Transversalité, interdisciplinarité et transdisciplinarité des sciences de l’environnement au sein d’une université contemporaine Pour un renforcement et une relance de l’Institut des sciences de l’environnement dans un contexte interfacultaire Mémoire déposé dans le cadre des États généraux sur la situation des sciences de l’environnement à l’UQAM Lucie Sauvé Professeure au Département de didactique Responsable du Groupe de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement Faculté des sciences de l’éducation Membre de l’Institut des sciences de l’environnement Mars 2012 Ce mémoire est structuré en trois parties. Une première section clarifie la contribution du champ de l’éducation relative à l’environnement à la dynamique interdisciplinaire des sciences de l’environnement à l’UQAM, soulignant ainsi la légitimité et la pertinence de notre voix dans le débat actuel. Une deuxième section explicite nos préoccupations à l’égard de la crise actuelle. Enfin, ce mémoire présente une proposition de solution telle que nous l’avons discutée au sein de notre Groupe de recherche. 1. La contribution de l’éducation relative à l’environnement au champ interdisciplinaire des sciences de l’environnement Le champ de l’éducation relative à l’environnement – niché à la Faculté des sciences de l’éducation – apporte une contribution importante à celui des sciences de l’environnement à l’UQAM : www.unites.uqam.ca/ERE-UQAM. Dès sa fondation, l’Institut des sciences de l’environnement a offert un ancrage essentiel pour travailler à la jonction de l’éducation et de l’environnement (deux des champs de force de l’UQAM) et pour déployer la nécessaire interdisciplinarité à laquelle nous contribuons. Les relations entre la Faculté des sciences de l’éducation et l’ISE ont toujours été positives. Ainsi, la plupart de nos activités ont été jusqu’ici associées à celles de l’Institut et/ou ont fait appel à la collaboration de ses membres. Les éléments de rattachement ou de collaboration qui suivent me concernent plus spécifiquement, bien que non exclusivement. Mes collègues Isabel Orellana et Thomas Berryman identifieront d’autres liens les concernant. - - Développement et gestion du Programme court de 2e cycle en éducation relative à l’environnement (1996-2003). Ce programme, dont l’un des trois cours est siglé ENV, est rattaché à la Faculté des sciences de l’éducation depuis 2004, où il est toujours considéré comme une offre de formation conjointe avec l’ISE. Le programme a migré vers les sciences de l’éducation faute de fonds de la part de l’ISE pour assumer la gestion de celui-ci (surtout depuis l’ajout de la modalité de formation à distance en 2003), malgré les demandes répétées de l’ISE aux instances d’octroyer un financement approprié à la gestion de ses activités. Le renforcement du champ de l’éducation relative à l’environnement à la Faculté des sciences de l’éducation (en particulier via la chaire CRC niveau 2 dont j’ai été titulaire) justifiait également ce nouveau rattachement du programme. Rappelons que le programme court de 2e cycle en éducation relative à l’environnement est reconnu comme une passerelle à la maîtrise de sciences de l’environnement (comme à la maîtrise en éducation), et deux des trois cours sont offerts aux étudiants de maîtrise comme cours au choix; Encadrement de recherche et de stages de nombreux étudiants à la maîtrise et au doctorat en sciences de l’environnement; Projets de coopération internationale (OUI, 1992-1995; ACDI/AUCC, 1996-2001; ACDI/AUCC, 2005-2013). Signalons que ces trois projets ont été menés en partenariat avec UNAMAZ, Réseau des universités amazoniennes (68 institutions). En raison de son expertise en sciences de l’environnement, l’UQAM est la seule université du Nord à être membre et,ou collaboratrice depuis 1993 (à l’initiative de Jean-François Léonard aux lendemains de la Conférence de Rio). Une rencontre en mai 2012 entre la direction d’UNAMAZ, la Faculté des sciences de l’éducation et l’ISE, via notre groupe de recherche, a confirmé l’intérêt de poursuivre et de renforcer les activités de ce partenariat. - Contribution (co-chercheure) au projet COMERN (2001-2006, avec Marc Lucotte et Donna Mergler) et au projet de Foresterie autochtone (2004-2006, avec Daniel Kneeshaw, Marie Saint-Arnaud et autres); Organisation d’événements conjoints - comme le Forum Urgence Énergie, sept. 2010 ou le Cycle de conférences du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste, 20112012; Participation à diverses activités de l’ISE au fil des années : enseignement dans le cadre de la maîtrise (avant 2001, où les dégrèvements de la chaire CRC ont limité mes activités d’enseignement), participation à l’École d’été en agriculture urbaine, rencontres diverses. Le temps manque pour clarifier ces aspects et pour en faire une liste exhaustive. Le but de cette énumération est de mettre en lumière certaines modalités de contribution du champ de l’éducation relative à l’environnement à la dynamique interdisciplinaire de recherche, de formation et de services aux collectivités qui caractérise l’ISE. 2. Inquiétude à l’égard de l’avenir des sciences de l’environnement à l’UQAM Il importe d’abord de reconnaître et de célébrer le rayonnement extraordinaire de l’ISE, principalement à travers ses programmes de formation (dont témoigne entre autres le Bilan 20102011). Un tel succès est d’autant plus admirable que l’Institut a toujours