La mondialisation, l`intégr - Graduate Institute of International and

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Mondialisation et gouvernance
Isabelle Milbert
Sous presse, in Cadène, Philippe, (Ed.), 2007, “La mondialisation, l’intégration
des pays en développement”, DIEM Collection, Paris, SEDES
Il est courant d’associer étroitement mondialisation et gouvernance, dans le
champ de l’économie, du politique et des relations internationales (GEMDEV,
1999, Graz, 2004), mais il est beaucoup plus délicat de formaliser leur relation
dans le champ des études de développement. L’utilisation du terme gouvernance
prête à l’ambiguïté, au point que la plupart des auteurs sont dans l’obligation
d’ouvrir leur argumentaire en tentant une définition du concept et en décrivant
sa genèse (Hufty 2007). La Commission sur la Gouvernance Globale définit la
gouvernance comme « la somme des différentes façons dont les individus et les
institutions, publics et privés, gèrent leurs affaires communes. C’est un
processus continu de coopération et d’accommodement entre des intérêts divers
et conflictuels. Elle inclut les institutions officielles et les régimes dotés de
pouvoirs exécutoires tout aussi bien que les arrangements informels sur lesquels
les peuples et les institutions sont tombés d’accord ou qu’ils perçoivent être de
leur intérêt » (1995, 2-3). La Banque Mondiale reprend une définition tout aussi
étendue de la gouvernance: la manière dont le pouvoir est exercé dans la gestion
des ressources économiques et sociales d’un pays (1992).
La mondialisation a provoqué des changements technologiques (NTIC), et
économiques (libéralisation, consommation), géographiques (délocalisations
intégrations) tels qu’ils se répercutent sur l’ordre politique national et
international. La mondialisation permet la dissémination de modèles, de
méthodes et de stratégies, et elle crée des réseaux qui mettent en contact des
acteurs du Nord et du Sud, porteurs d’intérêts et d’objectifs très diversifiés. La
mondialisation allant de pair avec la déréglementation, les privatisations et la
libéralisation, de nombreuses sphères de compétences coexistent désormais
relativement à l'organisation de l'espace public. Les frontières du public et du
privé s'estompent. La création des normes et leur mise en œuvre sont de plus en
plus complexes, et la conduite des politiques publiques se transforme. Dans les
PED, de façon encore plus marquée que dans les pays riches, la mondialisation
des flux économiques et financiers rend très difficile la maîtrise des équilibres
économiques fondamentaux et des politiques sociales dans le cadre strict des
frontières étatiques. Les Etats se trouvent donc pris dans des rapports de
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dépendance qui modifient les modalités d’élaboration et le contenu de leurs
politiques publiques.
L’évolution des acteurs se traduit par l’internationalisation des entreprises, des
mouvements sociaux, par l’importance croissante d’organisations internationales
qui tentent de diffuser et généraliser des normes élaborées au niveau
transnational. Les structures étatiques, dans un tel contexte, ont donc été
attaquées sur le fond, quant à leurs capacités et compétences, et sur leurs
financements, à partir des ajustements structurels
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.
Les utilisations très variées du terme « gouvernance » en accentuent les
ambiguïtés : les auteurs et politiciens parlent aussi bien de «gouvernance
d’entreprise » (Meisel, 2004 , 15), pour désigner les relations entre conseil
d’administration, direction, présidence, actionnaires… que de « bonne
gouvernance », pour décrire des principes de gestion publique empreinte de
participation, transparence, efficacité, équité et respect de la loi (PNUD, 1996).
En définitive, « sur le plan analytique, le concept cherche à fournir une grille
d’interprétation nouvelle du politique et des relations entre le politique institué
et le non-politique. Du point de vue descriptif, la notion prétend rendre compte
des transformations réelles des modes de gouvernement. Normativement enfin,
la théorie prétend que ces transformations sont positives et doivent être
soutenues » (Merrien, 1998 : 63).
Ce dernier point souligne le fait que le passage du « gouvernement » à la
« gouvernance », en termes d’analyse, a souvent été interprété comme une
attaque en règle des milieux ultra-libéraux contre le monopole de l’Etat sur
l’action d’intérêt public. En fait, au cours des dernières années, l’attention des
analystes et des praticiens des affaires publiques a souvent glissé du
gouvernement à la gouvernance : de la formation et de l’exercice des règles
définies par l’autorité sur la base de l’intérêt public, aux procédures de
participation et négociation qui visent à élargir le consensus sur les choix et à
inclure dans le processus décisionnel des acteurs publics et privés.
