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Marseille 2013 :
Dans les quelques jours qui ont suivi le choix de la
Commission, la joie était palpable. Les rassem-
blements débordaient d’acteurs culturels, tous sourire
aux lèvres. Puis on a vu refleurir quelques articles
sceptiques, écrits par ceux-là même qui n’y croyaient
pas avant (il faut dire que la déclaration de Dominique
Vlasto, adjointe au maire, le jour de la conférence de
presse, intimant aux journalistes «d’arrêter avec
[leurs] critiques», était particulièrement maladroite :
jusqu’à preuve (baillonnée) du contraire, les
journalistes ne sont pas là pour faire allégeance au
pouvoir…).
Il y a quelques jours, sur les murs de la Friche ont
germé des affiches ocre assimilant Marseille 2013 aux
expropriations d’Euromed. Or, si la presse se doit (et
vous doit) d’être critique, éloignée des sphères
décisionnelles autant qu’il est possible, un de ses
autres devoirs est d’interroger la validité des rumeurs
et des humeurs qui circulent.
Ces critiques relèvent-elles d’un malentendu ? La
Capitale culturelle n’est pas destinée à panser les
plaies d’un monde culturel mis à mal aujourd’hui
par l’État, et par certaines politiques locales ; ni à
renflouer systématiquement les structures existantes.
Le projet de l’équipe de Bernard Latarjet ne contient
pas de remède miracle, pas d’apport financier infini :
comme d’habitude le secteur de la culture va
payer, et c’est l’économie touristique qui va encaisser
l’essentiel des bénéfices (dans la région une grande
partie du budget culturel est investi dans des festivals
qui ne profitent ni à ses artistes, ni à son public,
mais à la taxe professionnelle et aux restaurateurs).
Pourtant le projet semble vouloir, justement, éviter
cet écueil ; amener le monde économique à investir
dans un projet qui lui profite ; impliquer la population
dans les processus de création ; construire une
politique durable, des manifestations pérennes, des
bâtiments. Ces orientations ne sont pas toujours
comprises. Ni acceptées par les acteurs culturels
qu’elles excluent, surtout quand c’est au profit
d’autres dont le talent artistique, ou la pertinence de
programmateur, est contestable.
C’est pour que ces choix soient expliqués, sinon
justifiés, que nous avons demandé à monsieur Latarjet
de préciser le fondement intellectuel de son projet.
Ses présupposés, qui déterminent ses choix.
Zibeline : Vous avez rapidement précisé, lors de la
conférence de presse du 17 septembre, que votre
projet de capitale culturelle était «philosophiquement
ambitieux» ? Que voulez vous dire ?
Bernard Latarjet : Qu’il est construit sur des thèmes
et non sur un fatras de manifestations artistiques
éphémères. La capitale culturelle se construira avec
l’ensemble des acteurs qui ont envie de s’inscrire dans
ces thèmes, et dont le projet personnel correspond à
ces axes. Les grands axes qui nous guident
correspondent aux enjeux actuels entre l’Europe et ses
voisins du sud. Ils sont intellectuels, et agitent les
questions philosophiques d’actualité : ils interrogent
la pluralité des valeurs culturelles autour de la
Méditerranée, les rapports entre les religions, entre
les sexes. Les enjeux écologiques communs aussi,
avec le thème du partage de l’eau. Le rapport à
l’histoire et à la mémoire également…
Voulez-vous dire qu’il s’agit davantage d’un projet
culturel que d’un projet artistique ?
Non ! Il est les deux ! Il n’y a pas de dissociation entre
art et culture dans le projet, comme il n’y a pas de
dissociation entre culture et éducation d’ailleurs. Tout
avance ensemble, dans la cohérence. Nous allons
passer commande à des artistes capables de
s’impliquer intellectuellement dans le projet, ils seront
sollicités sur les thèmes que nous avons dégagés. Mais
rassurez-vous, il y aura des commandes, des créations
et des artistes, en 2013…
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL
Les mots du projet
Les ateliers de l’Euroméditerranée :
au-delà de l’énoncé d’un ancrage, qui
situe Marseille comme un point nodal
entre deux mondes, l’intitulé du projet
affirme une volonté de s’inscrire dans
la vie quotidienne concrète.
Le terme d’«atelier» met l’accent sur le
travail et le processus plutôt que sur le
résultat, et sur la matérialité, le monde
professionnel plutôt que sur les sphères
éthérées de la Création Artistique. La
préfiguration de ces Ateliers, nommée
Ateliers de la Candidature, a déjà
concerné, concrètement, plus de 20000
personnes, du salarié à l’écolier. À terme,
c’est toute la population qui devrait
travailler avec des artistes, des com-
pagnies, pour transformer le territoire
en Capitale.
Les deux grands axes : le projet
s’articule autour d’un axe international
et méditerranéen, et d’un axe plus local
interrogeant le rapport entre art et
espace urbain.
Le premier axe, Le partage des midis,
s’articule en quatre thèmes:
-Migrations et mémoires
-Valeurs et croyances
-Des sexes ou des genres
-Le partage de l’eau
Le second axe, La cité radieuse, s’arti-
cule également en quatre thèmes:
-L’art dans l’espace public
-Promeneurs, nomades, territoires
-Mille et une nuits
-Tous acteurs
Deux festivals, en cohérence avec le
premier thème de chacun de ces axes,
verront le jour en 2013, et devraient
avoir ensuite longue vie…
Intermed, festival de création contem-
poraine d’Europe et de Méditerrannée
Via Marseille, festival de création dans
l’espace public
Des rassemblements populaires autour
de ces thèmes rythmeront le temps
jusqu’à fin 2013, et les bâtiments qui
devraient voir le jour s’inscriront égale-
ment dans les axes «philosophiques»
du projet…
A.F.
Pour plus de précisions,
vous pouvez consulter le détail de
projet, aujourd’hui public, sur le site
www.marseille-provence2013.fr
Vous pouvez également consulter
le billet que nous avons fait paraître
sur notre site, au lendemain du choix de
la commission www.journalzibeline.fr
Le MuCEM © Ateliers Lion Architectes et Urbanistes
POLITIQUE CULTURELLE
MARSEILLE 2013
Une philosophie
Le projet de Marseille Provence 2013 est extrêmement ambitieux. Comme toutes les naissances,
emménagements, unions qui se concrétisent, il suscite l’euphorie, puis l’inquiétude