La migration des emplois à l`Ile Maurice : la filière textile et les "TIC"

publicité
La migration des emplois à l'Île Maurice:
la filière textile et les ((TIC»
Emmanuel Grégoire
*
Lors de son accession à l'indépendance (12 mars 1968), l'île Maurice figurait
parmi les pays sous-développés. Son économie était caractérisée par une forte
prépondérance de la culture de la canne à sucre qui assurait 90 % des exportations, une industrie encore embryonnaire et un secteur tertiaire quasi inexistant.
En outre, de nombreuses incertitudes pesaient sur son avenir, une fois le colonisateur britannique parti: la paix sociale et la cohabitation pacifique entre les
différentes communautés nationales allaient-elles être maintenues dans un contexte de croissance démographique très soutenue (3,12 % entre 1952 et 1962)?
Trente-cinq ans plus tard, la situation est très différente: ce petit État insulaire a, tout d'abord, réussi une délicate transition démographique puisque la
croissance de la population (1233400 habitants en 2004 répartis sur 2040 km-) 1
oscille autour de 1 % par an. Du point de vue économique ensuite, il a connu un
rapide développement: Maurice est un des rares pays africains, si ce n'est le
seul, à s'être extrait de la liste des pays les plus pauvres de la planète pour
rejoindre celle des pays à revenu intermédiaire (le revenu moyen par habitant
s'élève à $ 5000 par an en 2004). Ce succès (la croissance a été de 5,7 % par an
en moyenne au cours des deux décennies passées) s'est opéré dans un cadre
libéral d'inspiration britannique qui veut que l'État encourage le secteur privé,
lui fournisse un cadre juridique favorable et défende ses intérêts sur la scène
internationale. Enfin, Maurice est une démocratie parlementaire inspirée du
modèle de Westminster, régime politique qui lui confère une stabilité rare en
Afrique 2 et appréciée des investisseurs étrangers.
Maurice est dans une situation particulière par rapport aux flux d'investissements étrangers et de délocalisations. Basée initialement sur la monoculture du
sucre, l'économie mauricienne s'est diversifiée dans l'industrie (création d'une
* Géographe,
TRD, Bondy, UR 105 «Savoirs et développement».
l. La république de Maurice comprend l'île Maurice et Rodrigues (36000 habitants pour 104 km'),
située à six cents kilomètres au nord-est de Maurice.
2. Malgré la diversité ethnique de l'île, son unité n'a jamais été remise en cause en dépit de quelques
incidents en 1965, 1968 puis 1999.
Autrepart (37), 2006, p. 53·72
54
Emmanuel Grégoire
zone franche), les activités portuaires (mise en place d'un port franc 3), le tourisme,
l'offshore financier puis à présent les nouvelles techniques d'information et de
communication (TIC). L'industrie manufacturière et, dans une moindre mesure,
le tourisme ont été les deux piliers du «miracle» mauricien.
Après une première section consacrée à une analyse globale de l'évolution du
marché du travail à Maurice, nous nous pencherons sur les industries de la zone
franche, en particulier le textile et l'habillement, dont le développement, largement
basé sur les investissements directs étrangers, ont contribué à la résorption du
chômage. Le secteur traverse cependant une crise due à l'abolition, depuis le I"
janvier 2005, de ]' Accord multifibres qui le protégeait depuis 1974 en limitant la
concurrence par l'instauration de quotas, en dérogation aux règlements du
GATT (Accord général sur le commerce et les services). Le pays doit aujourd'hui faire face à la concurrence indienne, et surtout chinoise. Parallèlement, le
secteur du sucre est menacé par la prochaine suppression du protocole sucre de
la Convention de Lomé.
Les difficultés actuelles que connaît l'Île Maurice, dont le développement
s'est fait essentiellement sur la base de la relocalisation d'industries à la recherche
de coûts de production plus faibles, et sous la protection d'accords internationaux
comme l'Accord multifibres ou la Convention de Lomé, témoignent de la volatilité des investissements: ceux-ci se déplacent dès lors que la rentabilité baisse, à
la suite d'une augmentation des coûts, en particulier salariaux, et/ou d'un affaiblissement de la compétitivité. Victime en quelque sorte de son succès, Maurice
doit aujourd'hui trouver d'autres sources de prospérité et de création d'emplois.
C'est vers le secteur des nouvelles technologies de l'information (TIC) que se
tourne aujourd'hui le gouvernement mauricien pour tenter de diversifier à nouveau son économie et offrir des emplois aux jeunes Mauriciens, sans cesse plus
nombreux à sortir diplômés de l'enseignement secondaire et de l'université. Si le
principe de la stratégie de développement de l'île reste le même, il s'agit maintenant pour elle d'attirer des services délocalisés, et non plus des industries, la
différence essentielle résidant dans le fait que Maurice doit à présent compter
sur son avantage comparatif puisque le pays se lance dans un secteur non protégé,
dont il n'est pas seul à avoir perçu les avantages potentiels.
Un développement du marché du travail basé sur les délocalisations
Pendant de longues décennies, le marché du travail mauricien a été étroitement dépendant de l'exploitation de la canne à sucre, seule ressource du pays: la
production de sucre, son transport (chemin de fer, route) et son exportation (activités portuaires) offraient en effet aux Mauriciens la plupart des emplois jusqu'à
3. L'objectif est de renforcer la position du pays dans le domaine des services et d'en faire une
plaque tournante du transport régional ainsi qu'un centre logistique et de marketing dans l'océan Indien,
en Afrique australe et orientale. Maurice faisant partie de plusieurs organisations économiques régionales
(COI, SADC, COMESA, lOR/ARC), les opérateurs nationaux et étrangers ont accès dans des conditions
avantageuses (hors taxes et droits de douane) à de nouveaux marchés.
Autreparr (37), 2006
La migration des emplois à l'Île Maurice
la fin des années 1960. À cette époque, l'île possédait un tissu industriel étroit
(70 entreprises employant 1200 personnes), un secteur touristique inexistant et
une administration encore peu peuplée. Comme d'autres pays en voie de développement soucieux de diversifier leur économie, Maurice avait alors adopté une
politique d'industrialisation qui avait pour objectif de créer des emplois et de
réduire les importations pour diminuer le déficit commercial. La petite taille de
son marché empêchant toute économie d'échelle, cette stratégie de substitution à
l'importation montra rapidement ses limites en ne permettant ni d'endiguer le
chômage 4, ni d'enrayer le déclin du produit intérieur brut par habitant et la
détérioration de la balance des paiements.
Pour inverser la tendance, le gouvernement travailliste eut l'idée de mettre en
place, en 1970, une zone franche manufacturière en s'inspirant des exemples de
Taiwan, Singapour et Hong-Kong. Ces trois pays insulaires ou quasi-insulaires
avaient en effet opté pour une politique très volontaire d'ouverture économique
et de développement des exportations par l'implantation de zones franches industrielles. Le principe des zones franches est le suivant: une matière première est
importée en franchise de taxe, transformée sur place puis réexpédiée à l'étranger.
Cette structure nécessite toutefois une combinaison complexe d'éléments
endogènes et exogènes qui en conditionnent le succès: infrastructures efficaces,
expertise en matière d'exportation, main-d'œuvre qualifiée et bon marché, cadre
fiscal attractif, etc. Le livre blanc sur le développement stratégique (1971-1980)
et le plan de développement (1971-1975) insistèrent sur la nécessité de mettre en
place les institutions et les infrastructures indispensables. Des avantages exceptionnels furent accordés aux investisseurs exportant depuis Maurice: exonération
d'impôts sur les revenus des sociétés pendant dix ans, imposition allégée les dix
années suivantes, exemption de droits de douane pour les matières premières et
produits semi-finis nécessaires à la production, prêts à taux préférentiels, etc.
