Une classification morphologique des figures anthropomorphes

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L’anthropologie 108 (2004) 495–534
http://france.elsevier.com/direct/ANTHRO/
Article original
Une classification morphologique des figures
anthropomorphes.
(Gravures rupestres du Haut Atlas).
La vallée de l’Ourika (Maroc)
A morphological classification
of anthropomorphic figures
(Rocks engraving of “Haut Atlas”).
Ourika Valley (Morocco)
El Hassan Ezziani
10, rue Georges Mandel, 29200 Brest, France
Disponible sur internet le 8 décembre 2004
Résumé
Depuis leur découverte durant les années 40 et 50, les gravures rupestres du Haut Atlas ont suscité
peu d’intérêt auprès des chercheurs. Les travaux les plus aboutis ont été réalisés par Malhomme,
1959–1961 et Rodrigue (1996). Les deux ont réalisé des relevés colossaux, cependant c’est ce dernier
qui a pu d’une part faire un relevé plus exhaustif, et de l’autre, il a proposé une classification plus
détaillée. Malheureusement, à celle-ci manque une base méthodologique à savoir définir auparavant
une grille ou un schéma expliquant les niveaux logiques ou les définitions qui ont permis de séparer
les thèmes et les catégories étape par étape. Dans le cadre de mes recherches qui ont abouti à la
soutenance d’une thèse (Ezziani, 2002), j’ai pu avancer une classification pour le seul thème des
anthropomorphes en élaborant une base de donnée descriptive systématique pour chaque personnage ; à partir de laquelle j’ai effectué des Analyses Factorielles de Correspondances ; celles-ci m’ont
permis de dégager six groupes différents morphologiquement. J’ai enfin pu constituer six modèles
morphologiques et reconstituer les groupes définitivement.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Adresse e-mail : [email protected] (E.H. Ezziani).
0003-5521/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.anthro.2004.10.007
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E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
Abstract
Since their discovery during the 40s and 50s, rock engravings from the Atlas Mountains have
aroused few interested by researchers. Works the most resulted have been realised by Malhomme,
1959–1961 and Rodrigue (1996). Both have realised colossal plottings, however he’s this last how
has been able to do a plotting more exhaustive, and moreover, he proposed a classification more
detailed. Unfortunately, it’s lacking at this last a methodological basis, namely to define first a grid or
a diagram explaining the logical levels or the definitions which have allowed to separate the themes
and the categories stage by stage.
Within my research which resulted in viva voce (Ezziani, 2002), I had been able to put forward a
classification for the only theme of the anthropomorphes working out a systematic descriptive database for each figures; from it I made a Factor Analysis of Correspondences; these have allowed to
bring out six different groups morphologically. In lost I had been able to constitute six morphological
examples and to reconstitute the groups definitively.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Gravures rupestres ; Anthropomorphes ; Haut Atlas ; Classification ; Modèles ; Morphologie
Keywords: Rock engravings; Atlas Mountains; Anthropomorphous; Examples; Morphological classification
Mon attention au début de mes recherches1 était d’appliquer les concepts et les méthodes de la sémiologie à un « art » rupestre. J’ai choisi « l’art » rupestre du Haut Atlas
marocain, car je disposais d’un corpus relativement complet publié à la fin des années
1950 par Malhomme, 1959–1961.
Il s’agit de gravures piquetées sur des dalles de grès horizontales offrant de grandes
surfaces planes à ciel ouvert. Les sites se trouvent sur les plateaux situés sur le versant nord
du Haut Atlas à plus de 2000 m d’altitude, au sud de Marrakech.
Les principaux sites sont 1’Oukaimeden et le Yagour. Ce sont des lieux d’alpage et
c’était probablement le cas à l’époque protohistorique où les gravures furent réalisées.
Après avoir commencé ce travail, j’ai découvert qu’Alain Rodrigue (1996), un étudiant
d’Aix-en-Provence, avait refait tous les relevés en ajoutant d’autres gravures et avait soutenu une thèse en 1996 publiée en 1999. Dorénavant, j’étais en possession de deux corpus.
Le nombre de figures relevées par Rodrigue est très supérieur à celui de Malhomme, mais il
présente le même défaut, celui de ne pas indiquer le contexte des gravures. Celles-ci sont
présentées par planches dans des dispositions quelconques, serrées les unes contre les autres
pour gagner de la place, sans tenir compte de leur disposition réelle sur le terrain.
L’étude que j’ai menée à partir de ces documents publiés est inévitablement incomplète.
Cependant, elle montrera – c’est en tout cas ce que je souhaite – que les approches sémiologique et statistique peuvent apporter des résultats originaux dans l’étude d’un « art » rupestre.
1. Constitution d’une base de données
En combinant le corpus de Malhomme, 1959–1961, celui de Rodrigue (1996) plus quelques découvertes isolées dues à Jodin (1964, 1966) et à Simoneau (1967, 1968, 1970), je
suis arrivé à constituer un corpus de 160 représentations anthropomorphes (Fig. 1).
1
Recherches qui ont abouti à la soutenance en 2003 d’une thèse de doctorat à Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
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Fig. 1. Classement par site et station (O : Oukaimeden ; Y : Yagour).
Fig. 1. Sort by site and station (O: Oukaimeden; Y: Yagour).
J’étais contraint de choisir un seul thème sans pour autant oublier complètement les
animaux, les armes, de nombreuses formes géométriques et énigmatiques, etc. Ce choix
m’a paru judicieux car les anthropomorphes me semblaient le thème central autour duquel
« s’animent » les autres thèmes, ensuite les nombreuses études et travaux sur les anthropomorphes étaient une bonne base pour entamer une étude plus rigoureuse.
Très vite, je me suis rendu compte qu’il allait falloir utiliser des méthodes statistiques si
je voulais aboutir à un classement objectif. Ma première tâche a consisté à constituer une
base de données codifiée permettant de décrire toutes les figures anthropomorphes de mon
corpus en termes identiques, de façon à permettre les comparaisons. La grille de descrip-
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tion que j’ai finalement adoptée est du type attributs-valeurs. Elle est bien adaptée au traitement par méthodes classiques de l’Analyse des Données.
1.1. Liste des attributs-valeurs
Pour décrire chaque personnage, j’ai défini une série d’attributs qui correspondent à la
morphologie du personnage, d’autres qui correspondent à des éléments graphiques additionnels associés à son corps, qui servent à préciser la fonction ou le statut des personnages
et fonctionnent comme des déterminants sémantiques, d’autres enfin qui caractérisent son
environnement graphique, c’est-à-dire son contexte.
Chaque attribut peut prendre un certain nombre de valeurs (ou modalités). J’ai pris soin
de définir celles-ci de manière à ce qu’elles soient exclusives : en effet, pour chaque figure
à décrire, chaque attribut ne doit pouvoir prendre qu’une valeur et une seule. Pour atteindre
cet objectif, il est nécessaire que chaque attribut possède également une valeur correspondante à son absence. Par exemple, les doigts (de pied ou de main) peuvent être figurés par
des traits parallèles ou rayonnants, mais ils peuvent aussi ne pas être représentés, d’où les
trois modalités « doigts en rayons », « doigts parallèles », « doigts absents » (voir Fig. 2).
1.2. Exemple de traitement descriptif d’un personnage (Fig. 3 (Pers. 92))
Pour ne pas entrer dans le domaine de l’interprétation, la description de chaque signe se
limite à ce que Peirce (1931–1958,1978) appelle le representamen. Car c’est la seule partie
du signe qui soit indépendante du récepteur. Sachant que le signe pour Peirce se scinde en
trois parties en interaction : le representamen (c’est ce qui renvoie au signe lui-même, en
faisant le moins possible appel à un référent : au lieu de dire soleil ou lune par exemple, il
est préférable de dire cercle, disque ou signe en forme de croissant), 1’objet auquel renvoi
le representamen (certains l’appellent le référent) et enfin l’interprétant (celui-ci ne peut
être réalisé que si le récepteur appartient au même communauté de pensée que l’émetteur).
L’objet ou le référent est réalisable quant à lui dans tout les cas ; cependant si le récepteur
appartient à la communauté qui a produit le signe, il est fort probable que l’interprétation
soit juste, mais si le récepteur est étranger à cette communauté, ce dernier plaquera ses
propres interprétations qui seront sujettes à caution.
1.2.1. Exemple de description d’un personnage (Fig. 3 : Pers. 92)
Je ne me suis pas limité au seul representamen dans les cas où l’objet est évident, comme
par exemple les oreilles, le sexe, les mains, etc. Dans le cas par exemple de « cupules en
triangle », « traits bordant les flancs » et « signes piscifonnes2 », j’ai tenté de rester au
niveau du representamen.
Ce personnage a le corps cylindrique ouvert, le corps cloisonné verticalement, la tête
semi-circulaire, visage présent, cupules sur la tête absentes (ici les cupules se trouvent sur
le visage et non sur la tête comme pour d’autres personnages), oreilles présentes, cou absent,
bras filiformes, bras baissés, jambes filiformes, jambes parallèles, pieds présents, doigts de
pieds absents, mains présentes, doigts de mains parallèles, sexe masculin, cupules en trian2
Le terme pisciforme ne renvoie aucunement à l’objet poisson.
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Fig. 2. Liste des attributs-valeurs.
Fig. 2. List of attribute values.