La crise de l’Etat
Une analyse rapide laisse à penser que l'Etat perd ou délègue une partie
croissante de ses compétences au profit de divers acteurs, soit des acteurs
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L’ajustement structurel une réponse à la crise financière notamment d'endettement connue par les PED. Il
conduit à des prêts sous conditionnalités qui ont pour objet premier de boucler les finances publiques. Ils se
traduisent par un ensemble de réformes visant à retrouver les grands équilibres macro-économiques et financiers
et à remettre l'économie sur un sentier durable de croissance. Leurs effets macro-économiques doivent être
distingués de leurs lourdes conséquences sociales. « L'ajustement comprend plusieurs volets qui doivent être
différenciés: les équilibrages financiers, les réformes visant à accroître la compétitivité, l'ouverture extérieure et
les changements d'ordre institutionnel ». (Hugon, Pagès, 1998, 2)
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publics locaux, nationaux et internationaux, soit des acteurs privés, soit des
groupes d’intérêt, des « stakeholders groups » fonctionnant dans un pluralisme
des réseaux. Peut - on donc affirmer que, suite à l’affaiblissement du concept de
souveraineté de type westphalien
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, l’Etat est définitivement ramené à des
fonctions minimales de régulation, telles que la loi et l’ordre, le cadre
réglementaire de l’action des acteurs et l’organisation de la contractualisation,
des forums de débat publics ? Hufty répond que « la façon de conduire les
politiques publiques ou de réguler les biens publics a changé de manière très
rapide durant les vingt dernières années. De nombreux mécanismes de
régulation des biens publics se développent hors d’un Etat qui, jusqu’à
récemment encore, en réclamait le monopole. Ils coexistent et se chevauchent.
Dans de nombreux domaines, la rationalité hiérarchique de l’Etat laisse place à
des réseaux d’acteurs autonomes et interdépendants, à des arrangements
qualifiés de partenariats au niveau national ou de régimes au niveau
international (Jessops 1998), dont les Etats sont devenus dépendants. C’est le
sens que prend la « gouvernance moderne » chez Kooiman (1993) ou Rhodes
(1996). » (2006) Face à l’« évidement » (hollowing-out) de l’Etat conséquent
aux politiques néo-libérales (ouverture commerciale, décentralisation, nouvelle
gestion publique, privatisations, etc.), certains auteurs vont jusqu’à faire
l’hypothèse d’un droit de la mondialisation qui serait un droit sans Etats
(Michalet 2002).
L’existence de l’Etat, en tant qu’ordre politique, est remise en cause par la
mondialisation et l’accroissement des flux transnationaux aussi bien matériels
qu’immatériels. Qu’il s’agisse de migrations, de commerce, de transports, de
flux de capitaux ou de communication, l’Etat ne fait plus figure d’acteur
principal et apparaît « affaibli, voire dépassé » (Laroche, 2003, 14). Certes, les
Etats les plus puissants sont capables d’exercer beaucoup plus d’influence que
les autres sur ces processus, tandis que dans bon nombre de pays en
développement, l’utilisation des outils méthodologiques de la gouvernance ne
fait que confirmer les contrastes entre les apparences et la réalité du
fonctionnement des institutions étatiques (Badie, 1992, Bayart, 2004), et permet
enfin d’analyser les modes de fonctionnement du pouvoir dans toutes ses
composantes.
Le renforcement des firmes multinationales et les pressions du secteur privé leur
permettent de menacer directement les politiques publiques des Etats. « On
passerait ainsi d’un rapport de pouvoir centralisé et hiérarchisé à une nébuleuse
d’institutions et de réseaux qui assumeraient des fonctions diverses en vue
d’atteindre des objectifs convergents » (Sénarclens 2003 :73).
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d’après le Traité de 1648 qui a formalisé le concept moderne d’Etat souverain
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Les chercheurs se trouvent donc obligés de combiner une analyse de type
politique, qui privilégie l’existence de l’Etat de droit, la responsabilité du
gouvernement, la bonne administration, la transparence et l’imputabilité, et des
méthodes qui se rapprochent de l’anthropologie. En effet, ces dernières prennent
en compte, désormais, l’existence d’interactions continues, souvent souterraines,
des jeux d’accommodement entre acteurs, et surtout la diversité des acteurs
impliqués : les acteurs informels, particulièrement nombreux dans les pays du
Sud, agissent en contact étroit avec le secteur organisé et modifient les circuits
de la prise de décision. Par exemple, le maintien du commerce de rue ou
l’obtention de permis de construire dans des villes telles que Lima ou Delhi ne
peuvent être pleinement compris qu’en prenant en compte des démarches
informelles parfois surprenantes, à la frontière entre le droit et la coutume.