souffert d’un manque chronique de financement et de ressources. Il faut aussi souligner que la « niche institutionnelle » de rattachement facultaire - à une seule faculté - a engendré des problèmes et entravé la dynamique de travail interdisciplinaire. Malheureusement, si l’UQAM a innové en matière d’environnement au cours des dernières décennies, l’institution est maintenant en perte de vitesse quant à son leadership dans le domaine. Plutôt que d’octroyer à l’ISE les nécessaires conditions et ressources pour poursuivre sa mission et développer ses travaux de façon optimale, le projet de la Faculté des sciences qui vise à s’approprier le champ des sciences de l’environnement en le réduisant aux seules sciences biopsysiques (nécessaires mais non suffisantes), a généré une crise institutionnelle préjudiciable tant à l’UQAM qu’à la réputation de celle-ci au sein de la société québécoise. La précipitation pour le développement d’un programme de baccalauréat en « sciences de l’environnement » (sous couvert d’une « révision » de programme existant) restreint au seul domaine des sciences biophysiques semble répondre à des intérêts clientélistes pour assurer des tâches d’enseignement au corps professoral de la Faculté des sciences. Il importera d’étudier ce projet en fonction de critères de pertinence académique et sociale, et d’envisager des propositions alternatives de structure et de rattachement d’un tel programme de premier cycle. Quant aux programmes de maîtrise et de doctorat en sciences de l’environnement, ils ont fait l’objet de développements au fil des années, les rendant davantage interdisciplinaires et pertinents. Ce n’est que dans le creuset d’une unité résolument interdisciplinaire comme l’ISE qu’ils peuvent trouver leur sens et leurs avenues d’amélioration continue. 3. Perspectives de solution Il est essentiel que l’UQAM, université contemporaine, réponde à la demande sociale grandissante de recherche, de formation et de services aux collectivités en matière d’environnement (l’idée d’environnement fait ici référence à l’ensemble des réalités et des problématiques socio-écologiques des milieux de vie). En lien avec le renforcement et le réel déploiement d’une politique de gestion environnementale qui ferait de l’UQAM un modèle de responsabilité et d’innovation institutionnelle (rattrapant ainsi un important retard), deux voies complémentaires doivent être envisagées : A) L’intégration explicite et accrue d’une dimension environnementale à l’ensemble des curriculums de l’UQAM : enrichissement des programmes avec des cours spécialisés en environnement et ajout d’éléments de contenu environnemental aux différents cours disciplinaires. Cela concerne toutes les facultés : en sciences biophysiques (géologie de l’environnement, chimie de l’environnement, sciences biologiques de l’environnement, technologies environnementales, etc.), en sciences humaines (sociologie de l’environnement –deux cours existent déjà - psychologie de l’environnement, histoire environnementale, géographie environnementale, éthique de l’environnement, etc.), en sciences politiques et en droit (dont l’étude des propositions de l’écologie politique, la dimension juridique des questions environnementales, les enjeux de démocratie et de gouvernance, etc.), en sciences de la gestion (en relation entre autres avec le cadre de référence du développement durable, celui de l’économie écologique ou autre), en arts (comme lieu de construction et d’expression du rapport à l’environnement l’art comme activité esthétique et politique -, et autres avenues), en sciences de l’éducation (éducation et formation relatives à l’environnement en milieu scolaire, éducation communautaire et populaire, éducation muséale, formation professionnelle, formation d’écoleaders, etc.), en communication (dont la communication environnementale, médias et environnement), en mode (choix des matériaux et des processus industriels, par exemple), etc. Chaque faculté, chaque département, chaque programme, chaque unité de recherche est interpellée pour intégrer l’environnement (réalités et problématiques) comme objet d’études ou comme pôle de relations humaines et sociales. Il s’agit d’une responsabilité de toutes et chacune des facultés. Une seule faculté ne peut pas s’approprier le label et le mandat « sciences de l’environnement », pas plus qu’un Institut des sciences de l’environnement ne peut assumer l’ensemble des voies d’intégration de l’environnement dans les curriculums des diverses facultés et dans les modes de gestion de l’université. L’Institut a un autre rôle à jouer comme nous le verrons. B) En lien et au-delà de l’intégration de l’environnement dans les champs disciplinaires (point A), il importe en effet d’assurer un pôle d’expertise en sciences de l’environnement, soit un pôle fort d’interdisciplinarité, permettant à la fois de dynamiser et de soutenir l’environnementalisation des curriculums disciplinaires (au sein des facultés) et d’offrir un lieu de recherche et de formation véritablement interdisciplinaire, de nature à appréhender la complexité des réalités socio-écologiques et à contribuer à répondre aux demandes sociales grandissantes (non disciplinaires). C’est le rôle de l’Institut des sciences de l’environnement. Il s’agit donc de favoriser le développement et la synergie d'un processus transversal d'environnementalisation institutionnel et, à travers un travail interdisciplinaire