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Fig. 3. Personnage 92 (dessin d’après Malhomme, 1959–1961).
Fig. 3. Individual 92 (drawing after Malhomme, 1959–1961).
gle présentes (elles sont souvent au niveau du sexe), traits bordant les flancs présents, excroissances absentes (elles se trouvent parfois au niveau des hanches, des genoux ou des épaules), taille moyenne (sachant qu’une grande taille se situe au-delà de 120 cm, une moyenne
entre 120 et 40 cm et une petite en dessous de 40 cm), contexte humain absent (parfois les
personnages sont accompagnés d’autres personnages), contexte animaux domestiques absent
(parfois les personnages sont accompagnés d’animaux), contexte animaux sauvages absent,
cavalier non présent, arme sur le corps absente, arme au contact du corps absente, arme à
proximité du corps absente, arme à la main absente, objet tenu à la main absent, signe en
forme de U absent (parfois ce signe se trouve au niveau de la poitrine, ce n’est pas exactement celui que l’on distingue sur la poitrine du personnage), signe pisciforme absent (c’est
un objet en forme ogivale qui est parfois bordé de traits et qui accompagne parfois quelques
personnages), attribut céphalique absent (parfois les personnages sont coiffés), bracelets
absents, rectangles emboîtés absents (ces objets se trouvent parfois à proximité des personnages), « écriture » associée présente (c’est l’inscription qui se trouve sur le corps du personnage), dégradation volontaire absente (quelques personnages ont subi une dégradation
volontaire), etc.
2. Établissement de groupes
2.1. Analyse factorielle des correspondances
L’Analyse Factorielle des Correspondances (AFC) est une méthode d’analyse statistique
des données qui permet d’établir des groupements d’objets décrits par un certain nombre de
données quantitatives ou qualitatives en fonction de leurs ressemblances. Le principal intérêt
de la méthode est de permettre une représentation graphique simultanée des objets et des
propriétés permettant de visualiser très commodément les proximités entre objets et d’interpréter les propriétés qui sont responsables de ces rapprochements. En combinant 1’AFC
avec une classification Ascendantes Hiérarchique (CAH), les groupes (ou classes) sont auto-
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Fig. 4. AFC et CAH d’un Tableau de contingence des faits formels partagés par les groupes. Axe horizontal
(inertie : 24,2 %) ; axe vertical (inertie : 47,6 %).
Fig. 4. Factor analysis of correspondences (FAC) and ascendant hierarchical classification (AHC) of a contingency
table of formal characteristics shared by the groups. Horizontal axis: (inertia: 24.2%); vertical axis: inertia: 47.6%).
matiquement délimités (voir Fig. 4). Dans le cas d’une base de données qualitatives, il est
préférable d’opérer sur un Tableau 1/0 correspondant à présence / absence.
Dans mon cas, le traitement de la base de données complète aurait conduit à un Tableau
de 160 × 101 (160 personnages décrits par 101 valeurs possibles des 36 attributs descriptifs). Pour simplifier l’étude et rendre plus claires les principales conclusions, j’ai choisi de
n’opérer que sur une base des données réduite. Les attributs les plus rares ont été écartés.
C’est le cas par exemple des signes en U (sept occurrences) des signes géométriques (signes
pisciformes) (11 occurrences). Par ailleurs, les armes sur le corps (cinq occurrences) et les
armes atteignant le corps (11 occurrences) ont été rassemblées avec les armes à côté du
corps (23 occurrences), constituant ainsi un seul attribut arme avec deux valeurs [présence
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Fig. 5. Liste des 54 attributs/valeurs et sigles utilisés dans l’Analyse Factorielle des correspondances.
Fig. 5. List of 54 attribute values and symbols used in factor analysis of correspondences.
/ absence]. De même, les corps cylindriques ont été rassemblés en une seule catégorie,
qu’ils soient « ouverts » ou « fermé ».
La base de données utilisée pour cette analyse comprend donc 54 attributs/valeurs. La
Fig. 5 en donne la liste, ainsi que les sigles utilisés pour le codage informatique. C’est ainsi
un Tableau de 160 × 54 qui a été soumis à l’AFC. En fait, j’ai réalisé toute une série
d’analyses successives qui ont permis de faire apparaître différents groupements les uns
après les autres.
2.1.1. Analyse no 1 (Fig. 6)
L’analyse factorielle des correspondances (AFC) du tableau global (160 × 54) fait ressortir un groupe nettement isolé et constitué de 8 personnages au corps en violon (voir
Fig. 7 du Groupe I3) :
3
Pour la localisation, il faut se reporter au Tableau 1.
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Fig. 6. AFC du tableau initial de 160 personnages × 54 attributs. Axe horizontal (inertie : 11,2 %) ; axe vertical
(inertie : 14,8 %).
Fig. 6. FAC of the first table of 160 individuals versus 54 attributes. Horizontal axis (inertia: 11.2%); vertical axis
(inertia: 14.8%).
Gr.1 : 20, 21, 24, 25, 26, 29, 30, 31.
Ce groupe est caractérisé par les attributs :
jar : jambes arquées ;
vi : corps en violon ;
tph : tête phallique.
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Fig. 7. Anthropomorphes du Groupe I (dessins d’après Rodrigue, 1996).
Fig. 7. Group I anthropomorphs (drawings after Rodrigue, 1996).
Les 152 personnages restants forment un paquet compact. Pour en faciliter l’analyse, les
8 personnages du Gr.I et les trois attributs correspondants ont été supprimés. La seconde
analyse porte donc sur un Tableau de 152 personnages décrits par 51 attributs.
2.1.2. Analyse no 2 (Fig. 8)
On observe à nouveau un groupe (voir Fig. 9 du Groupe II) qui se sépare assez nettement
et qui est caractérisé par un certain nombre d’attributs :
Gr. 2 (18 pers.) : 6, 14, 15, 77, 78, 79, 80, 82, 108, 116, 117, 118, 119, 148, 149, 150,
154, 155.
cap : corps en à-plat ;
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Fig. 8. Deuxième AFC d’un Tableau de 152 personnages × 51 attributs. Axe horizontal (inertie : 15,1 %) ; axe
vertical (inertie : 12,5 %).
Fig. 8. Second FAC of a table of 152 individuals versus 51 attributes. Horizontal axis (inertia: 15.1%); vertical
axis (inertia: 12.5%).
Tp : taille petite ;
mac : main occupée ;
anp : animaux présents.
Ces 18 personnages sont à leur tour éliminés, ainsi que les attributs cap et anp caractéristiques de ce groupe (l’attribut ana devenu non pertinent est éliminé). L’attribut taille
petite est conservé, car il est partagé par d’autres personnages. Il reste un Tableau de 134 personnages décrits par 48 attributs qui est soumis à une troisième analyse.
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Fig. 9. Anthropomorphes du Groupe II (dessins d’après Rodrigue, 1996 ; Malhomme, 1959–1961).
Fig. 9. Group II anthropomorphs (drawings after Rodrigue, 1996; Malhomme, 1959–1961).
2.1.3. Analyse no 3 (Fig. 10)
Un groupe de figures détache à nouveau sur l’axe 1. Son contour est nettement distingué
par la CAH (voir Fig. 11 du Groupe III) :
Gr. 3 (38 pers.) : 7, 8, 16, 17, 18, 19, 22, 23, 27, 28, 35, 36, 39, 43, 46, 47, 49, 59, 60,
61, 62, 63, 65, 66, 71, 74, 81, 93, 95, 96, 115, 128, 132, 133, 134, 139, 140, 145.
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Fig. 10. Troisième AFC d’un Tableau de 134 personnages × 48 attributs. Axe horizontal (inertie : 10,5 %) ; axe
vertical (inertie : 16,2 %).
Fig. 10. Third FAC of a table of 134 individuals versus 48 attributes. Horizontal axis (inertia: 10.5%); vertical axis
(inertia: 16.2%).
Les attributs correspondants sont :
Tg : taille grande ;
bnf : bras non filiformes ;
blv : bras levés ;
jnf : jambes non filiformes ;
jfl : jambes fléchies ;
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Fig. 11. Anthropomorphes du Groupe III (dessins d’après Rodrigue, 1996).
Fig. 11. Group III anthropomorphs (drawings after Rodrigue, 1996).
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dmp : doigts de mains parallèles ;
dpp : doigts de pieds parallèles ;
arm : armes.
On notera que ces personnages ont tous un corps cylindrique, mais l’attribut cy n’apparaît
pas comme spécifique de ce groupe, car il est partagé par d’autres personnages (c’est pourquoi
il se trouve près du centre). En revanche, les attributs Tg, inf et arm sont très fortement
caractéristiques de ce groupe. Ils seront éliminés pour faciliter la suite de l’analyse, ainsi
que les 39 personnages. Les attributs ifi et ara, devenus non discriminants, sont également
supprimés. Il reste un Tableau de 95 × 43 qui est soumis à une quatrième analyse.
2.1.4. Analyse no 4 (Fig. 12)
Un petit groupe de trois figures détache à nouveau, séparé à la fois sur l’axe 1 et sur l’axe
2 (voir Fig. 13 du Groupe IV), (ce groupe était déjà perceptible sur l’analyse précédente) :
Gr. 4 (3 pers.) : 58, 98, 110.
Les caractères correspondants sont :
rec : corps rectangulaire ;
ccl : corps cloisonné ;
nma : pas de main ;
dma : doigts de mains absents.