L’affaiblissement du rôle de l’Etat se traduit de plusieurs façons : l’intérêt
général ne repose plus seulement dans les mains du gouvernement et des
fonctionnaires. La négociation et les responsabilités sont désormais diluées entre
la partie supranationale et la partie infranationale: c’est la gouvernance
multiniveaux”. Dès lors, la gouvernance permet d’analyser le rôle de l’Etat en
prenant en compte d’une part la prolifération des acteurs (dimension
horizontale) et d’autre part la transformation de la norme juridique et la dilution
du pouvoir entre différents niveaux, de l’international au local.
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La prolifération des acteurs
Le cadre analytique de la gouvernance permet de mettre en avant la
multiplication des acteurs et les spécificités de leurs stratégies et de leurs
alliances : d’une part l’Etat, bien sûr, entendu dans ses formes institutionnelles
variées, porteuses de contradictions. Ni la dispersion de l’autorité du secteur
public, ni la croissance des modes de régulation du type du secteur privé n’ont
diminué la puissance de la bureaucratie (Scholte 2000). Bien que les principes
du “new public management” aient prétendu rationaliser les activités des agents
de l’Etat, ils les ont critiquées mais finalement reproduites à tous les niveaux et
souvent alourdies. Le Galès (1995) a fort bien montré la prolifération d’acteurs,
chacun porteur d’un fragment de légitimité et de pouvoir, financier ou
symbolique. D’autre part, la mondialisation a encouragé la croissance d’activités
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. Cette dilution est officialisée par plusieurs techniques, qui vont de la délégation des
responsabilités à la privatisation.
La délégation vise à confier des responsabilités à des organisations spécialisées dans un
secteur ou un domaine de compétence particulier. Ex : service technique de l’Etat (lié à
déconcentration)
La privatisation est le transfert de la responsabilité publique de l’Etat dans un domaine de
production de services ou de biens à des organisations de statut privé , avec plus ou moins de
perte de contrôle par l’Etat - Hibou 1998: 152)
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de régulation à travers des organismes non officiels. Différents « stakeholders
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»
s’intègrent dans ce paysage, résumé parfois sous le nom de « société civile » :
ONG, mouvements de citoyens, entreprises multinationales, acteurs du marché
mondial des capitaux, médias…
Ces acteurs se regroupent enseaux : jusque là, aux différents niveaux de
responsabilité politique, les « médiateurs » des politiques publiques (c’est-à-
dire, selon la terminologie de P. Muller (1984), les acteurs ou groupes d’acteurs
qui élaborent la politique) constituaient officiellement des ensembles
relativement institutionnalisés dont on pouvait identifier facilement les agents et
les compétences. Ensuite les chercheurs constatent que durant la phase de
libéralisation, à partir du début des années 1990, « le rôle des médiateurs
institutionnels reste central, mais son importance est contrebalancée par celle de
réseaux informels et fluctuants d’acteurs publics, professionnels et sociétaux »
(Delorme, 2004).
Les jugements favorables concernant ce nouvel équilibre ont amené à des mises
en garde : pour M.C. Smouts (1998 : 93), il tendrait à occulter les rapports de
domination entre les groupes sociaux, tandis que les intérêts les mieux organisés
prévaudraient. Susan Strange demande un examen minutieux de l’étendue et des
limites de l’autorité non étatique (1996) et Graz insiste sur « le flou sur les
éléments à retenir pour définir le pouvoir des acteurs non étatiques sur la scène
mondiale » (41). Sénarclens (2003 :75) met en garde contre « une valorisation
implicite de l’ordre établi et la croyance naïve que ces différents acteurs non
étatiques, les mouvements sociaux qui les soutiennent, pourraient contribuer à
un mode de régulation efficace et consensuel détrônant en partie celui des
Etats ». De nombreux travaux tentent aujourd’hui d’expliquer la dimension
structurelle de pouvoir et de négociation qui lie ces acteurs non étatiques à l’Etat
et aux différents niveaux de l’action politique.
Encadré I
Les acteurs non étatiques
Les enjeux de politiques publiques sont aujourd’hui abordés par une multiplicité
d’acteurs qui revendiquent leur légitimité à part
iciper directement à leur
élaboration. Ainsi, des ONG participent à la rédaction de traités internationaux
(cf. Amnesty International, à propos de la Convention Internationale contre la
Torture). Des scientifiques jugent comment les décideurs politiques
doivent
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L’anglais a imposé la notion de stakeholders, les « parties prenantes » qui doivent participer
au processus de régulation. Si, en théorie, on peut considérer tous les individus comme des
parties prenantes, en pratique seuls les stakeholders groups et les key stakeholders, les
« acteurs-clés » parviennent à dialoguer et à contribuer aux prises de décision.
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