On peut encore remarquer que le faible, le fragile, celui qui, dans le jeu des apparences trompeuses, ne
devrait pas gagner, finit par l’emporter.
4. Part d’ombre
Si les proches de Jim représentent le monde connu, les repères et les bornes de l’ordre, de la générosité,
de la justice et de l’équilibre, les pirates sont les personnages qui fascinent, qui nous interpellent. Ils font
l’histoire et nous ouvrent à l’aventure. Ils sont le chaos d’un monde aux lois inversées mais aussi l’image
d’une certaine liberté. Et s’ils nous intriguent et nous font tellement rêver, c’est d’abord qu’ils nous
inquiètent en tant que pulsion et liberté brutale extérieure à nous-mêmes mais aussi peut-être, parce
qu’ils sont cachés en nous-mêmes. Les pirates sont notre part d’ombre, cette duplicité est en nous et on
peut la reconnaître en Mr. Jekyll et Mr. Hyde, Peter Pan et Capitaine Crochet… Jim Hawkins et Long
John Silver.
► Le Bien, le Mal : une interrogation à Yves Baudin, metteur en scène
Stevenson est aussi l’auteur de Docteur Jekyll et Mister Hyde. Il insiste sur la dualité de la
nature humaine. Dans L’Île au trésor, les protagonistes principaux : le bandit des mers, John
Silver et l’enfant héros possèdent des sortes de doubles. Ce récit est aussi une manière
d’introduire la conscience du bien et du mal chez l’enfant.
Yves Baudin : Assurément. A mes yeux, le pirate représente une tension, une sorte de miroir de
l’agressivité que chacun peut porter en soi. Il faut sans doute apprendre à conserver en soi une part
de révolte donnant la possibilité de ne pas être toujours dans la norme.
De manière significative, Jim perd son père à l’orée du roman. Aucune autorité ne pouvant partager
les mêmes valeurs morales ou de société fondant la vie en famille ne saura le remplacer. C’est ainsi
que, par affection et compréhension, Jim se dirige vers cette figure paternelle élective qu’est John
Silver. Significativement il laisse son chapeau à Jim, signifiant ainsi une forme de filiation reliant ces
deux êtres. Alors qu’à l’époque décrite par le roman, tout pirate saisi se trouvait immédiatement
pendu haut et court, Stevenson imagine que le Capitaine pirate doit rester libre, prenant la fuite sur
cette petite barque avec une part du trésor. Il y a effectivement cette dualité et cette unité tout à la
fois qui lie les figures de Jim Hawkins et John Silver.
5. La Quête de l’identité
Que dire aujourd’hui aux enfants, que leur dire d’eux-mêmes, de nous et du monde ? Comment leur
parler, leur donner ce monde à voir en évitant toute morale simpliste et tout didactisme stérile ? Et que
dire du théâtre, de l’esthétique ? Si certains noms et certains mots, comme le dit Stevenson, ont un
pouvoir évocateur tel qu’ils déclenchent instantanément l’imaginaire chez l’enfant, nous avons, autour de
« Bill Bones », « l’auberge de l’Amiral Benbow », « Pew l’aveugle », « le coffre mystérieux », « la carte du
trésor », construit des images non pas réductrices de par l’illustration qu’elles proposent mais au contraire
toujours ouvertes pour amplifier cet imaginaire. Un travail des ombres, de la lumière, de la dimension des
objets et des personnages, ici tout est irréel et réel, fascinant et dangereux. Entrer dans cette histoire
comme dans un rêve, comme si tout était vu au travers du regard de l’enfant Jim Hawkins. L’aventure est