(N.B. : ces deux derniers attributs sont évidemment corrélés).
On notera que les très curieux personnages dont le corps est fait de rectangles emboîtés
ne sont que 5 dans ma Base de Données. Les deux qui ne figurent pas dans le Groupe 4
(94 et 130) sont cependant relativement proches dans le plan factoriel. J’ai donc choisi
d’éliminer l’attribut rec, nma, ccl, ainsi que les 5 personnages qui possèdent cette caractéristique. Les attributs cla et pma, devenus non discriminants, sont également supprimés. Il
reste un Tableau de 90 × 38 qui est soumis à une 5e analyse.
2.1.5. Analyse no 5 (Fig. 14)
La Classification Ascendante Hiérarchique aide à reconnaître deux groupes, qui s’étalent
le long de l’axe 1 et sont approximativement de part et d’autre de l’axe 2 (Fig. 4). La plupart
des caractères antagonistes, de type présence/absence, sont diagonalement opposés.
Les principaux attributs qui opposent ces deux groupes sont les suivants :
Groupe 5
Tm : taille moyenne
Cv : corps cylindrique
nco : pas de cou
vp : visage présent
orl : oreilles présentes
sxp : sexe présent
jpa : Jambes parallèles
bnf : bras non filiformes
dmp : doigts de main présents
dpp : doigts de pied présents
Groupe 6
Tp : taille petite
fil : corps filiforme
pco : présence de cou
va : visage absent
ora : oreilles absentes
sxa : sexe absent
JV : Jambes en V
bfi : bras filiformes
dma : doigts de main absents
dpa : doigts de pied absents
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Fig. 12. Quatrième AFC d’un Tableau de 95 personnages × 43 attributs. Axe horizontal (inertie : 17,0 %) ; axe
vertical (inertie : 11,1 %).
Fig. 12. Fourth FAC of a table of 95 individuals versus 43 attributes. Horizontal axis (inertia: 17.0%); vertical axis
(inertia: 11.1%).
En résumé, l’Analyse Factorielle des Correspondances permet de distinguer certains
groupements de figures anthropomorphes assez nettement individualisés. Comme on pouvait s’y attendre, la manière de dessiner le corps semble être l’élément structurant principal, suivi par la position des jambes et des bras qui détermine l’attitude générale du personnage. Six groupes sont apparus, que l’on peut caractériser de la manière suivante :
G1 : corps « en violon ».
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Fig. 13. Anthropomorphes du Groupe IV (dessins d’après Rodrigue, 1996).
Fig. 13. Group IV anthropomorphs (drawings after Rodrigue, 1996).
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Fig. 14. Cinquième AFC d’un Tableau de 90 personnages × 38 attributs. Axe horizontal (inertie : 9,4 %) ; axe
vertical (inertie : 19,4 %).
Fig. 14. Fifth FAC of a table of 90 individuals versus 38 attributes. Horizontal axis (inertia: 9.4%); vertical axis
(inertia: 19.4%).
G2 : petites figures corps en à-plat (accompagnés d’animaux).
G3 : grandes figures corps cylindrique, aux jambes et bras non filiformes.
G4 : figures corps rectangulaire.
G5 : figures taille moyenne au corps cylindrique et jambes filiformes.
G6 : figures corps filiforme.
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Fig. 15. Groupes morphologiques issus de l’Analyse Factorielle des Correspondances.
Fig. 15. Morphological groups resulting from factorial correspondence analysis.
2.2. Les modèles morphologiques
L’Analyse factorielle des correspondances a révélé 1’importance de la morphologie du
corps et des jambes, parfois des bras. Je suis donc maintenant en mesure de proposer une
partition exhaustive et systématique des figures l’aide de modèles morphologiques fondés
sur un nombre restreint de critères stables. Les groupements qui en résultent, au nombre de
six, sont à très peu de chose près, ceux que l’AFC a permis de reconnaître (Fig. 15). Les
rares modifications que j’ai introduites, sont destinées à rendre les groupes plus homogènes. J’ai, par exemple, écarté quelques personnages qui ne répondaient à aucun des critères
des définitions des groupes. Ce petit groupe « sans affectation » est essentiellement constitué de figures incomplètes, souvent par suite de dégradation.
514
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Ces groupes appellent peu de remarques, car ils sont construits de manière systématique, en appliquant des critères morphologiques qui sont, dans la plupart des cas, aisés à
reconnaître sur les reproductions graphiques dont je dispose.
2.2.1. G.I : personnage à corps en « violon » (Fig. 7)
Ce groupe correspond exactement au Groupe G1 de l’AFC.
Le corps de ces huit personnages est formé par une succession de courbes. Leur caractéristique la plus remarquable est deux expansions latérales volumineuses au niveau de la
poitrine, qui peuvent être assimilées à deux énormes seins débordants. Ces « seins » occupent la place des bras qui ne sont jamais explicitement figurés. Le cou de ces personnages
est étroit et exagérément long ; il se termine par un renflement, parfois complété par deux
yeux, qui peut évoquer un phallus. Les jambes sont en arceau et, sous le ventre, une série de
« franges » dont A. Rodrigue pense qu’elles ne sont pas celles d’un vêtement. Il imagine
que ce sont les jambes repliées d’une déesse représentée en appui sur les genoux, qui auraient
été schématisées ultérieurement par des traits. La signification même de ces traits se serait
perdue « comme si le souvenir de la femme originelle agenouillée s’était irrémédiablement
évanoui, les graveurs du Haut Atlas ont parfois ajouté des jambes à leurs idoles » (Rodrigue, 1996 : p. 67). Dans la même veine, Rodrigue imagine que les « excroissances » latérales ne seraient pas les seins, mais les bras arrondis, un peu à la manière des « bras en
anse » de certaines peintures schématiques espagnoles qui deviennent à force de simplification des signes en forme de phi majuscule. Même si l’on peut douter de la validité de ces
explications, l’idée à retenir est qu’il pourrait s’agir d’images reproduites d’après un modèle
mental mal compris ou déformé à force d’être recopié par de nombreux intermédiaires.
Quoi qu’il en soit, ces personnages constituent un groupe très homogène et très localisé :
tous appartiennent à la station de Tizi n’Tifina dans 1’Oukaimeden. Toutes les dalles concernées sont inscrites sous le même numéro d’inventaire des Monuments Historiques (M.H.90).
On ne trouve rien d’approchant dans aucune autre station du Haut Atlas. Elles ne représentent donc pas un type solidement assis dans la tradition, mais semblent plutôt le fruit d’une
expérience artistique éphémère. En effet, il est permis de penser qu’elles sont strictement
contemporaines et l’œuvre d’un seul graveur. On n’aurait donc pas affaire à un produit
culturel au même titre que les idoles cycladiques, mais à un événement anecdotique sans
lendemain. La question de savoir dans quel contexte ces œuvres d’un type aussi particulier
ont pu voir le jour demeure sans doute à jamais sans réponse. La seule indication que
peuvent nous donner ces figures déconcertantes concerne la part de liberté dont disposaient
les graveurs, qui était probablement plus grande qu’on l’imagine.
Si l’on juge par la proximité des numéros d’inventaire de J. Malhomme et de A. Rodrigue, les « idoles » du Groupe I semblent aller par groupes de deux ou trois :
• Pers. 20 et 21 : O/VII/115 (M 153f) et O/VII/l16 (M 153f).
• Pers. 26, 25 et 24 : O/VII/143 (M 153j1), O/VII/142 (M 153j3) et O/VII/141 (M 153k).
• Pers. 29 et 30 : O/VII/251 et O/VII/252 (le Pers. 31= O/VII/256 est sans doute très
proche).
Deux de ces personnages ont des armes à proximité immédiate. Pour le Pers. 29, il s’agit
de deux haches du type II de Rodrigue dont la lame ovalaire rappelle étrangement par sa
forme, sa taille et son orientation l’ovale des « seins » de l’idole. Il semble y avoir une sorte
de jeu graphique entre les deux formes. Pour le Pers. 25, il s’agit d’une probable hache
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
515
Fig. 16. Personnage 20 (Groupe I) et personnage 16 (Groupe 3), tous deux de Tizj n’Tifina (Oukaimeden) (d’après
Rodrigue, 1996).
Fig. 16. Individual 20 (Group I) and individual 16 (Group 3), both from Tizj n’Tifina (Oukaimeden) (after Rodrigue, 1996).
entre les jambes et d’une forme en croissant (crosse de jet ?) dans le prolongement d’un
« sein ». D’après les numéros d’inventaire, des poignards sont également dans leur voisinage immédiat.
La station de Tizi n’Tifina est la plus riche en gravures rupestres de tout l’Oukaimeden,
puisqu’elle ne comporte pas moins de 330 figures selon l’inventaire de Rodrigue. Nous y
avons dénombré 23 anthropomorphes dont 10 appartenant au Groupe III, 3 au Groupe V et
un au Groupe VI (plus le Pers. 34 qui ne rentre dans aucun groupe). Il n’est pas inutile de
noter que ces « idoles » partagent certaines caractéristiques formelles avec les personnages
du Groupe III. L’épaisseur des corps est représentée par deux traits de contour et les jambes, également en traits doubles, sont souvent représentées fléchies (Pers. 18, 16), voire
même arquées comme celle des « idoles » (Pers. 17). Le Pers. 16 a en outre une très petite
tête perchée sur un long cou qui rappelle les « têtes phalliques » (Fig. 16).
