Au début, le cigare ne réussit pas à franchir les frontières de l’Espagne et du
Portugal, ce qui peut sembler quelque peu surprenant. Dans les pays moins
favorisés, il était supplanté par le tabac à priser et à rouler. Il fallut attendre encore
plus de deux siècles pour que le tison des Indiens, affiné par les Espagnols qui
l’appelaient «puro», franchisse enfin les Pyrénées.
Pendant les guerres napoléoniennes (1806-1812), la mode de fumer le cigare se
répandit de plus en plus sous l’impulsion des soldats anglais et français, qui avaient
emprunté cette habitude aux Espagnols. Cette mode, comme celle de priser le tabac,
supplanta progressivement la pipe. En Angleterre, la fabrication des «seegars»,
comme on les appelait à l’époque, commença en 1820. Un an plus tard, une loi
réglementant la production fut édictée. A la même période, la cigarette, une
alternative plus économique au cigare, apparut également, mais elle ne s’imposa
vraiment qu’avec la mécanisation et la production de masse au XIXe siècle.
Durant les 500 ans suivant sa découverte par Christophe Colomb, il est indéniable
que le cigare a profondément influencé la culture européenne. Mais le tabac a une
dimension non seulement culturelle, artistique et intellectuelle, mais aussi
économique. Le cigare – ou le tabac à priser – a inspiré des générations de peintres,
d’écrivains et de musiciens. Même si à toutes les époques, le tabac a régulièrement
été la cible d’attaques répétées, il est aujourd’hui encore un symbole de plaisir, d’art
de vivre et de prestige. Les chroniqueurs nous enseignent qu’au Yucatan, fumer le
cigare était réservé aux rois et aux prêtres. Le parfum envoûtant du tabac permettait
à ces privilégiés d’entrer en contact avec des puissances invisibles. Ce qui est sûr,
en revanche, c’est qu’une fois introduit en Espagne et au Portugal, il resta pendant
longtemps l’apanage de la noblesse. Denrée de luxe, le cigare était aussi et surtout
un signe extérieur de richesse. Jamais au cours de son histoire, il ne réussira à se
débarrasser de ses nobles origines si bien qu’il ne sera jamais un produit comme les
autres.
Le cigare s’adresse à tous les sens: l’odorat, le goût, le toucher, la vue et même
l’ouïe! Pendant longtemps, faire rouler un cigare entre ses doigts, ce qui produisait
un bruit caractéristique, passait pour le comble du raffinement. Un bon cigare est une
promesse de félicité et de plaisir des sens.