Attirées par ces avantages fiscaux, de nombreuses entreprises étrangères et
mauriciennes s'installèrent en zone franche dans des proportions assez proches.
Allouée essentiellement au textile, elle fut couronnée de succès puisqu'elle permit d'endiguer un chômage longtemps considéré comme endémique (le taux de
chômage avait été ramené à 3,3 % en 1992). De ce fait, elle bouleversa la structure du marché du travail, comme le montre le tableau 1.
La progression de l'emploi dans la zone franche a été très rapide, et elle est
devenue, au début des années 1990, le premier employeur de l'île (tab. 1). La
chute de l'emploi entre 2000 et 2004 n'a pas été moins spectaculaire, la zone
perdant près de 24000 emplois pendant la période.
Les industries de la zone franche se caractérisent par la prépondérance de
la main-d'œuvre féminine (environ 2/3 des effectifs), dont la participation au
marché du travail s'est beaucoup accrue en l'espace de vingt ans: 20,4 % en 1972,
43,2 % en 1994 [Hein, 1996]. L'industrie sucrière a vu au contraire ses effectifs
4. Au début des années soixante-dix, le taux de chômage était estimé à plus de 20 % de la population
active [Hein, 19961.
Aurrepart (37), 2006
55
56
Emmanuel Grégoire
Tab. 1 - Principaux secteurs d'emplois mauriciens (l970-2004)
Emplois
en 1970
Emplois
en 1980
Emplois
en 1990
Emplois
en 2000
Emplois
en 2004
48127
47493
41000
28144
19900**
640
21334
89606
91374
67619
4035
9297
10100
17811
22600
Offshore financier
-
-
272*
1185
1200
TIC
-
-
-
278
3500
Secteurs
Industrie sucrière
Zone franche
Tourisme
* 1994, ** 2003.
Source : Central Statistics Office, Ministère du tourisme et des loisirs, MOBAA et Board of
Investment.
diminuer de plus de moitié afin d'améliorer la compétitivité de la filière, le mouvement s'accélérant après de récentes mesures favorisant des départs massifs à
la retraite pour réduire les coûts de production. Toutefois, en intégrant les petits
planteurs (28000) et les emplois indirects (8000), le sucre faisait encore vivre
près de 55000 familles en 2004. Le tourisme a quant à lui pris un essor important illustré par les chiffres suivants: 7700 arrivées en 1963, 27650 en 1970,
300670 en 1991 et 718800 en 2004. Ce secteur génère aujourd'hui plus de 6 %
du PIE et constitue la seconde source de rentrées de devises du pays après la
zone franche. Cet accroissement des recettes s'est accompagné d'un accroissement
de l'emploi. Le tourisme représente aujourd'hui 10 % des emplois du pays. Au
niveau des recrutements, il est en concurrence directe avec la zone franche, car
il offre de meilleures rémunérations et conditions de travail. Installés en 1992,
les services financiers rebaptisés global business ne sont pas une activité créatrice
d'emploi mais plutôt une source de recettes pour l'État. Le secteur représente
actuellement 13 % du PIE. Déconnecté de l'économie réelle, cet offshore repose
sur la fiscalité internationale et des accords de non-double imposition signés par
Maurice avec des pays comme l'Inde et l'Indonésie, dont les ressortissants sont
les principaux utilisateurs de la place. Enfin, le secteur des nouvelles techniques
d'information et de communication se développe depuis trois ans, mais n'a pas
encore eu d'impact très significatif sur le marché du travail.
L'évolution du marché du travail reflète l'évolution de la structure économique
du pays et son ouverture sur le monde. En dehors du tourisme, l'essentiel des
emplois a dans le passé été créé dans les secteurs du textile et de l'habillement,
industries intensives en main-d'œuvre, à la recherche de localisations permettant
de limiter les coûts de production, en particulier les coûts de main-d'œuvre, mais
pas uniquement si l'on en juge par l'ensemble des avantages que le gouvernement
mauricien a jugé nécessaire de proposer aux entreprises pour les inciter à investir
dans la zone franche. Cependant, si la dynamique de création d'emplois a bien
été enclenchée par la politique d'ouverture, les concessions accordées aux entre-
Autrepart (37). 2006
La migration des emplois à l'Île Maurice
prises ont attiré autant d'entreprises rnaunciennes que d'entreprises étrangères.
La migration sectorielle des emplois ne suffit donc pas à expliquer l'évolution
du marché du travail mauricien.
l'emploi dans la zone franche
C'est donc dans la zone franche qu'interviennent les évolutions principales
sur le marché du travail mauricien. L'emploi dans cette zone est caractérisé par
cinq phases historiquement marquées [Wilton Associates, 1994]: une phase de
décollage rapide, dans la première moitié des années soixante-dix, qui se traduit
par l'émergence d'une classe d'entrepreneurs industriels et d'une classe ouvrière;
une phase de stabilisation, entre 1977 et 1982, au cours de laquelle la zone
franche doit faire face à la concurrence d'autres pays en voie de développement;
une phase de forte expansion, entre 1983 et 1989, entraînée par un accroissement des investissements asiatiques et européens qui permettent de résorber le
chômage; une nouvelle phase de stabilité pendant la décennie quatre-vingt-dix,
marquée par un redéploiement des entreprises, au sein de la zone franche et vers
des pays tiers, en particulier Madagascar; et depuis 2002, une crise, liée à celle
du secteur textile-habillement touché de plein fouet par l'abolition de l'Accord
multifibres.
Fig, 1 - Emplois dans la zone franche mauricienne (1970-2004)
120000 - , - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - , 600
- - - Nombre d'emplois
....-0._ ... Nombre d'entreprises
100000 + - - - - - - - -
'"
's
80000
+-__----',,-----/"c'C=----=c'-'=~r'J500
+-------------'---/---------'~-----',-----+
400
Ci
E
Ci
~
.OJ
"0
.t
'"
OJ
.~
60000
+-------------r.~i-----------__+
300
E
ë
.OJ
"0
OJ
.0
o
z
E
40000 + - - - - - - - - - - - - ! f - - - - - - - - - - - - + 200
0
z
20000 + - - - - - - - - ; 0 7 - : ' ' ' ' ' - - - - - - - - - - - - - - - - - + 100
0
N
o
o
N
<t
0
0
N
Sources: Central Stetisticel Office et MEPZA.
Autrepart (37),2006
57
58
Emmanuel Grégoire
Délocalisations vers Maurice et diversification de l'industrie nationale
Entre 1970 et 1976, le nombre d'entreprises dans la zone franche passe de 4
à 84, et l'emploi de 640 personnes à 17 403, pour un investissement total de 105
millions de roupies. Les secteurs privilégiés sont les industries du vêtement et du
textile et, dans une moindre mesure, l'électronique. Le financement provient à la
fois de sources locales et étrangères:
- 42 % des capitaux sont mauriciens et principalement détenus par les compagnies sucrières qui engrangent, de 1973 à 1976, des revenus élevés sur leurs
exportations suite à une flambée du cours du sucre consécutive à une pénurie
spéculative (le prix de la tonne atteint à cette époque 600f, soit près de dix fois
son cours antérieur) [Durand, 1975]. Ces compagnies établissent souvent des jointventures avec des Européens ou des Asiatiques, pour acquérir leur savoir-faire.