Comme les personnages du Groupe III, les « idoles en violon » sont grandes (trois parmi
huit) ou de taille moyenne (cinq parmi huit). Elles bénéficient aussi d’une facture soignée
par polissage (au moins pour les cinq qui figurent dans le corpus de Malhomme).
2.2.1.1. Universalité de « l’idole en violon ». Selon A. Jodin, ces figures rappellent les
« idoles de la civilisation cycladique » (Jodin, 1964). A. Simoneau retient également le
terme « cycladique » (Simoneau, l967). La difficulté pour accepter cette appellation est que
les figures des Cyclades qui ont cette morphologie en violon appartiennent au Cycladique
ancien I (3200-2800 av. J.C.), ce qui semble très largement antérieur aux gravures du Haut
Atlas.
De son côté, A. Rodrigue a choisi d’exclure ces « idoles » de la catégorie des anthropomorphes pour les ranger curieusement dans une catégorie « Divers ». Il reconnaît cepen-
516
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
dant qu’elles sont d’inspiration anthropomorphique, mais qu’elles s’en éloignent par leur
schématisation poussée (Rodrigue, 1996 : p. 65). L’auteur rejette le qualificatif de « cycladique », mais ne conteste pas leur attachement à la « déesse-mère », suivant en cela Malhomme (1953). Ainsi, bien que ces figurations soient, pour Rodrigue, les gravures les plus
étranges du Haut Atlas, elles se rattachent à des figures plus ou moins semblables que l’on
trouve un peu partout dans le monde.
« Ces “idoles en violon” (le terme peut être conservé, sans références de civilisation ou chronologiques) rappellent les idoles en marbre blanc de Syros et Keos (M.
Meuleau, 1971a, p. 344) et elles sont attestées des îles Canaries au Turkménistan (J.
Onrubia-Pintado, 1987a, p. 664), et en Europe, jusqu’en Hongrie (J. Briard, 1987, p.
152). Une idole dite “énéolithique” a été découverte en 1965 au Chellah (Rabat) et
publiée bien plus tard (J. Boube, 1983-1984) » (Rodrigue, 1996 : p. 65).
Pour ma part, j’ai inclus ces « idoles » dans la catégorie des anthropomorphes, car,
malgré leur stylisation poussée qui n’est sans doute pas gratuite, elles sont fondées sur ce
que j’appelle un modèle de transformation anthropomorphique : l’humain est pris pour
modèle avec ses trois parties essentielles tête-tronc-membres. A. Rodrigue admet implicitement, lui aussi, l’idée que ces idoles conservent les attributs de la féminité.
Il est vrai que ces formes féminines opulentes, souvent considérées comme des « Déessesmères », présentent des points communs dans toutes les cultures et à toutes les époques. La
poitrine opulente, la taille resserrée et les hanches larges correspondent sans doute à une
vision transculturelle de la femme, un archétype de la féminité. Les « idoles en violon » ne
sont qu’une variante exacerbée de cette tendance universelle, susceptible de réapparaître de
façon spontanée dans les arts de toutes les époques (des « Vénus stéatopyge » du Paléolithique supérieur à la célèbre photographie de la « femme-violon » de Man Ray). Dans le
cadre général de la discussion qui porte sur le rapprochement de l’Atlas marocain et du
Sud-Est espagnol en raison de la présence de hallebardes, il semble que je ne puisse pas
faire l’économie d’une comparaison avec ce que l’Abbé Breuil appelait les « idoles almériennes » (Fig. 17). À tout prendre, la ressemblance des « idoles un violon » atlasiques avec
ces dernières est au moins aussi grande qu’avec les idoles cycladiques sensu stricto. Une
origine commune, méditerranéenne, est sans doute la clef de la ressemblance formelle de
toutes ces figures.
Quel rôle joue les « idoles en violon » de 1’Qukaimeden dans l’art rupestre du Haut
Atlas ? Elles étaient peut-être, pour l’homme qui les a gravées dans la roche, des images
idéalisées, divinisées de la femme, de la mère, peut-être des symboles de la fertilité, de
l’abondance ou de la vie : nous ne le savons pas. En tout cas, on peut affirmer que ce
n’étaient pas des femmes ordinaires, car quelques « vraies » femmes ont été figurées sans
les extravagances stylistiques des « idoles en violon ». Il faut noter qu’elles-mêmes demeurent très rares Pers. 105, 89 (Fig. 18) et, avec réserve, le Pers. 60 (Fig. 11). Leur rareté est en
soi une interrogation.
Pourquoi y a-t-il si peu de représentations de femmes parmi des dizaines de représentations ostensiblement masculines ? Pourquoi les rares représentations féminines prennentelles la forme imaginaire des « idoles un violon », ou encore n’apparaissent-elles que dans
des couples, dans des scènes de coït ou d’enfantement ? La réponse la plus simple qui vient
à l’esprit est que les alpages étaient fréquentés exclusivement par des hommes et que leurs
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
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Fig. 17. « Idoles almériennes » provenant des fouilles de H. et L. Siret. A : Schiste, (Pernera Antas, Almeria) ; B :
Albâtre (Hoya del Conquil, Girafe, Grenade) ; C : Marbre (Churruletes, Purchena, Almeria), d’après Breuil.
Fig. 17. “Almerian idols” from the excavations of H. and L. Siret. A: schist (Pernera Antas, Almeria); B: alabaster
(Hoya del Conquil, Girafe, Grenada); C: marble (Churruletes, Purchena, Almeria), after Breuil).
gravures exprimaient leur monde d’hommes. Mais cette explication simpliste n’empêche
pas de penser que la rareté des représentations féminines dans les gravures du Haut Atlas
doit refléter peu ou prou le statut de la femme dans ces petites communautés d’éleveurs.
2.2.2. G.II : personnages à corps en à-plat
Ce groupe a également été distingué par 1’AFC.
Les 18 personnages du Groupe II sont essentiellement définis par l’emploi d’une technique particulière qui est le piquetage en à-plat, de sorte que l’ensemble de la tête, du corps,
des bras et des jambes constituent une surface unique en creux (entièrement « excavée »
comme disait Jodin). Les figures sont de petites taille et dépourvues de détails : ce sont de
simples silhouettes miniatures, mais sans doute ne faut-il voir là qu’une conséquence de la
technique (Fig. 9).
L’un des arguments souvent avancés est que cette technique serait tributaire de la possession de nouveaux outils de piquetage et qu’elle coïnciderait avec l’apparition du fer
dans la région du Haut Atlas. Cet argument n’est guère convaincant sur le plan technique,
car des outils de fer facilitent au contraire le passage à l’incision fine et à la réalisation de
figures très détaillées. C’est ce qui s’est passé dans d’autres parties du monde. Au Mon
Bégo, par exemple, le piquetage est abandonné au profit de 1’incision linéaire pour les
gravures attribuées à la fin de 1’Âge du Fer. De même, au Val Camonica, seules les gravures dites « post-camuniennes » de technique filiforme sont réalisées avec des outils de fer.
Toutefois, il semble bien que les figures Groupe II marquent une rupture avec les autres
gravures du Haut Atlas. L’idée que ce nouveau style ait coïncidé avec 1’avancée d’une
culture différente, d’origine libyque, est donc tout à fait acceptable, même s’il n’y a sans
doute pas de corrélation directe avec l’utilisation du fer. Plus vraisemblablement, le changement de style serait dû à l’arrivée de groupes humains porteurs de nouvelles croyances
en même temps que d’une nouvelle technologie.
Non seulement la technique utilisée pour ce groupe de gravures est originale, mais de
nouveaux motifs apparaissent : les chevaux (souvent montés par les hommes), des élé-
518
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
Fig. 18. Anthropomorphes du Groupe V (dessins d’après Rodrigue, 1996 ; Malhomme, 1959–1961).
Fig. 18. Group V anthropomorphs (drawings after Rodrigue, 1996; Malhomme, 1959–1961).
phants figurant souvent à côté des personnages (14 et 15, 116-119, 6). Les armes qui sont
fréquentes dans les Groupes III et V notamment (poignards, haches, hallebardes) sont désormais complètement absentes, mais les personnages semblent tenir à la main d’autres types
d’objets : des disques ou boucliers, etc.
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
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Les personnages du Groupe II se rencontrent majoritairement au Yagour, mais les sites
marginaux de Tizi n’Tirlist et de Tainant sont également concernés. Seulement trois figures
ce type se trouvent à l’Oukaimeden. Parmi celles-ci, les Pers. 14 et 15 jouent un rôle de
premier plan parce qu’ils sont surchargés par une inscription en écriture libyque (voir Fig. 9).
Rien ne prouve que l’inscription ne soit pas largement postérieure aux gravures, mais l’éventualité de leur contemporanéité doit également être considérée (c’est ce qu’admet implicitement Rodrigue qui a publié ces gravures). Cela n’aurait rien d’embarrassant, car l’écriture libyque peut fort bien avoir été véhiculée par ces nouveaux arrivants. Il est probable
que ce nouveau moyen d’expression et de communication ait modifié le rôle que jouaient
auparavant les images. Plus clairement, on aurait dès lors moins besoin de l’image pour
transmettre le savoir : l’écriture aurait en quelque sorte pris le relais et contribué à faire
accentuer ce phénomène d’extinction, car cette religion, hostile à toute iconographie, a
même suscité une ferveur iconoclaste.
