portaient des représentants occupant des niches identiques, ou tout au moins voi-
sines. De même, l’homme a-t-il contribué à l’extinction ou à la régression de plu-
sieurs espèces en introduisant des espèces qui occupent la même niche. Ce fut le cas
avec le chien en Australie qui, revenu à l’état sauvage, a donné le dingo, en partie à
l’origine de la disparition du thylacine ou loup marsupial, et avec l’écureuil gris nord-
américain qui élimine l’écureuil roux en Grande-Bretagne. Les expériences de défau-
nation d’arthropodes menées par Daniel Simberloff et Edward Wilson (1970, voir
dans Blondel 1995 ou Allano & Clamens 2010) sur des îlots de Floride, en montrant
que chaque îlot retrouvait par la suite, par recolonisation naturelle, un nombre d’es-
pèces d’arthropodes voisins de celui avant défaunation, vont dans le même sens :
dans une aire géographique donnée, le nombre de niches semble à peu près fixé, et
une niche n’accueille donc qu’une espèce, par contre, la nature des espèces qui occu-
pent chaque niche reflète le hasard des processus évolutifs et de colonisation. Les
convergences de faune entre l’Europe et l’Afrique d’une part, et les Amériques
d’autre part, illustrent bien ce dernier aspect : pangolins africains et tatous américains
occupent par exemple des niches similaires, alors que leurs ressemblances, morpho-
logique et écologique, ne résultent pas de l’héritage d’un ancêtre commun mais de
pressions de sélection similaires. Il en est de même chez les oiseaux pour les colibris
américains et les souimangas d’Afrique, d’Eurasie et d’Australie. Enfin, les radia-
tions qui succèdent aux grandes périodes d’extinction, comme la crise Permien-Trias
ou la crise Crétacé-Tertiaire, peuvent être interprétées comme la conquête, par les
descendants des espèces survivantes, de niches écologiques brutalement laissées
vides. Ce fut sans doute le cas après la crise Crétacé-Tertiaire, lorsque les mammi-
fères et les dinosaures pourvus de plumes (les oiseaux) profitèrent des niches laissées
vides par l’extinction des autres dinosaures. Mais peut-on établir un lien entre l’oc-
cupation d’une niche écologique et l’isolement reproducteur ?
Sur le continent américain, le genre Gilia (angiospermes de la famille des polé-
moniacées) comporte plusieurs espèces dans les zones tempérées et tropicales. Un
certain nombre de ces espèces sont sympatriques, elles peuvent donc potentielle-
ment se polliniser réciproquement, c’est-à-dire que le pollen d’une espèce peut par-
venir sur les stigmates d’une fleur d’une autre espèce. D’autres espèces, par contre,
sont strictement allopatriques, et toute pollinisation croisée est donc impossible
dans la nature. En réalisant artificiellement des pollinisations croisées entre des
espèces sympatriques de ce genre Gilia d’une part, et entre des espèces allopatriques
d’autre part, Verne Grant (1966, voir dans Briggs & Walters 1997) a montré que
l’isolement reproducteur n’existe qu’entre les espèces sympatriques dont les croise-
ments ne donnent pas, ou très peu, de graines, alors que les croisements entre
espèces allopatriques donnent toujours des graines. Ce résultat, bien connu des bio-
logistes sous le nom d’effet Wallace, suggère que l’isolement reproducteur entre
espèces, critère de la définition biologique, n’existe que lorsque les espèces qui le
pratiquent sont en contact. Si la probabilité d’hybridation est nulle, ces mécanismes
n’existent pas ou sont moins efficaces que si la probabilité est non nulle. On peut
donc considérer qu’ils ont été retenus par la sélection. Une situation comparable
existe chez les basidiomycètes, où la relation entre isolement reproducteur et dis-
tance génétique diffère notablement entre les situations d’allopatrie et de sympatrie
(Le Gac & Giraud 2008). En allopatrie, l’isolement n’est pas complet lorsqu’il est
4Biologie Géologie n° 2-2012
04c-espece_maquette article 11/06/12 09:50 Page4