- 58 % des capitaux proviennent de l'étranger, les investissements se portant à 80 % sur le textile. Les entreprises de Hong-Kong et de Singapour en
représentent 33 %: elles se sont installées à Maurice pour avoir un accès direct
au marché européen. Elles ne pouvaient en effet pénétrer ce marché depuis leur
territoire en raison des accords d' auto limitation dits Accord multifibres qui les
soumettaient à des quotas auxquels les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique),
dont Maurice fait partie, n'étaient pas astreints dans le cadre de la Convention
de Lomé. Les autres capitaux étrangers (25 %) sont européens, notamment français. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une part d'entreprises de petite taille, créées
le plus souvent à l'initiative d'un individu désireux de vivre à Maurice et dotées
d'un capital ainsi que d'un savoir-faire réduits. Il y a, d'autre part, des sociétés
plus importantes, principalement textiles, filiales ou qui travaillent presque
exclusivement pour le compte de grands groupes comme Décathlon, Auchan,
Carrefour ou des marques de vêtements. Ils profitent ainsi de coûts de production, en particulier de coûts de main-d'œuvre moins élevés qu'en France. Toutefois, l'Afrique du Nord (Maroc), la Turquie et l'Asie (Malaisie, Bangladesh,
Indonésie, etc.) constituent également pour ces groupes des sources d'approvisionnement privilégiées, ces pays étant de redoutables concurrents de l'industrie
mauricienne.
L'essor de la zone franche a pour effet de transformer la plantocratie sucrière
franco-mauricienne qui contrôle l'économie du pays en une classe d'entrepreneurs industriels. Elle entraîne également la formation d'une classe ouvrière bien
adaptée au travail industriel: les usines sont réparties sur l'ensemble de l'île afin
d'offrir du travail à tous les Mauriciens et de limiter les trajets des ouvriers: la
zone franche n'est donc pas localisée en un lieu précis, mais touche, au contraire,
l'ensemble de l'île. Enfin, elle permet au pays de diversifier son activité et
d'opérer une première ouverture économique sur le monde, les dirigeants de ces
nouvelles entreprises multipliant les contacts avec leurs fournisseurs et leurs
clients étrangers. Les Mauriciens apprennent ainsi à répondre aux exigences des
seconds tant au niveau de la qualité des produits que du respect des calendriers
de livraison.
Autrepart (37), 2006
La migration des emplois à l'Île Maurice
Des créations d'emplois ralenties
À cette phase de décollage rapide succède, entre 1977 et 1982, une phase de
stabilisation, la croissance de la zone franche se ralentissant, même si le parc
global d'entreprises s'accroît de 38 unités (des fermetures d'usines sont compensées par des créations). Le nombre d'emplois passe de 18169 en 1977 à 23476
en mars 1982: la progression est donc moins soutenue qu'auparavant. Cela
s'explique par la concurrence nouvelle d'autres pays en voie de développement,
la récession économique qui touche alors l'Europe et l'Amérique du Nord, qui
absorbent 95 % des exportations mauriciennes, par les politiques protectionnistes
spécialement adoptées dans le textile par ces deux grandes zones, par une première hausse du coût du travail local, et enfin les insuffisances promotionnelles
de l'EPZDA (Export Processing Zone Development Authority), organisme chargé
de promouvoir la zone franche à l'étranger. Ces facteurs conjugués à la baisse
du prix du sucre entraînent une chute du PIE et une reprise du chômage en 1978
en raison d'importants allégements d'effectifs dans la filière sucrière (qui perd
près de 5000 emplois) et de recrutements moindres dans la zone franche (2300
entre 1977 et 1979). Sous la pression de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, le gouvernement dévalue la roupie de 30 % en 1979, puis de
20 % en 1981, soit une dépréciation globale de 50 % par rapport au dollar [AlIadin, 1993]. Ces dévaluations opérées dans le cadre d'un programme d'ajustement structurel (PAS) ont pour objectif d'atténuer la perte de compétitivité liée
au renforcement de la concurrence internationale [Dirnou, Schaffar, 2001]. De
plus, comme ailleurs, le programme d'ajustement structurel cherche à réduire les
dépenses publiques et entraîne une série de mesures impopulaires (fortes hausses
des prix, privatisation de certains secteurs, etc.) qui se traduisent par de violentes
manifestations de rues et des grèves répétées.
Renforcement des délocalisations, développement industriel
et résorption du chômage
La reprise, à partir de 1983, est spectaculaire. Le nombre d'entreprises passe
de 138 à 563, les investissements hongkongais précèdent les Français et les
Britanniques: 349,222 millions de roupies contre 165,192 et 101,189 millions au
cours de la période 1985-1992 5 (Wilton Associates, 1994). Les entrepreneurs
hongkongais transférèrent en effet leurs capitaux à l'étranger en prévision de la
rétrocession de Hong-Kong à la république populaire de Chine (juin 1997), craignant de voir leurs entreprises nationalisées. Maurice leur offre un cadre politique et économique anglophone et favorable (régime libéral), la présence d'une
minorité chinoise active dans les affaires et un accès direct aux marchés européens et américains pour lesquels l'île bénéficie de quotas d'exportation. Le
poids de la zone franche dans l'économie mauricienne dépasse dès 1985, soit en
quinze ans, celui de la filière sucrière en termes d'exportations et d'emplois, et
5. Dans le même temps, les exportations ont considérablement augmenté, passant de 2,15 millions de
roupies en 1983 à 9.06 millions en 1989.
Autrepart (37).2006
59
60
Emmanuel Grégoire
en 1988 en tenues de PIE. Le nombre d'emplois dans la zone franche passe de
25495 en 1983 à 88658 en 1989, soit un gain remarquable de 63000. En termes
d'emploi, la zone franche, qui se caractérise par une forte intensité de maind'œuvre, devance alors nettement ses deux concurrents que sont la fonction
publique et l'industrie du sucre, qui emploient respectivement 55151 et 39603
personnes à la même période [KPMG-Peat-Marwick, 1988]. Le spectre du chômage qui avait hanté les esprits durant les années soixante et soixante-dix a
enfin disparu. La conséquence en est la raréfaction de la main-d' œuvre disponible, se traduisant par une forte mobilité des salariés qui changent fréquemment
d'employeur pour obtenir une meilleure rémunération, et par un taux élevé
d'absentéisme (l0 % environ). Cette situation de plein emploi entraîne un renchérissement des salaires: le revenu nominal mensuel moyen passe de 585 roupies en 1980 à 953 en 1985, et le revenu réel de 300,2 à 316,9 roupies au cours
de la même période (Wilton Associates, 1994). Cette augmentation du coût de la
main-d'œuvre, qui s'est poursuivie par la suite 6, a fini par mettre en danger la
compétitivité de la filière sur les articles bas de gamme (t-shirts) par rapport à
d'autres pays en voie de développement, car la hausse des salaires ne correspondait pas à un accroissement de la productivité. Pour faire face à cette situation,
les entreprises ont alors entrepris un effort de modernisation et de montée progressive vers une production d'articles moyen et haut de gamme, à plus forte
valeur ajoutée. Cela impliquait la diffusion de nouvelles lignes de vêtements et
la prospection de nouveaux marchés. Parallèlement, la zone franche s'est diversifiée. En 1988, 74 % des usines opéraient dans le textile. Ce pourcentage est
tombé à 61 % en 1992. De nouveaux secteurs comme la bijouterie, les jouets et
les articles de carnaval, les industries du cuir, de l'horlogerie, du matériel optique,
de l'imprimerie, de l'édition, de l'agro-industrie et de l'informatique sont apparus.
Enfin, pour maintenir la compétitivité des exportateurs, le gouvernement a laissé
flotter la roupie à partir de 1983. Elle n'a cessé alors de se déprécier.
Cette troisième phase a donc été marquée par l'épanouissement d'un secteur
industriel dynamique, qui a permis au pays de connaître un véritable développement économique et de réduire sa dépendance à l'égard de la monoculture
sucrière. En moins d'une décennie, Maurice était l'un des rares pays à avoir
résolu le problème du chômage, la zone franche étant devenue le principal
employeur de l'île (en 1988, un chômage frictionnel de 4 % subsistait).