2.2.2.1. Le Groupe II et le style libyco-berbère. A. Jodin caractérise ainsi le style des
gravures libyco-berbère :
« Un thème fréquent est le cavalier sur sa monture ; le cheval, comme les autres
quadrupèdes, a un aspect tabulaire, avec ses quatre pattes raides et son corps filiformes : l’homme étend les bras et tient souvent un bouclier rond. Tarhit, au sud de
Colomb-Béchar (Algérie), est un autre site important à gravures libyco-berbères. Les
sujets représentent : a) des cavaliers sur montures tabulaires tenant soit un bouclier,
soit un objet dentelé ; b) des « bonshommes » parfaitement symétriques, aux jambes
arquées ; c) de nombreux lézards, en forme de croix de lorraine, aux pattes rectilignes
et aux doigts écartés ; d) des cercles parfaits, découpés au compas dans la roche »
(Jodin, 1964 : p. 101).
Il précise encore que « ... les figurations connues des boucliers, chez les Numides,
comme chez tous les peuples libyques, sont toujours rondes4. » (Jodin, 1966 : p. 39). Pour
lui, les gravures à trait large et profond, « véritable sillon plutôt martelé que piqueté sont
typique de l’époque libyque. »
Dans son article qui traite des gravures libyco-berbères de Marrakech. A. Rodrigue
écrit :
« Il ne saurait être question ici d’analyser le style libyco-berbère ou de proposer
une échelle chronologique satisfaisante, replaçant ce style dans le contexte général
des manifestations pariétales d’Afrique du Nord. Les connaissances sont encore trop
fragmentaires. Nous disposons cependant de quelques références qui permettent d’identifier les caractères propres au style libyco-berbère qui est celui des gravures du
Tensift.
« Nous reconnaissons sans mal les cavaliers à boucliers ronds et la faune qui les
accompagne : félidés, autruches, outardes, addax, mouflons ... À la différence de
4
La stèle libyque d’Abizar, près de Tizi-Ouzou, montre un cavalier équipé de trois lances et d’un bouclier rond
Bull. de Correspondance Africaine. Tome 1, planche I reproduit dans « Recherches des Antiquités », Instructions
du Comité des travaux Historiques, Paris, 1929, Fig. 21, p. 60. Une inscription libyque accompagne la gravure.
520
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
l’ensemble du Haut Draa, nous n’avons ni camélidés, ni inscriptions un caractères
tifinigh, ni scorpions, fibules, bracelets, sandalettes qui appartiendraient, quant à eux,
à l’étage chronologique le plus récent, dit « arabo-berbère » (Rodrigue, 1987 : p. 93).
En ce qui concerne le Yagour, A. Jodin admet également 1’existence d’un « ensemble
libyco-berbère, de style schématique, où apparaissent d’abord le cheval, puis le guerrier,
enfin l’écriture, et qui se développerait au long du 1er millénaire avant notre ère » (Jodin,
1964 : p. 101).
Ces diverses citations me dispensent de tout commentaire. Elles montrent que les motifs
qui constituent mon Groupe II (disques, chevaux, cavaliers, « bonshommes », etc.) sont
typiquement le produit d’influences libyco-berbères. La présence dans la frise des éléphants (Pers. 14 et 15) d’une inscription en caractères libyques est également une caractéristique de l’époque libyco-berbère, voire même encore plus récente : la période araboberbère. Comme l’affirme Rodrigue, cette frise « sera d’un réel recours pour un éventuel
croisement chronologique » (Rodrigue, 1996 : p. 86).
Il est cependant difficile de démêler ce qui appartient à la tradition antérieure et ce qui
est réellement dû aux influences extérieures. En effet, on peut penser que ces dernières ont
rencontré une certaine résistance comme celle qu’ont manifesté, de façon subtile et sans
véritables heurts, les Berbères à l’arrivée de l’Islam vers le 6e et 7e s. apr. J.-C. : on sait en
effet que certaines croyances préhistoriques ont survécu jusqu’à nos jours (Lugan, 1992).
Ce sont sans doute ces phases de transition plus ou moins longues qui sont responsables
de la confusion qui règne dans les articles cités plus hauts. Sous le terme de style schématique, on a tendance à rassembler toutes sortes de motifs qui appartiennent à des périodes et
à des lieux différents.
2.2.3. G.III : personnages à corps cylindrique aux jambes non filiformes (Fig. 11)
Les personnages aux bras levés dans la représentation symbolique de 1’« orant » sont
assez nombreux. Mais quelques-uns uns ont les mains horizontales notamment ceux qui
ont les jambes droites. Je distingue par conséquent deux sous-groupes en fonction de la
position des jambes.
2.2.3.1. Groupes III.A : personnages aux jambes fléchies. Dix huit personnages sont concernés. Ils sont généralement de moyenne ou de grande taille.
Certains occupent une position remarquable, soit parce qu’ils sont seuls, soit parce qu’ils
sont entourés d’un nombre important d’armes, soit encore parce que, parmi d’autres anthropomorphes, ils sont les seuls à être touchés par des armes. Ces figures ont particulièrement
retenu l’attention de J. Malhomme qui les considérait comme « des monuments » parce
qu’elles sont :
• touchées par des armes ;
• différentes des autres figures humaines qui les entourent ;
• en possession d’attributs que n’ont pas les autres (coiffé et chaussé) ;
• détruites soit intentionnellement soit par l’érosion.
Ces figures sont piquetées ou polies (en ce qui concerne les relevés de Malhomme).
Certaines semblent avoir été détruites intentionnellement. En somme, la moitié appartient à 1’Oukaïmeden, et l’autre au Yagour et très peu appartient aux autres sites.
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
521
2.2.3.2. Groupe III.B : personnages aux jambes droites (parallèles). Vingt-et-un personnages sont concernés. Neuf ont les bras levés, les autres ont les bras horizontaux. Quelquesuns sont entourés d’armes, mais celles-ci ne sont pas dirigées vers eux. Les personnages
(dont quelques-uns appartiennent à des couples) sont munis de phallus. 60 % sont de grande
taille et 40 % sont de taille moyenne.
Dans les relevés de Malhomme, presque la moitié des figures sont polies, peut-être après
piquetage et l’autre moitié est piquetée. Plus que la moitié des personnages appartient au
Yagour (70 % environ).
Je peux donc distinguer quatre modèles ou sous-types selon la position des bras et des
jambes.
Les 35 personnages du Groupe III se répartissent ainsi :
Jambes droites
(parallèles ou en V)
Jambes fléchies
Bras levés
8 Yag., 2 Ouk
Bras horizontaux
4 Ouk., 8 Yag.
8 Ouk., 6 Yag.
3 Yag.
Il y aurait peut-être des distinctions plus subtiles à faire, mais les faibles effectifs ne sont
guère favorables à une telle étude. Par exemple, dans la plupart des cas, bras et jambes ne
font qu’un avec le corps. Le même trait de contour assurant la continuité de la silhouette
(voir Fig. 11). Plus rarement, le tronc est séparé et les bras et les jambes sont rapportés plus
ou moins habilement sur le corps (Pers. 139).
Globalement, 14 environ appartiennent à 1’Oukaimeden et 25 environ au Yagour, ce qui,
compte tenu de l’importance relative des deux sites, ne révèle aucune préférence significative.
On ne peut qu’être d’accord avec l’intérêt que porte Malhomme à ces figures : elles sont
incontestablement les plus remarquables du Haut Atlas, mais les raisons ne sont pas seulement celles qui étaient mises en avant par Malhomme.
• C’est dans ce groupe que l’on trouve les figures les plus grandes : « l’homme d’Israoul »
(Fig. 19 : Pers. 63) mesure 2,10 m et les personnages 93 et 66 mesurent environ 1,95 m.
Selon mon critère de distinction entre figures grandes et moyennes (1 m), c’est dans ce
groupe que la proportion de grandes figures est la plus forte (34 %) et 60 % des grandes
figures appartiennent à ce groupe.
• Un bon nombre de ces figures sont polies, ce qui représente la technique la plus élaborée
et celle qui donne le plus bel aspect et assure la meilleure visibilité des figures.
• Ces figures sont fréquemment sexuées (63 %). Parfois le sexe est représenté en érection
(Pers. 27, 115, 139). La proportion de figures sexuées est significativement supérieure à
la moyenne dans ce groupe5.
• Ces personnages sont souvent relativement détaillés. 60 % ont un visage, 68 % ont des
doigts au bout des mains et 71 % ont des doigts de pied.
5
Le Groupe III représente 25 % des personnages (39/152). Or, il y a dans ce Groupe 22 personnages sexués, soit
36 % du total des figures sexuées. Le calcul de l’écart réduit (cf. Chenorkian, 1996) permet d’estimer la probabilité que l’écart ne soit pas dû aux seules fluctuations d’échantillonnage. Cette probabilité est de 93 %. On peut
donc conclure que la représentation du sexe est une des caractéristiques du Groupe III.
522
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
Fig. 19. Personnages 63 et 114 (dessins d’après Rodrigue, 1996).
Fig. 19. Individuals 63 and 114 (drawings after Rodrigue, 1996).
