il zèbre le regard entre le rouge et la peau. Il y a une hypnose des corps. La lumière les rend tour à tour pareils et différents. Et Phèdre commence. Entre l'eau la terre le ciel, exactement comme on l'a dans la tête : on connaît ces mots, mais ces images étaient jusque là inconnues. C'est tenu. Jamais de complaisance, jamais de relâchement, Thomas Bouvet tient tout avec beauté et autorité. Il a fait ça en secret et ne pas y aller est resté ignorant d'une grande possibilité de théâtre. C'est pourtant après ça qu'on court tous : les grandes possibilités. Thomas Bouvet en a la clef. » Aurélie Charon Le Souffleur « Diction savante, lisibilité constante, scénographie superbe, corps dansants, vivants, et jeu intelligent composent un spectacle dense, personnel et fascinant (…), et qui vient, férocement, nous rappeler que LA POESIE EST EN VIE ! (…) Le spectateur assiste à un combat, sensuel, sanglant et jouissif : dans le sable de ce qui ressemble à une arène, sept comédiens (…) prêtent leurs corps, souffles et voix, à la tragédie des amours coupables. Par la force d’un jeu extrêmement stylisé, qui emprunt au naturalisme ce qu’il faut de vérité et à la symbolisation ce qu’une telle langue exige de grandeur, ils se livrent à une lutte à mort, contre l’autre ou contre soi (…) : ils sont là, ils sont réels, ils sont vivants, ils agissent sur les corps, nous ravissent et nous saisissent (…). Par la force d’une diction classique et musclée, irréprochable le plus souvent, ils s’approprient l’alexandrin racinien et, quoiqu’ils accomplissent ce prodige -pas loin du miracle, de se parler en et par le vers- ils ne lui ôtent rien de son inclassable étrangeté ni de sa folie grandiose. » Théophile Dubus Un fauteuil pour l’orchestre « Dans Phèdre, tous les personnages sont interprétés par des hommes à l’exception de Panope. Il n’y a pas de travestissement, ni une volonté d’effacer la féminité des personnages (…). Nous sommes hors des Hommes. Comédiens omniprésents sur scène soit témoins, face à l’action centrale sur le plateau, soit de dos pour signifier leur absence. Thomas Bouvet immerge Phèdre et sa cour dans un monde sans repères spatiaux-temporels. Il joue constamment sur les contraires cherchant à créer un environnement fort et déstabilisant. Ventre terrestre tourmenté qui accouche d’hommes primitifs prêts à jouer et mettre en scène une débâcle antique. » Camille Hazard 23 COMPAGNIE DEF MAIRA La Compagnie Def Maira a été créée en 2005, à Château-Gontier, suite à un atelier articulé autour de Phèdre de Jean Racine. Elle s’est implantée début 2012 à Longpont sur Orge, en Essonne. Ce travail, dirigé par Thomas Bouvet, regroupait des comédiens issus de la Classe libre du Cours Florent. Phèdre a été présentée en 2008 à la Comédie de Reims (CDN) avec ces mêmes comédiens, qui ont intégré entretemps le CNSAD, le TNS ou l’ESAD. Les créations, mises en scène par Thomas Bouvet, ont été produites et présentées par la Compagnie Def Maira : La ravissante Ronde de Werner Schwab (2006), Phèdre de Racine (2008), La Cruche cassée de Kleist (2009), John & Mary de Pascal Rambert (2012), Endormis sous le ciel de Mario Batista (2013). Loretta Strong de Copi (2007) a été présentée dans le cadre des cartes blanches au CNSAD à Paris. Diplômé en physique fondamentale, Thomas Bouvet trouve dans le théâtre une nouvelle façon de questionner le monde, de créer des espaces et des temps propres. Et cela, grâce à la complicité et la fidélité des comédiens rencontrés au fur et à mesure des projets et devenus les porteurs d’une pensée dans une danse de voix et de corps. Chaque création est l’occasion d’un nouveau laboratoire de recherche sur la beauté, la langue et les univers esthétiques dont les thématiques peuvent être l’amour, le désir, la mort, le pouvoir… Interroger et réinterroger les formes de langage et inclure toujours dans ce mouvement le public que l’on souhaite actif, dialoguant avec les différentes propositions. Dans une frontalité assumée, le spectateur est placé au centre du spectacle, celui-ci étant conçu pour activer les cordes vibrantes de la sensibilité et de la réflexion. 24 THOMAS BOUVET John & Mary © Timothée Eisenegger A l’issue de sa maîtrise de physique fondamentale, il entre au Cours Florent en 2002 et se forme avec David Garel, Frédérique Farina, Christian Croset et Jean-Pierre Garnier. Il est assistant à la mise en scène de Pascal Rambert depuis 2011 sur Clôture de l'amour (Festival d’Avignon 2011), Memento Mori (Hivernales d'Avignon 2013), Répétition (Festival d’Automne à Paris 2014, T2G). Il a été également collaborateur artistique de Jean-Pierre Garnier sur Sweet Home d'Arnaud Cathrine (Théâtre de la tempête, 2009) et La Coupe et les lèvres de Musset (Théâtre de la Tempête, 2010). Il intervient à l'école de la Comédie de Reims pendant la saison 2008 / 2009 et au LFTP (Laboratoire de Formation au Travail Physique) depuis 2010 dans la cadre d'un travail sur les auteurs contemporains. A l'invitation d'Hortense Archambault et Vincent Baudriller, il participe aux Voyages de Kadmos - rencontres de jeunes artistes lors du Festival d'Avignon 2013. En décembre 2013, il dirige un laboratoire au Théâtre d'Art de Moscou autour de la comédie d'Eugène Labiche, Un Chapeau de paille d'Italie. Le spectacle créé à la fin de ce travail est depuis joué régulièrement au Théâtre d’Art. Endormis sous le ciel / Mario Batista Création juin 2013 / La Loge - Paris Reprise février 2014 / Festival Artdanthé - Théâtre de Vanves, scène conventionnée pour la danse John & Mary / Pascal Rambert Création octobre 2012 / Théâtre de Vanves, scène conventionnée pour la danse Reprise mars 2013 / Festival Artdanthé, théâtre de Vanves La Cruche cassée / Heinrich von Kleist Lauréat du Prix Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène 2009 Création juin 2009 / Théâtre 13 / Paris Reprise octobre 2009 / Théâtre 13 / Paris Reprise juin 2010 / Festival Impatience / Odéon – Théâtre de l’Europe / Paris Phèdre / Jean Racine Création mai 2008 / Comédie de Reims-CDN Reprise novembre 2011 / Théâtre de Vanves, scène conventionnée pour la danse Reprise février 2012 / Festival Artdanthé / Théâtre de Vanves, scène conventionnée pour la danse Loretta Strong / Copi Carte Blanche au CNSAD / avril 2007 / Paris La ravissante Ronde / Werner Schwab Mention spéciale du jury au Prix Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène 2006 Création juin 2006 / Théâtre 13 / Paris 25 Contacts Compagnie Noura Sairour Administration / Diffusion +33 (0)6 25 47 18 34 [email protected] Compagnie Def Maira 93 bd Paul Vaillant Couturier 93100 Montreuil www.defmaira.fr 26