Le textile, pilier de l'emploi
Cette phase d'expansion a été suivie par une nouvelle phase de stabilité dans
les années 1990-2001, malgré un grand nombre de fermetures d'usines liées à
des délocalisations vers des pays plus attractifs en termes de coûts de production.
La zone franche comptait en 1990 568 entreprises employant 89 606 salariés.
6. Au cours des années 1990-1997, les salaires ont augmenté en moyenne à un taux de 10 à 13 % par
an alors que l'inflation, essentiellement importée du fait de la dépréciation constante de la roupie à l'égard
des principales devises étrangères, s'élevait à 7 % pour cette même période [Gonzalvez, Raffray, 1998].
Autrepart (37), 2006
La migration des emplois à l'Île Maurice
Elle ne comptait plus que 522 entreprises en 2001, mais ces entreprises
employaient encore 87607 personnes, soit 17,2 % de la population active, dont
77 003 réparties dans les 286 entreprises du textile et de l'habillement 7. Celles-ci
représentaient 80 % de l' acti vité de la zone franche, le reste de l'emploi se
répartissant entre les secteurs de l'horlogerie, des articles d'optique, de jouets,
des pierres précieuses, des produits de la conserverie de thon, etc. À ces emplois
directs, il faut ajouter 80000 emplois indirects, si bien que le taux de chômage
était de 3,3 % en 1992: Maurice connaissait bien le plein emploi, situation qui
se prolongera jusqu'en 1996-1997. Un certain nombre d'entreprises, dont le
groupe textile Floréal, basé à Maurice, ont délocalisé dès 1989 une partie de leur
activité dans la zone franche malgache où le coût de la main-d'œuvre, pourtant
jugée plus qualifiée qu'à Maurice, lui était huit fois inférieur au milieu des
années 1990 [Barbier, 1995]. Madagascar est donc devenu un lieu de soustraitance pour des groupes comme Floréal Knitwear qui y employait plus de
12000 personnes en 1995. Des emplois qui avaient migré à Maurice depuis
l'Europe partaient donc plus au «Sud», dans un pays où le coût du travail était
encore plus bas. Cette délocalisation permettait aux entreprises mauriciennes de
poursuivre leur croissance. En cela elles suivaient le secteur sucrier qui s'était
implanté au Mozambique (réhabilitation de plantations) et en Tanzanie: l'île
Maurice devenait le barycentre d'une nouvelle division du travail et des investissements au sein de l'espace régional.
Dans le même temps, et pour résoudre les problèmes d'embauche créés par
la situation de plein emploi caractéristique du début des années 1990, les entreprises ont importé à Maurice de la main-d'œuvre asiatique (originaire de Chine,
d'Inde, du Bangladesh et du Sri Lanka) sur des contrats de deux ans renouvelables un an. Leur durée limitée incita les étrangers à travailler jusqu'à 55 voire
60 heures par semaine dans des conditions parfois décriées (les ouvrières chinoises
sont jugées trois fois plus productives que les Mauriciennes 8). Les besoins étant
croissants, le nombre d'étrangers en zone franche s'est accru sensiblement, passant
de 5492 en 1994 [Hein, 1996] à 15052 en 2000, selon la MEPZA, soit 16,5 %
des effectifs de la zone franche. Cela n'a toutefois pas suffi pour permettre aux
entreprises d'enrayer la baisse de leur compétitivité amorcée à la fin des années
1980 et aggravée par une concurrence internationale de plus en plus forte. Les
entreprises ont donc tenté de concentrer leur activité sur des produits à plus forte
valeur ajoutée .et une substitution capital/travail par le biais de la mécanisation et
de la mise en place de techniques industrielles plus élaborées, ces deux mesures
visant à alléger leurs effectifs. Toutefois, ces dispositions n'ont pas suffi à
résoudre le problème du coût désormais trop élevé de la main-d'œuvre mauricienne par rapport à celui d'autres pays concurrents. En 1996-1997, le salaire
7. Les entreprises non textiles (236) représentaient alors 10604 emplois selon la Mauritius Export
Processing Zone Association (MEPZA) qui regroupe les industriels de la zone franche.
8. Les femmes mauriciennes ne peuvent pas effectuer beaucoup d'heures- supplémentaires étant prises
par les tâches ménagères et leurs obligations familiales et sociales alors que les travailleuses chinoises
sont beaucoup plus libres étant célibataires et sans famille à Maurice.
Autrepart (37), 2006
61
62
Emmanuel Grégoire
mauricien moyen était plus de deux fois et demie celui de l'Inde et de l'Indonésie, plus de trois fois et demie celui du Bangladesh, quatre fois celui du Sri
Lanka et quatre fois et demie celui du travailleur chinois [Gonzalvez, Raffray,
1998]. De plus, la crise financière du sud-est asiatique a entraîné une forte
dépréciation des monnaies de certains pays comme l'Indonésie, les Philippines
et la Malaisie, renforçant leur avantage concurrentiel. Dans ce contexte de forte
concurrence obligeant les entreprises à sans cesse réduire davantage leurs coûts
de production, le taux de chômage qui était de 3,3 % en 1992 selon le FMI est
remonté à 6,4 % en 1999 (soit 33000 personnes sans emploi). Quelques entreprises textiles ont en effet tenté d'améliorer leur productivité en recourant à des
licenciements, qui ont surtout touché la main-d'œuvre féminine, plus nombreuse.
Le taux de chômage des femmes atteignait 10,2 % fin 1997. D'autres entreprises
ont commencé à quitter l'île à l'orée de l'an 2000 9 . La remontée du chômage
doit cependant être nuancée: de nombreuses ouvrières licenciées ne recherchent
toujours pas un nouvel emploi. Celles qui ont travaillé plus de trois ans ont
touché une indemnité de licenciement représentant trois mois de salaire, et certaines préfèrent rester au chômage, compte tenu du fait que d'autres membres de
leur famille travaillent, car elles estiment que le textile offre des conditions de
travail pénibles et des horaires trop prenants pour des salaires peu attractifs.
Malgré la remontée du chômage (9,1 % en 2001), les entreprises ne trouvent
donc pas toujours la main-d'œuvre féminine recherchée et se voient contraintes
de continuer à faire venir de l'étranger des ouvrières qui acceptent des emplois
que les Mauriciennes refusent désormais. Cela explique aussi que les salaires
soient tirés vers le haut: le salaire mensuel moyen d'un ouvrier d'une grande
entreprise de la zone franche est en juillet 2005 de 5000 roupies environ soit
160 euros auxquels il convient d'ajouter une rémunération additionnelle destinée
à compenser l'inflation.
Malgré ces difficultés récentes, les entreprises de la zone franche ont assuré
en 2002, près des deux tiers des exportations mauriciennes, apportant 33,6 milliards de roupies de recettes d'exportations dont 26,9 milliards (environ 830 millions d'euros) pour le secteur textile-habillement. Ces exportations sont dirigées
principalement vers l'Union européenne (soit 17,3 milliards de roupies d'exportations, la France et la Grande-Bretagne important respectivement 6 et 5,9 milliards de produits textiles mauriciens en 2002) et les États-Unis, surtout depuis
la mise en place de l'African Growth Opportunity Act (AGOA) en 2001. Cet
acte unilatéral américain, qui marque la fin des quotas, a donné un coup de fouet
aux exportations mauriciennes: les États-Unis sont devenus, en 2002, le premier
client de la zone franche en important pour 9,3 milliards de roupies de produits
textiles et d'habillement. Maurice exporte également vers Madagascar, troisième
zone d'exportations, des matières premières destinées à approvisionner les entreprises textiles mauriciennes locales. Ces exportations qui se chiffraient à 1,8
milliard de roupies en 2001 sont tombées à 0,4 milliard en 2002 en raison des
9. Ces licenciements ont été en partie absorbés par les petites entreprises employant moins de dix
personnes (près de 40 % de l'emploi en 2000 contre 32,4 en 1990) et le tourisme.