• Les personnages de ce groupe entretiennent un rapport particulier avec les armes de
toutes sortes (poignards, haches, hallebardes, pointes diverses). C’est à ce groupe
qu’appartient l’unique archer du Haut Atlas (Pers. 115). Certains personnages sont atteints
par des pointes de flèches ou de lances (Pers. 93). Ce sont les personnages que Malhomme appelait des « suppliciés ». D’autres sont simplement entourés d’armes.
Une mention particulière peut être faite de personnages qui ont un poignard disposé
horizontalement à la hauteur de l’épaule et dans l’axe du bras levé. Cette disposition particulière est exactement reproduite sur les Pers. 61 et 115, ce qui crée un lien d’appartenance au même système sémiologique. Je ne crois pas qu’il puisse s’agir d’une convergence fortuite.
D’une façon générale, les hallebardes sont rarement associées à des personnages. Or
dans quatre cas, une hallebarde est en relation étroite avec des personnages du Groupe III
(Pers. 46, 47, 43, 27, 74). Dans deux cas, ils semblent même la tenir directement à la main.
Si l’on admet que la hallebarde est une arme typique de l’âge du Bronze et plus particulièrement d’une phase ancienne de cet âge, cela donne une indication relativement précise de
la chronologie de ce Groupe III. Une hallebarde joue également un rôle certain dans l’ensemble formé par les personnages 60–62 et des quadrupèdes. On a l’impression que la hallebarde « pousse » les animaux vers les orants, prélude à quelque cérémonie...
• Les personnages ont souvent un aspect statique, voire hiératique. Même lorsqu’ils
appartiennent à des groupes, ils ne semblent pas représenter des scènes de la vie
quotidienne ; les relations entre les personnages semblent plutôt de nature symbolique.
C’est le cas, par exemple, des Pers. 61 et 62 (Tifirt n’Ourgou) et 46 et 47 (Aguerd
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
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n’Tircht inf.) qui présentent une similitude exceptionnelle. Dans les deux cas, un grand
personnage vu de face, debout avec les bras levés, possède une « excroissance » au
niveau de la hanche (phallus ?) qui le relie au sexe d’un petit personnage figuré à l’horizontale avec les bras également levés. On peut hésiter entre une représentation d’accouplement et d’enfantement, mais ces deux interprétations ne sont peut-être pas contradictoires, car l’image se prête bien à des lectures multiples. De telles images font
probablement référence à des « histoires sacrées » (coït mythique, symbolique ou hiérogamie).
• Les trois cas de destructions intentionnelles que j’ai signalé concernent tous des personnages du Groupe III. C’est sans doute l’indice d’une valeur cultuelle accordée à ces
figures, longtemps après leur réalisation.
• On observe une plus grande diversité des modèles iconographiques que dans les autres
groupes. Les quatre modèles que j’ai envisagés ci-dessus correspondent sans doute à des
attitudes auxquelles un sens conventionnel était lié et fonctionnent comme des paires
d’opposition : bras levés vs bras en croix, homme accroupi vs homme debout. À ces
différentes attitudes pouvaient être associées des valeurs telles que soumission, imploration, dévotion, bénédiction, reconnaissance, etc.
Pour ces raisons, le Groupe III qui rassemble les figures les plus marquantes de « l’art »
rupestre du Haut Atlas semble occuper une position à part. C’est pourquoi je le qualifierai
volontiers de groupe princeps. Certaines de ces figures sont vraisemblablement parmi les
plus anciennes du Haut Atlas. Je me réfère principalement aux gravures au trait régulier et
soigneusement poli qui rappellent le style de Tazina ou celui d’autres sites des Monts des
Ksour. La comparaison s’impose tout particulièrement pour le Pers. 132, un orant debout à
grosse tête ronde ponctuée, qui appelle un personnage similaire de Thiout (cf. Fig. 20). Sa
proximité avec un grand boviné aux longues cornes enroulées vues de face et de même
technique va dans le même sens (il est difficile de ne pas y voir une réminiscence des
bovinés de la « période bubaline » chère aux spécialistes du Sahara). Les personnages 35,
66, 63 (Fig. 19), 60–62 et 43 semblent de la même veine. D’une façon générale, ces personnages dont la grosse tête ronde semble directement posée sur les épaules (132, 35, 66,
81) rappellent les célèbres « têtes rondes » du Sahara. Bien sûr, je ne vois là qu’une analogie formelle sans aucune implication chronologique.
2.2.4. G.IV : personnage à corps rectangulaire (Fig. 13)
Les corps sont souvent composés de rectangles emboîtés ou présentant une structure
cloisonnée. Deux de ces personnages sont accompagnés de personnages à corps quadrilatère ouvert vers le bas ou à corps cylindrique aux jambes filiformes (G.V).
Les personnages qui constituent le Groupe IV sont peu nombreux (cinq en tout), mais
très typiques. L’AFC en a fait un groupe à part. Encore convient-il de dire que seulement
deux d’entre eux sont assurément des anthropomorphes pourvus de membres. Les trois
autres n’ont été ajoutés que par analogie avec les corps rectangulaires des deux premiers
(Fig. 13). Ces rectangles, en particulier les trois derniers, sont interprétés par Rodrigue
comme des boucliers, les remplissages complexes représentant selon lui la construction en
lattis de bois. Dans cette interprétation technique, les « excroissances » aux quatre coins
seraient des « renforts d’angle ».
On notera que le Pers. 94 qui n’a pas « d’excroissances » aux angles possède cependant
un remplissage complexe du même type, tandis que le Pers. 130 a des angles légèrement
524
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
Fig. 20. A : « Orante » du style de Thiout (Thiout, atlas saharien), d’après Frobenius-Obermaier ; B : « orant » de
l’Aougdal n’Ouagouns (Yagour) (d’après Rodrigue, 1996).
Fig. 20. A: “Orante” in the style of Thiout (Thiout, Saharian Atlas), after Frobenius-Obermaier; B: “orante” of the
Aougdal n’Ouagouns (Yagour) (after Rodrigue, 1996).
saillants, mais pas de remplissage à l’exception d’un cercle au centre. C’est pourquoi l’interprétation comme bouclier ne me paraît pas certaine. Même si c’est le cas, il n’en reste pas
moins que, dans deux cas, des bras et des jambes ont incontestablement été ajoutés pour
« anthropomorphiser » les prétendus boucliers.
Comme les « idoles en violon », ces personnages sont peu nombreux et de forme très
originale. Ils appartiennent tous au Yagour, mais alors que les « idoles en violon » sont
toutes localisées dans une unique station de l’Oukaimeden, les personnages à corps rectangulaire se trouvent sur deux stations du Yagour (quatre aux Azibs n’Ikkis et un à Aguerd
n’Tircht supérieur). Cela correspond sans doute à une différence de fonctionnement, les
premiers étant liés à un rite ou un culte localisé, les seconds étant plus intégrés dans le
discours iconographique du Haut Atlas.
Curieusement, les personnages à corps rectangulaire n’ont pas suscité la même attention
auprès des chercheurs que les « idoles en violon ». J. Malhomme se contente de citer le
Pers. 94 qu’il nomme « Homme compartimenté et ses deux poignards » (Malhomme, 1953 :
p. 384). A. Simoneau ne sépare pas la description de l’interprétation et qualifie le même
personnage de forme anthropomorphe incarnant « le monde avant la création ». Il représente, selon lui, l’association entre le ciel (la tête) et la terre (le rectangle) (Simoneau,
1967 : p. 106). Pour G. Camps, le rectangle représente un habit spécial porté par des individus spéciaux des « dédicants ». Il pense que les anciens Berbères portaient jadis une
pièce d’étoffe rudimentaire de forme « rectangulaire drapée autour du corps ou cousue sur
une épaule et serrée ou non à la taille par une ceinture » (Camps, 1960 : p. 108). Dans son
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
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Fig. 21. Anthropomorphes du Groupe VI (dessins d’après Rodrigue, 1996 ; Malhomme, 1959–1961).
Fig. 21. Group VI anthropomorphs (drawings after Rodrigue, 1996; Malhomme, 1959–1961).
article qui traite des disques, A. Rodrigue parle des boucliers et de leur éventuel symbolisme solaire, mais il ne parle à aucun moment des formes anthropomorphes à corps rectangulaire, bien qu’il souligne l’existence d’une forme rectangulaire à côté de la Fig. 19
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(Pers. 63), en la qualifiant de bouclier (Rodrigue, 1988 : pp. 83–85). Il me semble que le
manque d’intérêt des chercheurs envers ces formes correspond à l’idée qu’ils s’en font et
qui peut se résumer soit comme un ornement guerrier (en temps de guerre), soit comme une
pièce vestimentaire (en temps de paix). Quelle que soit l’interprétation, il semble qu’il y ait
un jeu entre l’objet et son « anthropomorphisation » par addition de membres. On remarquera toutefois que lesdits membres ne sont guère humains. Les doigts de la main droite du
Pers. 94 sont au nombre de huit et forment une sorte de peigne. Quant aux doigts de pied
(six à droite), ils sont écartés comme ceux d’un oiseau.
2.2.5. G.V. : personnages à corps cylindrique aux jambes filiformes (Fig. 18)
Ce groupe est composé de personnages possédant un corps formé par deux lignes parallèles, d’où l’appellation de « cylindre ». Ils ont les bras horizontaux ou baissés, rarement
levés en position d’orant. J’ai subdivisé ce groupe, numériquement très important, en deux
sous-groupes inégaux, en me fondant sur le caractère plus ou moins complet des figures
effet, j’ai noté qu’un bon nombre d’entre eux étaient privés de certains membres.
