L’ÉVÉNEMENT
Mardi 3 mai 2016
UNE MULTITUDE DE CHAÎNES TV POUR UN PRODUIT INDIGENT
Audiovisuel : un paysage loin des normes
DIFFICULTÉS FINANCIÈRES, AVÈNEMENT DU NET ET DE L’AUDIOVISUEL…
Le spectre de la disparition plane sur des titres
de la presse écrite
Par
Karima Mokrani
143 QUOTIDIENS en 2015.
157 en 2016. A en juger par les
chiffres, la famille de la presse
écrite est bien féconde. Rien que
pour l’année 2015, il y a eu 15 nou-
veaux nés. En pleine crise écono-
mique. Un seul cette année 2016,
mais l’année est à peine entamée.
En 2011, il y a eu 18 naissances et
17 en 2013. C’est donc un «men-
songe» cette histoire de «dispari-
tion de la presse écrite» en raison
du rétrécissement des recettes
publicitaires, d’un côté, et de la
migration vers le web, affirment
certains. Pourtant, à bien analyser
l’évolution de cette même presse
écrite, depuis notamment la
Constitution de 1989 et la loi
d’avril 1990 relative à l’informa-
tion, en incluant les deux circulaires
Hamrouche, Chef du gouvernement
de l’époque, celle du 19 mars 1990
et celle du 4 avril 1990, la presse
écrite a connu un grand succès. La
première circulaire Hamrouche
autorisant des journalistes à se
constituer en collectifs rédaction-
nels a permis l’apparition de quoti-
diens indépendants à grand tirage.
En 1990, il y a eu 5 nouveaux titres
de quotidiens nationaux, 2 en
1994. Les meilleures années de la
presse dite indépendante avant de
perdre certaines de ses meilleures
plumes, tombées sous les balles
d’un terrorisme qui en a fait les pre-
mières cibles. S’en sont suivies
d’autres turbulences, d’autres
menaces qui ont lourdement pesé et
pèsent encore sur le fonctionnement
des journaux et le libre exercice du
journalisme. En 1997, ce fut notre
journal la Tribune qui fit l’objet
d’une décision de justice. Il a été
suspendu pendant des mois. Des
journaux ont disparu pour des rai-
sons politiques, d’autres ont «suc-
combé» sous le poids des dettes et
des difficultés financières. Et la
menace de voir d’autres titres dis-
paraître est aujourd’hui réelle, non
seulement parce qu’il y a cette crise
financière induite par le recul, pour
ne pas dire la perte, d’entrées publi-
citaires mais aussi une mauvaise
gestion certaine de l’argent de l’en-
treprise de presse. Des directeurs de
journaux se sont enrichis sur le dos
des journalistes et autres employés.
Pas d’augmentations de salaires.
Pas de salaires plutôt. Durant des
mois, des journalistes ont travaillé
sans percevoir le moindre salaire.
Et, bien sûr, aucune indemnité.
El Ahdath est parti sans crier gare,
ne pouvant pas assurer les salaires
et autres charges. El Yaoum paraît
un jour et s’éclipse un autre. Des
journalistes d’un autre organe ont
vu leurs salaires réduits de 15% et
d’autres seraient mis dans la liste
des travailleurs à licencier. Des
rédactions ne disposent pas
d’un minimum de moyens de tra-
vail…faute d’argent, dit-on. Au
même moment, des chaînes de télé-
vision percent et marquent des
points. D’accord ou pas d’accord,
elles ramènent l’information. En
temps réel. Des informations diver-
sifiées et vérifiées. Des chaînes de
télévision font parler en direct de
hauts responsables politiques aussi
bien que des citoyens anonymes.
Elles s’invitent dans les foyers,
dans les cafés et dans les espaces
publics. Les «alertes», les
«annonces d’urgence»…chacun
comment il les appelle, passionnent
davantage le simple citoyen algé-
rien qui, jusque-là, ne cherchait pas
à comprendre ce qui se passait dans
son pays ou ailleurs. De sont propre
aveu. En plus donc de la perte des
recettes publicitaires, il y a cette
menace des chaînes de télévision,
ainsi que des journaux électro-
niques. La course vers l’informa-
tion. Le scoop. Et la bonne lecture
du scoop. Il y a aussi «le journa-
lisme citoyen» sur les réseaux
sociaux, entre autres, Facebook.
