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Braun 01/09/2007
directement dans un espace fictif, il nous demande si on veut bien y aller. En
même temps, il s’arroge le droit de nous déranger, de nous arracher de notre
passivité à son égard en nous imposant une question à laquelle nous ne
sommes pas à priori prêts.
Pour qui nous prend-il, ce “ scripteur-locuteur ” qui ne tient pas sa place ?
• est ce que dans la chaîne de communication avec un scripteur , nous,
spectateurs, désirons quoi que ce soit ? Certes, on est en position d’attente
puis qu’on est là … mais l’expression “ désirez-vous ” semble légèrement
démesurée. Elle menace de mettre en dérision l’ensemble de l’échange : non
seulement elle ironise sur le rôle de l’auteur en tant que “ scripteur ”
performant, mais elle exagère l’importance de nos attentes.
• la formalité du mot “ connaître ”, couplé avec le vous-voiement un peu
professoral, contraste aussi avec la suite : connaître l’histoire des trois alertes
petits pois… A priori, des histoires de petits pois nous laissent, actants adultes,
plutôt indifférents. Nous prend-il pour des gamins ?…
• en fait le “ scripteur-locuteur ” nous ignore. Nous sommes des “ interlocuteurs
imaginaires ”3 que l’auteur a porté en lui lorsqu’il nous a adressé son texte, en
notre absence.
S’étant adressé dans un premier temps à une entité collective et théorique, l’auteur nous
demande – à nous, interlocuteurs réels, et par le biais de son “ scripteur-locuteur ” - de
confirmer l’intérêt de ses propos, et de valider l’image qu’il s’était fait de nous. Nous sommes,
comme le dirait Umberto Eco, ceux avec qui l’auteur doit coopérer pour exister : “ … un texte
postule son destinataire comme condition sine qua non de sa propre potentialité significatrice. ”4
Nous sommes potentiellement des personnes intéressées par une histoire de petits pois.
Gérard Genette définit la relation esthétique comme une “ attention aspectuelle orientée vers
une appréciation ”. 5 Appréciation qui se manifeste dans le “ choix d’un objet ”, procédure qui
n’est pas “ investigatrice ” et donc pas du registre de la connaissance, mais plutôt
2 “ l’émetteur, au sens large du terme est triple : scripteur-personnage-acteur.. ”, Anne Ubersfeld, Lire Le théâtre 111, Le dialogue de theâtre,
Belin, 1996, p 9
3 Ubersfeld, op. cit, p 11. “ Pour qui est ce que l’auteur a écrit ? ce n’est pas le spectateur réel asssis sur les sièges du théâtre… c’est le spectateur
imaginaire qu’il s’est construit, pour lequel il a écrit… ”
4 Umberto Eco, Lector in Fabula, Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, traduit de l’italien par Myriem
Bouzaher, Editions Grasset & Fasquelle, 1985. p 64
5 Gérard Gennette, L’Œuvre de l’art, t 11 : La Relation esthétique, Le Seuil, coll. “ Poétique ”, 1997, p 19, cité par Jean-Marie Shaeffer, “ La
relation esthétique comme fait anthropologique “ , Critique, no.605, octobre 1997, p 693