continu et réflexif, de contribuer progressivement à l’émergence d’un champ transdisciplinaire - celui de la science de l’environnement (au singulier, comme le proposait entre autres Pierre Dansereau), issue de la dynamique d’interaction des sciences de l’environnement, et qui se définit de plus en plus avec son objet propre, ses théories propres, ses méthodologies privilégiées (tel qu’évoqué par le titre de plusieurs monographies : Environmental Science). La pertinence et la nécessité d’un tel lieu fort d’interdisciplinarité sont liées à des raisons épistémologiques, éthiques et méthodologiques : 1) L’étude des réalités et problématiques socio-écologiques – essentiellement multidimensionnelles et complexes - fait appel à un dialogue des savoirs disciplinaires et aussi à d’autres types de savoirs sociaux, ce qui exige une posture épistémologique particulière, à la fois inter- trans- et extradisciplinaire; 2) L’approche des questions environnementales (de l’ordre des « choses publiques », du « bien commun ») fait appel à une éthique qui dépasse largement la déontologie classique des protocoles scientifiques: elle requiert entre autres bien souvent la participation des acteurs dans des recherches collaboratives ou participatives ou partenariales; 3) La méthodologie nécessaire pour aborder les questions environnementales intègre des approches mixtes, innovantes, sans cesse en mouvement, qui ne peuvent être enfermées dans des cultures disciplinaires cloisonnées. Ces arguments ne peuvent être développés dans le contexte de ce mémoire et ils restent ici très incomplets. Ils soulignent toutefois la nécessité de considérer que l’interdisciplinarité est bien davantage qu’un collage de disciplines diverses, et requiert le développement de compétences épistémologiques, éthiques et méthodologiques particulières – de même que des habiletés de travail d’équipe qui ne peuvent s’acquérir que par la pratique réflexive de celle-ci. Cela fait appel à un « espace » académique particulier, celui de l’ISE. Afin de préserver les avancées de l’UQAM en sciences de l’environnement et d’accélérer le rattrapage en ce qui concerne son leadership dans le milieu universitaire – mis en péril par le manque de conditions adéquates et de ressources octroyées à l’Institut des sciences de l’environnement – il apparaît essentiel de créer une niche institutionnelle interfacultaire permettant à l’Institut de préserver et de renforcer son mandat et ses programmes de formation. Il serait regrettable que sa structure facultaire sclérose et entrave le développement de notre institution. Les structures doivent répondre aux idées et aux projets, et non l’inverse. Dans son introduction aux travaux des États généraux, notre vice-recteur Robert Proulx faisait appel à la créativité des participants pour identifier une solution à la crise actuelle. Une structure interfacultaire (espace entre les facultés - de préférence -, ou au croisement de diverses facultés) accueillant l’Institut des sciences de l’environnement (et autres unités interdisciplinaires à l’étroit au sein des facultés) pourrait être rattachée pour l’instant au vicerectorat à la vie académique. Mieux encore, en raison de l’importance majeure de l’engagement environnemental institutionnel, l’UQAM pourrait se doter d’un vice-rectorat à l’environnement (ou aux affaires environnementales). Rappelons que l’Université de Sherbrooke a un vicerectorat au développement durable. La spécificité de l’UQAM reste l’environnement, qu’il faut éviter d’enfermer dans la seule prescription politico-économique du développement durable. Une telle structure interfacultaire, associée à des ressources équitables et adéquates, permettrait le plein déploiement de la mission de l’Institut des sciences de l’environnement comme levier d’environnementalisation des curriculums et noyau fort d’interdisciplinarité au sein de l’UQAM. Il faudra certes innover pour créer une telle « niche » : cela constitue un défi très stimulant pour l’évolution de l’UQAM face aux enjeux de l’épistémologie contemporaine et aux demandes croissantes relatives aux questions vives qui émergent dans nos sociétés. À la recherche d’un dénouement à la crise actuelle, il faut reconnaître que l’équipe actuelle de l’ISE, par sa vision et ses compétences, fait déjà partie de la solution. Démanteler l’ISE ou changer son comité de direction priverait l’UQAM d’une expérience, de compétences et d’expertises de haut niveau. Enfin, il faudra sans doute envisager un processus de résolution de problèmes par étapes : 1) Offrir dès maintenant un espace interfacultaire et des ressources à l’ISE, comme solution urgente à la crise conjoncturelle, même si tout n’est pas encore en place à cet effet (structurellement et stratégiquement), de façon à mettre un tel patrimoine académique à l’abri du déchirement des tensions actuelles et à éviter des décisions prématurées qui seraient préjudiciables au déploiement des sciences de l’environnement à l’UQAM; 2) Concevoir et développer une structure d’accueil institutionnelle adéquate à long terme pour la recherche, la formation et l’interaction sociale interdisciplinaires et intersectorielles en sciences de l’environnement à l’UQAM; une telle structure devra permettre éventuellement de développer également la formation de premier cycle en environnement (tronc commun interdisciplinaire et spécialisations avec la collaboration des facultés concernées). Mars 2012