Des citoyens qui ramènent eux-
mêmes l’information et font leurs
propres analyses et critiques. Ils
deviennent des «spécialistes». Et
des journalistes reprennent l’infor-
mation parfois sans la vérifier. Des
titres de presse écrite se voient
perdus dans ce tourbillon d’infos,
de commentaires et de soucis finan-
ciers. Ils craignent de disparaître, ne
pouvant pas s’adapter au change-
ment, encore moins supporter les
difficultés financières. Ces pro-
blèmes financiers et la menace de
disparition ne touchent pas que «les
petits journaux», des groupes de
presse le sont également. Une chose
est sûre, c’est que la presse en
Algérie, tous supports confondus, a
failli quelque part. Elle n’a pas vu
venir la crise, préméditée ou pas.
Ou a-t-elle fait semblant de ne pas
la voir ? En 2016, la presse algé-
rienne ne dispose pas d’un syndicat
fort et représentatif, d’une associa-
tion d’éditeurs, d’une association de
diffuseurs, d’un Conseil d’éthique
et de déontologie actif. Et c’est le
ministère de la Communication qui
se charge de délivrer des cartes de
presse aux journalistes, alors que
cela devait se faire par leurs pairs.
Certes, la presse a grandement
contribué au développement de la
société, de la citoyenneté, l’engage-
ment des journalistes et leur amour
du métier aidant, mais elle a aussi
ses défaillances qu’elle doit recon-
naître. Une organisation véritable
du secteur de la presse s’impose et
elle doit émaner des journalistes
eux-mêmes et des directeurs des
journaux. Pas d’une autre partie. Il
est vrai que de par le monde, des
titres de presse écrite disparaissent
pour les raisons évoquées en haut
(rétrécissement des recettes publici-
taires et arrivée du net) mais ça ne
doit pas être une fatalité. D’autant
que les autres supports (télévision
et net) en Algérie commencent à
peine leur aventure et ce ne sera pas
sans difficultés. L’information n’est
pas n’importe quel produit. K. M.
3
Par
Moumene Belghoul
Le paysage télévisuel algérien
s’est enrichi d’une multitude
de chaînes satellitaires
notamment depuis 2012, une muta-
tion bienvenue dans un monde
médiatique en perpétuelle évolu-
tion. Des dizaines de canaux de
droit étranger diffusent aujourd’hui
leurs programmes en direction du
téléspectateur algérien se retrouvant
soudain face à une diversité inat-
tendue. Les chaînes de télévision
estampillées dz, en grande partie
appartenant à des privés, font déjà
partie du paysage et le téléspecta-
teur algérien, il y a peu adepte des
networks des pays du Golfe, s’est
retourné vers ces canaux qui lui par-
lent directement et s’intéressent à
ses préoccupations directes. Après
des années de diffusion force est de
convenir que le professionnalisme
et la qualité font toujours défaut à
ces médias nouveau. La télévision
étant un média lourd ces canaux ne
laissent évidemment guère indiffé-
rent. En attendant les décrets d’ap-
plication de la loi sur l’audiovisuel
qui devrait réguler le paysage natio-
nale en la matière et l’installation
d’une autorité chargée de le faire
c’est toujours le désordre dans le
secteur. Alors qu’on s’attendait à
une offre télévisuelle digne des
moyens modernes et similaire à ce
qui se fait de mieux dans le monde
dans ce domaine, les nouvelles
chaines de télévision se sont avérées
être une pâle copie de la télévision
publique Entv, longtemps critiquée
pour son manque de professionna-
lisme et la qualité médiocre de ses
prestations. Il suffit de zapper d’une
chaîne à l’autre pour constater de
visu que ces nouveaux médias n’ar-
rivent pas à se hisser à un niveau de
qualité de norme internationale.
Usant du bricolage, manquant cruel-
lement de rigueur certaines chaînes,
se considérant comme «leader»,
usent carrément du mensonge, voire
de la désinformation, afin, croient-
elles, d’influer sur un audimat de
plus en plus dérouté face à ce flux
difforme. Le téléspectateur algérien
regarde perplexe ces nouveaux
médias, où chacun y va de son
appréciation à l’emporte pièce, d’af-
firmations approximatives où la
rigueur est reléguée aux coulisses.