La migration des emplois à l'Île Maurice
troubles politiques. Si la délocalisation à Madagascar était économiquement justifiée, elle s'est avérée désastreuse en raison de la crise politique qui a fait cesser
toute activité économique pendant plus d'un an. Face à cette situation, certaines
entreprises comme la Compagnie Mauricienne des Textiles (CMT) se sont
retirées en rapatriant leurs équipements à Maurice tandis que d'autres groupes,
trop engagés financièrement comme Floréal Knitwear, ont attendu la reprise de
l'activité 10.
Après des phases de décollage (1970-1976), de stabilisation (1977-1982) puis
de forte expansion (1983-1989), la zone franche a connu sa «vitesse de croisière»
au cours de ces années 1990-2001, années pendant lesquelles elle est le pilier
principal de l'économie mauricienne, représentant toujours entre 11,7 à 12,1 %
du PIE. Ces dernières années ont cependant été marquées par une période de
régression, voire de récession, dont on ne peut prédire ni la durée ni l'ampleur.
La délocalisation des entreprises implantées à Maurice
et le retour du chômage
La zone franche est confrontée à de nouveaux problèmes: le secteur textile et
habillement a enregistré en 2002 une baisse de croissance de 4 % qui constitue
son premier recul depuis 1982, celui-ci faisant suite à dix années de croissance à
des taux proches de 10 %. Les entreprises doivent désormais faire face à des
difficultés à la fois structurelles et conjoncturelles ". À l'érosion de leur compétitivité s'ajoute la libéralisation du secteur textile dans le cadre de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC). Via la fin des quotas et une baisse généralisée
des droits de douane 12, l'OMC a démantelé l'accord multifibres à compter du
1er janvier 2005. Elle a ainsi supprimé un accord préférentiel grâce auquel le
textile mauricien avait pu se développer à l'abri de ses concurrents asiatiques
que sont la Malaisie, les Philippines, le Pakistan, la Chine et le Viêt-nam, pays
dont les exportations vers l'Europe étaient jusqu'alors limitées par des quotas.
Comme pour le sucre, qui va être frappé par la proposition de la Commission
européenne de modifier, dès 2005, l'organisation commune du marché du sucre
(OCM sucre), le textile mauricien n'aurait jamais connu le succès sans un tel
. accord. Son abolition pose donc un sérieux problème et met en difficulté près
d'une entreprise sur deux. Certains groupes, dont le parc de machines est de plus
en plus obsolète, ne se sont pas suffisamment préparés à cette libéralisation totale
du commerce du textile et de l'habillement. lis sont en péril, faute de n'avoir pas
modernisé leur appareil productif ni redéployé leurs activités vers des secteurs
moins concurrentiels que le bas de gamme. Ils risquent donc de devoir fermer
10. Si la main-d'œuvre est moins onéreuse à Madagascar, cet avantage est en partie grevé par le coût
d'une corruption omniprésente, du transport plus onéreux qu'à Maurice et par des infrastructures moins
performantes.
1L Le textile a perdu 9,911 emplois au cours de la période septembre 2002-2003, puis 900 au cours
du premier trimestre 2004. A moyen terme, certains observateurs craignent que les effectifs du secteur ne
diminuent de moitié.
12. Comme les autres pays ACr, Maurice n'acquitte aucun droit de douane pour pénétrer les marchés
américains et européens, alors que ses concurrents asiatiques y sont assujettis.
Autrepart (37), 2006
63
64
Emmanuel Grégoire
leurs portes, d'autant plus que leur capacité de financement a diminué: la zone
franche serait endettée à hauteur de 5,8 milliards de roupies (environ 180 millions d'euros) en 2003 et souffre d'une sous-capitalisation dangereuse, en raison
à la fois de la conjoncture internationale et d'une mauvaise gestion de certaines
sociétés [Cardinaud, Noïtakis, 2003].
Sachant qu'elles ne peuvent plus rivaliser sur les produits à faible valeur
ajoutée (bas de gamme) en raison d'un coût de main-d'œuvre plus élevé qu'en
Asie, certaines entreprises parviennent au contraire toujours à s'en sortir car
elles ont investi dans des outils technologiques qui leur ont permis d'accroître
leur productivité et la qualité de leur production. Ces entreprises se sont tournées
vers des marchés encore protégés de leurs concurrents asiatiques comme le
moyen et le haut de gamme. Parallèlement, elles ont exploré des marchés très
ciblés comme celui des uniformes. Elles s'efforcent en outre de mettre en place
une gestion moderne et de proposer à leurs clients un excellent rapport qualité/
prix ainsi qu'une grande flexibilité. Par ailleurs, la CMT a mis l'accent sur son
intégration verticale, faiblesse jusqu'à présent de la filière mauricienne qui s'est
toujours contentée de confectionner des vêtements à partir de fils et de tissus
importés d'Inde et de Chine (l'île importe 45000 tonnes de fil par an pour une
valeur de 4 milliards de roupies en 2002). La CMT a donc mis en place une
filature pour éviter ces importations [Marchés tropicaux et méditerranéens,
2003]. Elle va également investir 15,6 millions d'euros en Chine pour y installer
une usine textile, après avoir connu une expérience malheureuse à Madagascar.
Le groupe CIEL investira, quant à lui, sur le marché indien (il a aussi une filiale
au Mozambique).
De leur côté, les entreprises hongkongaises quittent aujourd'hui Maurice pour
regagner l'Asie: ainsi, Hong-Kong Garments et l'entreprise singapourienne Sentosa du groupe Gimmil-Ramatex (25000 employés à travers le monde), productrice de t-shirts et de shorts depuis 1988, ont fermé leurs usines et licencié leur
personnel. Ces entreprises partent parce que les deux conditions qui les avaient
attirées à Maurice, il y a trente ans, ont disparu: l'accès privilégié au marché
européen et le faible coût du travail. Ces groupes émigrent en Chine, pays qui
dispose d'une main-d'œuvre abondante et peu onéreuse, ainsi que d'un gigantesque marché intérieur. En outre, elles se rapprochent de leurs centres décisionnels
et de leurs services commerciaux et financiers, dont le siège est à Hong-Kong ou
à Singapour.
Dans ce contexte morose, le gouvernement a pris deux initiatives en 2003: le
Textile Emergency Support Team (TEST) a été établi afin d'évaluer les performances des entreprises et d'identifier les actions à mener pour faciliter leur restructuration (42 entreprises sont ici concernées, celles-ci étant les plus importantes
puisque représentant 60 % des exportations). Un Polie)' Intervention Committee
on Textile (PICT), associant secteurs privé et public a également été créé pour
réfléchir à la politique à mettre en place dans le secteur, dans le cadre du budget
200412005. Ces deux initiatives révèlent la crainte des autorités de voir apparaître
des tensions sur le marché du travail (18000 emplois dans le textile-habillement
Autrepart (37). 2006
La migration des emplois à "Île Maurice
ont été supprimés jusqu'à présent, principalement dans le Sud de l'île) 13. Les
nouvelles règles du négoce international imposées par la mondialisation (abolition des accords spéciaux) sont néfastes au textile mauricien comme elles le
seront au sucre. De plus, l'État ne peut plus, comme par le passé, jouer sur la
dévaluation de la roupie pour accroître la compétitivité de l'industrie nationale 14.
Maurice, auparavant pays d'accueil pour les entreprises européennes et asiatiques
de Hong-Kong et Singapour, est donc devenue une zone de départ, ses industries
textiles émigrant à leur tour pour bénéficier du faible coût de la main-d' œuvre
asiatique.