2.2.5.1. Groupe V.A : personnages possédant quatre membres. Les personnages ont des
têtes circulaires ou semi-circulaires, souvent pourvues d’oreilles. Beaucoup possèdent des
phallus avec trois cupules au-dessus ou au niveau du sexe. Ils sont souvent bordés de traits
de chaque côté du corps. Ils sont majoritairement de taille moyenne.
Les deux techniques, polissage et piquetage, sont à peu près présentes en proportions
égales. 90 % des personnages se trouvent au Yagour (notamment aux Azibs n’Ikkis) et très
peu à 1’Oukaïmeden.
NB : des personnages, malgré une dégradation qui paraît naturelle6, semblent avoir un
corps cylindrique et des jambes filiformes.
2.2.5.2. Groupe V.B : personnages aux membres incomplets. Ces personnages sont souvent privés intentionnellement de membres. En outre, beaucoup n’ont pas d’oreilles. Il y a
moins d’armes que dans le sous-groupe précédent. Les doigts, quand ils sont présents, sont
souvent en rayons. Le phallus est moins développé, voire même absent. Corrélativement,
les cupules en triangle sont rares. Le signe en U est presque inexistant.
La plupart des personnages sont piquetés. 70 % appartiennent au Yagour, 25 % à
1’Oukaimeden.
Le caractère qui m’a paru être le plus significatif et déterminant l’appartenance à ce
groupe est que les jambes sont de simples traits dans la continuité du tronc. C’est la raison
pour laquelle j’ai rassemblé dans ce groupe quelques figures dont les bras sont faits de traits
doubles. On notera d’ailleurs que cette façon de dessiner les bras n’offre aucune stabilité,
certains personnages possédant un bras filiforme et un bras « double » (voir Fig. 18).
Ces figures sont assez détaillées. Les pieds et les mains sont souvent figurés avec des
doigts (mains 65 %, pieds 78 %). Cette caractéristique est partagée avec le Groupe III, mais
il y a une différence dont j’ignore si elle peut être porteuse de sens ou non : les doigts sont
dans plus de la moitié des cas rayonnants et non plus parallèles comme dans le cas du
Groupe III. Les détails anatomiques du visage sont figurés dans 74 % des cas (plus encore
6
Naturelle car les relevés soulignent la dégradation par des pointillés.
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
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que dans le Groupe III). Ce sont des figures taille moyenne dans leur grande majorité (moins
de 10 % dépassant l m).
78 % des personnages du Groupe V sont localisés dans le Yagour contre seulement 20 %
à l’Oukaimeden. Cette fois, et contrairement à la distribution des figures Groupe III entre
l’Oukaimeden et leYagour, qui ne révélait aucune tendance significative, l’hypothèse d’une
distribution aléatoire peut être rejetée à plus de 95 % : les personnages du Groupe V sont
significativement concentrés au Yagour.
On peut distinguer au moins deux modèles formels à l’intérieur de ce Groupe. Le premier consiste à dessiner la tête en continuité avec le corps, formant une sorte d’arceau ou
d’épingle à cheveu. La tête est donc aussi large que le tronc et repose sur celui-ci sans
indication du cou (Pers. 138, 10, 109, 103). L’homme à l’inscription (Fig. 3) : Pers. 92) et
le « laboureur » (Pers. 102) sont de ce type. Les bras sont le plus souvent étendus à l’horizontale ou obliques. Dans le second modèle, la tête ronde est séparée du corps par un
rétrécissement figurant le cou. Les différences entre ces deux modèles s’arrêtent là, car ils
partagent beaucoup d’autres caractères. Par exemple, les traits bordant les flancs, les arceaux
articulaires, les poignards se trouvent dans les deux modèles. Il est donc difficile de les
considérer autrement que comme des variantes sémantiques.
L’une des particularités de ce groupe est qu’il inclut certains personnages qui semblent
participer à des scènes que j’aurais tendance à qualifier de la vie quotidienne :
• « Scène de labour » (Pers. 102) ;
• « La scène de Coït » (Pers. 105-106) ;
• « Le couple dans un enclos » (Pers. 83-84 ou 83 A-83B) ;
• « Le Personnage entouré de félins » (Pers. 120) ;
• « La scène Mère / enfant » (Pers. 89-90).
Ces scènes sont peu nombreuses et il est remarquable que ce soit des personnages du
Groupe V qui en sont presque toujours les acteurs. Bien que la fonction symbolique de ces
scènes ne doive pas être négligée, je les ressens comme moins « sacrées » que celle du
Groupe III.
2.2.6. G.VI : Personnages à corps filiforme
Ce groupe est constitué de personnages dont le corps est schématisé par un seul trait et
dont les bras sont majoritairement horizontaux ou baissés. Seul quatre d’entre eux ont les
bras levés. Le sexe est souvent absent, mais les mains sont pourvues de doigts en rayons. Ils
sont presque tous piquetés. Et sont répartis sur de nombreux sites (voir Fig. 21).
Dans le type le plus fréquent, les bras sont horizontaux et les jambes en V renversé, mais
des variantes sont possibles (bras levés, en V, symétriques de jambes). Le module est plutôt
petit, puisque plus de la moitié ont moins de 40 cm, les autres sont de taille moyenne. Les
personnages tiennent parfois à la main des objets (haches, disques) de taille démesurée
(Pers. 52, 53, 42), comme si le sujet de la représentation était davantage l’arme que l’humain
qui la porte. Parfois les jambes sont absentes et le schéma corporel tend vers une simple
croix (cf. Pers. 52 et 53). Parfois encore les jambes sont étirées à l’horizontale et la confusion avec des représentations de lézards est alors possible. Dans quelques cas, des traits
obliques partent symétriquement de part et d’autre de l’axe du corps et donnent alors une
silhouette « arboriforme » ou « ramiforme » (Pers. 143, 144, 121, 123) (Fig. 22). Ils rappellent les « traits bordant les flancs » des personnages d’autres groupes. Les doigts des
pieds et des mains sont assez fréquemment figurés en éventail.
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Fig. 22. Personnages à corps « arboriforme » (dessins d’après Rodrigue, 1996 ; Malhomme, 1959–1961).
Fig. 22. Individuals with “tree-like” bodies (drawings after Rodrigue, 1996; Malhomme, 1959–1961).
Les personnages du Groupe VI se trouvent très majoritairement au Yagour (62 %) et
dans les sites périphériques de Tizi n’Tirlist, Tainant et Telouet. Ils sont particulièrement
rares à l’Oukaimeden (moins de 10 %).
2.3. Remarque sur la localisation
On peut d’ores et déjà noter que certains groupes présentent une certaine spécificité
régionale, tandis que d’autres, au contraire, semblent communs à plusieurs sites :
• Le G.I appartient à l’Oukaïmeiden et le G.IV au Yagour.
• Le G.II et le G.VI appartiennent en majorité au Yagour.
• Le G.V est lié au Yagour notamment le G.V.A.
• Les personnages de G.III se trouvent aussi bien à l’Oukaïmeden qu’au Yagour (au moins
en ce qui concerne le sous-Groupe III.A). La fréquence des personnages du sousGroupe III.B est plus élevée au Yagour qu’à l’Oukaïmeden.
Ces constats sont sans doute à mettre en relation avec le « peuplement » plus important
au Yagour qu’à l’Oukaimeden. Par ailleurs, si l’on compare la fréquence des autres groupes
sur le site de l’Oukaïmeden, les « orants » du Groupes G.III viennent en tête.
Or, A. Rodrigue affirme, d’une part, que l’Oukaïmeden aurait été peuplé en premier, et
qu’il aurait été délaissé au profit du Yagour. C’est sans doute vrai en première approximation, mais il faut remarquer que 1’Oukaimeden possède des gravures appartenant à chacun
de nos groupes formels, ce qui oblige à penser que le site a continué d’être fréquenté sporadiquement pour des raisons rituelles, alors même qu’il était abandonné en tant qu’alpage.
Par ailleurs, il pense que les figures que nous avons rassemblées dans le G.III seraient plus
anciennes que celles de notre Groupe G.V.
2.4. Relations entre les Groupes I et III : figures symboliques
Les personnages du Groupe I entretiennent des rapports formels évidents avec le Groupe
III (corps, bras et jambes non filiformes, jambes fléchies/arquées, grande taille, technique
E.H. Ezziani / L’anthropologie 108 (2004) 495–534
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de polissage, etc.). Comme les « orants » du Groupe III que nous supposons emprunts
d’une certaine sacralité, les « idoles en violon » semblent s’éloigner du monde quotidien
des humains et appartenir essentiellement à la sphère symbolique (êtres imaginaires, divinités, etc.).