Les plateaux des émissions pro-
posées sont à de rares exceptions
d’une pauvreté abyssale tant dans la
forme que dans le fond. La qualité
des invités laisse à désirer laissant
croire qu’en Algérie il y a un
manque flagrant de spécialistes ou
d’observateurs capables de produire
du sens sur les différends sujets tou-
chant la société. Cette décrépitude
se résume bien dans un «produit»
télévisuel devenu un classique dans
le paysage algérien : le radio trot-
toir. Une espèce de sous-produit où
le passant est invité à s’exprimer
face à la caméra, un enregistrement
sommairement monté et projeté
avec un habillage indigent sur des
télés en mal de remplissage de
grille. Séduit au début par ces nou-
velles chaînes qui offraient enfin
aux téléspectateurs une information
introuvable sur les télés publiques,
le téléspectateur particulièrement
comparateur aura vite fait de
déchanter lorsqu’il fera face à des
offres en deçà des espérances. Dans
le domaine du sport par exemple, le
privé algérien, comme le secteur
public, aura été dans l’incapacité de
lancer une chaîne de télévision
sportive de niveau international
capable de rivaliser avec les
meilleurs. La qatari BeinSport se
retrouve aujourd’hui en terrain
conquis en Algérie, où ses tarifs
excessifs trouvent preneurs dans
une situation de monopole détes-
table. Les pouvoirs publics qui hési-
tent toujours (à dessein ?) à mettre
de l’ordre dans ce secteur semblent
en décalage avec le niveau média-
tique mondial. Pourquoi n’a-t-on
pas vu l’émergence d’une où
de plusieurs chaines de télévision
publiques où privée type
«France 24», «Russia Today», ou
même «Al Jazeera», qui défendrait
les intérêts de l’Algérie et ses choix
stratégiques à travers le monde
comme l’on fait plusieurs pays qui
ont compris l’importance géostraté-
gique de se doter de ce type de
moyens ? Une interrogation inlas-
sablement en mal de réponse. M. B.
MENACÉE PAR LA MULTIPLICATION
DES SOURCES D’INFORMATION
La presse devra
négocier sérieusement
le virage des TIC
Par
Smaïl Boughazi
L’ÉVOLUTION technolo-
gique qu’a connue le monde, ces
dernières décennies, a complète-
ment bouleversé le paysage de la
presse et des médias. L’avènement
notamment de l’Internet mobile a
contraint de nombreuses entreprises
de presse à se réorienter vers la
Toile pour toucher le maximum de
lecteurs et avoir plus d’impact sur
l’opinion publique. Ce bouleverse-
ment n’est pas sans conséquences
sur la presse traditionnelle, appelée
communément la presse papier.
Cette dernière, faute d’une adapta-
tion rapide aux nouveaux moyens
de communication, s’est retrouvée
contrainte à subir cette évolution. A
présent, les choses commencent à
changer mais pas au rythme voulue.
En fait, si le passage au tout numé-
rique n’est pas à l’ordre du jour
pour diverses raisons, les journaux
qui occupaient jusque-là la scène
médiatique ont mis à la disposition
de leur lectorat des applications
mobiles et des sites internet des-
tinés à maintenir leurs «clients» à la
page. Une adaptation qui comporte,
toutefois, des inconvénients. L’ab-
sence des moyens de paiement
mobile et électronique en est la
principale contrainte qui a fait que
l’information en ligne soit perçue
comme étant un produit peu ren-
table pour les entreprises de presse.
Pour les professionnels des médias,
l’arrivée des TIC n’est pas une
menace pour la presse tradition-
nelle, bien au contraire, il s’agirait
d’un moyen complémentaire
capable d’étoffer le contenu des
médias et de les rendre plus acces-
sibles. Mais, les expériences
actuelles montrent que le Net est un
second support doté d’un même
contenu. En d’autres termes, les
entreprises de presse recourent à la
Toile non pas pour apporter un
contenu différent, adapté, mis à
jour mais juste pour diffuser une
information provenant du support
principal.
Quoi qu’il en soit, l’Internet a
apporté d’innombrables avantages
aux quotidiens d’information mais
il faut admettre que cet outil, dont
l’impact est indéniable sur l’opi-
nion publique, a apporté les gènes
de la disparation - certes lente mais
irréversible - de la presse telle
qu’on la connait depuis plus d’un
siècle. Au jour d’aujourd’hui, le
journalisme n’est plus réservé à une
catégorie d’individus. Avec l’appa-
riation du journaliste citoyen, les
sources d’information se sont mul-
tipliées de même que les supports
utilisés, devenus multimédias. Ce
concept qui commence à faire son
petit bonhomme de chemin a gagné
les quatre coins de la planète et
touche pratiquement toutes les
strates de la société. Face à ces bou-
leversements, la presse n’a plus
d’autres choix que s’adapter et uti-
liser ces nouveaux moyens à son
profit afin de survivre. Elle devra
notamment négocier le virage des
TIC et adopter de nouvelles règles
de fonctionnement basées sur la
crédibilité, la rigueur, la réactivité
et le sérieux. Des principes qui
pourraient échapper aux médias en
ligne dont le souci principal est la
rapidité, le sensationnel et le com-
mentaire. S. B.
Photo : DR