C'est peut-être un signe de développement, mais une époque s'achève, la
mondialisation conduisant les entreprises à «nomadiser» pour être plus compétitives. Face aux importants allégements d'effectifs dans les filières sucrière et
textile 15, le spectre d'un retour du chômage hante l'île et ses gouvernants.
l'emploi dans le secteur des nouvelles techniques de l'information
et de la communication (TIC)
Considérées comme une alternative au textile et au sucre, le gouvernement
veut faire des nouvelles techniques d'information et de communication le cinquième pilier de l'économie nationale (avec le sucre, la zone franche, le tourisme
et le secteur financier offshore) en convertissant Maurice en une cyber île calquée sur le modèle des cités indiennes du troisième millénaire (l'Inde finance le
projet par un prêt de 80 millions d'euros). Pour cela, l'État a mis en place un
cadre législatif approprié en promulguant des lois facilitant l'implantation des
sociétés mauriciennes et étrangères (Copyrights Act 1997, Electronic Transactions Act 2000 et lCT Act 2001), puis a édifié sur le site d'Ebène une cyber tour
dotée d'un réseau de télécommunications ultra-moderne. Selon le Board of
Investment (Bal), guichet unique pour les investisseurs, ce secteur d'externalisation de services (Business Process Outsourcing, BPO) comprend 78 entreprises
(février 2(05) contre seulement 18 en 2002. Cette rapide augmentation du nombre
de sociétés s'explique, d'une part, par la connexion de Maurice (juin 2(02) au
câble sous-marin en fibre optique SAFE (South Asian Far East) qui relie l'Afrique du Sud à la Malaisie et par là connecte l'île à l'Europe et à l'Amérique du
Nord 16. Cet accroissement est dû, d'autre part, à l'entrée en service de la cyber
tour (printemps 2(04), celle-ci étant occupée à 95 % en août 2005 (soit 1700
emplois).
13. Le taux de chômage est de 9.7 % en juillet 2005 (soit 52000 personnes) selon le Central Statistics
Office.
14. Une dévaluation de la roupie n'est pas à l'ordre du jour car elle entraînerait un surenchérissement
des importations et un retour de l'inflation. Toutefois, elle perd progressivement de sa valeur: un euro
valait 26 roupies en mars 2001, 33,5 en août 2003 puis 37,5 en janvier 2005.
15. Dans un récent rapport (août 2(05), le FMI envisage une baisse de croissance du secteur textile
de 20 % en 2004-2005, 30 % en 2005-2006 et 10 % en 2006-2007.
16. Les entreprises estiment le prix des lignes dédiées facturées par Mauritius Telecom (12600 $ par
mois en 2004) excessif.
Autrepart (37), 2006
65
66
Emmanuel Grégoire
Les entreprises de Back-Office sont les plus nombreuses (46 %), suivies des
centres d'appels (22 %), des sociétés de développement de logiciels (18 %), des
entreprises multimédias (9 %), des centres de formation « Online» (3 %), des
entreprises de développement de sites web (l %) et des centres de recouvrement
après désastre (1 % assuré par le géant indien Infosys). L'origine de ces entreprises est variée, avec une prépondérance toutefois des entreprises françaises
(41 %) devant les sociétés mauriciennes (33 %). Viennent ensuite les firmes
indiennes (8 %), britanniques, et originaires d'autres pays européens (7 % respectivement), les 4 % restantes étant des sociétés américaines et asiatiques autres
qu'indiennes. Toutes ces entreprises représentaient 3500 emplois à la fin de
l'année 2004, contre seulement 14 en 1996, 125 en 1999, 842 en 2001 et 1696
en 2003. Les centres d'appels sont les principaux employeurs (54 %), suivis des
activités de Back-Office (32 %), de développement de logiciels (9 %) et des quatre
autres domaines précédemment mentionnés (5 % confondus). Les investigations
que nous avons menées sur place ont porté sur ces trois premiers secteurs qui
représentent 95 % des emplois.
Les centres d'appels
En forte croissance à travers le monde, ils sont présents à Maurice depuis
quatre ans et dirigés vers la France, secondairement vers le Royaume-Uni mais
l'île doit faire face ici à la redoutable concurrence de l'Inde. On distingue les
appels entrants qui consistent en une assistance effectuée auprès des consommateurs, des appels sortants qui sont du démarchage par téléphone, des enquêtes de
qualité ou du suivi de clientèle. Dans les deux cas, les centres d'appels demandent à leurs téléagents qu'ils parlent parfaitement bien la langue française ou
anglaise, que ce soit au niveau de la diction (neutralisation de l'accent mauricien) que de l'expression orale (grammaire et vocabulaire). Dans le second cas,
elles demandent en plus à leurs employés de bien maîtriser les techniques de
vente par téléphone, autrement dit d'être de bons vendeurs alors que dans le
premier cas, il s'agit plus simplement de savoir répondre à des questions presque
toujours identiques. La motivation et la personnalité des candidats sont enfin un
aspect très important pris en compte à l'embauche.
Les entretiens menés dans les entreprises ont unanimement montré qu'elles
ne trouvent pas aisément la main-d'œuvre qu'elles souhaitent embaucher: si après
parution d'une annonce dans la presse, les réponses sont très nombreuses (plusieurs centaines), les candidats jugés aptes à devenir téléagents sont peu nombreux (proportion de un sur dix). Ces candidats sont la plupart du temps des
jeunes venant d'obtenir le HSC (High School Certificate soit le niveau BAC) ou
disposant seulement du SC (School Certificate soit le niveau de la seconde) et
qui veulent entrer dans la vie active. Aussi, les employés des centres d'appels
ont le plus souvent entre 18 et 27 ans avec une moyenne autour de 22 ans. Les
femmes sont plus nombreuses que les hommes, les entreprises les jugeant plus
aimables et patientes au téléphone. Enfin, leurs cellules de recrutement souli-
Autrepart (37), 2006
La migration des emplois à l'Île Maurice
gnent que le bilinguisme tant vanté des jeunes Mauriciens est très «théorique» 17,
que leur culture générale est insuffisante par rapport à tout ce qui a trait à
l'Europe et principalement à la France (histoire, géographie, culture, actualité,
etc.) où résident leurs clients et enfin que leur formation technique est quasi
nulle et donc à effectuer entièrement en entreprise.
Dans ce contexte, le manque de formation de sa main-d'œuvre est un réel
obstacle à l'expansion future des centres d'appels à Maurice et constitue un handicap par rapport à ses concurrents étrangers que sont le Maroc, la Tunisie ou
l'Inde. Localement, elle a conduit à une situation de pénurie de personnel qualifié dans la mesure où les centres d'appels éprouvent de grosses difficultés à
trouver les employés dont elles ont besoin. Aussi, les entreprises font de la
surenchère sur les salaires. De nouveaux arrivants tentent de débaucher le personnel de leurs concurrents en leur proposant des salaires supérieurs car ils veulent
qu'il soit immédiatement opérationnel et éviter de consacrer du temps à sa formation. Pour se prémunir de telles pratiques et diminuer la forte rotation de leur
personnel, les entreprises s'efforcent de le fidéliser par l'octroi de primes d'assiduité, de commissions et d'avantages divers. Dans cette conjoncture très tendue,
les données recueillies montrent que les salaires ont augmenté d'environ 25 %
en un an: un téléagent débutant commence autour de 7500 à 8000 roupies par
mois (215 à 230 euros) voire parfois 9000 roupies (260 euros) au lieu de 6000 à
6500 (175 à 188 euros) il y a un an (août 2004) 18.
