- Comment va le monde ?
- Mal.
- Et le théâtre ?
- Bien, très bien.
Paroles de cœur
Nous avons, Elisabeth Chailloux et moi, tout au long
de l’année écoulée, lu de nombreuses pièces, vu bien
des spectacles, rencontré les artistes qui ont souhaité
nous parler de leurs projets, de leurs rêves de théâtre,
de leurs préoccupations. Nous avons mené nos propres
recherches, à travers des ateliers, des rencontres, des
débats. Nous avons partagé toutes ces réflexions avec
l’équipe du Théâtre des Quartiers d’Ivry. Le résultat de ce
travail souterrain se retrouve dans cette programmation
que nous vous présentons et que nous souhaitons
partager avec le public le plus large possible.
Ni neutre ni objectif, notre choix reflète nos goûts
et se réfère à notre cohérence, à la fois individuelle et
institutionnelle. Il est restrictif aussi. Une saison est
faite des spectacles présentés et de l’absence de tous
ceux que l’on aurait voulu présenter. C’est l’image de
notre finitude. Celle du temps, de l’espace, des moyens.
Notre finitude d’humains.
Education populaire
Impossible de se réjouir ou de se satisfaire, aujourd’hui
moins que jamais, de l’état du monde avec ses crises,
ses injustices, ses campagnes de propagandes, ses
conflits d’intérêts (qui n’ont rien à voir avec les intérêts
des peuples), ses politiques spectacles, ses théâtres
d’opérations et ses théâtres de guerres.
Le théâtre, celui des auteurs et des acteurs, est là,
lui, depuis toujours, pour nous réjouir, nous procurer des
sensations, des émotions mais aussi pour nous proposer
un regard et nous interroger sur la condition humaine,
celle que nous expérimentons au quotidien et qui nous
met en relation les uns avec les autres, engendrant le
lien social.
Dès qu’il s’ouvre sur le monde par des prises de
position affirmées, le théâtre devient un formidable outil
maïeutique de dialogue et d’enrichissement de l’esprit.
Alors que les recommandations de nos dirigeants sur
l’éducation poussent vers une “ efficacité ” des formations
en termes de compétitivité, de productivité, de formatage
aux besoins des entreprises (privées et lucratives), le
théâtre joue d’autant plus un rôle d’autonomisation de
la pensée, de liberté critique, de vision aiguisée et de
révolte contre les ordres imposés, ordres qui, nul ne peut
l’ignorer maintenant, ne mènent qu’au désastre généralisé
sur les plans économiques, écologique et humain.
Le théâtre, éducation populaire de proximité,
accompagne et complète l’éducation publique. Eduquer,
ce n’est pas faire entrer dans un moule, c’est au contraire
donner les moyens de se construire en tant qu’être libre
et autonome. Et donc créatif. Qu’y a-t-il de plus urgent
aujourd’hui que de se créer un autre futur que celui
qu’envisageaient jusque là les puissances financières et
commerciales ?
Autrement dit, il n’y a pas de meilleur investissement
- s’il faut absolument, par triste habitude et abus de
langage, continuer à utiliser ces termes en notre époque
encore exclusivement économique – que celui qui porte
sur l’éducation et la culture ! C’est là que doit être porté
l’effort en priorité. Alors seulement tensions et conflits
pourront être désamorcés et l’inventivité réactivée
sur des projets réellement utiles. Car il n’y a pas de
plus grand danger pour l’humanité que la domination
sans partage des uns (une très faible minorité), et
l’ignorance, entretenue par les premiers, des autres
(la grande majorité).
Les pièces que nous présentons ici constituent un
ensemble qui reflète – que les metteurs en scène en aient
fait le choix consciemment ou inconsciemment, que les
textes soient anciens ou contemporains – des réalités ou
des fragments de réalité de notre époque. S’interroger sur
notre temps nous fait regarder de manière particulière les
pièces, et nous interroger sur les pièces nous interroge
en retour sur notre temps.
Je ne veux éduquer personne.
Je ne veux persuader personne.
Je ne veux convertir personne ; car si vous pensez, vous connaîtrez la
vérité et vous saurez ce qu’il faut faire.
Pensez ! Mais vous ne pouvez pas penser, parce qu’il vous faut des
statuts, parce que vous avez des représentants à élire, parce que
vous avez des ministres à introniser, parce que vous avez besoin de
parlements, parce que vous ne pouvez pas vivre sans gouvernement,
parce que vous ne pouvez pas vivre sans chef.
Vous cédez vos voix pour les perdre, et quand vous voulez vous en servir
vous-mêmes, vous n’en disposez plus, et elles vous font défaut parce
que vous les avez cédées.
Pensez ! Vous n’avez besoin de rien d’autre. Prenez conscience de la
sereine passivité que vous avez en vous, dans laquelle s’enracine votre
invincible pouvoir. Laissez d’un cœur apaisé et insoumis s’effondrer
la vie économique ; elle ne m’a pas apporté le bonheur et elle ne vous
l’apportera pas non plus.
Laissez consciemment pourrir l’industrie, ou c’est elle qui vous
pourrira. ./..
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