Ainsi, dans la vraie vie, un paysan qui passe à la télé met son costume du dimanche - celui qu’il
mettait jadis pour aller à la messe. José Bové, lui, se looke en plouc : moustaches à la gauloise, pipe,
pull-over tricoté main vert chlorophylle... comme ça le bobo de Canal +, qui s’y connaît vachement
question campagne, sait qu’il a à faire à un vrai paysan. L’agriculteur, lui, ne s’y reconnaît pas du tout
mais on s’en fout, la paysannerie aujourd’hui en France c’est 2 %.
Cette méthode de détection des factices me permit, après Sartre, d’éviter le piège Althusser. C’est
qu’après la Révolution surréaliste et la Révolution existentialiste vint la Révolution structuraliste : le
nouveau truc des années soixante-dix pour être sûr de ne jamais faire la révolution pour de vrai !
Alexandre Adler, un modèle de fidélité révolutionnaire, s’en réclame encore, c’est tout dire.
Cette fois, fini la poésie, la musique... la nouvelle trouvaille d’Althusser, c’était : re-Lire le Capital,
mais en ayant bien conscience de la "coupure épistémologique" à l’intérieur de l’œuvre entre avant
et après 1844 (sic) ! Il était là le grand secret. Voilà pourquoi tout avait foiré jusqu’ici !
Une fois de plus la clef de la révolution ne se trouvait pas dans l’action collective et le peuple, mais
dans l’herméneutique à Normale Sup ! Plus c’était imbitable dans le commentaire, plus c’était loin de
l’interprétation littérale - et du monde ouvrier - plus c’était révolutionnaire ! Avec ça, la bourgeoisie
Giscard pouvait dormir sur ses deux oreilles ; ce qu’elle fit d’ailleurs....
Après cette débauche de jargonnage, il ne faut pas s’étonner que le concept passe sérieusement de
mode à l’aube des années quatre-vingt, et je n’insisterai pas sur le lien existant entre la baisse de
niveau qui s’en suivit et la carrière d’un Bernard-Henri Lévy. Là-dessus tout a été dit, écrit, et il est
certain que la médiocrité actuelle, les ralliements de gauche à Sarkozy auraient été impensables,
impossibles sans cette table rase opérée par la Nouvelle philosophie...
Oublions donc BHL pour sauter directement au dernier faux dur de service : le révolutionnaire
anticapitaliste de chez Drucker, l’Olivier Besancenot...
À la classe ouvrière ce que José Bové est à la paysannerie, il en fait des tonnes dans le signe, le petit
droit-de-l’hommiste sans-papiériste : T-shirt du Che pour cacher son statut de fonctionnaire (avec
préférence nationale, mais juste pour lui), petit poing serré vers le travailleur syndiqué pour lui faire
oublier que la LCR est le lieu exclusif de l’étudiant bobo, bouche tendue aux sexualités trans-genres
mais accolade virile à son pote Joey Starr (histoire de bien confondre, dans son mépris de gauche,
banlieue et racaille...). Dans un parfait soucis de positionnement marketing, même le sigle de sa
nouvelle boutique pour jeunes reprend le nom d’une émission phare de Canal + : NPA, pour Nulle
Part Ailleurs ! Nouveau parti anticapitaliste...
Du surréalisme au trotsko-boboïsme, en passant par l’existentialisme et le structuralisme, au fond
c’est toujours de ça qu’il s’agit : empêcher le combat anticapitaliste, et faire semblant, en minant
toute opposition cohérente, toute union trans-classes, pour que le Système continue à régner...
Voilà pourquoi, tandis qu’un Céline dut s’exiler quatre ans pour ne pas être tué, tandis qu’un Drieu
préféra faire ce travail lui-même, tandis qu’un Blondin sombra dans l’alcoolisme et le cyclisme pour
n’avoir pu accomplir cette impossible union sacrée, le pouvoir libéral reconnaissant offre aux
tartuffes expos dans les musées, prix Nobel et autres après-midi télé...