Si cette hausse des rémunérations se prolonge, elle finira par compromettre la
compétitivité de Maurice à l'égard de pays francophones concurrents comme le
Maroc, la Tunisie, le Sénégal, le Bénin et même Pondichéry où des sociétés
françaises se sont installées. Pour le moment, elle ne fait qu'éroder les marges et
augmenter un peu le prix des prestations. C'est pourquoi il est important de
parvenir rapidement à une adéquation entre offre et demande de travail, cet
objectif n'étant atteignable que par un gros effort de formation. L'État a donc un
rôle important à jouer s'il souhaite que les centres d'appels génèrent 10000 à
20000 emplois dans l'avenir 19 comme il l'escompte (ils en représentent aujourd'hui environ 1800).
Les activités de Bock-Office
Cette appellation renvoie à des activités de bureau très diverses: saisie de
données (data capture), traitement de chèques, d'impôts, établissement de fiches
de paie, comptabilité d'entreprises, transcriptions médicales et légales, tenue
d'agendas, rédaction de courriers, etc.
17. Ils font souvent des fautes de syntaxe. de genre et de conjugaison car le Créole s'immisce souvent
dans leur façon de parler français. Par contre, leur maîtrise de l'Anglais est meilleure étant scolarisés dans
cette langue.
, 8. En incluant les charges, un employé revient ici à moins de 300 euros par mois alors qu'un salarié
français reviendrait à environ 1400 euros pour le même travail.
19. L'objectif est de former 1000 jeunes par an. Pour cela, l'État a intégré l'infonnatique dans le
cursus scolaire depuis le primaire, mais seulement 4700 jeunes obtiennent le baccalauréat chaque année.
L'effort à accomplir doit donc être réalisé beaucoup plus en profondeur et massivement.
Autrepart (37), 2006
67
68
Emmanuel Grégoire
Dans le cadre de leur recrutement, les entreprises demandent aux candidats
d'avoir une bonne maîtrise de l'informatique et des principaux logiciels, mais le
plus souvent elles ne les trouvent pas. Elles doivent donc embaucher de «la
main-d'œuvre qu'on qualifie nous-même» comme l'a noté une chef d'entreprise.
Outre ces aspects techniques, une bonne connaissance écrite du Français ou de
l'Anglais - et non-orale comme pour les centres d'appels - est requise pour
éviter les erreurs de retranscription ou de rédaction. Enfin, les entreprises insistent sur les nécessaires capacités intellectuelles et culturelles des candidats, leur
motivation, leur célérité à saisir des données ainsi que leur conscience professionnelle, ces éléments étant évalués au cours du stage de formation. Le niveau
scolaire exigé est le HSC même si le travail demandé n'est pas très compliqué,
consistant souvent en du recopiage de simples données scannées. Mais, comme
pour les centres d'appels, peu de jeunes Mauriciens répondent à ces critères: s'ils
sont potentiellement nombreux à chercher du travail, leur compétence limitée et
leur méconnaissance du monde de l'entreprise et de ses contraintes font que
l'offre des entreprises n'est pas satisfaite. Il y a là un problème de fond qui
renvoie aux carences du système éducatif mauricien qui ne privilégie pas assez
la culture du travail et l'initiative individuelle. Cette situation peut s'expliquer
par le fait que Maurice demeure un pays en voie de développement, malgré les
gros progrès réalisés ces dernières années. Les jeunes attirés par les TIC sont en
effet le plus souvent des fils de paysans ou d'ouvriers qui ont vécu dans un
cadre familial et social peu favorable à l'apprentissage du risque, de la prise de
responsabilités et du sens des affaires, d'où leurs lacunes.
Comme dans le cas des centres d'appels, le niveau des rémunérations est
supérieur à celui des autres secteurs d'activités du pays. Le salaire moyen d'un
agent débutant est d'environ 7000 roupies par mois soit 200 euros. II augmente
assez rapidement par la suite car les entreprises fidélisent leurs employés de peur
de les voir débaucher par leurs concurrents car la main-d'œuvre compétente est,
en ce domaine également, en quantité insuffisante. Toutefois, la concurrence à
l'embauche est moins forte que pour les centres d'appels car les entreprises doivent faire une formation spécifique à leur activité, laquelle n'étant pas aussi
facilement transférable que dans le cas des premiers. Enfin, les employés sont
jeunes et surtout de sexe féminin.
Le développement de logiciels
Activité à plus forte valeur ajoutée que les deux précédentes, le développement de logiciels consiste en une série de prestations fournies à des entreprises
sous forme de mise au point de logiciels aux fonctions fort variées: traitements
de moyens de paiements (chèques, cartes bleues), aide à la décision en termes de
marketing, de gestion, etc., mise en place de sites internet, élaboration de logiciels
de sauvegarde de données, de circulation et de classement de l'information etc.
Le problème relatif au manque de qualification de la main-d'œuvre locale se
pose ici avec encore plus d'acuité étant donné les compétences requises. Si en
Autrepart (7), 2006
La migration des emplois à l'Île Maurice
matière de centre d'appels ou de Back-Office, les employeurs recrutent au
niveau HSC voire SC, les entreprises spécialisées dans le développement de
logiciels exigent une main-d'œuvre ayant au minimum trois ou quatre années de
formation universitaire, voire davantage, et des compétences bien précises,
notamment en termes de programmation. Aussi, le vivier local est extrêmement
réduit, les entreprises ayant beaucoup de difficultés à recruter sur place les
agents dont elles ont besoin (la proportion de candidat valable est ici de un sur
cent). Pour y remédier, quelques (rares) entreprises ont fait venir de la maind'œuvre malgache sortant de l'institut polytechnique national de Tananarive qui
forme environ 25 personnes par an aux différentes techniques de l'informatique 20. D'autres ont installé une antenne à Madagascar où elles sous-traitent
certaines opérations en profitant du faible coût du travail et de sa bonne
qualification: les salaires sont en effet inférieurs de 50 % à ceux de Maurice,
«un Malgache qui a dix ans d'expérience gagne ce que touche ici un débutant»
a constaté un chef d'entreprise de Port-Louis. Toutefois, cette installation dans la
«Grande île» relève plus de cas ponctuels que d'un mouvement général car
l'investissement y est jugé trop risqué étant donné son instabilité politique comparée à la remarquable stabilité de Maurice. Ce facteur conjugué à l'insécurité
juridique des investissements et à une corruption généralisée explique pourquoi
des activités à forte intensité de main-d'œuvre comme les centres d'appels et le
Back-Office ne s'implantent toujours pas à Madagascar, mais pour combien de
temps encore? Ne finiront-ils pas par imiter l'industrie textile mauricienne avec
les avantages que leur activité est aisément transférable en l'absence d'équipements
lourds et que Tananarive (l,7 million d'habitants) offre à elle seule un bassin
d'emplois supérieur et plus qualifié que celui de Maurice?
Comme dans les deux autres secteurs précédents, on assiste dans le développement des logiciels à une forte mobilité du personnel qualifié qui, sans cesse,
négocie des conditions de rémunération meilleures, quitte à se livrer à diverses
formes de chantage (absentéisme élevé). Pour conserver leurs agents, les entreprises n'ont d'autres solutions que d'augmenter les salaires, ce qui conduit à une
situation de surenchère: un programmeur qualifié peut gagner jusqu'à 20000 à
25000 roupies par mois (580 à 725 euros) et jusqu'à 40000 (l160 euros) voire
davantage pour un chef de projet, un jeune moins qualifié (niveau HSC plus
deux ans) entre 10000 à 15000 roupies par mois (290 à 435 euros). Aussi, certains observateurs estiment que Maurice n'a aucun avenir dans ce secteur car le
vivier de main-d' œuvre est inexistant. Ils avancent aussi que le pays ne pourra
jamais refaire son retard en matière de formation car l'énorme effort à accomplir
risque de s'espacer sur une demie voire une génération alors que des pays concurrents comme le Maroc et l'Inde dispose déjà du personnel nécessaire 21. Signe
révélateur, face au manque de programmeurs compétents, à leur forte volatilité
20. Si la formation est de bonne qualité à Madagascar. elle l'est aussi en Inde mais peu de Mauriciens
s'y rend en raison de son coût élevé.