Nous avons vu que les « idoles en violon » appartiennent exclusivement à l’Oukaimeden. Or, un tiers des figures Groupe III (12/35) se trouve également dans ce site. Si la
numérotation de Malhomme n’est pas complètement aberrante, il semble que les personnages du Groupe I et du Groupe III voisinent sur les mêmes dalles. En effet, sur la station
de Tifina, huit personnages possèdent le même numéro d’inventaire 153, et ne sont distingués que par des lettres. Or, trois appartiennent au Groupe III et cinq au Groupe I :
Ma
Malhomrne
Rodrigue
no 18(III)
153a1
54
20 (I)
153f
115
22 (I)
153f
116
22 (III)
153h1
118
23 (III)
153h2
124
26 (I)
153j1
143
25 (I)
153j3
142
24 (I)
153k
141
Cette proximité probable (même si elle n’est pas confirmée que très approximativement
par les numéros de Rodrigue) renforce l’idée d’une certaine contemporanéité et probablement d’une communauté de fonctionnement du site qui aurait été investi d’une certaine
sacralité et aurait fait l’objet de pratiques cultuelles.
2.5. Similitudes et différences entre le G.III et le G.V
Les personnages du Groupe III et du Groupe V ont des affinités formelles indéniables.
En effet, tous sont construits à partir d’un corps cylindrique. La différence essentielle réside
dans les membres qui sont figurés par un seul trait pour le Groupe V et par deux traits pour
le Groupe III. La fragilité de cette distinction apparaît par exemple dans le couple de la
Fig. 23 (Pers. 7 et 8) qui sont traités en traits simples pour l’un (7 = Groupe V) et en traits
doubles pour l’autre (8 = Groupe III).
De façon plus subjective, on peut dire que le dessin du Groupe V est souvent moins
réaliste que celui du Groupe III. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer le personnage
114 (voir Fig. 19) (Groupe V) et le personnage 63 (voir Fig. 19) (Groupe III). Les éléments
contextuels identiques (rectangle cloisonné, poignard, signe « pisciforme ») sont suffisants
pour affirmer que les deux « œuvres » sont en continuité culturelle. Toutefois, le personnage 114 est beaucoup plus raide. Cette tendance à abandonner le réalisme est probablement une variante stylistique. On peut alors se demander si ces différents styles sont contemporains et servent d’identifiants à des groupes humains distincts (dans ce cas l’on parle de
rôle sémantique que peut jouer ce style) ou s’ils sont plutôt l’indice d’une évolution chronologique.
La première hypothèse paraît peu vraisemblable, car on a du mal à croire que la façon de
dessiner les membres en traits simples ou en traits doubles puisse être un marqueur sémantique suffisant entre deux groupes contemporains qui chercheraient ainsi à se différencier
l’un de l’autre. L’idée d’une évolution vers des formes de plus en plus schématiques au fil
du temps semble plus plausible.
On notera qu’il existe des faits formels qui ne concernent que le Groupe III. Mais cela
peut s’interpréter aussi bien dans l’hypothèse de la contemporanéité que dans celle de
l’évolution chronologique. Par exemple, des armes sont présentes (tenues à la main, sur le
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Fig. 23. Personnages 7 et 8 (dessins d’après Rodrigue, 1996).
Fig. 23. Individuals 7 and 8 (drawings after Rodrigue, 1996).
corps ou à proximité du corps) pour 35 % des personnages du Groupe III et seulement 22 %
des personnages du Groupe V : cela peut être une indication d’une fonction différente au
sein d’un même système (sacrifice ?) ou d’une évolution des idées au fil du temps accordant progressivement de moins en moins d’intérêt aux armes. On notera que les trois cas de
« destruction intentionnelle » que nous avons retenu ne concernent que le Groupe III, ce qui
est plutôt en faveur d’une évolution des croyances.
2.6. Relations entre le Groupe VI et le Groupe II
Les figures Groupe II et du Groupe VI présentent une certaine ressemblance qui vient
de leur petite taille et de leur tendance commune au schématisme. Toutefois, il suffit de
regarder les personnages 116-119 et 80 (G.II) et les personnages 143, 144 (G.VI) pour
s’apercevoir que les premiers sont moins schématiques que les seconds. Certains personnages du Groupe II semblent animés et leurs contours montrent des flexions caractéristiques de leurs mouvements (par exemple Pers. 6, 82, 80). D’une façon générale, les personnages du Groupe VI sont plus raides, plus géométriques avec leurs bras en croix et leurs
jambes en V ou anormalement coudées (Pers. 52 et 53 par exemple). La tendance extrême
est probablement représentée par les figures « ramiformes » qui rappellent des schémas
végétaux.
Pour la commodité de l’exposé, j’appellerai schématique, le style des personnages du
Groupe VI et semi-schérnatique le style des personnages du Groupe II (Fig. 24).
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Fig. 24. Styles des Groupes II et VI.
Fig. 24. Styles of Groups II and VI.
2.7. Deux grandes classes morphologiques
Le fait formel majeur qui préside à la réalisation d’une figure anthropomorphe est la
façon de dessiner le corps. Nous avons vu que ce critère était à la base des six groupes
distingués par l’Analyse Factorielle des Correspondances. Je peux regrouper ces six groupes en deux grandes catégories :
• Les troncs faits de deux traits : « corps formé de ligne courbes » (G.I), « corps cylindrique aux jambes non filiformes » (G.III), « corps de forme rectangulaire » (G.IV) et
« corps cylindrique aux jambes filiformes » (G.V).
• Les troncs faits d’un seul trait : « corps en un trait large » (G.II) et « corps filiforme »
(G.VI). Il était tentant, au moins à titre d’expérience, d’envisager la constitution de deux
« super-groupe » que nous appellerons Ensemble A (comprenant les Groupes I, III, IV et
V) et Ensemble B (comprenant les Groupes II et VI).
On notera qu’à la première façon de figurer le tronc correspondent des figures plus « réalistes », tandis que la seconde conduit à des figures plus schématiques, ainsi que je l’ai déjà
dit. Les exemples de la Fig. 25 illustrent les principales caractéristiques qui différencient
ces deux ensembles.
J’ai dressé un tableau afin de repérer facilement les caractéristiques qui différencient ces
deux grands groupes (outre la morphologie du tronc).
Quelques caractères ressortent nettement :
• les personnages du Groupe A sont grands (ou moyens), alors que ceux du Groupe B sont
petits (ou moyens) ;
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Fig. 25. « Super-groupe » A et B (dessins d’après Rodrigue, 1996 ; Malhomme, 1959–1961).
Fig. 25. “Super-group” A and B (drawings after Rodrigue, 1996; Malhomme, 1959–1961).
• les personnages du Groupe A sont plus détaillés (traits du visage, doigts de mains et de
pieds) ;
• les personnages du Groupe A sont beaucoup plus souvent sexués ;
• les personnages du Groupe A sont accompagnés d’animaux domestiques, ceux du Groupe
B d’animaux sauvages ;
• les personnages du Groupe A sont beaucoup plus souvent accompagnés d’armes ;
• les personnages du Groupe B sont beaucoup plus souvent en groupe.
On peut résumer dans la Fig. 26 les caractéristiques de ces deux ensembles ; l’opposition entre eux est extrêmement forte, ce qui semble indiquer une rupture assez nette. On
notera que ces deux ensembles ont probablement une valeur chronologique, puisque les
Groupes II et VI sont ceux que j’ai attribués à la période libyco-berbère, tandis que les
Groupes I, III, IV et V seraient attribuables en grande partie à l’âge du Bronze dit « atlasique » avec un prolongement possible jusqu’au 7e-6e s. av. J.-C., puisque les plus anciennes
inscriptions libyques apparaissaient en association avec des personnages du Groupe V.
En ce qui concerne les répartitions géographiques, il apparaît qu’à l’Oukaimeden,
l’ensemble A est prédominant. Au Yagour, les deux ensembles sont à peu près représentés
de façon équilibrée. Cela s’accorde bien avec l’idée avancée par Rodrigue selon laquelle
1’Oukaimeden aurait été occupé avant le Yagour et progressivement abandonné au profit
de ce dernier.
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Fig. 26. Caractéristiques des deux grandes classes morphologiques.
Fig. 26. Characteristics of the two morphological classes.
Dans les sites périphériques (TnT, KEM, Ta, Te), c’est le Groupe B qui domine largement, ce qui confirme l’appartenance d’une grande partie de ces gravures à la période
libyco-berbère. La présence de représentations de chars à Tainant et Telouet va évidemment dans ce sens.
3. Conclusion
Les groupes morphologiques issus de l’Analyse Factorielle des Correspondances se sont
révélés cohérents à l’examen de leurs faits formels constitutifs. Les liens supplémentaires
que ces derniers tissent entre les groupes donnent finalement l’idée d’une grande continuité. Celle-ci est particulièrement manifeste entre les Groupes III et V dont je me demande
même s’ils ne constituent pas deux expressions parallèles qui n’exprimeraient que des nuances de sens (qui nous échappent évidemment). Le Groupe VI possède encore beaucoup de
traits communs avec les deux précédents. Si le Groupe II des figures miniatures piquetées
en à-plat semble faire rupture, il prend cependant place dans l’ensemble sans difficulté. Il
me semble même que le Groupe VI pourrait lui avoir emprunté certaines caractéristiques
graphiques (corps filiformes et taille réduite). Le Groupe II ne serait donc pas une simple
intrusion, mais son apport aurait été en partie intégré au substrat local.
L’homogénéité, l’originalité et la continuité des gravures du Haut Atlas apparaissent
dans des caractères généraux tels que l’orientation très majoritairement dextre des animaux
et leur figuration de profil avec une seule patte par paire, ainsi que dans la représentation
presque exclusivement frontale des anthropomorphes (Ezziani, 2002).
Références
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