21. Dans le cas des centres d'appels et du Back-Office, il est, par contre, possible d'améliorer rapidement
les compétences.
Autrepart (37), 2006
69
70
Emmanuel Grégoire
et à la hausse des salaires, une entreprise a cessé son activité sur certains produits pour la rapatrier en France.
Maurice possède de sérieux atouts pour permettre le bon développement de
certaines branches des TIC: stabilité politique, laisser-faire étatique, code du travail souple, libre circulation des capitaux, système bancaire efficace, cadre de
vie agréable, etc .. En outre, l'île dispose d'un potentiel de croissance car l'externalisation est encore peu répandue en France, son principal marché, en raison de
la forte hostilité des syndicats et du gouvernement qui redoutent des suppressions massives d'emplois. Son talon d'Achille tient à ses insuffisances criantes
en matière de formation, faute d'avoir anticipé les besoins des entreprises.
Conclusion
L'installation de sociétés textiles européennes et astatiques à Maurice et le
développement de sociétés locales exclusivement tournées vers l'étranger s'est
traduit par la création de milliers d'emplois et la résorption du chômage. Cette
migration sectorielle des emplois à Maurice, comme dans de nombreux autres
pays du Sud, s'est accompagnée, durant les années 1980 et 1990, de licenciements
dans l'industrie textile des pays de l'OCDE, dont la France, qui a vu se multiplier
les fermetures d'usines. Ce phénomène de transfert des emplois au Sud touche à
présent le secteur des services, toujours pour les mêmes raisons à savoir des
questions de coûts de production plus faibles et in fine de prix, ceux-ci étant au
cœur de la mondialisation et de son corollaire, la libéralisation intégrale des
échanges.
La zone franche a été un succès incontestable grâce à la conjonction de deux
facteurs: le faible coût et la disponibilité de la main-d' œuvre locale, d'une part,
et, d'autre part, l'accès privilégié de Maurice au marché européen en tant que
signataire de la convention de Lomé. Si le secteur des TIC ne rencontre pas de
problème en termes de débouchés, il faudrait que l'État forme deux à trois mille
personnes pour faire déjà cesser les pressions actuelles sur les salaires et satisfaire
la demande des entreprises présentes et prêtes à s'installer. Il faudrait un effort
beaucoup plus important encore pour assurer un réel avenir dans les domaines
des centres d'appels et du Back-Office, compte tenu que celui du développement
des logiciels paraît très compromis. En cela, le pari de faire du pays une cyber
île paraît audacieux voire risqué: comment développer un nouveau secteur sans
avoir, au préalable, la main-d'œuvre adéquate? la zone franche n'a-t-elle pas
connu le succès du fait d'une main-d'œuvre, certes peu onéreuse, mais aussi
«prête à l'emploi» ce qui n'est pas le cas dans les TIC?
Si la fragilité du textile et du secteur sucrier fait peser de lourdes incertitudes
sur l'avenir du marché du travail local, les TIC ne semblent pas, pour le
moment, capables de constituer un véritable nouveau secteur d'activité. Finalement, la mondialisation a fait disparaître deux «niches» (accord multifibres et
protocole sucre) qui ont assuré le succès du modèle de développement mauricien
Autrepart (7), 2006
La migration des emplois à l'Île Maurice
sans les remplacer, même si le tourisme se substitue un peu à eux. Autrement
dit, l'économie monde a induit une volatilité croissante des emplois qui se traduit
à Maurice par une recrudescence du chômage et par un risque à moyen terme de
paupérisation de la population. Les Créoles, déjà laissés pour compte du miracle
mauricien, paraissent les plus vulnérables. La paix sociale et la fragile harmonie
qui règnent entre les différentes communautés pourraient alors être d'autant plus
menacées que les fruits du succès économique n'ont pas profité à tous les Mauriciens, mais ont, au contraire, creusé les inégalités.
BIBLIOGRAPHIE
ALLADIN 1. [1993], Economie Miracle in the Indian ocean, Can Mauritius show the way?,
Port-Louis, Éditions de l'Océan indien, 204 p.
BARBIER J.-P. [1995], «Le rêve de Maurice: devenir "dragon"», Afrique contemporaine,
n° 176, p. 29-41.
BHEENICK R., SCHAPIRO M.O. [1989], «Mauritius: A Case Study of the Export Processing
Zone», in Successful Development in Africa, Washington EDI Development Policy Case,
Series n° 1, Economie Development Institute, World Bank.
CARDINAUD A.,NOITAKlS E. [2003], Le textile mauricien: un secteur en danger, Port-Louis,
Ambassade de France à Maurice, Mission économique, 9 p.
CHAZAN-GILLlG S. [1998], «Ethnicité et libre échange dans la société de l'île Maurice»,
L'Homme et la Société, n° 130, p. 93-104.
DIMOU M., SCHAFFAR A. [2001], Towards the end of an industrial pathway: the case of
Mauritius. The Third Congress on Proximity « New Growth and Territories », University
of Paris South and Institut national de la recherche agronomique.
GENTIL DE A. [1997], Les Franco-mauriciens: étude ethno-géographique, Évolution et transformation socio-économique de la communauté franco-mauricienne à l'île Maurice, thèse
de doctorat.
GONZALVEZ P., RAFFRA y F. [1998], Perspectives économiques et financières de l'île Maurice,
Port-Louis, Poste d'expansion économique de Port-Louis, Ambassade de France, 43 p.
HEIN P. [1996], L'économie de l'île Maurice, Paris, L'Harmattan, coll. Sociétés et économies
insulaires, III p.
DURAND J. et J.-P. [1975], L'île Maurice, quelle indépendance?, Paris, Anthropos, 254 p.
Koor- K. [2004], «L'île Maurice à l'ère de la mondialisation. Un modèle d'un développement
de rattrapage ?», Autrepart. n° 31. p. 109-132.
KPMG-Peat-Marwick [1988], La zone franche, l'âge de la majorité (l8 ans), Port-Louis,
29 p.
MARCHÉS TROPICAUX ET MÉDiTERRANÉENS [1999], numéro hors série.
MARCHÉS TROPICAUX ET MÉDITERRANÉENS [2003], n° 3024.
MEADE lE. et alii [1968], Economie and social Structure of Mauritius, London, Methuen,
1961. Reprinted, London Franck Casso
MEPZA [1998], Annual Report and Directory, Port-Louis. 59 p.
MEPZA [2000], Annual Report and Directory, Port-Louis, 56 p.
MEPZA [2003-2004], Annual Report and Directory, Port-Louis, 28 p.
Autrepart (37), 2006
71
72
Emmanuel Grégoire
MISSIONS ÉCONOMIQUES-AMBASSADE DE FRANCE [2005], Programme accéléré du secteur
sucrier mauricien: l'Accelerated Action Plan (2005-2015), Port-Louis, Fiche de synthèse,
4 p.
RAZAFINDRAKOTO M., ROUBAUD F. [1996], «Les entreprises franches à Madagascar: économie d'enclave ou promesse d'une nouvelle prospérité?», Économie de Madagascar, n° 2,
Antananarivo, p. 217-248.
WIDMER 1. [1999], Migration, emploi et développement: analyse comparée de l'île de la Réunion et de l'île Maurice, thèse de doctorat de démographie, Université de Panthéon-Paris
l-Sorbonne, 839 p.
WILTON ASSOCIATES [1994], Zone franche mauricienne, facteurs de succès, difficultés et
avenir, Port-Louis, Mission de coopération et d'action culturelle/Service commercial de
l'ambassade de France/MEPZA, 37 p.
Autrepart (37), 2006
Téléchargement